Fiche du document numéro 27129

Num
27129
Date
Lundi 7 avril 2003
Amj
Auteur
Fichier
Taille
16671
Pages
2
Surtitre
Rwanda: l'école pour guérir du génocide
Titre
A Kigali, un centre tente de réinsérer les enfants des rues
Soustitre
400 000 jeunes Rwandais sont orphelins à la suite du génocide, soit plus de 10% des mineurs du pays.
Mot-clé
Résumé
Nine years after the assassination of some 800,000 Tutsi and moderate Hutus, the consequences of the genocide continue to weigh on Rwandan children.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Les enfants sont revenus au centre Tubakunde. Malgré les vacances, en cette semaine de commémoration du génocide rwandais de 1994, le directeur de ce centre pour enfants des rues a décidé de rouvrir ses portes. «Il ne faut jamais que les jeunes s'éloignent trop longtemps, explique Epimaque Kanamugire, sinon ils reprennent le large.» Pourtant, le centre Tubakunde, installé depuis 1998 sur une colline de Kigali, est devenu un pôle d'attraction pour les enfants livrés à leur sort. Victime de son succès, il doit rejeter certains candidats, faute de place. «Le nombre d'enfants des rues ne cesse de croître depuis le génocide», déplore le directeur. Selon certaines estimations, on comptait avant 1994 moins de 1 500 mayibobo (enfants des rues en kinyarwanda) ; il y en aurait aujourd'hui plus de 6 000. Neuf ans après l'assassinat de quelque 800 000 Tutsis et Hutus modérés, «les conséquences du génocide continuent de peser sur les enfants rwandais».
Tourner la page. Les propos d'Epimaque Kanamugire sont entrecoupés par les bruits métalliques de l'atelier de soudure, qui jouxte son bureau. Là, les enfants, âgés de 10 à 18 ans, apprennent des métiers, tout comme dans les salles dédiées à la mécanique, au dessin ou aux cours de cuisine. La formation professionnelle, comme l'alphabétisation et l'accès à l'école primaire, c'est ce que de nombreux centres tentent d'offrir aux enfants de la rue pour leur réinsertion sociale. Agé de 17 ans, Bizimana suit des cours de dessin, qui ont «changé (sa) vie». Malgré le souvenir toujours présent des cadavres entassés lors du printemps 1994, il semble décidé à tourner la page : «Cela ne doit pas perturber le cours de ma vie», martèle l'adolescent en guise de méthode Coué.
Tout le monde n'a pas la même détermination. «Il y a beaucoup d'enfants encore traumatisés, qui ont vu la mort de leurs proches, et qui vivent mal cette période de commémoration», confirme Epimaque Kanamugire. Le petit Djuma fait partie de ceux-là. Il est venu ce matin, pieds nus et le T-shirt déchiré malgré la pluie et la boue, pour se changer les idées. «A chaque instant», il se souvient de la mort de ses proches, et de l'abandon de sa mère, qui l'a «délaissé» au moment de s'enfuir. Djuma n'avait que cinq ans lors du génocide. Il a passé son enfance à sniffer de la colle dans la rue, à chercher à se protéger de ses aînés toujours prêts à le frapper pour lui prendre l'argent gagné à force de petits boulots. Après avoir raconté son histoire, il part défouler la tension accumulée en donnant des coups de pioche dans la terre boueuse. «Il nous inquiète beaucoup, soupire un responsable du centre. Il est là depuis trois ans et il vient encore de se faire renvoyer de l'école pour avoir volé une poule.»
Forcés à travailler. Les mayibobo ne sont que la face émergée de la détresse de nombreux jeunes Rwandais. On peut les voir déambuler, mendier, en haillons, dans les rues. Mais, conséquence du génocide, nombre d'autres enfants «n'ont aucun avenir», affirme Sara Rakita. Chercheuse, elle vient de publier pour Human Rights Watch un rapport sur Des plaies qui ne se referment toujours pas. Elle y explique que le génocide, le départ en exil de millions de réfugiés et l'incarcération de près de 120 000 Rwandais accusés d'a voir participé aux massacres, ont fait des «centaines de milliers» d'orphelins, 400 000, soit plus de 10 % des mineurs du pays, selon des estimations officielles. «Ces enfants souffrent de violations du droit à la propriété et à l'éducation, et sont souvent forcés à travailler comme domestiques dans leur famille d'accueil», renchérit la chercheuse. Odetta a perdu son père, tué pendant le génocide.
«J'ai d'abord été accueillie par un voisin, qui me laissait dormir sous sa véranda, raconte-t-elle. Mais il n'avait pas d'argent pour s'occuper de moi. Alors je suis partie.» Odetta, âgée de 16 ans, a ainsi travaillé pendant trois ans comme domestique dans une autre famille, sans gagner le moindre sou. Ce n'est qu'alors qu'elle a choisi la rue. «On a tenté de me violer, je me suis débattue, mais mes amies ont eu moins de chance», lâche-t-elle d'un ton monocorde.
Sans protection. «Ici, le réseau social a été déchiré par le génocide, la guerre, les déplacements, les emprisonnements, explique Sara Rakita, et les structures qui ailleurs aident les enfants vulnérables n'existent plus.» Bien qu'une «bonne» loi sur la protection de l'enfance soit entrée en vigueur en 2002, les autorités peinent selon la militante des droits de l'homme à la faire appliquer. «Il y a aussi le problème des enfants qui ont un parent en prison, ou qui ont eux-mêmes été incarcérés pour des crimes liés au génocide», rappelle Sara Rakita. Près de 4 000 jeunes adultes, qui étaient mineurs en 1994, sont derrière les barreaux, toujours en attente d'un jugement. Quant aux enfants de prisonniers, «ils ne bénéficient pas du statut des "enfants vivant dans des circonstances exceptionnellement difficiles", alors qu'ils doivent souvent subvenir aux besoins de leurs parents incarcérés, déplore la chercheuse. Pour la réconciliation du Rwanda, il faut que la jeunesse ait un espoir en l'avenir, estime-t-elle. Quand je vois les enfants qui ne vont pas à l'école, qui traînent dans les rues, qui n'ont pas de protection des autorités locales, je me demande quel est leur avenir.».
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