Fiche du document numéro 26880

Num
26880
Date
Mercredi 11 janvier 2012
Amj
Auteur
Fichier
Taille
265774
Pages
3
Sur titre
 
Titre
Rwanda : retour aux origines du génocide
Sous titre
 
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Cote
 
Résumé
The technical study to locate the starting point for the missile fire that shot down Hutu President Habyarimana's Falcon 50 tends to exonerate the RPF of responsibility for the attack. On the contrary, he implicitly incriminates the opposing camp, that of the Hutu extremists, and he bury a little deeper the order of Judge Jean-Louis Bruguière established in 2006 on the basis of testimonies accusing Paul Kagamé and which broke down over the years.
Source
Extrait de
 
Commentaire
 
Type
Article de journal
Langue
FR
Declassification
 
Citation
Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Près de dix-huit ans après l'attentat, à Kigali, contre l'avion du président rwandais qui, le 6 avril 1994, allait déclencher cent jours de génocide au Rwanda contre les Tutsis et le massacre de Hutus modérés, un rapport d'expertise présenté aux parties, mardi 10 janvier à Paris par le juge français en charge de l'affaire, Marc Trévidic, apporte enfin des éléments nouveaux et déterminants qui réorientent radicalement l'enquête. Cette étude technique destinée à localiser le point de départ du tir du missile qui a abattu le Falcon 50 du président hutu Juvénal Habyarimana tend à disculper le Front populaire rwandais (FPR) – l'armée rebelle d'alors, dirigée par l'actuel président rwandais, Paul Kagamé – de la responsabilité de l'attentat. Au contraire, il incrimine, implicitement, le camp adverse, celui des extrémistes hutu, et il enterre un peu plus profondément l'ordonnance du juge Jean-Louis Bruguière établie en 2006 sur la base de témoignages accusant Paul Kagamé. Témoignages qui se sont délités au fil des ans. L'élément nouveau du rapport des six experts (balistique, acoustique, explosif, cartographie et pilotage) mandatés par le juge Trévidic est d'ordre géographique. Il est déterminant car s'il ne permet pas de dire avec certitude qui a tiré, il permet de resserrer considérablement le champ des investigations. A l'issue de recherches menées sur les lieux de l'attentat en septembre 2010, il ressort en effet que "l'hypothèse privilégiée est celle d'un tir du missile depuis le domaine militaire de Kanombé, contrôlé par des paras commandos et la garde présidentielle [de Juvénal Habyarimana]", nous explique maître Bernard Maingain, avocat des sept Rwandais, dont des proches de Paul Kagamé, inculpés depuis 2006 par le juge Bruguière. "À QUI PROFITE LE CRIME" "Le tir des deux missiles, dont le second a abattu l'avion, a pu avoir lieu depuis le camp Kanombé, à proximité des maisons des coopérants belges. La zone de tir que nous privilégions comprend le cimetière (…) et, plus vraisemblablement, le bas du cimetière",
peut-on lire, en effet, dans un extrait du rapport publié sur le compte Twitter du journaliste
indépendant Frédéric Helbert.
Si les experts privilégient Kanombé, c'est qu'ils excluent dans le même temps que le missile
ait pu être tiré depuis la ferme de Masaka. Or cette hypothèse retenue dans le rapport
Bruguière incriminait lourdement les troupes de M. Kagamé censées s'être infiltrées dans
cette zone idéale militairement pour abattre l'avion peu avant son atterrissage à Kigali. Une
infiltration de rebelles du FPR dans le camp surprotégé de Kanombé, jouxtant l'aéroport et la
résidence présidentielle, paraît, elle, improbable.
Faute de s'être rendu sur le terrain, le juge Bruguière défendait, lui, une théorie, plus qu'il ne
s'appuyait sur des faits. Pour lui, Paul Kagamé, alors sur l'offensive militaire avec ses FPR,
aurait commandité l'attentat afin d'empêcher l'application d'un accord politique soutenu par
Juvénal Habyarimana et prévoyant la constitution d'un gouvernement d'union nationale. Le
président tué, le FPR profitait du chaos et s'emparait de tout le pouvoir par la force des armes
sans avoir à passer par des élections – prévues dans les accords d'Arusha signés huit mois plus
tôt –, mais que le chef de la minorité Tutsi ne pouvait pas gagner en vertu du poids
démographique insuffisant de sa communauté. En d'autres termes, à la question "à qui profite
le crime ?", le juge Bruguière répondait Paul Kagamé.
Mais cette conviction reposait essentiellement sur des témoignages soutenant l'existence d'un
complot. "Kagamé disait que pour en finir avec le régime hutu, il fallait tuer Habyarimana",
a affirmé au juge, Aloys Ruyenzi, un ancien militaire chargé de la garde rapproché du chef du
FPR. Depuis que les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux ont repris le dossier il y a cinq ans,
plusieurs témoignages retenus par le juge Bruguière ont été formellement contredits. Ou bien
leurs auteurs se sont rétractés.
Le rapport Bruguière qui avait abouti à la rupture des relations diplomatiques entre la France
et le Rwanda après l'émission des mandats d'arrêts contre les sept Rwandais en 2006
est "carbonisé, c'est un jour historique", se réjouit Me Maingain. Son confrère Léon-Lev
Forster, également avocat de la défense, espère maintenant un non-lieu pour ses clients. "Mais
la recherche de la vérité ne doit pas s'arrêter avec la mise hors de cause de nos clients qui se
réservent le droit de déposer plainte pour escroquerie au jugement en bande organisée, étant
donné les faux témoignages recueillis sous serment", ajoute Me Forster.
"LA QUESTION DE LA PARTICIPATION DE CONSEILLERS ÉTRANGERS"
A Kigali, on se réjouit également tout en notant que les conclusions des experts français
recoupent celles tirées par des militaires britanniques dès 2009."Il est clair pour tous
désormais que l'attentat était un coup d'Etat mené par des extrémistes hutu et leurs
conseillers", a commenté la ministre rwandaise des affaires étrangères, Louise
Mushikiwabo. "Avec cette vérité scientifique, les juges [Marc] Trévidic et [Nathalie] Poux
ont fermé brutalement la porte à dix-sept ans de campagne de négation du génocide", a-t-elle
estimé.
Le rapport d'expertise, présenté mardi à huis clos, ne lève pas toutes les interrogations. Mais
les parties civiles semblent ébranlées. "Il y a des nouveautés, mais rien de définitif, il y a des
choses à préciseret nous avons trois mois pour le faire", défend Philippe Meilhac, l'avocat
d'Agathe Habyarimana, la veuve du président rwandais, exilée en France depuis une
quinzaine d'années. Me Meilhac regrette d'ailleurs aujourd'hui que le juge Bruguière "se soit
davantage attaché à recueillir des témoignages sur les commanditaires du crime que sur le
modus operandi".
L'enquête a été ouverte en 1998 en France sur plainte des familles de l'équipage français de
l'avion prêté par la France au président Habyarimana. Mais il a fallu attendre 2010 et le
réchauffement des relations diplomatiques franco-rwandaises fin 2009 pour que le juge
Trévidic reconstitue la scène de l'attentat sur place. Ce voyage à Kigali, Jean-Louis Bruguière
ne l'avait pas jugé utile, préférant se baser sur les témoignages recueillis, hors du Rwanda,
essentiellement auprès d'anciens génocidaires hutu, de transfuges du FPR, ou de soldats
français présents au Rwanda à l'époque où Paris soutenait le président Habyarimana.
Me Meilhac cherche toutefois à relativiser les conclusions des experts et soulève la question
de l'arme du crime, des missiles SA-16 de fabrication soviétique. Deux ont été tirés. L'un a
raté sa cible et s'est autodétruit. Le second a frappé sous l'aile gauche de l'avion qui s'est
immédiatement transformé en une boule de feu. "Les SA-16 sont faciles à transporter et on
les tire à l'épaule, mais leur maniement requiert une grande expertise que ne possédait
personne au sein des FAR [les Forces armées rwandaises, fidèles au pouvoir]", explique
Me Meilhac.
Ce que concède d'ailleurs l'avocat de Kigali. "Et cela soulève la question de la participation
de conseillers étrangers mais personne n'a voulu enquêter sur ce terrain-là jusqu'à présent",
regrette M. Maingain qui rappelle la présence au Rwanda du commandant français Paul
Barril, jamais auditionné par le juge Bruguière.
Le rapport permet donc de dire d'où les SA-16 ont été tirés, et d'établir de fortes présomptions
sur les responsabilités d'extrémistes hutus. Mais il ne permet pas d'identifier formellement les
auteurs, ni leurs motivations. Et si MeMaingain, se dit "convaincu que des langues vont
maintenant se délier, y compris à Paris", il n'est pas sûr que toute la lumière soit faite, un
jour, sur cet attentat qui a fait basculer le Rwanda dans l'horreur.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024