Fiche du document numéro 26855

Num
26855
Date
Vendredi 15 septembre 2017
Amj
Auteur
Fichier
Taille
118752
Pages
4
Urlorg
Titre
Claude Hermant, l'indic « borderline » qui a armé Amedy Coulibaly malgré lui
Soustitre
Proche de l'ultra-droite, ce Lillois de 54 ans est jugé pour avoir importé des armes en France, dont certaines ont fini entre les mains du terroriste. Il prétend avoir agi dans le cadre d'une opération d'infiltration.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
A première vue, rien ne relie Claude Hermant à Amedy Coulibaly. Voire tout les oppose. Le premier est un ancien barbouze, proche du Front national. Crâne rasé façon skinhead, allure athlétique, il est fiché S pour ses liens avec l'ultra-droite identitaire lilloise. Le second, délinquant notoire, est lui aussi connu des services de renseignement. Mais pour radicalisation islamiste: fiché à l'antiterrorisme, il tue quatre personnes dans un Hyper Cacher parisien avant d'être abattu par les policiers du RAID en janvier 2015.

Les deux hommes ne se connaissent pas et, visiblement, ne se sont jamais rencontrés. Mais ils sont indirectement liés par un obscur trafic d'armes dont la justice tente de démêler l'écheveau. Depuis lundi, Claude Hermant est jugé avec neuf autres prévenus devant le tribunal correctionnel de Lille. Il est suspecté d'être le principal instigateur d'un trafic d'armes de guerres démilitarisées importées de Slovaquie entre 2013 et 2015.

Écoulée dans le milieu du banditisme après une remise en fonction, une partie de l'arsenal s'est retrouvée, en bout de chaîne, dans les mains du terroriste de l'épicerie juive. L'enquête n'a pas démontré que le quinquagénaire connaissait la destination finale de sa marchandise. Celle-ci a transité par des intermédiaires. Mais l'affaire est sensible: Hermant a été un indic de la gendarmerie durant la période de son activité illicite. Et des enquêteurs de haut vol sont soupçonnés, au pire, d'avoir fermé les yeux sur son business, au mieux, d'avoir été bernés. Le procès doit s'achever ce vendredi soir.

Des armes stockées dans une friterie



Avant d'être soupçonné d'être un trafiquant d'armes, Claude Hermant était surtout connu pour ses multiples vies passées: ancien champion de boxe thaï, le colosse lillois aux gros bras est passé par le DPS, le service de sécurité du FN dans les années 90. Il a surtout oeuvré en tant que mercenaire en Afrique lors d'opérations secrètes. « Vous avez des missions ponctuelles en Angola, pour des histoires de mines de diamant. Une sous-traitance de la DGSE, finalement », a résumé le président du tribunal, Marc Trévidic, au premier jour de son procès, selon un compte-rendu de Libération.

Les ennuis judiciaires du militant identitaire débutent en fait à l'hiver 2013, bien avant la tuerie de l'Hyper Cacher. Sans qu'il le sache, des indices sur son réseau d'armes sont récoltés lors d'une banale perquisition dans un appartement de Lille, au cours d'une enquête de stupéfiants. Selon Le Monde, un pistolet démilitarisé portant des traces de l'ADN de Claude Hermant est saisi. Débutent alors de longues et discrètes investigations. La police judiciaire (PJ) de Lille commence à s'intéresser à ce taulier d'une baraque à frite, La frite rit, au casier judiciaire vierge. C'est dans la chambre froide de ce modeste établissement lillois qu'est stocké une partie de son matériel. Un employé confiera y avoir vu des kalachnikovs entreposées.

Une « source fiable », rémunérée jusqu'à 2000 euros



Officiellement, l'enquête piétine jusqu'en janvier 2015. Pendant ce temps-là, l'entreprise d'Hermant ne connaît pas la crise et les importations d'armes sont même florissantes. Après plusieurs mois d'écoutes et de surveillances policières infructueuses, les investigations s'accélèrent à la faveur d'un renseignement intéressant obtenu par les douanes, peu après le massacre de l'Hyper Cacher. La compagne de Claude Hermant se ferait livrer des colis douteux en provenance de Slovaquie via sa société privée.

Dans un carton intercepté, les agents retrouvent des pistolets mitrailleurs neutralisés de manière non-conforme, rapporte La Voix du Nord. Ce matériel peut être facilement réactivé pour redevenir opérationnel. Le couple est enfin placé en garde à vue le 20 janvier. L'ampleur du trafic commence à affleurer. Les policiers remontent les livraisons et le circuit du réseau.

Mais la défense de Claude Hermant surprend les enquêteurs: selon lui, le business a été mis en place avec l'aval de la gendarmerie sous couvert... d'opération d'infiltration du milieu du banditisme. D'ailleurs, il est lui-même un « indicateur » de la prestigieuse Section de recherches (SR) de Villeneuve d'Ascq! En fait, dit-il en substance, son réseau n'est qu'un appât. Ses importations illégales d'armes? Un moyen d'entrer en contact avec de potentiels acquéreurs. Autrement dit, de faire tomber de gros poissons.

« [Hermant] a été recruté par mon prédécesseur le 13 mars 2013 et a été blacklisté le 3 avril 2015 », a reconnu piteusement le colonel Jérôme Pichard, patron de la SR de Villeneuve d'Asq, au troisième jour du procès à Lille. Selon les gendarmes, l'ancien barbouze a effectivement été « une source fiable », qui pouvait présenter « un intérêt dans le domaine du trafic d'armes et dans les milieux extrémistes ». D'ailleurs, il a déjà reçu 2000 euros pour un bon tuyau, une rémunération qualifiée « d'importante ».

« Des armes achetés avec la bénédiction de la gendarmerie? »



Toutefois, les pandores nient formellement avoir donné leur feu vert à ces importations d'armes de guerre. De même, ils démentent avoir eu connaissance de leur existence. « On n'a jamais demandé à qui que ce soit de faire des livraisons d'armes », témoigne l'un des gendarmes à la barre. Hermant a-t-il profité du manque de contrôle des activités des indicateurs? Gourmands, les gendarmes ont-ils été délibérément laxistes? « Qu'on me condamne parce que les situations étaient borderline je comprends, mais pas au-delà. Je ne suis pas un voyou », a plaidé Claude Hermant devant le tribunal.

La situation est embarrassante pour les services de sécurité. Et le résumé de l'affaire est accablant. Un collaborateur de la gendarmerie, visé par une enquête de la PJ Lilloise et fiché par le renseignement, est parvenu à faire rentrer près d'un demi-millier d'armes, dont une partie est tombée dans les milieux terroristes, sans que personne s'en aperçoive. Les policiers antiterroristes s'en émeuvent lorsqu'ils entendent Claude Hermant dans l'enquête sur l'attentat de l'Hyper Cacher. Nous sommes en décembre 2015. L'échange est relaté par Mediapart.

- « Vous avez acheté des dizaines d'armes, dont celles ayant été utilisées par Amedy Coulibaly à l'Hyper Cacher et celles retrouvées chez lui, avec la bénédiction de la gendarmerie?

- Oui, bénédiction est un terme un peu trop fort, mais c'est ça. »

A ce stade, Claude Hermant n'est pas mis en cause dans le volet des attentats. C'est Samir L., l'un de ses « bons clients », qui est soupçonné d'avoir fourni les armes du Lillois à Amedy Coulibaly via ses réseaux tout aussi tortueux. Lors de l'enquête, Claude Hermant a fait acte de contrition, affirmant que les victimes de l'Hyper Cacher lui ont fait prendre conscience de la gravité de ses lucratives activités. « Les attaques de Paris ont fait tilt dans ma tête », résume-t-il avec ses mots à lui.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024