Fiche du document numéro 26400

Num
26400
Date
Mardi 28 avril 2020
Amj
Auteur
Fichier
Taille
369499
Pages
28
Urlorg
Titre
6e partie : l’enquête Bruguière, une imposture franco-rwandaise
Soustitre
Afrikarabia publie aujourd’hui le sixième d’une série d’articles sur les enjeux politiques actuels de la paix dans l’Afrique des Grands Lacs. L’aspiration des peuples à la bonne gouvernance, à la liberté et à la prospérité, reste obérée par les calculs subalternes de politiciens prêts à plonger leurs pays dans le chaos pour s’emparer du pouvoir ou le reconquérir. Et la France, avec sa justice archaïque et politicienne, n’y joue pas toujours le beau rôle.
Source
Type
Blog
Langue
FR
Citation
L’épave de l’avion du président Juvénal Habyarimana © JF Dupaquier

Rôdés aux méthodes de désinformation et de subversion, les
hauts-gradés rwandais « génocidaires » et leurs associés ne se
sont pas contentés de transformer le Tribunal pénal international
pour le Rwanda en « machine à cash » et en porte-voix du
négationnisme (lire notre précédent article). Ils sont parvenus à
manipuler Jean-Louis Bruguière, la star française de la lutte
antiterroriste, pour obtenir son sceau judiciaire sur leur
Storytelling.


Ce soir du 6 avril 1994, le commandant Grégoire de Saint-Quentin dînait en famille dans sa résidence de fonction au camp militaire de Kanombe, près de Kigali. Nommé lieutenant en 1983, capitaine en 1988, il menait toute sa carrière dans les troupes de Marine. Blessé lors de la guerre du Golfe, son intelligence au combat et son courage l’avaient fait repérer par ses supérieurs. Son détachement au Rwanda était une forme de récompense[1] et un moyen de se rétablir tranquillement. Il n’y passait pas inaperçu. « L’homme est immense, mesurant près de 2 mètres. Immense et sec, avec un cou puissant, un visage allongé, des yeux que l’on devine clairs, légèrement enfoncés », raconte Alexandre Duyck, à notre connaissance le seul journaliste d’un média grand public à l’avoir interviewé.[2]

Depuis le 11 août 1992, Grégoire de Saint-Quentin était assistant militaire technique à la mission militaire de coopération à Kigali. Il y avait reçu le grade de commandant en 1993, ce qui avait donné lieu à une petite fête. Il était responsable de l’entraînement parachutiste auprès du major Aloys Ntabakuze, chef des para commandos des Forces armées rwandaises (FAR). Le camp de Kanombe hébergeait ce qui était présenté comme la crème des FAR[3]. S’y trouvait une poignée de coopérants militaires français et belges. Le camp était immense, relativement bien agencé, et la vie agréable aux expatriés. Cependant, depuis une quinzaine de jours, il était interdit à ces derniers, pour leur footing quotidien, de passer dans une partie du camp en jachère qui servait aussi de cimetière. A cette époque au Rwanda, les personnes décédées étaient enterrées n’importe où, généralement chacun dans son jardin. Pour les militaires, le camp servait de jardin…

La crème des Forces armées rwandaises au camp de Kanombe



« Soldat ambitieux, loué par ses hommes mais discret, […] préfère l’ombre à la lumière et ne goûte guère la publicité », a pu observer le journaliste Alexandre Duyck. De Saint-Quentin en imposait à sa petite troupe et à ses interlocuteurs rwandais. Il fêterait dans quelques jours ses 33 ans, et sa carrière militaire se déroulait de façon impeccable. S’il ne commettait aucune erreur, d’ici trois ans, il passerait lieutenant-colonel, etc.
Troisième d’une dynastie d’officiers supérieurs, Grégoire de Saint-Quentin savait que l’intelligence et le courage ne suffisent pas pour une grande carrière dans l’armée française. Il faut aussi deviner ce que veulent les politiques, sanctionner le plus petit mensonge de ses subordonnés (la vantardise est un péché véniel de « la Coloniale »), fuir toute polémique, éviter les journalistes et ne répondre – brièvement – qu’aux questions qui vous sont posées par les personnes habilitées à les poser. Sans s’embarquer à en dire plus. Autant de principes qui seront mis à rude épreuve à compter de ce 6 avril 1994 au soir.

Ne répondre qu’aux questions qui vous sont posées



Grégoire de Saint-Quentin raconte la suite : « Vers 20 h 30, j’ai nettement entendu de départ de coups, que je peux assimiler à un départ de lance-roquettes. Deux coups de départ très rapprochés l’un de l’autre, mais pas simultanés. Ensuite très rapidement j’ai entendu une explosion plus importante. Je me suis rendu immédiatement à une fenêtre et j’ai vu une boule de feu dans le ciel en direction de l’Est. » [4]

De Saint-Quentin a compris que quelque chose de terrible s’était produit. « J’ai pensé immédiatement à une attaque du camp de Kanombe, car des rafales d’armes automatiques ont suivi cette explosion. À aucun moment, je n’ai imaginé qu’il pouvait s’agir d’un avion qui avait été touché en vol. Ma première réaction a été de mettre ma famille en sécurité.

Puis, je me suis rendu sur la place d’armes du camp pour aller aux nouvelles. Sans aucune certitude de la part d’un de mes interlocuteurs rwandais, il m’a fait part que ce soir-là, l’avion du président devait se poser, mais rien ne laissait encore croire qu’il s’agissait bien de son avion qui avait été touché. »

Saint-Quentin a compris que quelque chose de terrible s’était produit



Saint-Quentin a donné l’alerte sur le réseau de sécurité de l’ambassade de France, vers 20 h 45. Le lieutenant-colonel Maurin, commandant par intérim de la mission de coopération militaire en l’absence du colonel Cussac, lui a répondu de se renseigner au mieux.

Le commandant a raconté, toujours sur procès-verbal : « En voulant me rendre vers la résidence présidentielle j’ai été refoulé une première fois par la garde présidentielle. Étant revenu au camp, j’ai rencontré le commandant Aloys Ntabakuze qui m’a annoncé que le président était mort.

J’ai immédiatement rendu compte au colonel Maurin de cette information que je venais de recueillir. J’ai demandé au commandant Ntabakuze de pouvoir me rendre à la résidence présidentielle pour aller récupérer les corps de l’équipage français du Falcon 50, ce qui m’a été accordé. Sur place, j’ai immédiatement constaté l’ampleur de la catastrophe. »

« Aloys Ntabakuze m’a annoncé que le président était mort »



Grégoire de Saint-Quentin a été réentendu le 7 décembre 2011 sur le départ des deux missiles : « Si je me réfère à mon “catalogue” dans la mesure où j’ai entendu pas mal de départs de coups dans ma vie, je dirais entre 500 et 1 000 mètres. C’était suffisamment proche pour que je croie que l’on attaquait le camp. »

Il a donc indiqué au colonel Maurin que les missiles étaient partis du camp Kanombe. Maurin l’a répété à l’ambassadeur de France Jean-Michel Marlaud. Ce dernier le mentionne dans une note rédigée le 25 avril 1994, après son retour à Paris : « Aucun élément matériel ne permet à l’heure actuelle de déterminer la responsabilité de cet attentat. Le FPR nie en être l’auteur et l’attribue à des éléments hostiles aux accords d’Arusha, notamment la garde présidentielle. »
L’ambassadeur ajoutait : « Certes, aucune hypothèse ne peut être définitivement écartée. La thèse d’une responsabilité des proches du président Habyarimana est cependant d’une très grande fragilité. Elle repose sur le fait que les tirs provenaient de Kanombe, où se trouve un camp de la garde présidentielle. Mais rien ne prouve qu’ils venaient de l’intérieur de ce camp. »

L’ambassadeur de France : « Les missiles provenaient de Kanombe »



Le commandant de Saint-Quentin n’était pas le seul européen à habiter dans le camp. On y comptait ce soir-là quatre sous-officiers français. L’adjudant Bach et l’adjudant De Pinho, qui logeaient à proximité, l’ont aussitôt rejoint. Et il y a bien d’autres témoins dignes de foi. Ainsi le lieutenant-colonel belge Massimo Pasuch, un médecin militaire. Sa maison se trouvait à 150 mètres de chez les Saint-Quentin. En train de dîner, il a « aperçu un éclairage filtrant orangé. […] Je suis sorti de chez moi et j’ai vu une boule de feu qui s’écrasait sur la parcelle du président… à 350-400 mètres de chez moi. »[5] Il ajoutera plus tard : « c’était un coup comme un souffle, avec une traînée, comme ce qui peut suivre un missile ou une rocket. »

Ce soir-là, Massimo Pasuch et son épouse Brigitte avaient invité à dîner un collègue, le médecin-major Daubresse et Denise Van Deenen, anesthésiste. Brigitte Pasuch[6] se trouvait à table face à la baie vitrée. Selon elle, le bruit venait « du fond du jardin, vers l’entrée de la maison. » Le Dr Daubresse a été entendu dès son retour en Belgique, le 13 avril 1994, et sa mémoire était fraîche : « J’ai vu, remarquant en direction de l’Est, monter de la droite vers la gauche un projectile propulsé par une flamme rouge orange. […] Une puis une deuxième traînée lumineuse qui montaient dans le ciel. » Il situe le départ des missiles à environ 1 km. Mme Van Deenen : « Les bruits que j’ai entendus me semblaient proches, mais je ne suis pas capable d’en évaluer la distance. »

Mme Van Deenen : « Les bruits que j’ai entendus me semblaient proches »



Le caporal Mathieu Gerlache, qui faisait partie du contingent belge de la Minuar, se trouvait au même moment de permanence à l’aéroport et observait le ciel depuis la rambarde de l’ancienne tour de contrôle : « Soudain, j’ai vu un point lumineux partir du sol, soit de la droite de l’avion lorsque je le regardais. J’ai suivi ce point lumineux. […] Un deuxième point lumineux part depuis le sol, selon moi, toujours du même endroit. […] Il a finalement rencontré l’avion ; une boule de feu a alors illuminé le ciel. […] La direction de départ de ce point était le camp de Kanombe. »[7]

Cyprien Sindano était commandant de l’aéroport Grégoire Kayibanda et il a également vu le tir des missiles : « L’avion avait dépassé Masaka et se trouvait dans le ciel des environs de Kanombe. […] Au regard de ce que j’ai vu, les tirs ne sont pas partis loin de ce lieu. »

Le commandant de l’aéroport : « Les tirs ne sont pas partis loin »



Silas Siborurema révisait ses cours devant l’hôpital de Kanombe et a vu les tirs de missiles : « La source du tir […] je la situe à la fin de la piste, tout près de l’endroit où l’avion devait atterrir. […] un peu derrière le camp militaire de Kanombe dans la partie sud du camp, là où il y avait de la forêt. J’ai constaté que la source du tir était dans cette forêt ». Le caporal Tharcisse Nsengiyumva, chauffeur du colonel Bagosora, était à l’unité de pédiatrie du camp Kanombe : « Moi-même j’ai vu les missiles monter et je suis persuadé que les tirs sont partis de près de la résidence de Habyarimana. […] La zone était sous le contrôle total des FAR ».

Le caporal Jean-Bosco Mutwarangabo se trouvait au « Mess » du camp Kanombe : « J’ai vu la fusée qui montait vers l’avion à partir de la partie derrière le camp militaire. […] Derrière le camp Kanombe, vers son côté sud ».
Plusieurs membres du bataillon para commando et de la garde présidentielle ont vu la même chose, tel le caporal Samson Turatsinze, le caporal Anastase Ntwarame, le caporal Sylvestre Nteziryayo… Le souffle des missiles a été entendu uniquement par des témoins se trouvant au camp Kanombe, tout comme le lieu d’origine des tirs.

« La source du tir […] un peu derrière le camp militaire de Kanombe »



Toutes ces personnes ont entraperçu la scène du crime. La liste des témoins directs, Occidentaux ou Rwandais, est longue… Une note de la DGSE datée du 11 avril 1994 expliquera que les tirs de missiles sont partis de la « bordure du camp militaire de Kanombe ».

Abattre un avion de nuit avec des missiles, depuis un camp militaire et sans se faire prendre, n’était pas à la portée des protagonistes de la guerre civile, pas plus le FPR que les FAR. La Direction du renseignement militaire (DRM) rapporta le 27 novembre 1995 des informations « faisant état de la participation de militaires français à l’attentat ». L’analyste français Jacques Morel, qui a rassemblé la plus grande base de données publiques francophones sur le génocide des Tutsi, ressasse « de sérieuses hypothèses sur la participation de la France à cet attentat [car] le rapport du juge Trévidic et les télégrammes déclassifiés des États-Unis démontrent que les auteurs sont les forces hutues extrémistes. »[8]

La DGSE parle de « bordure du camp militaire de Kanombe ».



L’objet de cet article n’est pas de décrire l’attentat ni d’examiner toutes les hypothèses sur ses auteurs. Tout ceci a fait l’objet de nombreux livres, articles, conférences.[9] Nous allons seulement observer que les témoins directs de l’attentat seront vite relégués aux oubliettes de l’histoire par l’irruption de témoins « de contexte ». Ces derniers n’ont rien vu, rien entendu, pour la bonne raison qu’ils n’étaient pas au Rwanda ce soir-là. Pourtant, ils n’hésitent pas à se présenter comme des « savants » des « experts » et ils ont le talent de se faire entendre dans les médias. A commencer évidemment par des journalistes « de services ».[10]

Il s’agit surtout de transformer la nature de l’attentat du 6 avril 1994. D’élément déclencheur d’un génocide soigneusement préparé, il deviendra l’origine d’une « colère populaire spontanée » ayant entraîné « des massacres excessifs ». C’est-à-dire la thèse défendue jusqu’aujourd’hui par le colonel Bagosora, « l’architecte du génocide ». Pour que s’impose cette thèse, il lui faudra faire oublier que les tirs de missiles sont partis du camp militaire de Kanombe, auquel le Front patriotique n’avait évidemment pas accès.

Dans leur campagne, Bagosora et ses amis seront appuyés par une petite troupe de polémistes occidentaux débridés et braillards. Les détenus d’Arusha financeront leur campagne de désinformation grâce au trésor de guerre accumulé au détriment du TPIR. Leur atout-maître sera le juge Bruguière, dont ils feront le pantin de cette manipulation.

Objectif des génocidaires : dénaturer l’attentat



Un port altier et des mouvements de menton témoignant d’une inébranlable confiance en soi, au bec une éternelle bouffarde à la Sherlock Holmes, une silhouette d’empereur romain qui serait incarné par Lino Ventura : dans les années 1990 et jusqu’au début du XXIème siècle, Jean-Louis Bruguière est une vedette, « la star des juges antiterroristes français » résume un de ses biographes. Une légende vivante. Il le sait et cultive avec soin son image.
Ses recettes : d’une part, rassurer l’opinion publique et les politiques ; d’autre part, distiller des informations à une petite brochette de journalistes qui ne manqueront pas de les relayer en « off ». Ils doivent promettre le secret. Supporter ses soliloques sur les dessous de la politique. Eviter de s’interroger sur les étranges et confuses obsessions du magistrat sacré roi de la lutte antiterroriste par une haute administration judiciaire craintive et carriériste, prête à applaudir de loin celui qui sort de la tranchée baïonnette au canon.

Jean-Louis Bruguière, une star



Lorsqu’il a rencontré Jean-Louis Bruguière pour parler du Rwanda, qu’il avait visité et de Paul Kagame, qui lui avait accordé une interview deux heures durant, le journaliste Sébastien Spitzer a été déstabilisé car son interlocuteur n’avait rien à apprendre : « Il me faisait un petit cours particulier de géopolitique. […] Au bout d’une petite heure, je suis sorti de son bureau avec le sentiment étrange de ne plus rien savoir, que le vrai fond de l’histoire m’échapperait toujours. Qu’il y avait des intérêts en jeu que je ne pouvais saisir. »[11]

Derrière son air bougon, « laissant aux journalistes le soin d’alimenter la rumeur », Bruguière rend bien des services à l’Etat français. « Il a fini par se poser en figure de héros, de Sauveur », observe encore Sébastien Spitzer. Notamment pour l’attentat de Karachi où il ménagera la réputation et les intérêts de l’Etat français et du Premier ministre de l’époque, Edouard Balladur.[12]

Bruguière ne doute jamais de lui-même et de ses instructions, même si elles piétinent misérablement. Comme pour les assassinats des moines de Tibhirine. Les services secrets français partagent rarement ses foucades, mais qu’importe, la gloire est là ! Comme l’énonce le professeur Claude Bernard, « ceux qui ont une foi excessive dans leurs idées ne sont pas bien armés pour faire des découvertes ». La « star de l’antiterrorisme » va le démontrer. En se discréditant. Et surtout, aux dépens de la vérité.

L’attentat qui donne le signal du génocide des Tutsi



Mercredi 6 avril 1994 : à 20 h 23, le Falcon-Dassault du président rwandais Juvénal Habyarimana est abattu par un missile. Les douze occupants sont tués sur le coup : le chef de l’Etat du Rwanda, son homologue du Burundi, leur suite et les trois Français qui composent l’équipage ; Jacky Héraud, le pilote, Jean-Pierre Minaberry, le co-pilote, et Jean-Marc Perrine, le mécanicien.
Cet attentat donne le signal du génocide des Tutsi du Rwanda et du massacre politique des leaders hutu démocrates. En cent jours, entre huit cent mille et un million de personnes sont assassinées.

Dans les jours qui suivent, la DGSE rédige une note estimant que les responsables de l’attentat sont les radicaux du « Hutu Power » qui cherchaient un prétexte pour « travailler », le mot codé qui au Rwanda signifie à cette époque exterminer les Tutsi.

Le mystérieux rôle du mercenaire Paul Barril



Le mercenaire français Paul Barril, qui se trouvait au Rwanda dans la période de l’attentat[13] a certainement une idée sur ses auteurs. En 1996, il tente de déposer une plainte au nom de ses clients, la famille Habyarimana, mais le Parquet la rejette. Le 31 août 1997, Sylvie Minaberry, fille du co-pilote, se constitue partie civile devant René Humetz, doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Paris. Sans plus de succès.

A l’hiver 1997-1998, les familles des trois Français se décident à leur tour à porter plainte. Pourtant la justice ne réagit toujours pas. L’agenda politico-judiciaire s’accélère avec la retentissante série d’articles du journaliste Patrick de Saint-Exupéry dans Le Figaro sur les responsabilités de Paris dans le génocide. Le 24 mars 1998, commencent les auditions d’une mission d’information parlementaire sur le rôle de la France au Rwanda. [14]

Tout à coup le parquet antiterroriste se réveille. Le 27 mars, il confie à Jean-Louis Bruguière une information judiciaire pour « assassinat en lien avec une entreprise terroriste ». Ça tombe bien – ou mal, selon les points de vue – : en vertu de la séparation des pouvoirs, les parlementaires français ne pourront interroger Paul Barril, par exemple sur ce qu’il faisait au Rwanda le 6 avril 1994. Et ils ne pourront investiguer que superficiellement sur l’attentat. Une lourde déception pour les parlementaires, exprimée par l’ancien ministre et député socialiste François Loncle : « On aurait voulu pouvoir poser toutes les questions possibles sur l’attentat visant l’avion présidentiel […] C’est sûr que ça nous a manqué cruellement. »[15]

« On aurait voulu pouvoir poser toutes les questions possibles sur l’attentat »



Les hommes de la Division nationale antiterroriste (DNAT) qui mènent les investigations pour Jean-Louis Bruguière recueillent les premiers témoignages. Celui d’Agathe Habyarimana, la veuve, celui de Jean-Luc Habyarimana, fils du président, celui de sa sœur Jeanne Habyarimana, celui de Catherine Mukamusoni, petite sœur d’Agathe et épouse du frère du président, Séraphin Bararengana. D’autres membres de la parentèle présidentielle sont interrogés et réinterrogés. Le juge Bruguière et ses enquêteurs boivent les paroles de ces « victimes », dont certaines ont ordonné des massacres juste après l’attentat.

Bizarrement, aucune de ces personnalités n’apporte d’informations sur le lieu du tir des missiles, pourtant très proche de la villa présidentielle. Plus le temps passe, plus ces témoins exprimeront la certitude que c’est le Front patriotique rwandais (FPR) qui a abattu l’avion. Et sûrement pas les hommes du Hutu Power – leurs amis.

Problème : les enquêteurs ne vérifient pas la fiabilité des témoins



Jean-Luc Habyarimana revient témoigner pour assurer que son père était inquiet « en raison de menaces qui avaient été proférées par le Front patriotique rwandais et que des rumeurs d’assassinats avaient été interceptées par les services de renseignement de l’armée rwandaise. »

Parmi les premiers convoqués, la journaliste franco-camerounaise Marie-Roger Biloa. Ses articles sur l’attentat et le génocide dans la revue Africa International ont été appréciés des Habyarimana. Tout se passe déjà comme si la maisonnée présidentielle rwandaise, qu’on appelle là-bas l’Akazu (la petite hutte), prenait le contrôle de l’instruction en choisissant la danse des témoins comme sur un carnet de bal.

Ainsi, Marie-Roger Biloa communique l’interview, publiée par sa revue Africa International, d’un couple de Belges, M. et Mme Gérin, ayant fui le Rwanda. Marcel Gérin se vante de tout savoir des turpitudes du FPR, de ses lanceurs de missiles et des massacres massifs de Hutu, dont il aurait été le témoin. Les enquêteurs ne se posent aucune question sur la fiabilité de ce témoin.
Marie-Roger Biloa dit aussi aux enquêteurs qu’elle connaît bien le capitaine Barril. Elle leur raconte que, un mois environ avant l’attentat, Paul Barril lui a raconté qu’un avion burundais qui transportait plusieurs officiers avait fait escale à l’aéroport international de Genève-Cointrin. L’un d’entre eux aurait oublié une mallette qui, ouverte par les services de sécurité, aurait contenu des « plans permettant d’abattre un avion en vol ». Le mercenaire confirmera. Marie-Roger Biloa est décidément bien renseignée, mais elle a une thèse à défendre.

Marie-Roger Biloa bien renseignée mais très orientée



Le « tuyau » de Marie-Roger Biloa s’avère profitable. L’audition de Marcel Gérin fut une véritable corne d’abondance. Un des avocats des parties civiles en est encore stupéfait, vingt ans plus tard. Il ouvre son ordinateur et nous la lit tandis que nous prenons des notes : 12 avril 1999, audition de Marcel Gérin, né le 20 juillet 1946 à Bukavu, demeurant … Il vivait au Rwanda depuis 1989 sur la commune de Rusumo exploitant une ferme à gibier et un complexe hôtelier. « Les prémices du génocide ont commencé aux environs de 19 avril 1994 (sic). Depuis la propriété j’ai observé à la jumelle les activités des « militaires » du Front patriotique du Rwanda qui massacraient la population. Ces soldats n’étaient pas en tenue militaire, mais tous en civil y compris leur chef. Ils ont massacré plus de 2 000 personnes qui étaient venues se réfugier chez moi.

Ma femme et moi avons été faits prisonniers le 26 avril 1994 par un groupe de 350 « militaires » du FPR. Après avoir subi un simulacre d’exécutions et diverses brimades physiques et après que nos locaux aient été dévastés et nos véhicules volés par l’armée nous avons été conduits le lendemain matin dans un village où il n’y avait que des cadavres de la population locale. Nous étions sous la surveillance d’enfants très jeunes armés, commandée par Georges Kirindi, actuel garde du corps de Paul Kagamé, le vice-président actuel du Rwanda. »
Comme Marie-Roger Biloa dans Africa International, Marcel Gerin est intarissable sur les crimes du FPR : « Nous avons ensuite été transférés à Kibungo où la ville était également à feu et à sang. Toute la population rwandaise avait été massacrée, toutes ethnies et nationalités confondues. C’est la première fois où j’ai vu quatre officiers en uniforme ougandais qui commandaient les troupes. Il n’y avait aucun autre prisonnier avec nous, tout le monde était systématiquement massacré. Le 28 avril nous avons été conduits dans le village de Gahini pour y voir un autre “chef”, Diogène Mudenge, qui actuellement s’occupe des camps d’extermination à la frontière Rwanda Burundi. » Etc.[16]

Pourtant dans une première interview accordée à la journaliste belge Marie-France Cros le 2 mai 1994, les époux Gérin ont accusé les milices Interahamwe des crimes qu’ils attribuent à présent au FPR.
Apparemment, Marcel Gérin, l’homme qui insiste sur PV pour qu’on mette des guillemets à « militaires » du FPR, oublie de préciser que lui et sa femme étaient les gestionnaires d’un ranch dans lequel les Habyarimana avaient des intérêts. Un détail qui avait sûrement échappé à Marie-Roger Biloa.

Des « militaires » du Front patriotique du Rwanda qui massacraient la population



L’avocat est prévenu qu’un client vient d’arriver, fait mine de refermer son ordinateur, puis se ravise : « Il a mieux encore : l’interview de Paul Barril, le 29 septembre 1999. Ce n’est pas très long, je vais vous la lire ». Il est vrai que l’histoire racontée par Barril mériterait la « Une » de Détective. Je prends note des meilleurs passages :

« Dès 1990, sur ordre de M. de Grossouvre et du général Habyarimana j’ai été chargé d’infiltrer les structures militaires et politiques du FPR en Europe et en Afrique. Ainsi, j’ai rencontré tous les dirigeants du FPR en Belgique et en particulier M. Bizimungu qui est aujourd’hui le président du Rwanda ainsi que le ministre des Affaires étrangères actuel. Une année avant l’attentat de l’avion, Paul Kagamé est même venu en France pour essayer d’obtenir de ma part des télécommandes à distance d’une portée de 30 km afin d’assassiner le président du Rwanda. Cette entrevue s’est réalisée à l’hôtel Sofitel de La Défense à Paris ».

Le mercenaire confirme ensuite l’histoire rapportée par Marie-Roger Biloa : « L’avion militaire » (?) du Burundi avec son personnel contrôlé par « les services français et suisses » (?) et la découverte de papiers laissant supposer la préparation d’un attentat antiaérien.

« Des télécommandes à distance afin d’assassiner le président du Rwanda »



Pour le reste, Paul Barril répète à sa façon la vulgate des génocidaires rwandais concernant le bataillon du FPR cantonné à Kigali en décembre 1993 : « De cette date, des infiltrations militaires tutsies sont visibles et connues à Kigali. Les femmes apportent les armes et les munitions [souligné par nous : les accusations contre les femmes tutsi sont un marqueur de l’idéologie du génocide] et les militaires du FPR se cachent chez leurs sympathisants ainsi que chez des personnalités belges. […] L’attentat a été planifié depuis longtemps et a été très facile à réaliser car Kigali est entouré de collines. Sans la disparition du général Habyarimana et de son état-major, le FPR n’aurait jamais pu prendre le pouvoir ».

Tout ceci est tellement convaincant que les deux enquêteurs qui font face à Paul Barril, le commissaire de police Pierre Payebien[17] et le lieutenant de police Nathalie Luszcz, ne pensent pas à demander à leur interlocuteur où il se trouvait et ce qu’il faisait le 6 avril 1994 au soir. Il a pourtant écrit qu’il était au Rwanda pendant cette période dans un livre publié deux ans plus tôt[18].

Paul Barril apporte une information qui n’est pas sans intérêt : « À la demande de Mme Habyarimana, en tant que spécialiste de la sécurité, j’ai mené une investigation concernant l’attentat. […] J’ai tenté alors de faire déposer une plainte en France par Mme Habyarimana, cette plainte a été refusée car elle n’était pas Française ».

Barril : « Les femmes [tutsi] apportent les armes et les munitions »



Sa secrétaire téléphone que le client s’impatiente. Notre interlocuteur s’empresse de conclure : « Comme Marcel Gérin, Paul Barril était sous contrat avec Agathe Habyarimana. C’est le b.a.-ba du métier d’enquêteur de vérifier le pedigree des témoins. Mais s’il n’y avait que ça… l’enquête Bruguière révèle tellement d’aberrations… Il me faudrait des jours et des jours pour en parler. Revenez me voir… ».

Avec quelques autres témoignages de cette veine, pour l’équipe de Bruguière à quoi bon investiguer « à décharge » ? Un an après le démarrage de l’instruction, très exactement le 15 septembre 1999, l’inspecteur général Marion, chef de la Division nationale antiterroriste a rédigé une note synthétique. Elle est établie à partir de déclarations de Agathe Habyarimana et de sa famille, des éléments fournis par Marie-Roger Biloa et de ses relations, de Jean-Luc Habyarimana, de Paul Barril, etc. La DNAT est déjà en contact indirect avec le major Aloys Ntabakuze, chef des para commandos de l’armée rwandaise, « actuellement détenu à Arusha […] dont les hommes auraient découvert immédiatement après l’attentat les emballages des missiles utilisés et qui aurait lui-même été en contact de paysans rwandais qui avaient vu les utilisateurs des missiles. »

Un an après l’ouverture de l’enquête, la vérité déjà acquise ?



Malgré l’emploi du conditionnel, l’opinion de l’inspecteur général Roger Marion est déjà faite : « Des témoignages enregistrés, il ressort que cet acte meurtrier a été l’œuvre de rebelles du “Front patriotique rwandais” (FPR ) placés sous l’autorité de M. Paul Kagamé, chef d’état-major de l’armée ougandaise [sic], qui dirigeait la rébellion armée depuis l’Ouganda. » Voilà une enquête difficile rondement menée.

Le secret de l’instruction est alors bien gardé. Le représentant du Parquet, qui est supposé la suivre et « faire remonter » ses observations à la Chancellerie (deux chefs d’Etat ont été assassinés), ne dit rien. Le Parquet n’observera jamais rien, à notre connaissance : aucune anomalie, aucune autre piste à suivre, une instruction uniquement à charge, aucune investigation sur la « bio » des témoins, etc. Déjà une caricature d’instruction.

« Cet attentat ne peut être que l’œuvre du FPR »



Quelque chose, comme un grain de sable, a pourtant commencé de dérégler cette machinerie judiciaire d’apparence si proprette. M. Faustin Twagiramungu, Premier ministre du Rwanda désigné par les Accords d’Arusha, vient de claquer la porte de la Primature avec fracas et s’est réfugié en Belgique. A sa demande, il a été auditionné le 26 octobre 1998 par la DNAT. Il n’a rien à rapporter aux enquêteurs, mais déjà une petite idée de ce qu’il peut gagner, lui, politiquement : « Sans posséder d’informations précises et de témoignages, je suis cependant en mesure de dire que cet attentat ne peut être que l’œuvre du FPR […]. Je ne suis pas en mesure de porter une accusation précise sur le commanditaire de cet acte criminel, mais si une information, utile à votre enquête me parvenait, je vous en ferais part sans aucune hésitation. »

Encore une fois – et ce ne sera pas la dernière – le juge Bruguière ne demanda aucune vérification de la fiabilité du témoin. Il aurait facilement eu accès à l’interview de Faustin Twagiramungu par le journaliste Christophe Boisbouvier, diffusée le 18 avril 1994 sur RFI. Elle lui aurait permis de se poser les bonnes questions sur la versatilité de l’ex-Premier ministre.

Une instruction déjà instrumentalisée



Ça n’a l’air de rien, mais c’est le vrai début du naufrage de l’instruction. Au-delà des ratiocinations de la famille Habyarimana et de ses séides, Faustin Twagiramungu vient d’y introduire la radicalité de la lutte pour le pouvoir au Rwanda. Cette radicalité se moque du principe de réalité. Elle n’est plus à démontrer depuis les pogroms anti-Tutsi, les assassinats de personnalités de tous horizons, l’attentat contre le Falcon présidentiel, le génocide, la réactivation de l’idéologie raciste dans les camps de réfugiés et la volonté des extrémistes hutu d’en finir une fois pour toute avec « la race maudite ». Elle n’est plus à expliquer pour ceux qui s’intéressent aux Rwandais et à leur histoire. Mais Jean-Louis Bruguière et les hommes ou femmes de la DNAT n’y comprennent visiblement rien. Ils ne voient pas que pour leurs interlocuteurs, l’attribution de l’attentat du 6 avril 1994 n’a plus grand-chose de rationnel – au sens qu’on donne habituellement à ce mot. Elle devient le marqueur politique et émotionnel d’un camp : tous ceux qui veulent en finir avec le régime de Paul Kagame répéteront qu’il est le promoteur de l’attentat. Et qu’il doit en payer le prix…

Le vrai début du naufrage de l’instruction



Cette thèse ne se superpose pas à une prétendue dichotomie hutu-tutsi. Le coût humain de la victoire du FPR a laissé un goût amer à de nombreux rescapés tutsi. De même chez les Inkotanyi qui ont enduré mille souffrances dans les rangs de la rébellion et vu la plupart de leurs camarades mourir de maladie, de faim, de froid ou sous les balles. Tout ça pour trouver leurs familles décimées, un pays anéanti. Au lendemain du génocide, le Rwanda est devenu une plaie de résilience et de cas psychiatriques où le « syndrome de Stockholm » faisait florès.
Quelques personnes arrachées à ce pays meurtri finissent par échouer dans le cabinet du juge « antiterroriste ». Ils croient pouvoir y régler des comptes, y trouver un certain réconfort. Et peut-être un moyen de gagner quelqu’argent.
Ainsi le « lieutenant » Abdul Ruzibiza, témoin-phare de Bruguière et auteur ensuite d’un livre retentissant.[19] Lorsqu’il n’emprunte pas le style châtié des deux universitaires qui préfacent et postfacent l’ouvrage qu’il signe, Abdul Ruzibiza, ancien infirmer Inkotanyi, s’exprime de façon pathétique en 2004 :

« Si j’ose donner seul ce témoignage, c’est que mes camarades craignent d’être assassinés par Kagame s’ils s’exprimaient sur ce sujet. Ce n’est pas la première fois qu’il fait ça. Moi je préfère rompre le silence, pour apporter mon témoignage sur la responsabilité du FPR/APR dans le génocide des Tutsi, les massacre des Hutu au cours de la guerre qu’il eut à mener et à laquelle j’ai pris part. Je tiens à ce que les Rwandais et l’opinion internationale comprennent d’avantage ce qui s’est passé au Rwanda, parce que jusqu’à présent, seule la version des faits et leur interprétation faite au gré des intérêts du FPR ont été rendues publiques. Au moment où nous nous préparons à commémorer le génocide qui a emporté nos êtres les plus chers, il est temps que la vérité soit connue ; il y a dix ans que Kagame s’est autoproclamé le sauveur des Tutsi, alors que c’est lui qui a rendu possible leur extermination, et qui nous a même empêchés de leur venir au secours, alors que nous en avions les moyens. »

Le témoignage pathétique du « lieutenant » Abdul Ruzibiza…



Dans son livre écrit en 2005, deux ans après avoir été entendu par le juge Bruguière, Abdul Ruzibiza écrit : « Je suis témoin direct pour ce qui s’est passé lors du lancement des roquettes SA-16, car j’étais sur place. »[20] Il ajoute quelques pages plus loin (p. 251) que le premier tir du caporal Eric Habizimana « a touché l’avion sur l’aile droite sans pouvoir le descendre ». Dans son ordonnance rendue publique en 2006, Bruguière affirmera que ce tir a « raté sa cible ». Mauvaise pioche : la première et la seconde version s’avèreront tout aussi fausses.

Si la souffrance d’Abdul Ruzibiza est évidente, les investigations ultérieures démontreront que ce « témoin direct » de l’attentat n’était pas à Kigali le 6 avril 1994, qu’il n’était pas lieutenant, mais simple brancardier, et qu’il a presque tout inventé, les noms, les lieux, les dates… Tout d’un mythomane, rien d’un témoin…

…et le dernier retournement de veste de Jean-Pierre Mugabe



De même Jean-Pierre Mugabe, un journaliste extrémiste puis rescapé dont la DNAT fait grand cas[21] : « Le matin du 6 avril 1994, Lizinde [un cadre du FPR], étant au courant du jour, de la date et de l’heure de l’attentat contre l’appareil présidentiel, a prévenu certains de ses amis pour qu’ils quittent Kigali avant la nuit. Il leur disait que ce n’est pas pour la paix que le Colonel Kabarebe [un des adjoints de Kagame] était venu passer des jours. Lizinde lui-même s’était rendu dans sa famille à Kigali pour placer sa femme et ses enfants. […] L’avion qui transportait les Présidents Habyarimana et Ntaryamira […] fut abattu vers 08h25 locales. Nous étions dans la salle de télévision à Mulindi en train de regarder la Coupe du Monde de Football. Certaines des autorités du FPR étaient également présentes. […] Dès après la chute de l’avion, […] l’Unité du Haut Commandement prit immédiatement les dispositions pour le combat et attaqua la nuit même. Cette unité agissait sous le Commandement direct de Kagame et Kabarebe. »

Erreurs factuelles, contradictions et contre-vérités



Selon Jean-Pierre Mugabe, « la décision de Kagame de descendre l’avion de Habyarimana a été le détonateur d’un drame sans précédent de mémoire de Rwandais […]. La soif du pouvoir a été la cause de l’extermination de nos familles. […] il avait déjà mis sous protection les quelques familles qui lui versaient des sommes plantureuses tandis que nos parents du petit peuple ont été donnés en pâture aux Interahamwe. »[22] Une assertion que rien ne vient confirmer.
Nous avions interrogé Jean-Pierre Mugabe en décembre 1994 à Kigali. Il donnait une toute autre version[23].

Déçu et amer du champ de ruines qu’il découvrait après la victoire du FPR, Jean-Pierre Mugabe a fui le Rwanda et ne croit son retour possible qu’après une révolution passant par l’éviction de Paul Kagame. Lui comme bien d’autres a vu dans « l’enquête Bruguière » un moyen d’y parvenir, fût-ce au prix de mensonges, d’erreurs factuelles, de contradictions et de contre-vérités.

Des pieds nickelés à Arusha



C’est à Arusha, dans les locaux du Tribunal pénal international pour le Rwanda, que l’instruction va définitivement dérailler. Le commandant de police Pierre Payebien a reçu d’une source non-identifiée mais qualifiée par lui « d’intermédiaire d’un des ex-membres des FAR », le document intitulé « Contribution des FAR à la recherche de la vérité sur le drame rwandais, la guerre d’octobre 1990 et la catastrophe d’avril 1994 ».[24]

Daté de décembre 1995, ce polycopié signé du « commandement des Forces armées rwandaises en exil » s’inscrivait dans la suite logique du « vade-mecum » (lire notre article précédent). Il s’agissait d’un gros document de 132 pages « destiné au Tribunal international pour le Rwanda » et qui comportait de nombreuses annexes. Expliquant que le Front patriotique « avait planifié et exécuté le génocide des Hutus […] en incitant les ethnies à la haine et à la violence », il ajoutait que « dans sa stratégie, le FPR a toujours fomenté des troubles interethniques, sachant bien que les Tutsi minoritaires en subiront les conséquences, pour pouvoir crier au génocide […]. Celui qui a planifié le génocide a prévu aussi son déclenchement […] l’assassinat du Président de la République ».

Détails nouveaux sur l’attentat



Le polycopié s’étendait longuement sur l’attentat du 6 avril 1994 et la preuve absolue que le FPR en était l’auteur : la revendication de l’attentat par le mouvement rebelle. Une prétendue interception radio de l’état-major du FPR quelques heures après l’attentat. Ce document, le commandant Grégoire de Saint-Quentin l’avait vu le 7 avril au matin, ce qui l’avait fortement marqué : « Le lendemain de l’attentat, alors que j’allais aux nouvelles, dans le bureau du commandant Ntabakuze, il y avait sur son bureau un message manuscrit, capté par le service d’écoute des FAR émanant du commandement FPR et annonçant le succès de “l’escadron renforcé”. Ce terme m’avait frappé. »

A cette époque, pas plus Grégoire de Saint-Quentin que l’adjoint à l’Attaché militaire, le lieutenant-colonel Maurin ni l’ambassadeur de France Jean-Michel Marlaud ne s’étaient souciés d’authentifier ce document jugé déterminant, bien que Paris en eût la possibilité.

A quoi bon vérifier cette histoire qui confirmait leurs impressions ? Ils devaient pourtant nourrir quelques doutes, car ils n’en parlèrent que de façon très allusive lorsqu’ils furent auditionnés par la Mission d’information parlementaire français, en 1998[25]. De façon si allusive que personne ne comprit de quoi il s’agissait, pas plus les parlementaires que les nombreux journalistes qui rendaient compte des travaux. Ce n’était pas la seule omission – ou la seule cachotterie de la mission dite « Quilès ».[26]

Les cachotteries de la « mission Quilès »



Les techniques de désinformation les plus efficaces sont assez simples : on transmet un document vicieux – mais d’une certaine façon « authentique » à la personne qu’on veut manipuler[27]. Ou bien on passe par le « scoop » d’un obscur média canadien, qu’un « journaliste ami » s’empresse de relayer en France. La « Contribution des FAR à la recherche de la vérité sur le drame rwandais » fut une illumination pour le commandant de police Pierre Payebien, qui en fit part aussitôt au juge Bruguière : on détenait enfin la pierre philosophale de l’instruction, la revendication de l’attentat. Pour les deux hommes, l’important était d’abord de connaître les noms des auteurs du polycopié et de les interroger. N’étant guère doués ni l’un ni l’autre pour la subtilité, ils ne s’aperçurent jamais qu’il existait deux versions de ce document, en quelque sorte « à géométrie variable »…

Le 26 mai 2000, Pierre Payebien convoqua Faustin Ntilikina, repéré comme demandeur d’asile en France. Il était secrétaire du chef d’état-major de l’armée rwandaise en 1994. Il se fit fort d’apporter les précisions nécessaires : « Oui, je les connais parce qu’il a été rédigé durant l’année 1995 alors que j’étais réfugié dans le camp de Mugunga au Zaïre. Il a été rédigé sous la responsabilité de Aloys Ntiwiragabo avec Emmanuel Kanyandekwe, lieutenant-colonel officier du bureau G 3, service chargé des opérations, adjoint à l’état-major, Vincent Nsengimana, commandant de la compagnie des transmissions basées à Kimihurura […]. Je me rappelle que les rédacteurs de cet ouvrage étaient au nombre de sept mais je ne me rappelle plus les noms des cinq derniers. »

Deux versions d’un document prétendument capital



De fil en aiguille, il ne fallut pas longtemps aux enquêteurs pour compléter la liste.[28] De leur côté, les « génocidaires » avaient eu le temps de se concerter pour préparer des réponses cohérentes qui accréditeraient la « Contribution des FAR à la recherche de la vérité sur le drame rwandais ».

Jean-Louis-Bruguière accompagné du commissaire Payebien, multiplia les rencontres à Arusha avec des détenus.

Le major Aloys Ntabakuze remit à l’équipe Bruguière « la copie dactylographiée d’un message qui aurait été capté par les Forces armées rwandaises le 7 avril 1994 à 8 h 15 et émis par les transmissions du FPR, qu’il a obtenu par l’intermédiaire du commandant du camp de Kanombe Félicien Muberuka, le 7 avril 1994, en début d’après-midi […]. Mentionnons qu’à l’origine, selon le major Aloys, ce message aurait été rédigé de façon manuscrite directement par l’opérateur radio des FAR à Gisenyi qui l’avait intercepté. »

La prétendue interception de la revendication de l’attentat par le FPR contenait ces mots : « Le chef (Museveni) a regagné Kampala sans problème et la communication de ses services avec nos éléments intérieurs s’est passée dans de meilleures conditions et cela avec l’aide de la communauté belge et les éléments du pays du Sud qui nous ont beaucoup aidé pour la réussite de notre mission qui n’était pas facile à réaliser. […] La réunion qui devait avoir lieu à Mulindi ce jeudi 7 avril 1994 est annulée. Je vous remercie et vous félicite de l’opération d’hier. La récompense est à vous pour le moment. Toutes les unités doivent se mettre en état d’alerte. La guerre commence ». Le document était déjà archivé par le TPIR, ce qui lui conférait un certain caractère d’authenticité.[29]

La « revendication » de l’attentat



Comme avec Carla Del Ponte (lire notre précédent article), les détenus d’Arusha se montrèrent d’une parfaite courtoisie avec l’équipe Bruguière. Matthieu Ngirumpatse, ex-président du Mouvement républicain national pour le développement et la démocratie (MRNDD), remit un certain nombre de documents dont une analyse de la situation au Rwanda intitulée « La mort du président Habyarimana ». Elle confirmait en tous points les convictions des Français. Théoneste Bagosora n’était pas moins prolixe.

Les accusés firent part à Bruguière de leur intolérable détention qu’ils entendaient dénoncer dans une lettre au Secrétaire général de l’ONU, et dont ils lui donnèrent une copie : « Les détenus de l’UNDF sis à Arusha continuent d’affirmer qu’ils sont détenus et jugés pour couvrir les vrais commanditaires des événements qui ont endeuillé le Rwanda. Ils se considèrent comme des boucs émissaires devant expier, en silence, les crimes de ceux-là mêmes qui tirent les ficelles dans l’ombre, pour torpiller toute idée d’enquête sur l’élément déclencheur des massacres survenus au Rwanda d’avril à juillet 1994. Nous pensons qu’il est plus que temps de mettre un terme à cette ambiguïté, pour que justice soit faite. […] La procureur du TPIR ou tout autre organe désigné par le Conseil de sécurité de l’ONU, doit mener une enquête sur l’assassinat du président Habyarimana et sur la responsabilité du FPR, pour mettre fin aux spéculations inacceptables. […] il y va de la crédibilité du TPIR et de l’ONU qui l’a créé. Il y va également des droits des personnes injustement accusées qui moisissent en prison depuis quelques années, alors que les vrais coupables continuent à jouir d’une impunité complice. »

Les détenus se considèrent comme des bouc émissaires



Le commissaire principal Philippe Frizon, alors chef de la Division nationale antiterroriste par intérim, n’était pas loin de partager les vues des détenus : l’attentat du 6 avril 1994 ne pouvait en aucun cas avoir été organisé par le camp des Hutu extrémistes puisque leurs chefs présumés, le chef d’état-major Déogratias Nsabimana et le « chef de la garde présidentielle » (?) Elie Sagatwa, se trouvaient dans l’avion. Interrogés séparément par Philippe Frizon, le général Augustin Ndindiliyimana, ex-chef d’état-major de la gendarmerie nationale rwandaise, Casimir Bizimungu, ex-ministre de la santé du gouvernement intérimaire, Matthieu Ngirumpatse, ex-président du MRND, Jean-Bosco Barayagwiza, ex-directeur politique de la RTLM, fournissaient des versions convergentes. Y compris Hassan Ngeze, l’agitateur raciste du périodique Kangura, aux propos fantaisistes.[30] Lorsque vint le tour de Théoneste Bagosora, « Colonel Apocalypse » avait eu le temps de comprendre par ses co-détenus que le Français n’était pas difficile à manipuler. Il proféra d’énormes mensonges comme celui-ci : « Pour la réunion de Dar es Salam du 6 avril 1994, il n’avait eu connaissance de son existence que le soir même de l’attentat. »

Les énormes mensonges de Bagosora



Le « clou » des auditions à Arusha était la déposition d’un témoin protégé sous les initiales « SY ». Solidement documentée par les génocidaires, l’équipe de Bruguière n’avait eu aucun mal à identifier Richard Mugenzi, l’espion radio supposé avoir intercepté le message de revendication de l’attentat par le Front patriotique, au matin du 7 avril 1994. La revendication semblait la clef de l’instruction. Richard Mugenzi savait que ces messages étaient des faux. Mais il savait aussi, pour résider depuis plusieurs années dans un quartier populaire d’Arusha, que la ville était infestée d’anciens Interahamwe et qu’il risquait sa vie s’il parlait trop.

Dans le cadre de cet article, j’ai réinterrogé Richard Mugenzi sur les conditions de son audition par l’équipe de Jean-Louis Bruguière en 2001. En relisant mon livre L’agenda du génocide, les confidences de Richard Mugenzi, ex-espion rwandais, transcrivant une longue série d’interviews menée en 2009 à Kigali, je n’avais pas abordé les détails de cette audition. Bruguière agissait dans le cadre d’une demande d’entraide judiciaire internationale. Le Parquet du TPIR avait indiqué à Richard Mugenzi, témoin protégé de l’accusation, qu’il pouvait accepter ou refuser de répondre aux questions des enquêteurs français.

Richard Mugenzi, le « clou » des auditions à Arusha



L’entretien eut lieu dans les locaux du TPIR en présence d’un adjoint du Procureur. Richard Mugenzi raconte :
« C’était à l’époque où j’intervenais comme témoin protégé sous le code “SY”. Selon le procureur-adjoint, les enquêteurs français s’engageaient à conserver la confidentialité de mon nom. Cependant la première question qu’ils ont posée au procureur adjoint, c’est si je m’appelais bien Richard Mugenzi. Il a répondu par l’affirmative et ils m’ont posé à mon tour la question. Pour eux, c’était visiblement très important de poser mon identité. C’est la première chose qu’ils venaient chercher. La deuxième chose : ils ont sorti des photocopies des fameux télégrammes, pour que j’authentifie mon écriture. Bien sûr je l’ai reconnue. J’ai dû leur montrer d’autres textes écrits par moi pour qu’ils vérifient ce fait. A ce moment-là, j’ai eu l’impression qu’ils avaient les réponses qu’ils venaient chercher, le reste ne les intéressait pas vraiment. Mais ils ont encore posé des questions ».

Pourquoi ne leur avez-vous pas dit que ces télégrammes étaient de fausses interceptions du Front patriotique ?

– Au TPIR, on m’avait coaché pour les audiences où j’étais appelé à témoigner : se contenter de répondre aux questions, ne pas se disperser sur autre chose, etc. C’est ce que j’ai fait aussi pour l’équipe de Bruguière. Je me limitais à répondre à leurs questions. Je voyais bien qu’ils voulaient seulement la confirmation des télégrammes. Que ces télégrammes soient des manipulations ne les intéressait visiblement pas. Ce qu’ils voulaient aussi, c’était l’interprétation des télégrammes, comment on pouvait comprendre certains mots. Je me limitais à expliquer des mots codés, comme « gorilles » ou « bergeronnettes ».

Est-ce que vous avez essayé de leur expliquer la vérité de ces prétendues interceptions ? Que ces fausses interceptions étaient d’authentiques manipulations ?

– Non, visiblement ça ne servait à rien. Quand j’employais précisément les mots « interception » et « transcription », je voyais bien que les enquêteurs français ne faisaient pas la différence. Ils avaient les télégrammes à la main, et ils étaient venus pour confirmer l’existence des télégrammes. C’était des manuscrits dont je reconnaissais l’écriture, ils ne cherchaient rien d’autre. C’est ça le système du TPIR : répondre aux questions préparées à l’avance. On ne vous demande pas de commentaire : vous répondez juste à la question : avez-vous rédigé ces documents ? Oui ou non ?

Il y avait d’autres versions imprimées de ces documents qui circulaient à gauche et à droite. Mais ce qui comptait, c’était le document original, manuscrit. Et que c’était bien mon écriture.

A votre avis, est-ce que le policier français qui vous interrogeait comprenait la langue française aussi bien que vous ? Je veux dire, savait-il faire la différence entre « transcription » et « interception » ?

– Je dirai que cette question ne les intéressait pas. Ils semblaient avoir la conviction que le Front patriotique avait revendiqué l’attentat, et ils étaient venus confirmer leur certitude. Ils voulaient aussi confirmer mon nom comme l’opérateur-radio supposé avoir intercepté la revendication de l’attentat. Après l’audition, ils m’ont proposé de venir en France : « Si vous venez en France, vous serez le bienvenu ». Je n’avais pas encore décidé où j’irais après mes témoignages au TPIR.

A quel moment avez-vous été victime d’une tentative d’assassinat ?



– C’était plus tard. Je vivais dans un quartier d’Arusha où habitaient beaucoup de Rwandais. Je donnais des cours de langue. Et un soir des tueurs sont venus. Je pense que c’étaient des voyous tanzaniens mandatés par des prisonniers du TPIR. Même à la prison d’Arusha, l’information circulait très bien. A mon avis c’est un voisin qui m’a dénoncé. Ce soir-là, les tueurs ont cherché dans l’immeuble sans me trouver. Ils ont fini par se décourager. On voulait m’éliminer avant que je puisse dire un jour que les soi-disant interceptions du Front patriotique étaient des bobards.

Que s’est-il passé ensuite ?

– Je n’avais rien à me reprocher, aussi je suis rentré au Rwanda.

A ce moment-là, vous n’aviez toujours pas révélé que la revendication de l’attentat par le Front patriotique était une manipulation du colonel Nsengiyumva ?

– Peu après mon retour à Kigali, j’ai été contacté par la « Commission Mutsinzi » qui enquêtait sur l’attentat, et j’ai expliqué en détail la manipulation. J’avais encore le statut de témoin protégé du TPIR. Ensuite, Don Webster, le procureur-adjoint américain qui s’occupait de moi, m’a appelé pour me demander si j’accepterais de rencontrer un avocat de Bagosora qui souhaitait discuter avec moi. J’ai dit oui.

Cet avocat m’a expliqué que si je revenais sur ma révélation du bobard, si j’acceptais de dire que j’avais menti à la Commission Mutsinzi, il me serait utile. Il s’occuperait de mon billet d’avion pour aller en France, de mon visa, et de trouver comment subvenir à mes besoins en France. Il voulait que je confirme la version de Bagosora et de ses co-accusés sur la revendication de l’attentat par le FPR.

Don Webster, le procureur-adjoint qui assistait à l’échange m’a dit que je pouvais prendre le temps de réfléchir. J’ai répondu « non, c’est tout réfléchi, je reste au Rwanda. » C’est par après que je vous ai rencontré et que vous m’avez interrogé pour le livre L’agenda du génocide. Après sa parution, j’ai bien senti que la pression retombait. M’éliminer ou me corrompre ne servait plus à rien. »[31]

Depuis la prison d’Arusha, le colonel Bagosora avait encore le bras long. Très exactement long de 6 686 km. A vol d’oiseau, la distance entre sa cellule et Paris, où il pouvait toujours appuyer sur certains boutons. Le juge Bruguière, lui, avait la vue courte. D’une certaine façon, on peut dire que les deux hommes étaient faits pour se compléter.

Prochain article : le naufrage de « l’enquête Bruguière »

Notes



1 Un militaire français au Rwanda touchait presque triple solde.

2 Alexandre Duyck, « Grégoire de Saint-Quentin : missions très spéciales »
Le Journal du Dimanche, 30 septembre 2013.

3 Le camp de Kanombe abritait le bataillon parachutiste (para commando), le bataillon d’artillerie comportant une batterie de mortiers de 120 mm, une batterie de canons de 105 mm, une batterie de canons de 122m, la batterie de lutte antiaérienne : bitubes et quadritubes de 14,5 mm, canons bitubes de 37,2 mm, la compagnie du génie (coopération allemande), l’infirmerie-hôpital de la compagnie du camp.

4 Enquête Bruguière, audition de Grégoire de Saint-Quentin le 8 juin 2000.

5 Auditorat militaire belge, audition du lieutenant-colonel belge Massimo Pasuch, 9 mai 1994.

6 Brigitte Pasuch est entendue le 20 novembre 2011 par le juge Trévidic.

7 Auditoral militaire belge, dépositions le du 13 avril puis du 30 mai 1994.

8 Jacques Morel « Dès le 8 avril 1994, Paris sait que le génocide a commencé à Kigali » L’Humanité, 4 février 2014.

9 Voir notamment Jacques Morel,  La France au cœur du génocide des Tutsi , Ed. Izuba-L’Esprit frappeur, 2010. Le livre est téléchargeable sur :

http://francegenocidetutsi.org/FranceCoeurGenocideTutsi-IP.pdf

Philippe Brewaeys, Noirs et blancs menteurs, Ed. Racine-RTBF, Bruxelles, 2013.

Jean-François Dupaquier, L’agenda du génocide, Ed. Karthala, Paris, 2010.

Jean-François Dupaquier, Politiques, militaires et mercenaires français au
Rwanda. Chronique d’une désinformation, Ed. Karthala, Paris, 2014.

Raphaël Doridant et François Graner, L’État français et le génocide des Tutsis au Rwanda, Ed. Agone-Survie, Paris, 2020.

Site de la Commission d’enquête citoyenne accessible sur :

http://cec.rwanda.free.fr/informations/attentat.html

François Graner, « L’attentat du 6 avril 1994 : l’hypothèse de tireurs et/ou décideurs français vue à travers les textes des officiers français », La Nuit rwandaise, n° 8, 2014. Accessible sur :

https://www.lanuitrwandaise.org/l-attentat-du-6-avril-1994-l,358.html

Michel Sitbon, Rwanda, 6 avril 1994. Un attentat français ?, Aviso éditions, Paris, 2012.

Georges Kapler et Jacques Morel, « Jean-Louis Bruguière ridiculise la justice française en l’instrumentalisant », communiqué accessible notamment sur le Collectif Van :

http://www.collectifvan.org/article_print.php?id=23841

Rapport balistique de la commission Mutsinzi accessible sur :

http://www.rwandahope.com/20042009RapportMutsinzi.pdf

10 Lorsque le Falcon 50 du président Habyarimana fut abattu le 6 avril 1994, les journalistes du monde entier n’eurent pas le temps d’enquêter ni même de gloser. Car aussitôt commencèrent le génocide des Tutsi et l’extermination des leaders politiques hutus démocrates. En outre, les « spécialistes du Continent noir » couvraient la campagne électorale conduisant Nelson Mandela à devenir le premier président noir du pays de l’Apartheid. Et au Rwanda, en dépit de proclamations de principe des deux camps sur la nécessité de mener une enquête sur l’attentat, l’urgence était le génocide des Tutsi.

11 Sébastien Spitzer, Contre-enquête sur le juge Bruguière. Raisons d’État, justice ou politique ?, Ed. Privé, Paris, 2007, p. 14.

12 En juin 2011, les familles des victimes de l’attentat de Karachi ont déposé plainte pour faux témoignage et entrave à la justice contre l’ex-juge d’instruction Jean-Louis Bruguière qu’elles soupçonnent d’avoir dissimulé un rapport d’autopsie contredisant la thèse officielle d’un attentat-suicide. Son successeur, le juge Marc Trévidic, a tardivement retrouvé dans le coffre-fort de son prédécesseur un rapport d’autopsie du poseur de bombe présumé réalisé par des médecins légistes dans les jours suivant l’attentat. Jean-Louis Bruguière avait « oublié » de joindre à la procédure ce rapport qui mettait en pièces la thèse de l’attentat-suicide. Selon la version officielle, l’attentat a été perpétré par « un terroriste kamikaze au volant d’une Toyota ». Son successeur Marc Trévidic démontrera que l’attentat a été commis par les services secrets pakistanais en représailles de l’arrêt par la France du versement de commissions liées à des contrats d’armement navals avec le Pakistan.

13 Cf. Capitaine Paul Baril, Guerres secrètes à l’Elysée, quatorze ans de coups tordus…, Ed. Albin Michel, Paris, 1996, et Jean-François Dupaquier, Politiques, militaires et mercenaires au Rwanda, chronique d’une désinformation, Ed. Karthala, Paris, 2014.

14 La création de la « Mission d’information sur les opérations militaires menées au Rwanda par la France, d’autres pays et l’ONU entre 1990 et 1994 » est annoncée le 3 mars 1998 à la suite de la campagne de presse déclenchée par des articles de Patrick de Saint-Exupéry dans Le Figaro en janvier 1998. L’année précédente, le Sénat de Belgique avait accompli une démarche analogue. Présidée par Paul Quilès, la mission d’information française publia en décembre 1998 un volumineux rapport recommandant des changements de gouvernance dans la politique africaine de Paris au vu des « erreurs d’appréciation » et des « dysfonctionnements institutionnels » constatés.

15 Sébastien Spitzer, op. cit. p. 235.

16 Pierre Péan exploite ce témoignage dans Noires fureurs, blancs menteurs. Rwanda 1990-1994. Enquête, pp. 263-271.

17 Pierre Payebien est alors commissaire (commandant) de police à la Division nationale antiterroriste, son chef est l’inspecteur général Roger Marion. La DNAT dépend de la Direction centrale de la police judiciaire. Elle devient la Sous-direction antiterroriste (SDAT).

18 Capitaine Paul Barril, Guerres secrètes à l’Elysée, op. cit.

19 Abdul Joshua Ruzibiza (auteur), André Guichaoua (postface), Claudine Vidal (préface), Rwanda l’histoire secrète, Ed. du Panama, Paris, 2005.

20 Ibidem, en note page 237.

21 Jean-Pierre Mugabe, 25 avril 2000, « DECLARATION SUR L’ATTENTAT CONTRE L’AVION DANS LEQUEL LES PRESIDENTS HABYALIMANA DU RWANDA ET NTARYAMIRA DU BURUNDI TROUVERENT LA MORT LE 06 AVRIL 1994. »

22 Une affirmation répétée, mais aberrante. Jacques Morel rappelle que « par exemple, le colonel Kanyarengwe, président du bureau politique du FPR, avait sa famille à Kigali qui s’est trouvée en grand danger après l’attentat. Elle a été cachée par un Belge qui l’a confiée à son départ, le 12 ou le 13 avril 1994, au général Léonidas Rusatira. M. Joseph Nsengimana (qui sera plus tard représentant du Rwanda à l’ONU), était au CND le 6 avril. Il a perdu toute sa famille ».

23 Jean-François Dupaquier, « Révélations sur l’accident d’avion qui a provoqué la mort de un million de personnes », L’Evénement du Jeudi, 1er décembre 1994. Nous ne savions pas à cette date qu’avant le génocide, Isibo, le journal dont Sixbert Musangamfura était directeur, avait contribué à répandre la haine raciale notamment par son article « Si nous n’exterminons pas les Tutsi, ce sont eux qui vont le faire » (Isibo, 27 octobre 1991). Musangamfura avait ensuite retourné sa veste…

24 A notre connaissance, le document intitulé « Commandement des FAR en exil » de décembre 1995 a été communiqué à l’attaché de Défense français à Nairobi en septembre 1996 par les « génocidaires ». Il l’a photocopié et adressé à la Direction du renseignement militaire (DRM) qui l’a reçu le 30 septembre 1996. On ne peut exclure que la DRM l’ait communiqué au commissaire Payebien en lui demandant de le « désourcer ».

25 Dans les annexes du rapport de la Mission parlementaire française, on trouve cependant un document non sourcé qui semble avoir été annexé au rapport de l’ambassadeur du 25 avril 1994, sous le titre : « 6.E.2. Fiche en possession du ministère de la Défense tendant à démontrer que le FPR avec la complicité de l’Ouganda est responsable de l’attentat ». On y lit : «  Nuit du 6 au 7 avril : […] un message de Paul Kagamé (FPR ) à ses commandants de secteur est capté par les Forces armées rwandaises. Il dit ceci : “Victoire, victoire, notre escadron renforcé a réussi sa mission… L’armée ennemie ne pourra pas tenir retranchée de son chef” ». Cette phrase intervenant au milieu d’un fatras de ragots et de désinformations n’a pas retenu l’attention des députés français.


OBJET : Eléments tendant à montrer que le FPR avec la complicité du président ougandais Museveni est responsable de l’attentat contre l’avion, des présidents rwandais Habyarimana et burundais Ntaryamira le 6 avril 1994 à Kigali.

26 Voir la note de Jacques Morel, « Les documents passés sous silence par la Mission d’information parlementaire sur le Rwanda », accessible sur :
https://francegenocidetutsi.org/MipDocUnpublished.pdf

27 Le procédé a servi pour « enrôler » la journaliste canadienne Judi Rever, qui est contactée par une certaine « Constance » qui lui transmet un document du Groupe des enquête spéciales du TPIR.

28 Le 9 juillet 2001, le juge Bruguière interrogea à Kinshasa le colonel Aloys Ntwiragabo, chef des services de renseignement militaire de FAR de juillet 1993 à juillet 1994 avec le grade de colonel. Il déclara sur PV : « le document intitulé “Contribution des FAR à la recherche de la vérité sur le drame rwandais”, j’en suis l’auteur en compagnie de Mancel Kanyandekwe [sic ; il s’agirait plutôt du lieutenant-colonel Emmanuel Kanyandekwe], le capitaine Vincent Nsengimana, officier des transmissions, le colonel Paul Rwarakabije, le sous-lieutenant Alphonse Munyarugendo. Tout ce qui figure dans ce document a été extrait des archives des FAR qui ont été détruites dans les camps au Zaïre lors de l’attaque de ce camp par le FPR.
[…] Vous me présentez deux documents, l’un intitulé “Lettre ouverte à M. le président du Parlement français” le second “Elément d’enquête sur les effets marquants de la tragédie rwandaise”, j’en suis l’auteur. »

29 En marge manuscrite : document produced by witness Ntabakuze. 16.5.2000 office of the prosecutor. Un tampon indique « copie conforme à l’original » l’officier (illisible) annexé sous le numéro144/42. En date du 26/5/2000 (signature illisible).

30 Jean-Louis Bruguière ou son adjoint Jean-François Ricard interrogèrent également Jean Kambanda, Justin Mugenzi, Innocent Sagahutu, le général Gratien Kabiligi, le colonel Anatole Nsengiyumva et Joseph Nzirorera.

31 Interview de Richard Mugenzi, 26-04-2020.
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