Fiche du document numéro 26279

Num
26279
Date
Mercredi 8 avril 2020
Amj
Auteur
Fichier
Taille
112480
Pages
4
Urlorg
Titre
Paris-Kigali : des documents secrets manquent à l’appel
Sous titre
Mandatée par Emmanuel Macron, la « Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi entre 1990 et 1994 » dite « commission Duclert » a rendu son « rapport intermédiaire ». Un discours de la méthode, pas encore de révélations mais une suspicion de « trous » dans les archives
Source
Type
Blog
Langue
FR
Citation
Dans une lettre datée du 5 avril 2019, le président de la République avait mandaté l’historien Vincent Duclert de constituer et de présider une commission de recherche chargée d’analyser le rôle et l’engagement de la France au Rwanda entre 1990 et 1994. Cinq années au terme desquelles s’était produit le dernier génocide du XXe siècle. « En cent jours, cet événement tragique, que la communauté internationale n’a pas su empêcher, faisait près d’un million de victimes », écrivait le Président de la République.

Sa lettre de mission insistait sur le cadre chronologique de la recherche confiée à la Commission. Rappelons que sur ordre de François Mitterrand, l’armée française est intervenue au Rwanda à partir d’octobre 1990 pour empêcher le mouvement rebelle du Front patriotique rwandais (FPR) de prendre le pouvoir par la force. Mission « réussie » en quelque sorte : derrière le « parapluie » français, le régime a préparé le génocide des Tutsi. Et même si les militaires français – à l’exception d’une quarantaine – avaient quitté le Rwanda en décembre 1993, le mal était fait.

C’est l’un des volets de la tragédie sur lequel on attend beaucoup de la « mission Duclert » : les archives indiquent-elles si l’Elysée savait que le régime Habyarimana préparait le génocide des Tutsi ? Bien des éléments accréditent cette accusation. Paul Quilès avait – avec une grande duplicité – esquivé cette question en présidant en 1998 une mission d’information parlementaire sur le rôle de Paris au Rwanda.

Panique chez certains responsables politico-militaires français



Deuxième interrogation essentielle : l’agenda réel de l’opération « militaro humanitaire » Turquoise menée de fin-juin à fin-août 1994. S’agissait-il de sécuriser un « Hutuland » sur la moitié ouest du Rwanda, comme cela apparait sur certaines cartes des militaires français ? Et quid des livraisons d’armes par Paris aux « génocidaires », malgré l’embargo de l’ONU ?

La « Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi entre 1990 et 1994 » aura-t-elle le courage de balayer le discours convenu sur la naïveté de l’Elysée au Rwanda ? On parle bien du «  renouvellement des analyses historiques sur les causes du génocide des Tutsi, profondes et plus conjoncturelles, ainsi que sur son déroulement, en vue d’une compréhension accrue de cette tragédie historique et de sa meilleure prise en compte dans la mémoire collective, notamment par les jeunes générations », selon la lettre de mission d’Emmanuel Macron. Il est clair que ce travail suscite un mouvement qui ressemble à de la panique chez certains responsables politico-militaires français de cette époque, qui ont la main sur le cœur et l’offuscation faciles.

La tentation de « noyer le poisson » ?



Le « rapport intermédiaire » de la commission Duclert diffusé par l’Elysée le jour symbolique de la 26e commémoration du génocide des Tutsi ne répond pas encore à ces interrogations. Evidemment il reconnait que « l’extermination des Tutsi, conduite entre avril et juillet 1994, est la réalisation d’une entreprise raciste de destruction d’un groupe identifié comme étant un ennemi ethnique » mais ne donne pas d’indication sur d’éventuelles découvertes archivistiques sur la préparation du génocide. Et comme la « commission Quilès », le collège d’historiens semble tenté de « noyer le poisson » d’une particulière responsabilité française : « Le génocide des Tutsi au Rwanda aurait pu être évité voire arrêté par un engagement résolu de la communauté internationale, à commencer par celui des Nations Unies dont l’un des textes fondateurs, adopté à l’unanimité le 9 décembre 1948, est la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide », lit-on dans la Note intermédiaire, qui glose sur l’inertie de l’ONU.

Quelle « méthodologie de la vérité ? »



Même résumé plus que prudent de la Note intermédiaire sur l’opération Turquoise : « Alors que l’opération Turquoise, à objectif humanitaire et sous mandat des Nations Unies, se distingue fortement de la politique française jusque-là suivie au Rwanda, ses détracteurs les confondent. »
Cette remarque ne peut que susciter le scepticisme. Les archives consultées permettent-elles, déjà, une telle conclusion ? On comprend mal la suite, sinon par une certaine volonté « d’équilibrisme » à mi-parcours : « La vérité n’est toutefois pas une simple affirmation, elle se construit à travers une démarche de connaissance qui s’oblige à la transparence de sa méthodologie et de ses pratiques. C’est l’objet de cette Note intermédiaire qui, à mi-chemin du travail effectué par la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi (1990-1994), ne souhaite pas encore formuler de conclusions, même partielles, sur le fond. » Une formulation qui peut être retournée vers ses auteurs comme un boomerang.

Des documents égarés ?



Plus convaincante est la longue description de la méthodologie de la recherche et de l’organisation en groupes de travail. La « phase 1 » a porté sur 909 séances de consultation20 dans quatre services d’archives : Archives nationales (19 septembre 2019-10 mars 2020) mobilisant 102 séances de consultation, les Archives diplomatiques (18 septembre 2019-11 mars 2020), 378 séances, le Service historique de la Défense (10 septembre 2019-13 mars 2020) 385 séances, et enfin le Service des archives de la DGSE (28 février-13 mars 2020) 44 séances (selon la nomenclature des Archives nationales, une séance de consultation est comptée comme une demi-journée de travail en archives).

Quid des archives de la Direction du renseignement militaire (DRM) dont le peu qu’on en connait suscite de nombreuses interrogations sur une éventuelle intoxication de l’Etat français par des agents de ce service ?

La Note intermédiaire énonce que « des enquêtes archivistiques s’emploient à retrouver des archives manquantes » et pointe des responsabilités de la Mission d’information parlementaire de 1998. A cette époque, quatre ans seulement après le génocide des Tutsi, les « archives courantes n’avaient pas encore été versées dans les centres de conservation et demeuraient toujours dans les services producteurs ». C’est ainsi que la « mission Quilès » a puisé dans les documents des « cellules Rwanda » installées dans les trois ministères des Affaires étrangères, de la Défense et de la Coopération. Tous ces documents d’archives n’ont pas été restitués. Ont-ils été scrupuleusement conservés à l’Assemblée nationale ? «  Consultant les archives de ces « cellules », la Commission accède à des réalités archivistiques très particulières, dans l’attente d’analyser les archives de la Mission Quilès elle même à l’Assemblée nationale », prévient Vincent Duclert.

Depuis 1998, les postures de déni de l’ancien ministre socialiste Paul Quilès, sa défense acharnée d’un quarteron d’officiers supérieurs mouillés dans « l’affaire du Rwanda » lui ont fait perdre toute réputation d’impartialité. On espère que des documents importants qui seraient passés entre ses mains n’auront pas été définitivement égarés. Peut-être saura-t-on enfin la vérité dans un an, lors de la remise du rapport définitif de la « Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi entre 1990 et 1994 ».

Jean-François DUPAQUIER



Consultable sur :

https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/rwanda/evenements/article/commission-de-recherche-sur-les-archives-francaises-relatives-au-rwanda-et-au-248936
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024