Fiche du document numéro 25737

Num
25737
Date
Vendredi 1er juin 2012
Amj
Auteur
Fichier
Taille
129899
Pages
3
Urlorg
Surtitre
Rwanda
Titre
Un document compromettant enterré dans les archives de l'ONU
Nom cité
Nom cité
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
La liste des armes de l'armée rwandaise, dans laquelle apparaissent les
missiles français, a été établie avant le génocide, puis a été oubliée
durant deux décennies.

C'est une simple liste qui énumère des stocks d'armes, sans aucun
commentaire. Depuis près de vingt ans, elle se trouvait dans les
archives des Nations unies, à New York. Aujourd'hui, soudain exhumé de
l'oubli, ce document relance quelques questions troublantes sur le rôle
de la France dans l'attentat qui a coûté la vie au président rwandais
Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994.

Ce soir-là, l'avion présidentiel amorce sa descente sur Kigali,
lorsqu'il est abattu par deux tirs de missiles sol-air. L'attentat ne
sera jamais revendiqué mais, dans les heures qui suivent, une machine
de mort se met en marche : le génocide des Tutsis vient de commencer,
il va durer trois mois et faire près d'un million de victimes. Le
président assassiné était hutu, et c'est au nom d'une prétendue
« vengeance spontanée », que les ultras du camp présidentiel vont
justifier le massacre systématique de la minorité tutsie,
collectivement accusée du meurtre du chef de l'Etat.

En réalité, depuis cette époque, deux camps s'opposent : ceux qui
croient que Habyarimana a été assassiné par certains de ses proches,
inquiets de le voir accepter de partager le pouvoir, et ceux qui
pensent qu'il a été tué par les rebelles du Front patriotique rwandais
(FPR), un mouvement de guérilla tutsi avec lequel Habyarimana était
justement pressé de faire la paix. Or, depuis vingt ans, ceux qui
accusent le FPR assènent de manière répétée que l'armée rwandaise ne
disposait pas de missiles avant le génocide et ne savait pas s'en
servir. Contrairement aux rebelles du FPR.

Démentis. C'est cet argument qui risque d'être mis à mal par le
document exhumé des archives de l'ONU. Car la liste qui détaille les
stocks d'armement à la veille du génocide révèle que l'armée rwandaise
était alors en possession d'une quantité « indéterminée » de « missiles
sol-air de type SA-7 » et de « 15 missiles sol-air Mistral ». Des armes
d'origine française. Même si rien ne permet à ce jour d'attester que ce
sont ces missiles-là qui ont servi à l'attentat, l'information est en
contradiction flagrante avec les nombreux démentis et déclarations
officielles qui se sont succédés depuis plusieurs années, affirmant que
« le camp hutu n'avait pas de missiles », ainsi que l'a encore répété en
janvier le socialiste Hubert Védrine, secrétaire général de la
présidence de la République au moment du génocide. François Léotard,
lui, était ministre de la Défense. Le 7 juillet 1998, lors de son
audition par une mission d'information parlementaire sur le rôle joué
par la France au Rwanda entre 1990 et 1994, il certifie lui aussi
qu'« aucune information n'atteste la présence de lanceurs sol-air dans
l'équipement des FAR [Forces armées rwandaises] entre 1991 et 1994 ».
La présence de missiles Mistral dans l'arsenal de l'armée
gouvernementale avait pourtant déjà été mentionnée. Mais jamais
attestée de source officielle onusienne avant que soit lancé le
massacre des Tutsis. Ce sont des observateurs militaires de la Minuar,
la mission d'observation de l'ONU envoyée au Rwanda quelques mois avant
le génocide, qui ont compulsé la liste des stocks d'armes dans le cadre
des inspections qu'ils effectuaient en attendant l'application des
accords de paix. Début mai, le général Roméo Dallaire, à l'époque
commandant en chef de la Minuar, a confirmé l'authenticité de cette
liste qui, après inspection des stocks, a été finalement rédigée… le
jour même de l'attentat.

Menace. Mais alors pourquoi l'ONU n'a-t-elle jamais fait mention de
cette liste ? Très vite, le document se noie dans d'autres urgences, à
une époque où l'origine des missiles n'est pas encore un enjeu. Une
copie atterrit bien à New York, quelques semaines après le
déclenchement du génocide. La liste est notamment transmise à la
délégation américaine auprès de l'Organisation des nations unies.
Ensuite, elle se trouve annexée à un autre document : une synthèse de
huit pages datée du 1er septembre 1994 et intitulée : « Ancienne armée
rwandaise : capacités et intentions ». A cette date, le génocide a été
arrêté. Les inquiétudes se sont déplacées : le reliquat de l'armée
gouvernementale et des miliciens impliqués dans le massacre ont fui le
Rwanda et se trouvent en exil dans l'ex-Zaïre (l'actuelle république
démocratique du Congo). D'où ils menacent de déclencher une offensive
contre le Rwanda, passé sous le contrôle du FPR.

A la quatrième page de la synthèse, des missiles en possession de
l'armée rwandaise sont à nouveau évoqués, mais cette fois dans le
contexte de la menace qu'ils font encore peser sur la région. Le
document est transmis à Kofi Annan, alors à la tête du département des
opérations de maintien de la paix des Nations unies, puis au
représentant de l'ONU à Kigali. A la suite de quoi, il est enregistré
dans les archives. La liste et la synthèse sont apparemment vite
oubliées.

L'attentat d'avril 1994 ne fera jamais l'objet de la moindre
enquête internationale. Il aura fallu attendre 1998 pour qu'une
information judiciaire soit ouverte en France. Le juge Jean-Louis
Bruguière privilégie alors la thèse des missiles appartenant au FPR et
accepte d'emblée l'idée que les forces armées rwandaises n'en avaient
pas. Puis, à partir de 2007, le dossier est confié aux juges Marc
Trévidic et Nathalie Poux (lire page 4). Contrairement à leur
prédécesseur, les deux magistrats se rendent, en septembre 2010, sur le
site du crash. Mais le rapport d'expertise de cette mission exclut lui
aussi dès le début qu'un missile Mistral ait pu être utilisé dans
l'attentat, puisque « la première commande à l'export » date de « 1996 » -
avant cette année-là, la France n'était pas autorisée à exporter ces
armes.

Les missiles qui figurent sur la liste de la Minuar auraient-ils alors
été fournis en dépit de l'interdiction officielle ? Au nom du même
raisonnement (l'interdiction d'exportation en vigueur), un « rapport
d'enquête » de l'armée belge daté du 1er août 1994 écartait lui aussi
par principe la piste des Mistral. Toutefois, les auteurs précisaient
en conclusion que si jamais leur utilisation dans l'attentat
du 6 avril 1994 était finalement avérée, une telle information
« impliquerait la complicité des autorités d'une nation qui en possède
ou en produit ».
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024