Fiche du document numéro 2572

Num
2572
Date
Samedi 28 mai 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
81510
Pages
3
Surtitre
Les soldats du FPR ont pris dimanche le camp de la garde présidentielle de Kanombé, près de l'aéroport de Kigali. Et occupent la maison du chef de l'Etat, Habyarimana, dont la mort a précipité le pays dans la guerre. Un symbole.
Titre
Kigali, les rebelles s'invitent au Palais du Président
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Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le ministre de la Coopération, Michel Roussin, a défendu hier la
politique française au Rwanda. Il a confirmé, comme Libération l'avait
révélé le 18 mai, que le gouvernement français finance le séjour à
Paris de la famille du président Habyarimana, évacuée du Rwanda par
l'armée française. « Nous avions des relations convenables avec un
président légitimement élu, a-t-il déclaré, et nous avons récupéré sa
famille qui a demandé notre aide. » Une décision prise par le président
de la République.

« Christ est le chef de cette maison, hôte invisible présent à chaque
repas, auditeur silencieux de toute conversation. » Inscrits en lettres
d'or sur un tableau au verre brisé, ces mots invitent à franchir le
seuil de la vaste villa, noyée parmi les palmiers et les
bananeraies. Devant l'entrée du « Palais », comme l'on désignait à Kigali
la résidence de l'ex-Président rwandais, le général-major Juvénal
Habyarimana, un jeune combattant du Front patriotique rwandais (FPR)
tue le temps en lisant Caroline chérie, tandis que les poissons
rouges, qui ont miraculeusement survécu à la coupure de leur tuyau
d'oxygène, frétillent dans leur aquarium, sous la véranda. Le Palais
est tombé aux mains des rebelles dimanche, après quatre jours de
combats intenses autour de l'aéroport de Kigali et du camp de la garde
présidentielle de Kanombé. L'avion qui transportait les présidents
rwandais et burundais ainsi qu'une partie de leurs états-majors s'est
écrasé le 6 avril dernier vers 20 h 30, plongeant le Rwanda dans la
guerre civile et les massacres sans fin. Tragique ironie du sort, les
restes calcinés de l'appareil sont à deux pas, parmi les briques du
mur d'enceinte qui a volé en éclat au moment de l'impact: au bout du
somptueux jardin présidentiel, à quelques mètres de la villa que
l'appareil a failli pulvériser dans sa chute. A travers l'aile droite
du Falcon 50, offert par la France, l'impact du missile qui a touché
l'avion. A part les pages souillées du livret de bord, de rares
papiers ont échappé à la vigilance des enquêteurs, mandatés par le
gouvernement intérimaire de Gitarama. Des cartes de visites
éparpillées, quelques pages d'un « mémorandum sur la crise politique au
Burundi » et une promesse de sponsorisation de la brasserie Mutzig,
accordée à Jean-Pierre Habyarimana, le fils du Président et le
propriétaire de la plus fameuse discothèque de la ville, le Kigali
Night pour un concert du chanteur Koffi Olimide. Sept semaines après
le crash, les rebelles pénétraient dans le grand salon tapis de
velours de la famille Habyarimana. Tout dans la villa témoigne de la
panique qui a saisi Agathe Habyarimana et ses enfants, évacués
d'urgence par les troupes françaises le 9 avril. « Nous pensons que la
Présidente a réussi à emporter la plupart des documents importants,
dit Patrick Kayiranga, un jeune officier du FPR, qui a découvert les
restes de sa famille massacrée par les milices hutues, en entrant à
Kigali. Mais nos soldats ont la stricte interdiction de prélever quoi
que ce soit ici, à moins que cela ait un intérêt militaire. »

Dans le grand salon qui donne sur l'entrée, sous les lustres
somptueux, les vases de cristal et les pièces de porcelaine, tous
intacts, côtoient la collection de sagaies du Président et les
présents offerts par les dignitaires en visite. Quelques albums de
photos jonchent le sol, des cartes de visite, des faire-part du
mariage de Jean-Pierre Habyarimana, les bons voeux personnels du pape
Jean Paul II pour 1993. Dans le vestibule, à l'entrée de la cuisine
jonchée de verre, l'odeur de la mort et des taches de sang témoignent
de la résistance désespérée qu'ont menée les derniers gardiens du lieu
devant l'avance des rebelles.

Au premier étage, sur sa table de nuit, madame la Présidente a
abandonné son chéquier. Sa salle de bain est emplie d'énormes
bouteilles de parfums de marque, tandis que celle de Juvénal
Habyarimana est jonchée de cravates et de chaussures. Tout près de son
lit, des cartons éventrés contenant des cartouches de chasse de
calibre 340 magnum et du gros sel. Sur son bureau et dans les rayons,
quelques documents confidentiels, dont un rapport du colonel Sagatwa,
son secrétaire particulier tué avec lui dans l'avion. Mais le contenu
de ses mallettes, la plupart des dossiers datés d'avant 1990, s'est
volatilisé. En bonne place dans la bibliothèque, les oeuvres complètes
de Victor Hugo côtoient le Dictionnaire des littératures de langue
française, un cadeau personnel de François Mitterrand en 1986. Enfin,
sous le toit, un calice, une robe de pourpre à terre: restes de la
dernière messe administrée à la famille dans sa chapelle privée. Les
rebelles, fidèles à leur tactique, n'ont pas tardé à tirer profit de
la prise de Kanombé, le camp militaire qui jouxte le Palais, censé
assurer la protection de l'aéroport et du Président. Dans un hangar
tout proche, épargné par les obus de mortier dont les éclats ont
déchiré la plupart des baraques, les armuriers du FPR s'affairent à
huiler et remettre en état une douzaine de canons de DCA, abandonnés
par les soldats gouvernementaux. Les munitions ne sont pas un
problème, trois arsenaux pleins à craquer de cartouches et d'obus ont
leurs portes grandes ouvertes. « La plupart de ces armes sont déjà en
position en ville, affirme Patrick Kayiranga, et retournés contre
l'armée. Nous sommes tout proches de l'encerclement définitif. Lorsque
nous aurons repris nos forces, l'affaire sera vite réglée. Kigali sera
à nous. »

Jean-Philippe CEPPI
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024