Fiche du document numéro 25059

Num
25059
Date
Mai 2019
Amj
Auteur
Fichier
Taille
711998
Pages
36
Urlorg
Titre
Le papier conjure-t-il la menace ? Cartes d'identité, incertitude documentaire et génocide au Rwanda
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Mot-clé
Cote
Sociétés politiques comparées, 48, mai-août 2019
Source
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation
Le papier conjure-t-il la menace ?
Cartes d’identité, incertitude documentaire et génocide au Rwanda
Florent Piton
Cessma, Université Paris Diderot

Sociétés politiques comparées, 48, mai-août 2019
ISSN 2429-1714
Editeur : Fonds d’analyse des sociétés politiques, FASOPO, Paris | http://fasopo.org
Citer l’article : Florent Piton, « Le papier conjure-t-il la menace ? Cartes d’identités,
incertitude documentaire et génocide au Rwanda », Sociétés politiques comparées, 48,
mai/août 2019, http://www.fasopo.org/sites/default/files/varia2_n48.pdf

Sociétés politiques comparées, 48, mai/août 2019
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Le papier conjure-t-il la menace ? Cartes d’identités, incertitude
documentaire et génocide au Rwanda
Résumé

Le rôle des cartes d’identité permettant, pendant le génocide des Tutsi du Rwanda, d’identifier les cibles
des massacres est bien connu. Cette utilisation des papiers s’inscrit dans la longue histoire de l’État
documentaire rwandais. Dès les années 1930, les catégories Hutu, Tutsi et Twa furent inscrites sur les
papiers, une pratique maintenue après l’indépendance parce qu’elle permettait, pour la république
racialiste qu’était devenu le Rwanda, de contrôler les Tutsi et la place qu’ils occupaient dans la société et
dans le système politique. L’angoisse de submersion s’accompagnait toutefois d’une obsession, celle des
falsifications « ethniques », moyen pour les Tutsi de contourner les quotas auxquels ils étaient soumis.
Lorsque débuta en 1990 la guerre contre le Front patriotique rwandais, ce double mouvement – nécessité
de l’identification « ethnique » d’un côté, incertitude documentaire de l’autre – fut un thème récurrent de
la presse extrémiste. Dès lors, le rôle des cartes d’identité pendant le génocide est ambigu : de multiples
règles sont édictées pour vérifier les papiers, mais des rumeurs persistantes soulignent en même temps le
manque de fiabilité de ces papiers. Des instruments alternatifs de véridiction sont donc mobilisés, sans se
traduire toutefois par un effacement du rôle de l’État : l’incertitude et l’insécurité documentaires
n’engendrent pas nécessairement une défiance bureaucratique.

Papers to Ward Off the Threat: Identity Cards, Documentary
Uncertainty, and Genocide in Rwanda
Abstract
It is well known that ID cards have played a major role in identifying victims during the Rwandan genocide
against Tutsi. This use of papers belongs to the long history of Rwandan documentary state. Categories of
Hutu, Tutsi, and Twa have featured on papers since the 1930s and have remained on after the
independence, because they allowed Rwanda as a racialist republic to control the Tutsi and their place in
the society and in the political system. Yet, the dread of being overruled went hand in hand with an
obsession – “ethnic” forgeries as a means for Tutsi to bypass the quotas they had to comply with. When
the war against the Rwandese Patriotic Front began in 1990, this double process – need for “ethnic”
identification on the one hand, and documentary uncertainty on the other – was a recurring feature in the
extremist press. As a consequence, the role of ID cards during the genocide is ambiguous: various rules
were set up to check on papers, while persisting rumors insisted on the unreliability of these very papers.
Alternative means of verification were used, but they did not come with the weakening of the State’s role:
documentary uncertainty and insecurity did not necessarily bring about bureaucratic mistrust.

Mots-clés
cartes d’identité ; État documentaire ; ethnisme ; falsification ; génocide des Tutsi ;
incertitude documentaire ; racisme ; Rwanda.

Keywords
documentary state; documentary uncertainty; ethnicism; forgery; genocide against
Tutsi; identity cards; racism; Rwanda.

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1er juin 2018, Tribunal de grande instance de Paris, procès en appel de Tito Barahira et Octavien Ngenzi,
anciens bourgmestres, jugés pour leur rôle supposé dans le génocide des Tutsi dans la commune de
Kabarondo, à l’Est du Rwanda1. Eulade Rwigema, paysan de 62 ans, rescapé et partie civile dans ce dossier,
se présente à la barre pour évoquer « ce temps-là » du génocide, et notamment la mort de son épouse et de
leurs deux filles de dix et huit ans lors du massacre à l’église de Kabarondo, le 13 avril 1994. La veille, une
autre rescapée, Christine Muteteri, avait évoqué ce même massacre. À l’issue de son témoignage, alors que
la présidente de la cour avait demandé à Octavien Ngenzi, particulièrement mis en cause par Christine
Muteteri, s’il la connaissait, l’accusé avait certifié que non, déclenchant un petit ricanement chez la témoin.
Eulade Rwigema, présent dans la salle, semble avoir été marqué par ce fait d’audience, puisqu’au moment
de commencer son propre témoignage le lendemain, voici ce qu’il déclare :
J’ai des preuves que je voudrais vous présenter, afin que Ngenzi ne puisse pas dire qu’il ne me connaît pas.

Il sort alors de sa poche son ancienne carte d’identité au moment du génocide, soigneusement plastifiée, datée
du 21 avril 1993 et, prend-il soin de préciser, signée par Octavien Ngenzi lui-même en vertu de ses fonctions
de bourgmestre. Cette « preuve » (ikimenyetso) circule alors au sein de la cour, d’abord chez la présidente –
qui face à l’inquiétude perceptible du témoin de se voir dépossédé de cet objet visiblement très investi
indique : « Ne vous inquiétez pas, je vais vous la rendre » – puis chez les assesseurs, les jurés et in fine entre
les mains de Ngenzi lui-même et de ses avocats. Et Eulade Rwigema d’indiquer :
C’est à cause de ce document que j’ai été persécuté, et c’est Ngenzi qui l’a signé 2.

Une semaine plus tard, le 8 juin 2018, dans le même procès, c’est au tour de Jovithe Ryaka, également
rescapé, de témoigner. Il commence par évoquer ses bonnes relations avec Octavien Ngenzi avant octobre
1990, puis souligne le changement d’attitude du bourgmestre à l’égard des Tutsi et à son égard en particulier
après l’attaque du Front patriotique rwandais (FPR) et le début de la guerre. Pour illustrer son propos, Jovithe
Ryaka déploie plusieurs anecdotes, dont celle-ci :
Je travaillais à l’économat à Kibungo [capitale préfectorale, à une vingtaine de kilomètres], et pour y aller, il me fallait
un laissez-passer. J’ai perdu mes papiers d’identité et je suis allé au bureau communal pour en faire d’autres. Un agent
m’a établi ma carte d’identité et mon laissez-passer. Il y a mis la mention que j’étais hutu, alors que j’étais tutsi. Il avait
dit que ça allait me servir un jour. C’était un ami, on jouait ensemble au football. Je ne lui ai pas demandé.
Je suis allé faire signer ces documents par Ngenzi, que je considérais comme un frère. Quand je lui ai présenté les
papiers, il m’a demandé qui les avait faits. J’ai dit que c’était Ndayambaje. Il lui a mis une amende de 500 francs.
C’était une sanction, car il avait indiqué que j’étais hutu et non tutsi. C’était avant le génocide, après le début de la
guerre. Je ne me souviens pas du mois ni de l’année.
Ngenzi a établi une autre carte d’identité avec la mention « Tutsi », puis il a signé et m’a remis les documents. J’ai
regagné mon domicile et j’ai continué mon travail à Kibungo 3.

Durant ce procès qui a duré de début mai à début juillet 2018 – et qui s’est conclu par la confirmation de la
condamnation à la prison à perpétuité des deux accusés –, la question des cartes d’identité est revenue
régulièrement. Ces deux anecdotes, puisées parmi de nombreuses autres, permettent de lire beaucoup de
choses quant à l’importance de cet objet avant, pendant et après le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 :
l’importance des cartes d’identité dans le processus de stigmatisation des Tutsi et de leur identification
comme « ennemis » ou comme « cinquième colonne », le rôle des autorités locales dans ce même processus

Cet article est le produit des réflexions menées au sein de l’ANR PIAF (La vie sociale et politique des papiers d’identificat ion en Afrique).
Je remercie tous les membres de l’équipe, notamment sa coordinatrice et son coordinateur Séverine Awenengo Dalberto et Richard Banégas,
ainsi que toutes celles et ceux qui ont accepté de commenter une version liminaire du texte présentée à Dakar en juin 2018 au colloque
« Identités de papier, papiers d’identité en Afrique contemporaine ( XIXe-XXIe siècle) » et lors de l’atelier d’écriture qui s’en est suivi. Léon Saur
m’a également apporté un regard précieux et affuté pour les dernières étapes : merci à lui.
2
Notes personnelles prises au cours du procès, cahier n° 1. L’échange entre la cour et le témoin se fait par le biais des traducteurs, la prise de
notes n’étant en outre pas un verbatim exact des propos tenus par les différents acteurs du procès.
3
Notes personnelles prises au cours du procès, cahier n° 2.
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de racisme étatique, la possibilité de falsifier les documents d’identité, et l’investissement symbolique et
mémoriel d’un objet qui a joué un rôle considérable dans les massacres.
Cet article s’intéresse précisément à l’histoire de ces cartes d’identité dites « ethniques »4, des années 1960
au génocide des Tutsi. On a souvent évoqué le rôle des documents d’identification dans le processus de
racialisation et d’ethnicisation de la société à l’époque coloniale, dans les politiques de discrimination
pendant la première et la deuxième républiques après l’indépendance, puis dans la commission des massacres
au printemps 1994. Dans un article publié quelques mois après le génocide, Jean-Pierre Chrétien mentionne
le rôle décisif de ces cartes d’identité, qualifiées d’« étoiles jaunes du régime », dans l’histoire ayant conduit
à l’extermination des Tutsi5. Dans les témoignages de rescapés aussi bien que dans les procès relatifs au
génocide, cette question des cartes d’identité est un motif récurrent des récits dès lors qu’il s’agit d’évoquer
l’organisation des tueries ou, a contrario, les stratégies de survie. Le Rwanda, qui se caractérisait en 1994
par un encadrement étatique très étroit, apparaît comme un cas limite de ces États de papiers, dans la mesure
où l’application matérielle des procédés d’identification de la population a rendu possible, sinon conduit à
l’élimination en à peine trois mois de 800 000 à un million de personnes6.
L’histoire des cartes d’identité avant et pendant le génocide des Tutsi reste pourtant très largement à écrire.
Sauf erreur, on ne dispose guère que d’un article publié en 2001 par Timothy Longman 7 et qui s’ouvre sur le
cas de Claudette, une jeune femme qui, parce qu’elle détenait une carte d’identité hutu, put accéder à l’école
secondaire et ne fit guère l’expérience de la discrimination avant avril 1994. En avril 1994 pourtant, le monde
de Claudette s’effondre, et des rumeurs commencent à circuler selon lesquelles sa famille n’est peut-être pas
véritablement hutu. Une enquête est menée, on envoie une délégation dans la région d’origine de son père
pour procéder à des vérifications. Il en ressort que son grand-père avait été connu comme Tutsi avant de
s’installer dans une nouvelle communauté, celle précisément où Claudette réside. La famille de Claudette
devient dès lors une cible : son grand-père est tué sur la colline, son père, quoiqu’ayant réussi à fuir, est
rattrapé par ses voisins et assassiné ailleurs. Sa jeune sœur ne doit sa survie qu’à un militaire qui en fait son
esclave sexuelle et, après le génocide, l’emmène avec lui sur les routes de l’exil au Zaïre. Quant à Claudette,
elle parvient à trouver refuge dans un couvent de religieuses catholiques, qui la protègent pendant les deux
mois que dure le génocide dans sa région, jusqu’à l’arrivée du FPR8.
Ainsi que l’écrit Timothy Longman, l’histoire de Claudette résume fort bien la relation complexe, au Rwanda,
entre l’identité vécue et ressentie d’une part et les documents d’identification officiels d’autre part. S’il est
vrai que les pratiques documentaires d’assignation identitaire contribuèrent à fixer les appartenances et à
séparer les « communautés », l’expérience de Claudette invite à nuancer le poids de ces mêmes pratiques
documentaires dans la fixation des identités. Timothy Longman y voit, à raison, un indice de la labilité des
appartenances, labilité que les papiers officiels ne permettaient pas de saisir 9. Dès lors, pendant le génocide,
ce que l’on pourrait appeler ici « l’incertitude documentaire » se traduit par une incertitude plus générale
encore sur l’identification des « ennemis », et partant des Tutsi désignés comme la cible de l’extermination.
C’est ce second aspect, celui de « l’incertitude documentaire », moins étudié par Timothy Longman, que je
souhaite explorer.
L’idée qu’il fallait pouvoir identifier les individus en fonction de leur appartenance « ethnique » fut une
constante de la première puis de la seconde républiques. Dès le milieu des années 1960, alors que les
institutions et les instruments de l’État documentaire se mettaient en place, les cartes d’identité mises en
circulation mentionnèrent « l’ethnie » des individus. Pour autant, tout au long de cette période, et plus encore
à partir de la seconde moitié des années 1970, on évoquait avec crainte, dans les instances officielles, les
4

Tout au long du texte, les termes « ethnie », a fortiori « race », ont été mis entre guillemets pour bien souligner la dimension construite et
historique de ces catégories et les fluctuations dans la manière de les qualifier.
5
Chrétien, 1995a, 136.
6
Human Rights Watch et Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, 1999 ; Piton, 2018b.
7
Plus spécifiquement sur le moment colonial, on se réfèrera également à la thèse et aux recherches en cours de Léon Saur (2013 ; 2018), ainsi
qu’aux analyses de Raphaël Nkaka (2013, 118-127).
8
Longman, 2001, 345-346.
9
Ibid., 347.

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falsifications d’identité auxquelles se livraient les Tutsi. Cette accusation, si elle renvoyait à des pratiques de
fraude réelles et documentées (dans une ampleur qui reste à déterminer), n’était pas sans lien avec les
caractéristiques morales supposées des Tutsi, souvent associés au mensonge et à la manipulation. Dès lors,
la carte d’identité était un outil à la fois primordial et fragile : c’était un instrument de véridiction dans lequel
on investissait beaucoup, symboliquement et par des politiques publiques coûteuses en énergie et en budget,
mais dont on se méfiait, parce que précaire, aléatoire et sujet aux fraudes et aux falsifications.
Cette ambivalence s’exprima de manière très nette dans la presse extrémiste des années 1990, lorsqu’il s’agit
de contester l’annonce – au demeurant jamais appliquée – du président Juvénal Habyarimana de supprimer
les mentions « ethniques » sur les papiers. Dans les journaux extrémistes comme Kangura, on ne cessa de
rappeler la nécessité, au nom de la « sécurité » et de la défense de la « démocratie », de pouvoir identifier les
individus, tout en fustigeant les Tutsi, ainsi qu’un État jugé trop mou, pour les pratiques frauduleuses de
changement d’« ethnie ». Pendant les trois mois du génocide, entre avril et juillet 1994, l’examen des
émissions sur Radio Rwanda et la Radio-télévision libre des mille collines (RTLM) révèle une même
incertitude10. Les autorités rappellent régulièrement la nécessité de contrôler rigoureusement l’identité des
individus mais évoquent également une série de rumeurs sur les stratégies mises en œuvre par « l’ennemi »
– une catégorie qui confond le plus souvent les soldats du FPR et les Tutsi dits « de l’intérieur » – pour
infiltrer les collines. Pour faire face à l’incertitude documentaire et pallier les insuffisances des papiers,
d’autres moyens d’identification, fondés tantôt sur les représentations corporelles11, tantôt sur
l’interconnaissance sociale dans le cadre des relations de voisinage12 sont ainsi mobilisés.
Dans cet article, il s’agit en somme d’inscrire les pratiques de véridiction mises en œuvre pendant le génocide
des Tutsi dans l’histoire longue de l’État documentaire et des politiques racialistes mises en œuvre au Rwanda
depuis l’indépendance. Le génocide n’a pas été commis, loin s’en faut, dans une situation d’anomie : le
gouvernement, l’armée, les administrations locales ont joué un rôle considérable dans la coordination et la
commission des massacres, utilisant toutes les ressources institutionnelles et légales à leur disposition, usant
de stratégies de contournement lorsque ces ressources se sont avérées défaillantes. L’histoire des cartes
d’identité constitue, dans cette perspective, une porte d’entrée pour l’histoire de l’État rwandais des années
1960 au génocide des Tutsi.

LA CARTE D’IDENTITE « ETHNIQUE », UN OUTIL AU SERVICE DE L’ÉTAT DOCUMENTAIRE ET
RACIALISTE DE L’INDEPENDANCE AUX ANNEES 1980
Dès l’arrivée des premiers explorateurs, missionnaires et administrateurs coloniaux, l’organisation sociale du
Rwanda fut lue au prisme d’une opposition fondamentale entre Hutu et Tutsi, deux catégories décrites comme
des « races » distinctes, à grands renforts de critères physiques, moraux et intellectuels, et au prix d’un récit
historique limité à une succession de migrations et d’asservissements13. D’après ces stéréotypes « raciaux »,
le Tutsi était grand (ou « élancé »), intelligent mais fourbe et fier, quand le Hutu était petit et trapu, simple et
naïf, mais attachant. Le premier était un Hamite14 venu du nord – par exemple d’Égypte ou d’Éthiopie – et
le second était l’incarnation de l’authentique Bantou15. Le Tutsi en somme appartenait à une « race
supérieure », intermédiaire entre les « races négritiques » et les « races sémitiques », quand le Hutu
correspondait au stéréotype du « nègre ». Cette distinction eut une conséquence très concrète dans l’État
Cet article s’appuie pour l’essentiel sur le journal Kangura entre 1990 et 1994, et sur les transcriptions de Radio Rwanda et de la RTLM
pour les trois mois du génocide. Je n’ai toutefois pas procédé à une relecture systématique de ces sources, la masse documentaire représentant
plusieurs milliers de pages. Les extraits mobilisés ont été repérés à partir d’ouvrages et de rapports citant longuement la presse et les émissions
de radio, systématiquement traduites (Chrétien, 1995b [2002] ; 2002 ; Kabanda, 2001), ou par une recherche par mots-clés sur la base de
données en ligne du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) rassemblant de nombreuses sources et archives, notamme nt
médiatiques, mobilisées dans les procès. Dans le cas de Kangura, après avoir sélectionné les extraits utilisés dans cet article, je suis revenu à
la version originale en kinyarwanda, en précisant et modifiant ponctuellement les choix de traduction. Ce retour au kinyarwanda n’a pas été
effectué pour les extraits radiophoniques.
11
Dumas, 2013, 59.
12
Ibid., 244-245.
13
Chrétien, 1985b [1999] ; Franche, 1995 ; Chrétien et Kabanda, 2013 ;.
14
Chrétien, 1977.
15
Chrétien, 1985a.
10

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colonial, lorsqu’il fallut attribuer les postes dans l’administration dite indigène ou ouvrir l’accès aux écoles
secondaires : si la majorité des Hutu et des Tutsi resta à l’écart de ces circuits de constitution d’une élite
coloniale, ce fut bien une minorité de Tutsi qui bénéficia des voies privilégiées de promotion sociale et
politique.
Racialisation de la société et bureaucratisation des identités
Corolaire de cette racialisation de la société, on évoque souvent l’inscription sur les papiers d’identité des
catégories « raciales » dès les années 1930, sans que cette pratique n’ait été véritablement étudiée 16. Des
travaux récents ou en cours – menés notamment par Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda, Raphaël Nkaka
ou Léon Saur – ouvrent toutefois quelques pistes. On y apprend qu’au milieu des années 1920, les autorités
administratives, soucieuses de mieux contrôler la population sur le plan judiciaire et fiscal, et d’assurer ainsi
les « progrès de la civilisation », envisagèrent pour la première fois d’obliger les « indigènes » à porter un
bracelet métallique d’identification, associé à un gigantesque registre dactyloscopique récolté à l’échelle du
Ruanda-Urundi tout entier. Ce projet fut rapidement abandonné au profit de plus classiques livrets d’identité
similaires à ceux en circulation au Congo belge, et dont la diffusion s’accéléra peu à peu dans les années
193017.
Sur la quatrième page intérieure gauche de ces livrets – bilingues français et néerlandais – délivrés à partir
de l’année 1930, l’une des rubriques, intitulée « origine » (afskomst), invitait à mentionner la « peuplade »
(volksstam), la « tribu » (stam) et la « chefferie » (hoofdij), c’est-à-dire respectivement la mention
« Munyarwanda » (Rwandais) ou « Murundi » (Burundais), la catégorie Hutu, Tutsi ou Twa, et enfin la
colline ou région d’origine18. En novembre 1944, un nouveau modèle de livret d’identité fut publié en annexe
d’une ordonnance relative au recensement et aux mobilités des populations. La quatrième page était identique
au modèle précédent, hormis le fait que le mot « tribu » était remplacé par le mot « race » (ras)19. Sur la
deuxième page en revanche, celle où étaient également déclinés le numéro de la carte, l’identité du détenteur,
les noms de ses parents, sa date de naissance, sa taille et sa profession, apparaissait une nouvelle mention,
« famille » (familie), seule rubrique explicitement traduite en kinyarwanda par le mot ubwoko20 : était attendu
que soit indiqué ici le « clan » d’appartenance du propriétaire du livret, les appartenances « claniques » et
« lignagères » jouant encore un rôle important dans la société et la compétition politique21. De ces
observations, on tire au moins deux conclusions. D’abord, que les catégories Hutu, Tutsi et Twa – pensées
comme des catégories « raciales » – étaient devenues primordiales pour définir les individus et qu’elles
étaient désormais pensées et vécues de manière beaucoup plus fixiste qu’auparavant. Ensuite, que le mot
ubwoko n’en conservait pas moins son sens de « clan » ou, pour utiliser la traduction d’alors, de « famille »22.
En outre, s’il est vrai que la « race » était mentionnée sur les papiers, cette politique ne visait pas
prioritairement, et de manière par trop téléologique, à enregistrer spécifiquement l’identité « raciale » ; la
mention « raciale » n’était au fond qu’un élément parmi d’autres de la politique belge d’identification et
d’enregistrement des individus23.
À la fin des années 1950 pourtant, apparurent conjointement au Rwanda des mouvements nationalistes
réclamant des réformes politiques en vue de davantage d’autonomie, et un mouvement hutu se faisant le

16

Chrétien et Kabanda, 2013, 88.
Ibid., 88-89 ; Nkaka, 2013, 121.
18
Nkaka, 2013, 122, 125-126 ; Saur, 2018.
19
Gardons-nous toutefois de sur-interpréter ce changement. Dans les fiches biographiques des autorités coutumières des années 1930 en effet,
le mot « race » était déjà utilisé. On peut aisément formuler l’hypothèse que le choix du terme « tribu » dans le modèle 1930 est simplement
lié au fait que ces premiers livrets au Ruanda-Urundi reproduisaient ceux en vigueur au Congo belge, où la notion de tribu était davantage
utilisée. Le passage au mot « race » en 1944 indiquerait donc moins un changement de paradigme qu’une simple adaptation, plus conforme à
ce que l’on percevait depuis longtemps des affiliations identitaires spécifiques aux populations rwandaises et burundaises.
20
Nkaka, 2013, 122, 127 ; Saur, 2018.
21
Hertefelt, 1971 ; Ntezimana, 1987, 1990 ; Nyagahene, 1997.
22
Une mauvaise traduction qui résulte probablement d’une confusion entre le « clan » (ubwoko) et le « lignage » (umuryango, un terme qui en
kirundi comme en kinyarwanda se traduit aussi par « famille »).
23
Longman, 2001, 351-354.
17

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porte-parole d’un « petit peuple » (rubanda rugufi) hutu présenté comme subissant un joug féodo-colonialiste
de la part de Tutsi présentés comme un groupe monolithique, au mépris de l’existence des petits Tutsi qui, à
bien des égards, partageaient le sort des Hutu 24. La lecture « raciale » du problème social et politique au sein
du mouvement hutu conduisit à réclamer le maintien des mentions « raciales » sur les papiers d’identité.
C’était le cas dans le Manifeste des Bahutu, un texte diffusé en mars 1957 et qui eut un retentissement
considérable. Ses neuf signataires, quasiment tous issus d’une petite élite hutu formée dans les séminaires, y
expliquaient vouloir « la promotion intégrale et collective du Muhutu », ce qui impliquait notamment de
« tenir compte […] des différenciations de la culture ruandaise » et d’« abandonne[r] d’exiger (tacitement
bien entendu) du Muhutu pour être "acceptable" de se régler sur le comportement mututsi »25. La mention de
la « race » sur les pièces d’identité était présentée comme un outil de lutte contre le « monopole de race » :
Les gens ne sont d’ailleurs pas sans s’être rendu compte de l’appui de l’administration indirecte au monopole mututsi.
Aussi pour mieux surveiller ce monopole de race, nous nous opposons énergiquement, du moins pour le moment, à la
suppression dans les pièces d’identité officielles ou privées des mentions « Muhutu », « Mututsi », « Mutwa ». Leur
suppression risque de favoriser encore davantage la sélection en la voilant et en empêchant la loi statistique de pouvoir
établir la vérité des faits 26.

Deux ans et demi avant le début de la révolution socio-raciale ayant porté au pouvoir le mouvement hutu,
l’un des principaux ressorts idéologiques ayant justifié, après l’indépendance, le maintien des mentions
« raciales » sur les cartes d’identité était déjà clairement énoncé : une exigence de « transparence » et de
« vérité » (ukuri) pour assurer la promotion d’une majorité numérique opprimée par une minorité exerçant le
pouvoir dans tous les domaines.
Il y eut bien pourtant des voix qui, dès 1956 au moins, réclamèrent la suppression des mentions « raciales »
sur les papiers d’identité. La question fut d’abord débattue au sein du Conseil supérieur du pays et avec le
mwami, dans un contexte marqué également par les débats sur la pertinence d’une représentation distincte
des Bahutu au sein de ce Conseil. Face à ceux qui réclamaient une représentation distincte pour les « groupes
sociaux insuffisamment représentés » – autrement dit les Hutu – le mwami Mutara Rudahigwa opposait un
refus de toute « politique de ségrégation », tout en acceptant la nomination de Hutu, à condition qu’ils ne
fussent pas nommés pour cette raison 27. À peu près au même moment, en juin 1956, le Conseil supérieur du
pays émit le vœu que les mentions Hutu, Tutsi et Twa soient rayées des documents officiels, une proposition
que le Résident Marcel Dessaint transmit en l’appuyant à ses supérieurs hiérarchiques du vice-gouvernement
général à Usumbura, mais qui ne fut pas mise en œuvre, en raison sans doute des réticences de
l’administration et du gouverneur général Jean-Paul Harroy lui-même28.
La proposition fut néanmoins reformulée par le même Conseil supérieur du pays et le mwami en 1958 dans
une motion et une proposition qui furent difficilement adoptées ; le clivage entre les partisans de la mesure
et ses opposants n’épousait alors pas nécessairement les lignes de fracture des années ultérieures29. Une fois
encore, la mesure ne fut pas mise en application. Tant la pression du mouvement hutu que les réticences
d’une partie de l’administration belge soucieuse de disposer d’un indicateur pour ses enquêtes statistiques y
contribuèrent. Deux positions s’affrontaient, entre ceux, comme le mwami ou le Résident Dessaint, qui
entendaient développer une lecture de la société en terme de classes plutôt que de « races », de « castes » ou
d’« ethnies », et ceux qui attachaient de l’importance à ces catégories dans les enquêtes et documents
officiels30. Rudahigwa exprima par exemple sa position en mai 1957 dans une note adressée au Résident en
réaction à la position d’Usumbura de maintenir les mentions « raciales » :

24

Saur, 2013.
Note sur l’aspect social du problème racial indigène au Ruanda (Manifeste des Bahutu), 24 mars 1957 (cité dans Nkundabagenzi, 1961, 2829).
26
Ibid. (cité dans Nkundabangenzi, 1961, 29).
27
Saur, 2013, 410-412.
28
Ibid., 412-415.
29
Ibid., 422-424.
30
Ibid., 465-468.
25

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7

L’égalité de droits, la différenciation de moins en moins marquée des caractères somatiques, l’existence de Batutsi
appauvris et de Bahutu enrichis, tous ces éléments prêchent […] en faveur d’une suppression des mentions sociales
dans les documents officiels.
De plus la mention à inscrire dans ces documents officiels dépend uniquement de la déclaration de l’intéressé et ne
repose souvent sur aucun fondement réel. Bien des Bahutu se déclarent Batutsi et bien des Batutsi appauvris n’osent
plus se déclarer tels. Au point de vue politique des Bahutu et même certains Batwa ont été nommés chefs par les bami
du Ruanda. Par alliance de ces chefs avec des familles batutsi, les différences sociales et raciales se sont aplanies au
point que toute distinction est devenue impossible. N’empêche qu’aujourd’hui tous les descendants de ces autorités
indigènes se disent Batutsi.
J’estime qu’il est beaucoup plus logique de porter dans les documents officiels des mentions fixant la profession des
intéressés tels que par exemple, agriculteur, éleveur, artisan, commis, etc. Ces renseignements sont beaucoup plus que
les mentions anciennes susceptibles de fournir au gouvernement des indications sur l’évolution de la représentation
paysanne et artisanale dans les conseils qu’une pure différenciation sociale ou historique. […]
Le fond du problème est que ces mentions qui ne correspondent plus qu’à une réalité historique et n’ont plus aucun
fondement réel, sont exploitées actuellement à des fins politiques par certains journaux et publications dans le but de
créer dans le pays des factions opposées et sont montées en épingle par des personnes mal intentionnées comme les
termes « prolétaires » et « capitalistes » dans les pays européens. Nous n’avons que faire de ces oppositions sociales
chez nous 31.

Le mwami affirmait donc que la distinction entre les Hutu et les Tutsi échappait très largement aux critères
somatiques et économiques, la différence entre les individus étant liée davantage aux professions, c’est-àdire en somme aux catégories sociales. Sans doute oubliait-il un peu vite que ce furent bien des Tutsi – mais
pas les Tutsi – qui se virent longtemps octroyer les postes de chefs ou de sous-chefs, les quelques
personnalités hutu nommées dans les années 1950 l’ayant surtout été par concession au mouvement hutu
naissant. Néanmoins, il soulignait la labilité des appartenances, lesquelles dépendaient surtout de la
déclaration des individus eux-mêmes, en fonction de la position qu’ils pensaient occuper dans la société.
Quoiqu’il rejetât le vocabulaire marxisant, Rudahigwa s’inscrivait en somme dans une lecture de la société
au prisme des logiques de classes et estimait dès lors qu’il valait mieux mentionner sur les papiers ces classes,
exprimées ici en termes professionnels, plutôt que les mentions « raciales » qui relevaient, selon lui, d’un
voile plus obscurcissant qu’éclairant. Compte tenu de la manière dont se déroula la révolution socio-raciale
entre novembre 1959 et 1961, cette option ne fut guère retenue. Progressivement, le Parti du mouvement
pour l’émancipation des Hutu (Parmehutu), principal parti du mouvement hutu, s’imposa comme le maître
du jeu. Il apparut bien vite qu’il avait tout intérêt à s’inscrire dans une lecture racialiste du problème social
et politique, oubliant l’existence des petits Tutsi qui auraient pourtant pu tirer parti d’une remise à plat des
relations sociales à partir des seuls critères économiques32.
Après l’indépendance obtenue en 1962, l’usage des livrets d’identité fut généralisé33, en même temps que
l’identification ethno-raciale devint de plus en plus centrale. En 1964, une première loi imposa la détention
de ce qu’on appelait désormais des cartes d’identité. Deux ans plus tard en 1966, un arrêté ministériel fut
promulgué fixant le modèle de différents documents ou registres identificatoires en vigueur : fiche
individuelle de recensement, carte d’identité, registre de la population, registres des naissances, des mariages,
des décès, des entrées et des sorties, registre et permis de résidence. En 1981, une nouvelle loi relative
notamment aux cartes d’identité fut prise34 ; c’est cette loi qui était en vigueur lorsque se déroula le génocide
des Tutsi au printemps 1994. Elle imposait le port obligatoire, pour tout Rwandais âgé de plus de seize ans,
d’une carte d’identité délivrée gratuitement par les autorités communales35. Cette loi fut immédiatement
suivie d’un arrêté ministériel fixant le modèle des documents identificatoires désormais en usage. Sur les
cartes d’identité, la catégorie « Hutu », « Tutsi », « Twa » ou « naturalisé » était inscrite en page intérieure
gauche sous la photographie d’identité. Pour désigner cette catégorie, était inscrit en kinyarwanda le
31

Note du mwami Charles Mutara Rudahigwa au Résident du Ruanda au sujet des indications raciales dans les documents officiels, Nyanza,
18 mai 1957. Je remercie Hélène Dumas de m’avoir transmis une copie de ce document, issu des Archives africaines de Bruxelles (inventaire
A/63 RWA, dossier n° 80).
32
Saur, 2009 ; 2013.
33
Saur, 2018.
34
Décret-loi n° 01/81 du 16 janvier 1981 relatif au recensement, à la carte d’identité, au domicile et à la résidence des Rwandais, Journal
officiel de la république rwandaise, 20ème année, n° 2 bis, 20 janvier 1981, p. 55-59.
35
Les enfants de moins de seize ans sont inscrits sur une page prévue à cet effet sur la carte d’identité de leurs parent s.

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8

substantif ubwoko, traduit en français par « ethnie » et non plus « race ». Ce changement est à replacer dans
le contexte de l’après-guerre où, sous l’impulsion notamment de l’Unesco, le vocabulaire racial fut
progressivement remplacé par le vocabulaire ethnique, dans les sciences sociales d’abord et dans les pratiques
administratives ensuite. Ce passage d’un terme à l’autre relevait surtout de la précaution oratoire ou d’une
stratégie d’euphémisation : la différence entre Hutu et Tutsi continuait à être pensée en des termes à la fois
somatiques et socioculturels36. L’essentiel est que ces catégories étaient bel et bien devenues primordiales
dans la bureaucratisation des identités, à tel point que le terme ubwoko était désormais utilisé pour désigner,
dans les papiers officiels, cette catégorie ethno-raciale et non plus la catégorie « clanique ».
La carte d’identité n’était pas le seul instrument de l’État documentaire. Sa remise était d’abord corrélée à
l’établissement d’une fiche individuelle de recensement conservée par l’administration communale et
mentionnant également l’« ethnie » (ubwoko) ainsi qu’un ensemble d’informations sur la vie professionnelle
et familiale et les changements de lieu de résidence. À chaque étape de la vie des individus, des inscriptions
sur les registres communaux de la population, des naissances, des décès ou des mariages devaient être
effectuées à la commune : là encore, la mention « ethnique » était inscrite sur ces registres. Une étude
systématique et comparée dans différentes régions de ces registres serait sans doute instructive, mais on peut
se risquer à quelques hypothèses à partir d’une série de registres des naissances des anciennes communes de
Karago (préfecture de Gisenyi), de Nyakinama, de Nyamutera et de Mukingo (préfecture de Ruhengeri),
registres conservés à la Commission nationale de lutte contre le génocide à Kigali (CNLG).
Jusqu’aux années 1970, les registres de naissance, composés de 24 doubles pages de 34 lignes, étaient très
largement inspirés de ceux qui étaient utilisés à l’époque coloniale, à la différence que les intitulés des
colonnes étaient désormais en français et en kinyarwanda37. Les contenus des colonnes étaient les suivants :
numéro d’enregistrement ; nom, prénom, surnom de l’enfant ; sexe ; date de naissance ; nom du père et
numéro d’enregistrement de ce dernier ; nom de la mère ; famille ; colline ; observations (le plus souvent la
date du décès dans le cas d’une mortalité infantile) 38. La colonne qui nous intéresse tout particulièrement
concerne la « famille » (notée en kinyarwanda ubwoko), colonne dans laquelle étaient indiquées les
appartenances « claniques ». Cela signifie, d’une part, que dans les premières années après l’indépendance,
les enfants n’étaient pas encore directement enregistrés comme Hutu, Tutsi ou Twa (ce qui ne signifie pas au
demeurant qu’on ne savait pas « ce qu’ils étaient », puisque leurs parents disposaient déjà de cartes d’identité
« racialisées ») et, d’autre part, que les appartenances « claniques » étaient encore essentielles pour identifier
et caractériser les individus. Le mot ubwoko n’avait d’ailleurs pas encore complètement changé de sens et
était toujours traduit par « famille », comme sur les livrets d’identité du modèle 1944. C’est donc plus
tardivement que s’opéra le glissement sémantique du substantif ubwoko. Les registres des années 1970
reprenaient ainsi ce modèle général, mais l’usage qui était fait de la colonne « famille » semblait évoluer.
Dans la commune de Karago, le registre de l’année 1972-1973 continuait d’indiquer les appartenances
« claniques »39, tandis que sur le registre des années 1976-1978, le mot « famille » était barré et remplacé au
stylo par celui d’« ethnie », l’officier d’état-civil inscrivant désormais dans la colonne correspondante les
ethnonymes Hutu, Tutsi ou Twa40. Faute d’un corpus plus élargi, on ne saurait en déduire une datation précise
du glissement sémantique du terme ubwoko et plus généralement du moment où l’identification « ethnique »
remplaça l’identification « clanique ». Ainsi, dans un autre type de document compilant cette fois des fiches
de naissance – plus complètes que les registres et uniquement en kinyarwanda – de la commune de
Nyakinama en 1971, on voit soudainement le fonctionnaire chargé de remplir ces fiches inscrire à la ligne
ubwoko bwa se na bwa nyina (ubwoko du père et de la mère) non plus l’appartenance « clanique », mais

36

Saur, 2013, 1452-1468, 1515-1521.
Pour faire cette comparaison, je m’appuie sur le registre des naissances de la sous-chefferie Ndorwa (chefferie Bushiru, territoire de Kisenyi),
octobre 1958-avril 1962, et le registre des naissances de la sous-chefferie Rambura (chefferie Bushiru, territoire de Kisenyi), octobre 1957juillet 1959 (Archives de la CNLG).
38
Registre des naissances de la commune Nyakinama (préfecture de Ruhengeri), septembre 1963-juillet 1964 (Archives de la CNLG).
39
Registre des naissances de la commune Karago (préfecture de Gisenyi), octobre 1972-octobre 1973 (Archives de la CNLG).
40
Registre des naissances de la commune Karago (préfecture de Gisenyi), septembre 1976-juillet 1978 (Archives de la CNLG).
37

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d’abord l’appartenance « clanique » et « ethnique » puis seulement l’appartenance « ethnique »41. Quelque
chose se joua donc dans la première moitié des années 1970 sans que l’on puisse, sur la base de la
documentation disponible, dater le tournant d’avant ou après le coup d’État de Juvénal Habyarimana en 1973.
Toujours est-il que les registres en circulation dans les années 1980 disposaient désormais de trois colonnes
mentionnant explicitement l’ubwoko entendu au sens d’« ethnie », pour l’enfant mais aussi pour chacun de
ses deux parents42.
La vie des individus était donc enserrée dans les pratiques documentaires mises en œuvre par l’État à
l’échelon communal, pratiques documentaires qui accordaient une place de plus en plus importante à
l’identification « ethnique ». Certes, « l’ethnie » n’était pas mentionnée sur les passeports, mais le rapport
des citoyens à l’État local – le seul au fond auquel l’essentiel des Rwandais avaient accès – était étroitement
associé à ces mentions Hutu, Tutsi et Twa. Dans les années 1970 et 1980, la production documentaire sur la
composition de la population devint d’ailleurs une obsession, ainsi qu’en attestent par exemple la
multiplication des pages consacrées aux statistiques démographiques dans les rapports annuels du ministère
de l’Intérieur ou des préfectures, ou la création de l’Office national de la population chargé de coordonner
les politiques démographiques. La date du premier recensement général de la population en 1978 est sans
doute un indice important. Dans les communes, l’une des principales tâches des bourgmestres et de leurs
fonctionnaires était de fournir attestations d’identité, permis de résidence ou laissez-passer, documents
indispensables pour circuler. Le contrôle des mobilités était primordial, et quiconque s’installait dans une
nouvelle commune devait faire une déclaration de départ et une déclaration d’arrivée auprès de ses ancien et
nouveau bourgmestres ; il fallait en outre obtenir une nouvelle carte d’identité de sa nouvelle commune et
remettre l’ancienne avant toute installation définitive. Dans la loi et dans les documents officiels, on
distinguait explicitement le « domicile », c’est-à-dire le lieu d’établissement des individus (ce qui impliquait
une inscription au registre de la population) et la « résidence », c’est-à-dire « le lieu où une personne a sa
demeure habituelle sans y avoir nécessairement son domicile ». On pouvait ainsi avoir plusieurs résidences
dans des endroits différents. En outre, l’établissement dans une commune pour plus de trois jours impliquait
de se faire enregistrer comme résident et d’obtenir un permis. La loi ajoutait qu’« en cas motivé, le
bourgmestre a[vait] le pouvoir discrétionnaire de retirer tout permis de résidence […] et de contraindre son
titulaire à quitter la commune »43. C’est peu de dire donc que la vie des citoyens était, en théorie du moins,
très encadrée par l’État et par un ensemble de pratiques documentaires et de papiers officiels.
Menace de submersion et politique de quotas
Après la révolution et l’indépendance, la menace d’un retour de la monarchie et du « féodalisme » et la crainte
d’une submersion tutsi furent une constante des discours des dirigeants politiques de la première et de la
deuxième républiques. En juin 1963, Anastase Makuza, l’un des principaux idéologues du mouvement hutu
devenu ministre de la Justice, écrivit en français un petit opuscule ironiquement intitulé Révolution
antiraciale au Rwanda, dans lequel il explicitait dans les grandes lignes le programme du gouvernement
auquel il appartenait. En rupture, affirmait-il, avec la politique de « privilèges » qui avait prévalu jusqu’alors,
il défendait la valeur du « mérite », de manière pour le moins ambiguë toutefois, puisqu’il s’agissait en même
temps de procéder au « rattrapage » des inégalités d’antan. Qu’importait que ces inégalités eussent déjà été
très largement battues en brèche pendant la révolution socio-raciale de 1959-1961. Qu’importait également
qu’à l’époque coloniale, ces inégalités s’exprimassent moins en termes « raciaux » ou « ethniques » qu’en
termes « sociaux ». Anastase Makuza décrivait une prétendue minorité « raciale » et politique, celle des Twa
et surtout des Hutu, par opposition à la minorité numérique, celle des Tutsi, censée toujours détenir une partie

41

Registre des naissances de la commune Nyakinama (préfecture de Ruhengeri), 1971 (Archives de la CNLG).
Registre des naissances de la commune Nyakinama (préfecture de Ruhengeri), 1980-1981 ; Registre des naissances de la commune
Nyamutera (préfecture de Ruhengeri), 1989-1990 (Archives de la CNLG).
43
Sur les différents éléments de ce paragraphe, voir notamment : Décret-loi n° 01/81 du 16 janvier 1981 relatif au recensement, à la carte
d’identité, au domicile et à la résidence des Rwandais, Journal officiel de la république rwandaise, 20ème année, n° 2 bis, 20 janvier 1981, p.
55-59.
42

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des leviers du pouvoir. Les Hutu devaient donc être traités avec plus de souplesse, en raison de l’ampleur des
avantages dont bénéficieraient encore les Tutsi :
C’est ainsi que, tout en admettant que l’accession aux emplois publics doit être déterminée par le mérite et la capacité
individuels, le gouvernement ne peut admettre que les candidats issus des groupes bantou-hutu et pygmoïde-twa soient
victimes des ségrégations scolaires d’antan qui réservaient le monopole de l’enseignement secondaire et supérieur aux
seuls fils et filles de l’aristocratie féodale tutsi. Le recrutement des candidats issus du groupe hutu, numériquement
majoritaire mais politiquement réduit à l’état de minorité ou du groupe minoritaire twa, doit donc faire preuve de plus
de souplesse44.

Était définie une « politique d’égalité dans la diversité des races »45, ce qui revenait en somme, au nom de
la « transparence », à placer au centre du jeu les appartenances Hutu, Tutsi et Twa :
L’égalité démocratique […] n’implique nullement une sorte d’hypocrisie de nature à sacrifier les intérêts des groupes
sociaux incapables de se défendre contre les aléas de la lutte pour la vie ou du jeu de la concurrence qui régit toute
société démocratique 46.

En dépit d’un discours de réconciliation de façade, le régime mis en place par Juvénal Habyarimana après le
coup d’État militaire du 5 juillet 1973 ne rompit guère avec cette phraséologie47. Quelques semaines après la
prise du pouvoir, le nouveau ministre de l’Intérieur convoqua à Kigali les préfets nouvellement nommés. Au
moment de donner des conseils individuels aux différents préfets, la persistance des discours anti-Tutsi,
toujours perçus comme des « féodaux » et comme une menace à la « sécurité » et aux acquis
« démocratiques » et « républicains », était patente :
[À Butare] toute pratique à caractère féodal est à bannir énergiquement, et l’autorité doit se garder d’une quelconque
corruption.
Les manœuvres de Tutsi en vue d’entretenir un climat de mésentente et de désunion entre les populations, doivent être
surveillées et combattues par les autorités avec toutes leurs énergies [sic]. […]
[À Kibuye, le préfet] doit surveiller sérieusement le groupe ethnique tutsi qui est majoritaire dans certaines communes
et exerce de ce fait, une pression sur le reste de la population en imposant son rôle féodal48.

S’il n’y eut plus de pogroms entre le milieu des années 1970 et la fin des années 1980, les pratiques légales
de discrimination connurent un accroissement sans précédent, parce que désormais systématisées,
officialisées et légalisées. Dès la fin des années 1970, les bulletins d’accroissement démographique transmis
mensuellement par les bourgmestres se mirent à mentionner « l’ethnie » des individus, ce qui n’était pas
nécessairement le cas initialement. L’obsession statistique, que d’aucuns ont qualifié de « comptabilité
eschatologique »49, servait une politique de quotas, officieuse d’abord, officielle ensuite. On parlait de
manière à peine euphémisée d’une politique d’« équilibre », en kinyarwanda iringaniza50. Cette politique
consistait à attribuer à chaque « ethnie » ou à chaque région une part égale à sa part supposée dans la
population nationale pour l’accès à l’enseignement secondaire ou supérieur, ou pour l’attribution des emplois
publics, voire de certains emplois privés51. L’un des rapports les plus connus sur cette politique est celui
diffusé en mai 1986 par le ministère de l’Enseignement primaire et secondaire sous le titre Dynamique des
équilibres ethnique et régional dans l’enseignement secondaire rwandais. Dans les mémoires des rescapés,
l’école primaire est souvent le lieu, d’une part, de la prise de conscience, brutale, de l’identité tutsi et, d’autre
part, de la première expérience de la discrimination et de la violence, par exemple lorsque l’enseignant faisait
se lever séparément les enfants tutsi. Chaque élève était en outre doté d’une « fiche scolaire » mentionnant
notamment son « ethnie » et qui le suivait durant toute sa scolarité, afin précisément de faciliter l’application
des quotas. L’accès à l’école secondaire était en outre un verrou important pour les adolescents tutsi, ainsi

44

Anastase Makuza, Révolution antiraciale au Rwanda, Kigali, 10 juin 1963, p. 50 (souligné dans le texte) (Archives nationales du Rwanda).
Ibid.
46
Ibid., 51.
47
Kimonyo, 2008, 64-65.
48
Procès-verbal de la réunion des préfets tenue à Kigali le 31 juillet 1973 sous la présidence de Monsieur le lieutenant-colonel Kanyarengwe
Alexis, p. 6-7 (Archives de Musanze).
49
Viret, 2011, 75.
50
Chrétien et Kabanda, 2013, 159.
51
Saur, 2007 ; Chrétien et Kabanda, 2013, 159-163 ; Nkaka, 2013, 278-288.
45

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qu’un terrain particulièrement propice à l’application stricte de la politique d’« équilibre » compte tenu de la
rareté des places à une époque où seule une minorité d’enfants allaient au-delà du cycle primaire. Dans le
rapport de mai 1986 sur l’enseignement secondaire, on lisait ainsi :
Malgré les efforts de régulation et de rééquilibrage effectués par les différents gouvernements qui se sont succédés
depuis l’indépendance de notre pays jusque maintenant, les disparités ethniques ne se sont pas du tout estompées ; elles
persistent encore dans l’ensemble des admissions au niveau de l’enseignement secondaire durant la période allant de
1960 à 1985. […]
En tenant en considération la part de la population de chaque ethnie dans la population totale du pays, les Tutsi ont
presque pour tous les ans connu un nombre d’élèves admis au secondaire qui dépasse leur quota 52.

Le rapport se terminait par une série de recommandations dont celle-ci :
Jusqu’alors, l’équilibre dans les admissions au secondaire était fait sur base des données empiriques d’autant qu’aucune
étude exhaustive sur les disparités n’avait été réalisée.
Dans l’avenir, il importe d’assainir la situation non seulement en appliquant systématiquement les critères tels qu’ils
ont été définis dans les textes légaux mais aussi en réduisant les inégalités de jadis par un système de compensation 53.

Deux scénarios de « compensation » étaient ensuite envisagés, sur une période de cinq ou dix ans, consistant
à étaler le « rattrapage » sur une période donnée en diminuant progressivement les effectifs sélectionnés
parmi « l’ethnie » prétendument favorisée, celle des Tutsi, afin de doter davantage les Hutu et les Twa
toujours en « sous-effectifs ».
Les statistiques étaient semble-t-il manipulées de façon à diminuer la proportion des Tutsi et partant la part
qui leur était « due »54. Néanmoins, et non sans contradictions, on craignait également la diminution des Tutsi
dans la population totale, diminution attribuée à des manœuvres de dissimulation et d’infiltration :
La population hutu est passée de 88,42 % en 1979 à 88,53 % en 1980 tandis que la population tutsi est passée de
11,05 % en 1979 à 10,94 % en 1980.
Le rythme de croissance de la population tutsi semble régresser en 1980. L’on pourrait se demander pourquoi la
population tutsi diminue d’année en année. Les raisons supposées être à l’origine de cette baisse sont les mariages
mixtes à sens unique entre les Hutu et les filles tutsi ainsi que la falsification d’ethnie dans les déclarations faites à la
commune.
Les enfants issus de ces mariages, selon la loi en vigueur sur le recensement, sont recensés sur la fiche de leur père si
le mariage est légitime, et appartiennent à la même ethnie. Quant à la falsification d’ethnies, il est constaté que beaucoup
de Tutsi croyant mieux sauvegarder leurs intérêts changent d’ethnies 55.

En quelques lignes sont résumées ici des accusations régulièrement formulées à l’encontre des Tutsi dès lors
qu’ils tenteraient de se dissimuler de manière insidieuse, usant pour ce faire de deux techniques privilégiées.
D’abord, le recours à leurs femmes réputées séductrices et aguicheuses, ce qui leur permettait de donner
naissance à des enfants de couples mixtes, « Hutu de papiers » sur le plan juridique, mais à-demi Tutsi
symboliquement. Ensuite, les falsifications « ethniques » sur les papiers d’identité.
La crainte des falsifications « ethniques » sur les papiers d’identité
En 1995, quelques mois après le génocide, l’historien José Kagabo, qui vivait en France en 1994, publie un
très beau texte dans lequel il revient à la fois sur ses séjours au Rwanda après les massacres et sur son
expérience personnelle avant, pendant et après le génocide. Il rappelle que la dureté et la violence du
« système Habyarimana » reposaient d’abord sur les outils bureaucratiques, y compris pour ceux qui, comme
lui, vivaient à l’étranger et « bénéficiaient » d’un statut de réfugié :
Le règne du général Habyarimana était un système qui broyait les gens dans leur chair et dont personne n’imaginait la
possibilité d’effondrement. Même ceux qui, comme moi, ont pu réaliser des projets leur permettant de vivre autre chose
Ministère de l’Enseignement primaire et secondaire, Dynamique des équilibres ethnique et régional dans l’enseignement secondaire
rwandais. Fondements, évolution et perspectives d’avenir, Kigali, mai 1986, p. 65-66 (Archives de Musanze).
53
Ibid., 100.
54
Verpoorten, 2005.
55
Ministère de l’Intérieur et du Développement communal, Rapport triennal 1980-1982, Kigali, 1983 (Archives nationales du Rwanda).
52

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à l’étranger, ont cruellement ressenti l’oppression de ce système. Quand ma mère est morte, j’ai voulu aller à ses
obsèques. Je venais d’avoir la nationalité française et pouvais obtenir un visa comme n’importe quel étranger. On aurait
pu me refuser ce visa en me prêtant des intentions douteuses, des desseins malveillants, mais l’ambassadeur de l’époque
m’a dit, textuellement : « Je ne te donne pas le visa, ainsi tu sauras qu’on vous fait souffrir, et c’est ainsi qu’on vous
aura toujours ». J’ai trouvé ça gratuit. Il ne me connaît pas, et voilà le discours qu’il me tient. C’était en temps de
« paix », c’est-à-dire cinq ans avant l’attaque du Front patriotique rwandais (FPR) !56

Que les papiers aient servi d’outil de contrôle et d’oppression de la population tutsi, le fait est encore plus
vrai pour ceux qui vivaient à l’intérieur du pays. Ainsi que le soulignent les rescapés de Kabarondo en
introduction de cet article, le pouvoir du bourgmestre reposait notamment sur sa capacité à attribuer cartes
d’identité, laissez-passer et permis de résidence. Pour les Tutsi, c’était là la garantie d’être connus et identifiés
par les autorités administratives, en mesure de contrôler leur présence et leurs mobilités.
Pourtant, au moins dès le début des années 197057, les falsifications « ethniques » sur les papiers de la part
des Tutsi furent parmi les premières préoccupations de l’État, à tous les niveaux. Lors de la réunion des
préfets le 31 juillet 1973, le ministre de l’Intérieur mentionna à deux reprises la « corruption » (ruswa) des
autorités locales trop enclines à trafiquer contre rétribution « l’ethnie » des Tutsi, d’autant plus corrupteurs
qu’ils étaient réputés fortunés :
[À Butare] pour sauvegarder l’équilibre social, les bourgmestres ne changeront point les identités des personnes, toutes
les ethnies sont considérées sur un même pied d’égalité.
[À Gikongoro] là aussi pleuvent des ruswa et la falsification des identités est de rigueur. Le préfet est invité à
contrecarrer ces manœuvres impénitentes 58.

En 1978 encore, le ministre de l’Éducation nationale écrivit un courrier à l’ensemble des directeurs
d’établissements secondaires du pays pour les inviter à contrôler davantage l’identité de leurs élèves. La
complicité – et l’appât du gain ? – des autorités locales et scolaires nuirait notamment à la bonne marche
d’une politique de quotas garante de justice et d’égalité entre les enfants :
J’ai l’honneur de vous informer que depuis fort longtemps, il se constate des anomalies graves d’identification des
élèves qui terminent l’école primaire. Nombreux sont les élèves qui possèdent deux identités dissemblables. Après des
ajournements successifs en 6ème année primaire sans réussir l’examen d’admission, certains élèves se permettent sans
vergogne de changer leurs noms et ceux de leurs parents pour faire croire qu’ils sont autres que les tripleurs ou
quadrupleurs connus. Plus grave encore, tel élève qui était Tutsi l’année précédente devient Hutu l’année suivante sans
aucun rectificatif de la part des responsables communaux. Dans d’autres cas, ils réduisent leur âge pour apparaître
toujours plus jeunes si bien que, curieusement, un élève grandit mais son âge reste stationnaire.
Cette pratique de mauvaise foi est imputable tant aux responsables communaux qu’aux autorités locales en connivence
avec les intéressés. Au niveau de la commune, la fiche de recensement est souvent déchirée et remplacée par une
nouvelle établie suivant le désir de l’intéressé et non conformément à la réalité et au niveau de l’école, la fiche scolaire
subit une altération de nature à faire croire que tel élève n’a jamais doublé durant le cycle primaire. Le contrôle des
dossiers scolaires qui se fait avant la sélection ne pouvant dépister tous les falsificateurs, une partie de ceux-ci passe
alors au secondaire au mépris des lois et règlements.
Les cas de falsifications d’identité sont tellement nombreux qu’il n’est pas possible de relater tous ici. Je voudrais
simplement attirer votre attention sur le fait et vous demander d’user de votre habileté pour pister semblables
manœuvres. Le cas échéant, vous me soumettrez les noms des élèves qui auraient faussé leur identité ou leur scolarité 59.

On pourrait multiplier les exemples. Dans les années 1980, l’obsession statistique et la crainte des
falsifications d’« ethnie » s’accentuèrent considérablement, ainsi qu’en attestent les quelques indices évoqués
jusqu’alors : insistance accrue sur l’identification « ethnique » dans les registres d’état-civil, renforcement
de l’appareil statistique, multiplication des rapports sur la politique des quotas et d’« équilibre »… L’angoisse
de submersion tutsi précéda donc l’attaque du FPR et le début de la guerre civile plus qu’elle ne leur succéda ;
il n’est ainsi pas sûr qu’octobre 1990 soit une rupture fondamentale dans la désignation des Tutsi comme

56

Kagabo, 1995, 103.
Et sans doute en réalité dès la première république, même si mes sources ne me permettent pas de le documenter.
58
Procès-verbal de la réunion des préfets tenue à Kigali le 31 juillet 1973 sous la présidence de Monsieur le lieutenant-colonel Kanyarengwe
Alexis, p. 6 (Archives de Musanze).
59
Lettre du ministre de l’Éducation nationale Pierre-Claver Mutemberezi aux directions d’établissements secondaires, Kigali, 15 février 1978,
objet : contrôle des identités des élèves (Archives de la CNLG).
57

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menace consubstantielle à la nation. Il faut dire que le Rwanda était depuis longtemps déjà considéré comme
le pays des Hutu.
Une enquête systématique sur ce sujet manque encore, mais il semblerait qu’il y ait aussi dans la seconde
moitié des années 1980 une nette augmentation des enquêtes sur « l’ethnie » d’individus appelés à occuper
des fonctions importantes au sein de la fonction publique. Le politiste Jean-Paul Kimonyo cite l’exemple
d’un directeur au ministère de l’Industrie originaire de la préfecture de Gitarama qui fit l’objet d’une enquête
sur son affiliation « ethnique ». Il en ressortit que l’homme avait été enregistré comme hutu au tournant des
années 1940 et 1950 car ne possédant pas de gros bétail, mais que ses ascendants étaient en réalité tutsi. C’est
dire la labilité et la difficulté à saisir la nature de ces appartenances « ethniques » au moment même où cellesci furent pourtant figées dans le cadre colonial ! Dans un premier temps, en décembre 1985, le ministre de
l’Intérieur ordonna que le statut « ethnique » de l’homme concerné ne fût pas changé par le bourgmestre de
sa commune. Il y eut toutefois un revirement en février 1987, sur demande, semble-t-il, de la présidence de
la République : le préfet de Gitarama reçut l’ordre de saisir tous les documents officiels de tous les
descendants du grand-père du directeur en question et de leur en confectionner de nouveaux mentionnant
« l’ethnie » tutsi60.
Ce seul cas ne suffit pas à conclure à un glissement significatif dans la seconde moitié des années 1980.
Plusieurs indices vont toutefois dans ce sens. Jean-Paul Kimonyo mentionne également une note de service
de décembre 1989 du ministère de l’Intérieur rappelant de manière ferme les sanctions en cas de falsification
d’identité. La note distinguait trois situations. Ceux qui au tournant des années 1940 et 1950 avaient reçu par
« opportunisme » des livrets d’identité « tutsi » alors qu’ils étaient hutu devaient rester tutsi, comme s’il
s’était agi de punir ce qui désormais était perçu comme une traîtrise. Ceux en revanche qui, bien que « tutsi »
par leur histoire familiale, avaient été reconnus à la même époque comme « hutu » parce que ne possédant
plus suffisamment de vaches pouvaient garder leur identité hutu : paradoxalement, la note reconnaissait là
une forme de labilité des assignations identitaires. Enfin, tous ceux, tutsi, qui avaient falsifié leur « ethnie »
après la révolution de 1959 pour devenir hutu, devaient être rétablis dans leur identité « ethnique » véritable,
voire être poursuivis par les tribunaux61.
Il semble en outre qu’à la fin des années 1980, les enquêtes administratives – menées tantôt par le ministère
de l’Intérieur, tantôt par les services de renseignements, c’est-à-dire par les institutions parmi les plus
répressives de l’État rwandais – ne concernaient plus seulement les cadres de la fonction publique mais
s’étendaient à d’autres citoyens, à mesure des signalements des autorités locales saisies d’un doute sur
l’assignation de tel ou tel. Ainsi ce télégramme des services préfectoraux de renseignement à Kibungo en
1987 :
Relatif Kalisa, Munyarugerero Népomucène et Kayimahe Athanase ;
1) Kalisa est issu de Gakwaya fils de Mudadari fils de Sebiyozo. Originaire de Kavumu ya Ruhunda en commune
Muhazi – Rwamagana. Tutsi b’inusu [à moitié Tutsi], b’ikene [pauvres] devenus hutu parce que n’avaient plus de
vaches donc devenus pauvres ;
2) Munyarugerero Népomucène fils Rusharaza né en 1928. Originaire de Gakoni de Murambi – Byumba. Rusharaza a
résidé successivement en commune Kabarondo et travaillait dans Somirwa Rwinkwavu et en commune Kayonza à
Nkondo où il est installé. Rusharaza est à trouble et est fou. Veuf de sorte qu’il ne parvient pas à citer son arbre
généalogique et ses voisins ne connaissent pas sa parenté car tous nouveaux dans la région.
3) Kayimahe Athanase fils Kayonga Isidore né en 1915 fils Nzabonimpa fils Kanyandekwe qui est né Akarambi en
commune Muhazi où il fut igisonga [sous-chef]. Ex-Tutsi w’imfura [ex-Tutsi noble]. Circonstance de falsifications
ethnies être que Tutsi wakenaga [appauvris] devenaient hutu et Hutu wakiraga [enrichis] devenaient tutsi d’où mariages
entre Hutu et Tutsi qui étaient fréquents 62.

60

Kimonyo, 2008, 81.
Ibid., 81-82.
62
Tharcisse R., télégramme n° 80/87 des services de renseignements de la préfecture de Kibungo, 24 [mois non indiqué] 1987 (Archives de la
CNLG). Les noms ont été modifiés.
61

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Une enquête plus poussée sur chacun de ces cas serait instructive, mais l’on peut sur la base de ce document
dresser quelques premières conclusions sur la labilité des appartenances et la possibilité de changer
d’« ethnie » dans les temps plus anciens en fonction du niveau socio-économique, sur les stratégies supposées
de falsification dans les temps plus récents (notamment l’installation dans une autre région), et sur les moyens
mobilisés par les autorités pour procéder aux vérifications (enquêtes généalogiques, interconnaissance
sociale…).

GUERRE CIVILE, FIGURE DE « L’ENNEMI » ET CRAINTE DE FALSIFICATIONS (1990-1994)
Lorsque fut progressivement réintroduit le multipartisme, et après le début de la guerre avec le FPR en 199063,
la suppression des mentions « ethniques » sur les papiers d’identité fut une revendication d’un certain nombre
de partis ou de membres de l’opposition et de la société civile, notamment du FPR.
Novembre 1990 : une annonce de suppression des mentions « ethniques » ambiguë
Dans un document confidentiel non signé et non daté64, mais qu’André Guichaoua attribue sans doute à raison
au mouvement rebelle né au sein des réfugiés majoritairement tutsi installés en Ouganda65, on lit ainsi dans
une section qui pourrait constituer une sorte de programme :
Concernant l’unité des Rwandais, l’administration de transition à base élargie à laquelle prend part le FPR devrait
immédiatement délivrer aux citoyens la carte d’identité sans mention ethnique, éliminer toute considération ethnique
dans l’octroi des emplois […], dans l’accession à l’enseignement secondaire et supérieur […]. Toutes les pièces
précédemment utilisées par l’administration MRND en vue de l’équilibre ethnique et régional (les attestations
communales d’usage, le permis de résidence…) seraient à jamais bannies 66.

Cela revenait rien moins qu’à rejeter, au nom de l’unité, à la fois l’identification « ethnique » et la politique
des quotas, deux éléments qui, depuis trois décennies, avaient été au fondement des politiques menées dans
le pays, jusqu’à devenir, sans doute, une sorte de totem pour tous ceux qui craignaient encore que les Tutsi
puissent bénéficier de privilèges, malgré trente ans de discriminations. On retrouvait sur ce point les clivages
qui s’étaient exprimés sur cette même question de l’identification « ethnique » à la fin des années 1950.
Contre toute attente, le 13 novembre 1990, le président de la République Juvénal Habyarimana annonça
pourtant sa volonté de voir supprimée la mention « ethnique » sur les cartes d’identité67. En apparence, il
rompait avec un demi-siècle de bureaucratie des identités. Le 18 octobre, dans un entretien accordé à la presse
à l’issue d’une rencontre avec François Mitterrand à l’Élysée, il avait pourtant écarté d’un revers de main
cette possibilité :
[Question] Au Rwanda on inscrit l’appartenance ethnique sur la carte d’identité et c’est l’une des accusations des
rebelles.
[Réponse] On me l’a toujours reproché ! Mais demandez à ces rebelles depuis quand cette mention ethnique figure sur
la carte d’identité. Quand je suis né, je l’ai trouvée comme ça. Sur la carte, il était mentionné « Hutu, Tutsi, Twa »
(biffer les mentions inutiles). La carte a toujours existé comme telle et il n’y a pas eu de revendications ! Pourquoi
maintenant ? Pour moi, j’estime que ce n’est pas une priorité ; on est ce que l’on est, on n’est pas ce qui est inscrit sur
la carte !68

Alors même que la systématisation des cartes d’identité « ethniques » datait tout au plus de quelques
décennies, Juvénal Habyarimana semblait considérer que la mention « ethnique » relevait de l’habitude et de

63

Reyntjens, 1994 ; Bertrand, 2000 ; Guichaoua, 2010.
Un certain nombre d’indices laisse penser que ce document date de fin 1993-début 1994.
65
Guichaoua, 1995, 656.
66
L’environnement actuel et avenir de l’organisation, document non daté [fin 1993-début 1994] (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce
à conviction n° DK125).
67
Agence rwandaise de presse, Bulletin quotidien, 14 novembre 1990, p. 21-22 (Archives nationales du Rwanda).
68
Interview accordée à la presse française à l’issue de la rencontre avec le président Mitterrand, Paris, 18 octobre 1990 (Archives nationales
du Rwanda).
64

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l’évidence, quoiqu’il concédât implicitement le manque de fiabilité de la carte comme meilleur indice
d’identification, en raison sans doute des pratiques de falsifications. D’ailleurs, lorsqu’il fallut annoncer sa
volte-face le 13 novembre, il présenta sa décision comme un moyen de lutter contre l’insécurité induite par
la guerre et les manœuvres de « l’ennemi ». La suppression de la mention « ethnique » ne s’inscrivait donc
pas dans une stratégie d’apaisement, mais au contraire dans un discours martial et dans une rhétorique de la
menace exercée, du point de vue des plus radicaux, par le FPR sur la survie de la nation :
La guerre a dévoilé que l’ennemi a su profiter de certaines de nos faiblesses sur le plan de la sécurité. Voilà pourquoi
j’ai décidé de faire procéder au remplacement de la carte d’identité actuelle en faveur d’une nouvelle carte d’identité,
présentant une sécurité maximale à tous points de vue, et dont la fabrication exigera peut-être le concours spécialisé
d’expertises extérieures.
Je charge donc le ministre de l’Intérieur et du Développement communal de procéder immédiatement à l’élaboration
et à l’impression de la nouvelle carte d’identité.
L’introduction d’une nouvelle carte d’identité, de haute sécurité, permettra par la même occasion de supprimer la
mention ethnique et de revoir le contenu de ce qui doit figurer sur une carte d’identité modernisée 69.

Fin 1990, le débat sur la carte d’identité « ethnique » fut donc d’emblée placé sur le terrain de la guerre et de
la « sécurité ». Habyarimana aborda à nouveau la question dans une adresse au comité central du parti
(encore) unique Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND), le 3 décembre 1990.
Il concédait cette fois qu’il s’agissait bien de se
mettre en conformité avec les accords internationaux, et en particulier la Déclaration universelle des droits de l’homme,
qui veut qu’une telle carte d’identité ne mentionne pas la race des personnes, ou dans notre cas, les ethnies, et cela pour
éliminer l’impression de toute discrimination éventuelle fondée sur la race70.

Concession très vite nuancée toutefois en précisant qu’elle
ne met nullement en questions [sic] nos acquis. Elle ne peut supprimer les ethnies en tant que telles, ce qui serait
d’ailleurs difficile à imaginer.
Cette décision n’élimine ni les garanties du respect du droit des minorités, ni évidemment les prérogatives de la majorité.
La démocratie exige l’acceptation des décisions de la majorité. Il n’y a ni supériorité innée de qui que ce soit, ni
soumission naturelle de qui que ce soit, – c’était cela le sens et la portée de la révolution sociale de 1959, que le peuple
rwandais a matérialisée par un non massif, le 25 septembre 1961 71.

Qu’il s’agisse de la rhétorique du « peuple majoritaire » (rubanda nyamwinshi) ou des références historiques
mobilisées, le discours du président de la République n’introduisait pas de véritable rupture avec la
phraséologie héritée de la révolution socio-raciale et dont Anastase Makuza s’était fait le premier porteparole en 1963. Loin d’affaiblir la nation face à « l’ennemi », le remplacement de la carte d’identité,
« facilement falsifiable, et dont l’agresseur a profité »72, ne nuirait officiellement pas à la conduite de la
guerre et à la défense de la nation hutu, bien au contraire.
Crispations autour des mentions « ethniques » dans la presse extrémiste
La décision ne fut de toute façon jamais appliquée et les nouvelles cartes d’identité ne furent pas distribuées
avant avril 199473. Dès novembre 1990, l’annonce présidentielle donna toutefois lieu à un intense débat dans
la presse extrémiste anti-tutsi, et notamment dans Kangura, un titre apparu en mai 1990 et qui devint bientôt,
du moins jusqu’à la création de la RTLM au printemps 1993, le principal porte-parole de la défense du peuple
hutu menacé par le FPR et les Tutsi « de l’intérieur »74. Aux yeux des auteurs de Kangura d’abord,
l’appartenance « ethnique » relevait de l’évidence. « L’ethnie », en quelque sorte, était naturelle. Il serait
donc aussi absurde de refuser de reconnaître son appartenance « ethnique » que de reconnaître son sexe :

69

Agence rwandaise de presse, Bulletin quotidien, 14 novembre 1990, p. 21-22 (Archives nationales du Rwanda).
Déclaration du président de la République, le général-major Juvénal Habyarimana, devant le comité central, Kigali, 3 décembre 1990, p. 6
(Archives nationales du Rwanda).
71
Ibid.
72
Ibid.
73
André Guichaoua, annexe 6 : Le renouvellement des cartes d’identité à mention ethnique, 2010, URL :
http://rwandadelaguerreaugenocide.univ-paris1.fr/wp-content/uploads/2010/01/Annexe_6.pdf (consulté le 8 avril 2019).
74
Chrétien, 1995b [2002] ; Chrétien, 2002 ; Kabanda, 2001.
70

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Ne savons-nous pas que c’est après que les enfants reconnaissent l’importance de leurs sexes que les parents autorisent
le mariage ? On n’a jamais vu un parent défendre à un enfant de reconnaître qu’il est garçon ou fille. Aussi, dans ce
pays, chacun doit y reconnaître sa place et servir là où il est utile et capable75.

Les analogies mobilisées pour justifier le fait que « l’ethnie » fût naturelle étaient parfois pour le moins
incongrues, comme dans cet article de février 1991 où l’auteur mélangeait critères physiques, chromatiques,
continentaux, nationaux, « ethniques », religieux et régionaux pour finir par affirmer que la reconnaissance
de ces référents identitaires ne s’accompagnait d’aucune pratique discriminatoire :
Personne n’a demandé de devenir blanc ou noir, Africain ou Européen, Rwandais ou Zaïrois, Hutu ou Tutsi, Juif ou
Allemand, sauf les immigrés ou les réfugiés naturalisés.
C’est à partir de ces bases qu’il existe les entités continentales que nous connaissons : Afrique, Europe, les groupes
physiologiques d’humains, noir-blanc, les pays comme le Rwanda et le Zaïre, les ethnies Hutu-Tutsi et les nationalités
juives ou allemandes [sic]. Autant de points de repère et d’identification admises [sic] par la communauté
internationale.
Être de telle race, de telle ethnie, de tel pays ou telle région, adhérer à telle ou telle autre religion n’a jamais été considéré
comme forme discriminatoire 76.

Ignorant le fait que les identités « ethniques » avaient été construites et figées fort récemment à l’époque
coloniale, on lisait également en mars 1991 que les appartenances Hutu et Tutsi relevaient de l’évidence et,
surtout, d’une prétendue tradition ancestrale qu’il s’agissait de protéger et préserver plutôt que d’obéir aux
puissances internationales, accusées d’imposer la suppression des « ethnies » alors qu’elles-mêmes
reconnaîtraient d’autres critères identitaires, listés de manière pour le moins éclectique :
Il faut expliquer à la communauté internationale que le fait d’être reconnu noir ou blanc, tutsi ou hutu, chrétien ou
musulman n’est en aucune manière une forme de ségrégation. Il est écrit partout dans toutes les constitutions du monde,
que devant la loi tous les hommes sont égaux sans distinction de sexe, de race, d’ethnies ou de religion. Et pourtant, il
existe deux sexes masculin et féminin, plusieurs races, noir, blanc, rouge et jaune et une multitude de religions.
Alors pourquoi la mention ethnique fait-elle autant de bruit autour de la question rwandaise. Nous avons été si
longtemps déracinés que les Occidentaux, après avoir foulé aux pieds notre culture, veulent aujourd’hui nous ôter notre
identité. Pourquoi ces mentions restent valables en Occident avec l’existence d’afro-américain, indien, noir américain,
arabe, esquimau, anglo-saxon, basque, arménien, juif-américain, français d’outre-mer, etc… et les termes hutu, tutsi ou
twa sont sacrilèges chez nous !!!
Et bien qu’on nous laisse construire notre pays sur des bases qui sont les nôtres et les plus réelles puisqu’ancestrales.
Les piliers de notre démocratie n’en seront que plus consolidés 77.

Les journalistes de Kangura s’inscrivaient ici dans une lecture fixiste et anhistorique de l’identité
« ethnique ». À l’inverse des identités régionales, les identités « ethniques » étaient immuables et non
miscibles : « nous n’arriverons à rien en continuant de mélanger des choses qui ne se mélangent pas » lisaiton dans Kangura en mars 199178. Aussi les Hutu devaient-ils s’unir et mettre fin aux conflits régionalistes
pour former un bloc homogène et se protéger ainsi des Tutsi, eux-mêmes décrits de manière monolithique :
Tout Hutu devrait considérer un autre Hutu comme son frère. Qu’il sache que s’il vit au Rukiga et que demain les
volcans se mettent à cracher du feu, il ira demander une terre au Nduga, il sera un Munyanduga 79. Qu’il sache aussi
que s’il est Munyanduga et vit au Nduga, s’il commence à y avoir des calamités et que la famine se répand, il ira vivre
au Rukiga, il sera un Mukiga. Mais, quoi qu’il fasse, un Hutu ne peut devenir Tutsi et inversement 80.

75

Rédaction Gisenyi-Info, « La démocratie par la voie du multipartisme en appelle à la loi de la majorité et les droits des minorités », Kangura,
n° 8, janvier 1991, p. 3 (en français dans le texte).
76
La rédaction, « Lettre ouverte à la Commission nationale de synthèse et au CND. La reconstruction et la réconciliation nationale en appelle
à l’application préalable du multipartisme », Kangura, n° 10, février 1991, p. 3 (en français dans le texte).
77
« Éditorial. Si muraramo gusa ahubwo uwaturoze ntiyakarabye » [Est-ce un sommeil normal ou est-on sous le coup d’un poison ?], Kangura,
n° 12, mars 1991, p. 2 (en français dans le texte).
78
« naho gukomeza kuvanga ibitavangika ntacyo byazatugezaho, usibye aha bitugejeje » (Ibid., 3, traduit dans Chrétien, 1995b [2002], 97).
79
Depuis l’indépendance, la vie politique rwandaise avait été agitée par les conflits régionalistes entre les leaders politique s hutu du centre et
du sud (Banyanduga) et les leaders politiques du nord (Bakiga).
80
« Umuhutu wese yagombye kureba undi muhutu nk’umuvandimwe, akamenya ko niba atuye mu Rukiga ejo ibirunga bishobora kuruka akajya
kwaka isambu i Nduga, akaba Umunyenduga. Akamenya kandi ko niba uri Umunyenduga utuye i Nduga, ashobora kugira ibyago amapfa
agatera akajya gutura mu Rukiga, akaba Umukiga. Ariko Umuhutu n’iyo yararamu isekuru ate cyangwa mu muvure, ntiyahinduka Umututsi »
(Jean-Baptiste Hategekimana, « Ubumwe bw’uturere niyo mizero y’abahutu » [L’unité des régions, voilà l’espoir des Hutu], Kangura, n° 13,
avril 1991, p. 12, traduit dans Chrétien, 1995b [2002], 98).

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La volonté de supprimer les mentions « ethniques » relevait donc d’une stratégie de diversion et de division
mise en œuvre par les Tutsi pour nier l’évidence, pour rompre la solidarité nécessaire au peuple hutu, et in
fine pour accomplir leurs objectifs criminels :
Pourquoi les Tutsi veulent-ils devenir des Hutu de nom ? Est-ce parce qu’ils détestent leur ethnie et préfèrent celle des
Hutu ? Non, nous savons que les Tutsi sont fiers de leur ethnie et prétendent qu’elle est supérieure aux autres. C’est
plutôt pour tromper la vigilance des Hutu, les atteindre à la racine et réaliser tranquillement leurs criminels desseins 81.

Il fallait donc
suspendre la décision de supprimer la mention ethnique sur la carte d’identité nationale. Aucun Hutu ne désire devenir
tutsi. Seuls les Tutsi qui ont intérêt dans les pratiques de changement d’ethnie sont concernés par cette décision. Hutu
et Twa, nous garderons notre identité sur la carte 82.

Réactivant le mythe de la domination féodale tutsi antérieure à la colonisation, les auteurs de Kangura
affirmaient d’ailleurs que lorsqu’ils « tenaient [les Hutu] en servage », les Tutsi « ne s[’étaient] jamais plaints
d’être tutsi » ; il était donc essentiel, trente ans après la révolution et l’indépendance, de maintenir les
mentions « ethniques » sur les papiers. Les Tutsi étaient encore accusés d’avoir « amené le problème ethnique
au Rwanda (même s’ils accus[ai]ent à tort les Blancs) »83. Leur exigence de suppression de la mention
« ethnique » n’était donc qu’un stratagème des conservateurs et de leurs relais Inkotanyi84 pour réinstaurer
les privilèges anciens :
S’ils n’avaient pas introduit la coutume de la courtisanerie ou de la dépendance, il n’y aurait pas aujourd’hui le problème
ethnique au Rwanda. Le jour où ils abandonneront leur habitude de se rechercher ils pourront demander que l’ethnie
ne soit plus mentionnée sur leur carte d’identité. Mais en attendant qu’ils gardent leur tutsité et que ceux qui ne s’en
sont départis que dans le but de sauver les apparences ainsi que ceux qui les ont aidés à le faire soient poursuivis [par
la justice]. Pourquoi ce sont les Tutsi conservateurs et les Inkotanyi qui demandent qu’on supprime la mention ethnique
sur les cartes d’identité ?85

La menace d’un retour de la monarchie et de la « domination féodalo-tutsi », puissant ressort de mobilisation
politique dès les années 1960, ressurgit donc fortement au début des années 1990. Dans le contexte de la
guerre civile contre le FPR, il était d’autant plus nécessaire d’identifier et reconnaître les individus, afin de
s’assurer la loyauté des uns et des autres. Ceux qui réclamaient la suppression de la mention « ethnique »
avaient donc des objectifs cachés et de mauvaises intentions, façon à peine voilée de suggérer qu’ils
menaçaient la « sécurité » de la nation, la « démocratie » et la « réconciliation », terme pour le moins dévoyé
quand on sait combien la carte d’identité fut moins un outil de promotion de l’égalité qu’un moyen de repérer
et écarter une minorité perçue comme dangereuse :
La carte d’identité ne dérange pas les Bahutus ni les Batutsis honnêtes. Il n’y a que ceux qui sont mal intentionnés qui
réclament la suppression de la mention ethnique. […]
Si on veut une pure démocratie, mieux vaut laisser le Hutu, le Twa ou le Tutsi reconnaître ce qu’il est, et la réconciliation
ne sera assurée que démocratiquement 86.

Les journalistes de Kangura défendaient ainsi un principe de « transparence », gage d’une compétition
démocratique réduite au front « ethnique », tout en affirmant que les Tutsi, tout à leur prétendu objectif de
« sucer les nerfs du peuple majoritaire », refusaient cette transparence afin de faire triompher leurs intérêts :

81

« Kuki abatutsi bashaka kwigira abahutu ku izina ? Kwaba ari ukwanga ubwoko bwabo, bakikundira kuba abahutu ? Oya, tuzi ko abatutsi
bakunda ubwoko bwabo, kandi bakabukuza ngo nibwo bwiza. Ahubwo baba bashaka kwiyoberanya kugira ngo babone uko baca hasi abahutu,
bagere ku ntego zabo tuzi ko atari shyashya » (« Ese guhindura ubwoko ku irangamuntu si ikosa ? » [N’est-ce pas une faute que de changer
d’ethnie sur la carte d’identité ?], Kangura, n° 12, mars 1991, p. 13, traduit dans Kabanda, 2001, 31-32).
82
« Guhagarika icyemezo cyo guhindura ubwoko mu irangamuntu kuko nta muhutu wifuza guhindura ubwoko bwe. Abatutsi bo babifitemo
inyungu bazareke aribo babikora, Abahutu n’Abatwa twigumanire ubwoko bwacu mu ndangamuntu » (« Éditorial », Kangura, n° 33, mars
1992, p. 2, traduit dans Chrétien, 1995b [2002], 233).
83
« Bazanye ikibazo cy’amoko mu Rwanda (n’ubwo babeshyera abazungu) » (Moustapha Baranyeretse, « Abatutsi baracyadutegeka n’ubwo
nta Karinga bagifite » [Les Tutsi gouvernent encore même s’ils n’ont plus Karinga], Kangura, n° 26, novembre 1991, p. 17, traduit dans
Chrétien, 1995b [2002], 148).
84
Nom donné aux combattants du FPR et bientôt attribué, par confusion et métonymie simplificatrice, à tous les Tutsi.
85
« Iyo batazana umuco wa gihake nta kibazo cy’amoko kiba kivugwa mu Rwanda. Umunsi bazaba baretse kwironda bazasabe ubwoko
buhanagurwe mu marangamuntu yabo. Igihe rero batarabishobora nibakomeze ubututsi bwabo ndetse n’ababwiyambuye by’urwikizo
bakurikiranwe n’ababafashije kubigeraho. Kuki ba batutsi batava ku izima (conservateurs) n’inkotanyi ari bo bashaka ko ubwoko
buzimangatana mu marangamuntu ? » (Moustapha Baranyeretse, « Abatutsi baracyadutegeka n’ubwo nta Karinga bagifite » [Les Tutsi
gouvernent encore même s’ils n’ont plus Karinga], Kangura, n° 26, novembre 1991, p. 17, traduit dans Chrétien, 1995b [2002], 148).
86
« La démocratie par la voie du multipartisme en appelle à la loi de la majorité et les droits des minorités », Kangura, n° 8, janvier 1991, p. 3
(en français dans le texte).

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Les réfugiés doivent revenir dans leur pays après avoir effacé de leur tête les ambitions monarchistes et tout ce qui va
avec elles. Mais comment allons-nous savoir s’ils ont renoncé aux prétentions monarchistes et à tout ce qui s’y
rapporte ? […] Que leurs frères restés au Rwanda leur expliquent les coutumes du pays et les mettent au courant des
problèmes qui s’y posent. Ainsi, que tous les Tutsi se mettent ensemble et fondent un parti qui défende leurs intérêts,
puisqu’ils sont toujours en train de se plaindre de l’oppression des Hutu. Cela permettra aux Tutsi qui se font passer
pour des Hutu de reprendre leur identité dans la perspective d’une compétition démocratique leur imposant la nécessité
de renforcer le poids de leur ethnie. Nous connaissons tous leur soif insatiable quand il s’agit de sucer les nerfs du
peuple majoritaire. Mais s’ils ne reprennent pas leur identité, s’ils ne créent pas leur propre parti, qu’ils sachent qu’on
ne tolérera pas qu’ils se cachent au milieu de nous à l’heure du multipartisme. Pour cette raison, les responsables des
partis devraient collaborer pour recenser tous les Rwandais en vérifiant leur identité ethnique. Cela nous permettra de
connaître l’importance exacte de chaque groupe ethnique au lieu de continuer à utiliser des valeurs qui, parce qu’elles
sont fausses, autorisent les Tutsi à crier partout à l’étranger qu’ils constitueraient 30 % alors qu’il n’en est rien87.

La « démocratie » avait été définie sous la première et la deuxième républiques comme celle du « peuple
majoritaire » hutu. Tant le multipartisme que la guerre menée par le FPR menaçaient, aux yeux des
extrémistes, ces acquis « démocratiques ». Aussi était-il nécessaire que les outils de véridiction soient
réaffirmés, d’autant que les Tutsi se montraient enclins à user de toutes les techniques d’infiltration à leur
disposition :
Entendons-nous donc. Le problème hutu-tutsi est une réalité au Rwanda même si on n’en est pas à s’entrecouper à la
machette. Selon les enseignants du campus de Nyakinama, la guerre actuelle est celle des Tutsi qui s’attaquent aux
Hutu88. La gagner, politiquement ou militairement, exige que les deux camps soient nettement identifiés et reconnus.
Ainsi nous dialoguerons tels que nous sommes. […] Là, je pense qu’il ne s’agit que d’un piège de l’ennemi.
Hutu, prenez garde, restez unis, les temps sont difficiles, ne menez pas à son extermination le peuple majoritaire. Et
vous Tutsi, ayez le courage d’être ce que vous êtes, défendez-vous, mais sans chercher à vous dissimuler. Et vous, Twa,
ne restez pas à l’écart dans ce combat pour la démocratie. Ainsi nous construirons notre pays mais en sachant, chacun,
ce qu’il en est et quel est son parti89.

La falsification d’identité à l’origine des difficultés de la nation dans la guerre
Outil nécessaire donc, la carte d’identité n’en restait pas moins un outil incertain pour protéger la nation et
les intérêts du « peuple majoritaire » hutu. La contradiction n’est qu’apparente : c’était précisément parce
que les Tutsi usaient de malice, refusaient toute « transparence », que la carte d’identité n’était pas
complètement fiable. L’accusation de falsification d’« ethnie » (guhindura ubwoko, kwihutura) réapparut de
manière récurrente dans Kangura et dans d’autres journaux entre 1990 et 1994. Ainsi dans ce numéro d’août
1991 le journaliste rappelait-il qu’on ne pouvait faire confiance à quelqu’un qui refusait de reconnaître et
manifester ostensiblement qui il était :
L’autre calamité que Kangura a refusé de passer sous silence (car il y a quelques jours le sujet était tabou), c’est la
détestable habitude que beaucoup de Tutsi ont prise et qui consiste à changer d’ethnie […] ce qui leur permet de passer
inaperçus et de prendre dans l’administration et dans les écoles les places normalement réservées aux Hutu. Si cette
maladie n’est pas soignée en urgence, elle fera périr tous les Hutu. Que les complices me répondent : quelqu’un te
« Impunzi zigomba kugaruka zimaze gusiba mu mutwe wazo ingoma ya cyami n’ibindi bibi bijyana nayo. Tuzamenya dute ko zitagikomeye
ku ngoma ya cyami n’ibindi bibi bijyana nayo. Tuzamenya dute ko zitagikomeye ku ngoma ya cyami ? […] Bizarushaho kugenda neza
benewabo bari mu Rwanda nibabamenyereza, bakabigisha imiterere y’u Rwanda n’ibibazo rufite. Bityo abatutsi bose bagashyira hamwe
bagashyiraho ishyaka ryabo ribarengera kuko bahora baboroga ngo abahutu barabarenganya. Ibyo bizatuma abatutsi bihutuye bongera
bagafata ubwoko bwabo kugira ngo bagwize umubare wabo baze muri demokarasi bafate imyanya bakwiye. Bose turabazi ni indashima zihora
zishaka kwikubira ibya rubanda nyamwinshi no kunyunyuza imitsi yabo gusa. Nibadasubirana ubwoko bwabo ngo bashinge ishyaka ryabo
ntibazongera kutwihishamo mu gihe cy’amashyaka menshi. Kubera iyo mpamvu abayobozi b’amashyaka bagomba gufatanya bagakoresha
ibarura ry’abanyarwanda bose bareba ubwoko bwa buri muntu. Ibyo bizatuma tumenya umubare nyakuri w’abatutsi, uw’abatwa
n’uw’abahutu aho gukomeza kugendera ku mibare itariyo ituma abatutsi bahora basakuza mu mahanga ngo ni 30 % kandi batagezeho »
(Jean-Baptiste Hategekimana, « Abahutu nibahugira mu mashyari y’amashyaka inkotanyi n’ibyitso byazo zizabatsemba » [Les Hutu sont
occupés dans les rivalités entre partis, les Inkotanyi et les complices vont les exterminer], Kangura, n° 18, juillet 1991, p. 13, traduit dans
Chrétien, 1995b [2002], 100).
88
Référence à un ouvrage publié par les enseignants du campus universitaire de Nyakinama dans la préfecture de Ruhengeri en 1991 : FrançoisXavier Bangamwabo et al., Les Relations interethniques au Rwanda à la lumière de l’agression d’octobre 1990. Genèse, soubassements et
perspectives, Ruhengeri, Éditions universitaires du Rwanda, 1991.
89
« Twumvikane rero. Mu by’ukuri ikibazo cy’amoko mu Rwanda kirahari rwose, ariko s’icyo gutemana. Abarimu bo muri Nyakinama bo
barabyize basanga iyi ntambara turwana ari iy’abatutsi barwanya abahutu. Kuyitsinda rero, haba mu magambo haba ku rugamba, bamwe ni
ukujya hariya abandi hariya, maze tukumvikana uko turi […]. Aha ndumva nta mutego w’umwanzi urimo. / Bahutu rero muramenye, mube
umwe ibihe birakomeye, mwoye kworeka imbaga nyamwinshi. Batutsi namwe, mugire akanyabugabo mube abo muri bo, mwirwaneho, ariko
mutiyoberanije. Batwa namwe mwoye guhezwa muri iyi nkubiri ya Demokarasi, maze twubakire u Rwanda rwacu hamwe, ariko umuntu azi
icyo ari cyo n’aho abogamiye » (« Éditorial. Si muraramo gusa ahubwo uwaturoze ntiyakarabye » [Est-ce un sommeil normal ou est-on sous
le coup d’un poison ?], Kangura, n° 12, mars 1991, p. 2-3, traduit dans Chrétien, 1995b [2002], 97).
87

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19

propose d’être ton ami. Tu lui demandes son adresse, il te répond que cela n’est pas nécessaire. Tu lui demandes son
nom et il te répond que cela ne veut rien dire, que le plus important est l’amitié. Accepteras-tu l’amitié offerte par une
personne qui ne désire pas se faire connaître de toi ?
85 % des Tutsi ont changé d’ethnie. Il serait bon qu’ils réintègrent leur identité tutsi et qu’ils adhèrent aux partis qui
leur conviennent. Aussi longtemps qu’ils se croiront obligés de se cacher parmi les Hutu, nous connaîtrons toujours
cette unité de façade sur laquelle ils s’appuieront pour nous exterminer.
Kangura souhaite que cette question cesse d’être un sujet tabou et que les responsables lui trouvent une réponse
adéquate. Je pense que ce serait la voie vers la réconciliation des Rwandais, vers une cohabitation sincère en se
connaissant les uns les autres, sans mensonges et sans malice 90.

Aux yeux des plus extrémistes, c’étaient les outils et instruments de véridiction et d’identification en général
qui étaient ébranlés. Ainsi, en janvier 1992, un article revint sur le programme de recensement mis en œuvre
au début des années 1990. On sait par certains travaux que le recensement d’août 1991, dont les conclusions
furent diffusées début 199491, se traduisit par une nette minoration de la part des Tutsi dans la population
globale92. Pourtant, dans cet article, l’auteur usait de tous les ressorts des discours anti-Tutsi (malice et
mesquinerie, corruption, recours aux femmes aguicheuses et séductrices, stéréotypes physiques…) pour jeter
le discrédit sur un programme de recensement infesté par les femmes tutsi et donc peu à même de protéger
les intérêts du « peuple majoritaire » :
Voilà comment les choses ont commencé : au démarrage du programme de recensement, on a procédé à la sélection
par des examens de ceux qui devaient y travailler. […] Seuls les Tutsi et les Hutu qui avaient donné des chèvres ont
réussi des examens […].
Ces mauvais agissements ont fait que sur 200 employés, 180 soient des Tutsi, dont une majorité de femmes. […]
On dirait que l’examen a été fait au nez ! Dans le service de codification, regarde l’équipe du matin et celle de l’aprèsmidi, tu verras de tes propres yeux, tu auras alors envie de te marier avec l’une ou l’autre de ces génisses de la noblesse,
qui d’ailleurs ne sont plus à Nyamata 93, elles ont élu domicile chez Kabuga pour recenser les Rwandais !!! Va voir ceux
qui ont été sélectionnés pour suivre des cours de formation à la saisie sur ordinateur, tu verras une telle sélection des
jeunes filles. En partant du principe que le recensement est un travail très important pour le peuple majoritaire, le peuple
souhaite que ce service ne soit pas le lieu du vol, de mesquinerie, de ségrégation ethnique et autres 94.

Dans ce contexte, la question de la falsification des « ethnies » revenait comme un leitmotiv dans les colonnes
de Kangura. En décembre 1990 par exemple, le journal appela à vérifier s’il n’y avait pas « parmi les proches
collaborateurs du président de la République » des gens qui « se seraient prêtés une identité ethnique »95. En
mars 1991, un autre journaliste expliqua : « Je ne hais pas les Tutsi, je déteste leur habitude de refuser d’être
appelés tutsi »96. Ceux qui auraient falsifié leur « ethnie » étaient qualifiés de « serpents à deux têtes », en
« Indi kabutindi Kangura itemeye guceceka (dore ko mu bihe byashize kubivuga cyari ikiriza : byari sujets tabous) n’ingeso mbi yarembeje
benshi mu batutsi yo guhinduza ubwoko […] kugirango babone uko biyoberanya n’uko bihisha mu bahutu bagamije kubatwarira imyanya mu
butegetsi no mu mashuri. Iyi ndwara itavuwe vuba akari kera yazoreka abahutu. None se byitso mwe, mureke mbabaze ; umuntu araje ati :
"ndashaka ko tuba inshuti ?" Uti "ni byiza, mpa ka adresse kawe twibwirane", ati : "ibyo ndumva atari ngombwa", uti : "ese wenda pfa
kumbwira izina ryawe", ati : « yewe ibyo ntacyo bivuze icyangombwa n’uko tuba inshuti". Koko uwo muntu udashaka ko umumenya ubucuti
uzabumwemerera ? / Birakwije ko abatutsi bahinduje (ni nka 80 %) basubirana ubututsi bwabo, ahasigaye bakajya mu mashyaka bumva
abagwa ku nzoka. Naho igihe cyose bazaba bumva bagomba kwihisha mu bahutu tuzahorana ubumwe bwa nyirarureshwa, babugendereho
bazatwirenze. / Kangura rero irifuza ko iki kibazo kiva mu bwiru vuba (que ce sérieux problème cesse d’être sujet tabou) ababishinzwe
bakagifatira ibyemezo. Ndabona biri mu byakunga abanyarwanda, bakabana baziranye bataryaryana bamwe bubikiye abandi » (Moustapha
Baranyeretse, « Ari Kangura, ari ukurikwayo, ibyitso by’inyenzi-nkotanyi bitinya iki » [De Kangura, de la vérité qu’on y trouve, les complices
des inyenzi-Inkotanyi en sont effrayés], Kangura, n° 21, août 1991, p. 6-7, traduit dans Chrétien, 1995b [2002], 103-104).
91
Service national de recensement, Recensement général de la population et de l’habitat au 15 août 1991, Kigali, avril 1994.
92
Verpoorten, 2005.
93
Région du Bugesera qui a servi de lieu de relégation des Tutsi après novembre 1959.
94
Dore amavu n’amavuko y’ibyo bintu : imirimo yo gutegura iryo barura igitangira, hakozwe ibizamini byinshi byo gutanga akazi. […]
Abatsinze ibyo bizamini n’abatutsi n’abahutu batanze amahene […]. / Iyo mikorere yabo mibi yatumye mu bakozi bagera kuri 200, 180 bose
baba abatutsi abenshi bakaba ari abagore. […] / Wagirango ikizamini cyakorewe ku izuru ! Muri codification uzarebe ikipe ikora mugitondo
n’indi ikora ni mugoroba nawe amaso azakwihera, uzahita urambagiza n’ubishaka inyana y’imfura dore ko i Nyamata zitagihari ziyiziye kwa
Kabuga kubarura abanyarwanda !!! Uzajye kureba abatoranijwe guhugurirwa gukora kuri ordinateri (saisie) uzibonera uruhongore mama
we !!! Dushingiye ko ibarura ari umrimo ufitiye imbaga nyamwinshi akamaro, rubanda irifuza ko iyo servisi itarangwamo ubusahuzi,
ubutiriganya, irondakoko, n’ibindi » (Noël Hitimana, « Akaduruvayo mu biro by’ibarura mu Muhima » [Désordre dans le bureau de
recensement de Muhima], Kangura, n° 29, janvier 1992, p. 16-17, traduit dans Chrétien, 1995b [2002], 146-147).
95
« Abaturage barifuza ko mbere y’uko irangamuntu yahindurwa ko mwakora iperereza ku baturage baba baritije ubwoko butari ubwabo
cyane cyane mukareba niba nta cyegera cya Perezida wa Repubulika cyaba cyarahinduye ubwoko gifite indi migambi (« Kangura iratungira
agatoki ibiro bishinzwe iperereza » [Kangura attire l’attention du bureau de renseignement], Kangura, n° 6, décembre 1990, p. 9, traduit dans
Kabanda, 2001, 18).
96
« Sinanga abatutsi, nanga umuco wabo wo gutinya kwitwa abatutsi » (« Éditorial. Si muraramo gusa ahubwo uwaturoze ntiyakarabye »
[Est-ce un sommeil normal ou est-on sous le coup d’un poison ?], Kangura, n° 12, mars 1991, p. 2, traduit dans Chrétien, 1995b [2002], 97).
90

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20

kinyarwanda ikirumirahabiri, un terme qui désigne une sorte de serpent fouisseur vivant sous terre et dont la
tête et la queue ne se distinguent pas du reste du corps : l’utilisation de ce vocabulaire fait écho au lexique
souvent utilisé pour qualifier les Tutsi – serpents (inzoka), cafard (inyenzi) – en recourant plus spécifiquement
ici à une image animale qui suggère l’ambiguïté et l’infiltration invisible et sournoise. Ainsi lisait-on dans
Kangura en décembre 1990 :
Efforcez-vous de connaître la raison pour laquelle il a préféré se cacher et la raison pour laquelle il a voulu être un
serpent à deux têtes 97.

Ailleurs, on utilisait, pour qualifier les Tutsi ayant « falsifié » leur « ethnie », l’expression « Hutu de nom »98,
formule qui soulignait l’inadéquation entre l’identité administrative et l’identité réelle, la seule valable. La
confiance dans l’État documentaire semblait donc, d’une certaine façon, ébranlée, tant les manœuvres des
Tutsi étaient importantes et efficaces pour se dissimuler. De la sorte, la menace sur la « sécurité » était
persistante, d’autant que les « faux Hutu » ayant indûment acquis une position sociale ou professionnelle
auraient utilisé cette position pour s’en prendre aux « vrais Hutu ». Ainsi cette accusation formulée à l’égard
d’un enseignant de la commune de Ngenda dans la préfecture de Kigali rural :
Il y a beaucoup de Tutsi qui ont changé d’ethnie sur leur carte d’identité et qui se font passer pour des Hutu. Cela pourra
être source d’insécurité dans les jours qui viennent. […]
Beaucoup d’enseignants qui ont changé d’ethnie font beaucoup de mal aux enfants hutu, allant jusqu’à voler leurs
vélos. Un exemple : tout le monde dans la commune vous racontera comment un dénommé Rudasingwa Jean-Baptiste
a volé le vélo d’un élève le 15 décembre 1990 99.

En mars 1991, le journal revint sur le cas d’un homme hutu originaire de la commune Kidaho en préfecture
de Ruhengeri qui épousa en 1974 une femme tutsi de la commune Mushubati en préfecture de Gitarama.
« Ce n’[était] pas une faute »100, précisait l’auteur de l’article, même si l’on retrouvait ici le vieux fantasme
des femmes tutsi épousant des hommes hutu. « Ce qui [était] une faute »101 en revanche, c’était le fait que
l’homme en question fit venir sa belle-famille à Kidaho et s’arrangea pour leur faire attribuer une nouvelle
identité « ethnique » hutu. Selon l’accusation, il aurait même été jusqu’à déstructurer les parentés en unissant
sa belle-mère à son propre père et en faisant de ses beaux-frères et belles-sœurs les enfants de ses propres
frères et sœurs.
Par exemple, un frère de [sa] femme du nom de Musominari, qui avait étudié à l’école d’assistants médicaux de Kigali
(EAM) et avait été renvoyé pendant les querelles de 1973102, […] est devenu le fils de Ngayabarezi. Ce Ngayabarezi
est le conseiller du secteur Rugarama 103.

Cet exemple est intéressant car il reprend de nombreux éléments sur les falsifications d’identité évoqués
jusqu’alors : le rôle des femmes, la propension à la traîtrise de certains Hutu, la corruption d’autorités
administratives locales, l’importance des généalogies qui, ainsi déconstruites, rendaient d’autant plus difficile
la réattribution des « ethnies » véritables…

« Mugakurikirana impamvu cyahisemo kwihisha, n’impamvu cyashatse kuba ikirumirahabiri » (« Kangura iratungira agatoki ibiro
bishinzwe iperereza » [Kangura attire l’attention du bureau de renseignement], Kangura, n° 6, décembre 1990, p. 9, traduit dans Kabanda,
2001, 18).
98
« abahutu ku izina » (« Ese guhindura ubwoko ku irangamuntu si ikosa ? » [N’est-ce pas une faute que de changer d’ethnie sur la carte
d’identité ?], Kangura, n° 12, mars 1991, p. 13, traduit dans Kabanda, 2001, 18).
99
« Hari abatutsi benshi bihinduje ubwoko mu ndangamuntu biyita abahutu. Ibyo bishobora kuzabangamira umutekano mu minsi iri imbere.
[…] / Hari abarimu b’abatutsi bihinduye abahutu, bagirira nabi abanyeshuri kugeza n’aho babibira amagare. Urugero : Muzabaze muri
Komini yose ibya Rudasingwa Jean Baptiste wibye igare ry’umunyeshuri ku itariki ya 15/12/1990 » (« Kangura izanyarukire muri Ngenda »
[Que Kangura aille voir ce qu’il se passe à Ngenda], Kangura, n° 14, avril 1991, p. 7, traduit dans Kabanda, 2001, 33).
100
« Si icyaha » (« Ese guhindura ubwoko ku irangamuntu si ikosa ? » [N’est-ce pas une faute que de changer d’ethnie sur la carte d’identité ?],
Kangura, n° 12, mars 1991, p. 13, traduit dans Kabanda, 2001, 32).
101
« Icyaha mbona ni iki » (Ibid.).
102
Référence aux troubles du printemps 1973 qui touchèrent les administrations publiques, les écoles secondaires et établissements
d’enseignement supérieur et certaines entreprises privées, avec pour objectif de faire déguerpir les élèves ou employés tutsi (Chrétien et
Kabanda, 2013, 154 ; Piton, 2018b, 50). Le terme « querelles » (mahane) utilisé ici est un euphémisme pour le moins impropre pour désigner
ce qui fut en réalité une chasse aux Tutsi.
103
« Nka musaza w’umugore wa [x] witwa Musominari wigeze kwiga mu ishuri ry’ubuvuzi i Kigali (EAM) akirukanwa mu mahane yo muri
1973 […] yagizwe mwene Ngayabarezi. Uyu Ngayabarezi ni Conseiller wa Segiteri Rugarama » (« Ese guhindura ubwoko ku irangamuntu si
ikosa ? » [N’est-ce pas une faute que de changer d’ethnie sur la carte d’identité ?], Kangura, n° 12, mars 1991, p. 14, traduit dans Kabanda,
2001, 32-33). Rugarama est un secteur (subdivision administrative) de la commune Kidaho.
97

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En décembre 1993, dans Ibyikigihe, un autre journal extrémiste, parut cette fois un article intitulé « Nous
venons de découvrir que Twagiramungu est tutsi ». Quelques mois plus tôt, en juillet, Faustin Twagiramungu,
l’un des cadres du parti d’opposition Mouvement démocratique républicain (MDR), avait été désigné pour
être le futur Premier ministre du gouvernement de transition à base élargie qui devait être mis en place dans
le cadre des accords de paix d’Arusha, finalement jamais appliqués. Cette désignation, de même que la
nomination d’Agathe Uwilingiyimana au poste de Première ministre dès le mois de juillet 1993, provoqua
une scission du MDR auquel tous deux appartenaient, entre la branche dite modérée et la branche dite
extrémiste. Twagiramungu (dont le positionnement était en réalité ambigu) et Uwilingiyimana furent exclus
du MDR et devinrent la cible des extrémistes, accusés d’avoir fait le jeu du FPR et des Tutsi. Cet article
d’Ibyikigihe de décembre 1993 s’inscrivait dans ce contexte. Se revendiquant d’une enquête administrative
fouillée – dont la validité est pour le moins sujette à caution – l’auteur affirmait que Twagiramungu avait
falsifié son « ethnie », faisant de lui « un loup habillé d’une peau de mouton », prompt dès lors à défendre
ses « acolytes » :
Lorsque les partis ont commencé à naître, on a dit que Twagiramungu est un Tutsi et qu’il collabore d’ailleurs avec le
FPR, mais les gens ont refusé de le croire. Plusieurs journaux et surtout ceux du MRND l’avaient écrit, mais c’est son
comportement actuel, en 1993, qui le trahit véritablement. Selon notre enquête, il n’y a aucun doute possible, Faustin
Twagiramungu est un Tutsi, de la souche des Tutsi. Nous avons interrogé des gens, nous avons consulté des registres
de la commune, en commençant par un rapport confidentiel envoyé par le préfet de Cyangugu, Monsieur André
Kagimbagabo, au ministre de l’Administration du territoire et du Développement communautaire. Lui-même se fondait
sur une solide enquête qu’il avait effectuée sur la famille de Faustin Twagiramungu. Ce rapport atteste que
Twagiramungu est indéniablement un Tutsi.
Les preuves sont très nombreuses. […] Twagiramungu est un loup habillé d’une peau de mouton. En commençant par
son appartenance ethnique, nous venons de découvrir qu’il a falsifié son identité. Comme le montre une fiche de
l’époque coloniale. Sur la fiche délivrée à son père Jean Gishungu le 11 novembre 1948, on a barré Mutwa, Muhutu et
on a laissé Mututsi, puis devant, avec une encre rouge, on a écrit : Oui, oui Muhutu. Qui a fait des ratures sur cette
fiche ? Ensuite Nicolas Bavugirije, fils de Jean Gishungu et frère de Faustin Twagiramungu, est tutsi sur la fiche
enregistrée le 22 juin 1953.
Comment peut-il se faire que deux frères de même père et de même mère soient de deux ethnies différentes ? Sur la
fiche d’un autre frère de Faustin Twagiramungu, Claver Nzabamwita, on a barré Mututsi, Mutwa et on a gardé Muhutu,
ensuite devant Muhutu on a marqué en correction : Oui Mututsi. Ce Nzabamwita habite dans le secteur de Kirambo,
région d’origine de Twagiramungu, on peut aller lui demander quelle est son ethnie. Il y a aussi son oncle, Mahugu : il
est le frère de sa mère, il est décédé, mais sa fiche du 20 octobre 1948 montre bien qu’il est tutsi. Il n’y a pas d’effet
sans cause. Lorsque Twagiramungu appuie les Tutsi et les Inkotanyi, on ne peut lui en vouloir, c’est pour défendre son
ethnie104.

Un autre article de mars 1992 enjoignait de « redonner à tous les Tutsi leur ethnie de tutsi parce que c’est un
des moyens qu’ils ont pour prendre la part revenant aux Hutu »105. La falsification d’« ethnie » aurait permis
aux Tutsi d’occuper les postes dus aux membres du « peuple majoritaire », et de continuer ainsi à exercer
insidieusement leur « domination féodale ». Aussi l’injonction que l’on vient de citer était-elle suivie d’une
autre exigence : « créer une commission chargée d’étudier la raison pour laquelle les Hutu se voient prendre
leur part qui leur revient dans les écoles »106. Ce discours sur la persistance de la domination tutsi revenait
régulièrement. En novembre 1991 par exemple :
Les Tutsi constituent 50 % des fonctionnaires de l’État, 70 % des entreprises privées, 90 % du personnel des
ambassades et des organisations internationales, et ils occupent partout des postes importants. Et pourtant cette ethnie
constitue 10 % de la population. Est-ce en refusant d’en parler qu’on favorisera la réconciliation, l’unité et la paix au
Rwanda ?
La richesse nationale, le commerce et l’industrie sont concentrés entre les mains des Tutsi qui utilisent souvent comme
couverture quelques hautes autorités civiles et militaires. C’est à eux que les banques accordent de substantiels crédits,

104

« Nous venons de découvrir que Twagiramungu est tutsi », Ibyikigihe, n° 13, décembre 1993, p. 3, traduit dans Kabanda, 2001, 39-40 (je
ne suis pas parvenu à retrouver la version originale en kinyarwanda).
105
« gusubiza abatutsi bose ubwoko bwabo bwa gitutsi kuko ari bimwe mu bituma baryamira abahutu » (« Éditorial », Kangura, n° 33, mars
1992, p. 2, traduit dans Chrétien, 1995b [2002], 233).
106
« gushyiraho komisiyo ikareba igituma abahutu baryamirwa mu mashuri » (Ibid.).

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c’est à eux que l’on réserve les marchés les plus intéressants, c’est à eux qu’on accorde d’importantes exonérations
fiscales, des licences d’importation et d’exportation, etc. 107

En juillet 1993 encore, cet article revenait sur les deux outils utilisés par les Tutsi, les femmes et la
falsification, qui leur auraient permis de contrôler l’État et les institutions, et de faciliter ainsi l’infiltration
du FPR :
Personne ne peut oublier comment les Tutsi ont falsifié leur identité de manière à prendre les postes réservés aux Hutu
dans le cadre de l’équilibre ethnique au niveau de l’exécutif, au parlement, au niveau du pouvoir judiciaire, des
ambassades et des grands fonctionnaires de l’État, etc. Entre-temps, les femmes tutsi se sont mariées aux Hutu tout en
faisant attention pour ne pas avoir des enfants avec eux, par ailleurs, les enfants issus de ce genre d’union sont les plus
engagés dans ce combat pour restaurer le pouvoir des Tutsi. C’est à cause de cette infiltration des Tutsi dans la société
que le pays n’a plus eu de secret et qu’ils l’ont envahi sans inquiétude 108.

Plus grave, cette situation serait le résultat des atermoiements et de la connivence d’Habyarimana et du
MRND qui, depuis sa création en 1975, se serait montré au mieux trop conciliant, au pire complice des
manœuvres des Tutsi :
Quand vint la deuxième république […] les Tutsi furent favorisés de façon manifeste. Si leur manque d’intelligence ne
les avait pas poussés à montrer leur cruauté en épuisant Habyarimana alors qu’il leur avait tout offert et en tuant ses
enfants. Il est en effet le père de tous les Rwandais qu’il a rassemblés dans le Mouvement 109. […]
Ils dominent l’éducation nationale, la justice est leur domaine réservé, dans l’administration et dans le commerce, dans
le secteur de la santé, il n’y a qu’eux ; les sociétés et dans les organisations internationales ayant leurs bureaux au
Rwanda ne recrutent que les fils de Ndahiro 110 ! Tout cela prouve que les Tutsi nous gouvernent encore et tout cela ils
l’ont acquis grâce à ces seize ans que nous venons de passer sous les auspices du MRND 111.

La faiblesse, voire la mollesse d’Habyarimana et de son gouvernement était un thème récurrent des médias
extrémistes112. Ainsi parlait-on par exemple de « la maladie d’endormissement dont [les] autorités [étaient]
affectées »113. Ailleurs, des accusations plus vives encore étaient portées à l’encontre des autorités de la
première et de la deuxième républiques, accusées d’avoir laissé faire, parfois contre rétribution :
Cela veut dire que les premières autorités issues du Parmehutu n’ont pas respecté la vérité car ils ont permis aux Tutsi
de changer d’ethnie alors que la vérité commande à chacun d’accepter son ethnie même si celle-ci n’est pas au pouvoir.
Ces autorités ont avalisé ce mensonge soit parce que les Tutsi leur avaient donné des vaches ou une fille en mariage.
[…] Sous la deuxième république, le mensonge est devenu comme une loi. […] Mais n’est-ce pas violer la loi que de
changer d’ethnie ? Mais combien ont été poursuivis et punis pour ce fait ? Est-ce qu’un État qui ne punit pas des gens
qui osent affirmer que le noir est blanc est lui-même dans la vérité ? […]

« Mu bakozi ba Leta 50 % bigizwe n’abatutsi, mu masosiyete n’ibigo byigenga barenga 70 % naho mu miryango mpuzamahanga no muri
za ambassade bakagera kuri 90 % kandi mu myanya ikomeye, nyamara ubwo ku baturage bose ubwo bwoko butarenze 10 %. Hanyuma se
gutwikira uko kuri, bakagupfukirana babishaka nibyo koko bizazana ubumwe n’amahoro bikabishimangira ? / Umutungo w’igihugu,
ubucuruzi n’inganda byose byagiye mu maboko y’abatutsi akenshi bakoresha udukingirizo tw’abategetsi n’abasirikare bakomeye. Nibo
bagurizwa akayabo k’inoti, bakabikirwa imishanga iryoshye, bagasonerwa imisoro, bagahabwa impushya zo gutumiza ibintu mu mahanga no
kubyoherezayo nta ngorane kuko banahambirirwa amadovize iryaguye n’ibindi n’ibindi » (Bonaparte Ndekezi, « Uwabaza generali impamvu
asumbakaza abatutsi » [Si on demandait au général la raison pour laquelle il a favorisé les Tutsi], Kangura, n° 24, novembre 1991, p. 3, traduit
dans Kabanda, 2001, 36).
108
« Ntawakwibagirwa ukuntu abatutsi benshi bahinduje ubwoko bityo bikaba byarabahesheje gufata imyanya y’abahutu mw’isaranganya
ry’amoko muri za ministeri, abadepite, ubucamanza, ambassade, mu bakozi bakuru b’igihugu n’ahandi… Ubwoko kandi ninako abatutsikazi
baboneyeho bishyingira ku bahutu ariko bakirinda kubyarana nabo ku buryo abo bana ari nabo bakaze cyane muri iyi ntambara barwanirira
abatutsi kugaruka ku butegetsi. Ukwo gucengera kwabo hose kandi nikwo kwatumye igihugu kitagira ibanga ku buryo bagiteye ntacyo bikopa
na busa » (Boniface Rucagu, « Depite Rucagu Yaratwandikiye. Tugerageza kumenya ubugome n’amayeri y’abatutsi » [Le député Rucagu
nous a écrit. Nous essayons de reconnaître la cruauté et les ruses des Tutsi], Kangura, n° 46, juillet 1993, p. 16, traduit dans Chrétien, 1995b
[2002], 159-160).
109
Désigne le parti MRND.
110
Mwami supposé d’après la généalogie dynastique.
111
« Aho Repubulika ya kabiri […] abatutsi baratoneshejwe cyane ku buryo bugaragara. Iyo batagira ubwenge bucye ngo bagaragaze
ubugome bwabo bananiza Habyarimana wabashyize igorora bakamuhekura bamwicira abana (dore ko abanyarwanda bose yari ababereye
umubyeyi, yarababumbiye muri Muvoma). […] / None ko bari biganje mu burezi, ubucamanza ari ubwabo, mu butegetsi bwite bwa Leta, mu
bucuruzi, wagera mu buvuzi ugasanga aribo gusa ; mu masosiyete no mu miryango duhuriyeho n’amahanga ikorera mu Rwanda ho
ntiwahakora utari mwene Ndahiro ! Ibi byose biragaragaza ko abatutsi bakidutegeka, ibyo bikaba byaraboroheye muri iyi myaka 16 twari
tumaze twibumbiye muri MRND » (Moustapha Baranyeretse, « Abatutsi baracyadutegeka n’ubwo nta Karinga bagifite » [Les Tutsi gouvernent
encore même s’ils n’ont plus Karinga], Kangura, n° 26, novembre 1991, p. 17, traduit dans Chrétien, 1995b [2002], 147).
112
Chrétien, 1995b [2002], 260-264.
113
« ndwara y’umuraramo abategetsi bacu barwaye » (« Ese guhindura ubwoko ku irangamuntu si ikosa ? » [N’est-ce pas une faute que de
changer d’ethnie sur la carte d’identité ?], Kangura, n° 12, mars 1991, p. 13, traduit dans Kabanda, 2001, 32).
107

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23

Toi Tutsi qui s’est fait Hutu, écoute-moi bien, ce n’est pas la peine de dissimuler ton ethnie, le pouvoir actuel adore les
Tutsi comme si ceux-ci lui avaient donné un poison !114

Ces pratiques auraient conduit à l’échec de la politique des quotas, pourtant présentée depuis des années
comme le principal instrument du « rattrapage » des inégalités et de la lutte contre la domination « féodocolonialiste » tutsi :
La politique de notre pays est fondée sur l’équilibre ethnique et régional dans les écoles. Pour moi, cette politique a du
bon. Ses détracteurs sont ceux qui se croient plus intelligents que les autres. C’est pour cela que les Tutsi la critiquent
beaucoup. […] À cause de la pratique de falsification de l’identité, la politique d’équilibre ethnique a échoué. J’attends
qu’on me contredise ! C’est pour cela que dans les écoles, les Tutsi (ceux qui ont conservé leur identité et ceux qui
l’ont modifiée) constituent aujourd’hui 80 % des effectifs. Mais qui s’en étonnera ? Ceux qui devraient mettre en
pratique cette politique sont eux-mêmes les Tutsi qui se sont faits passer pour des Hutu. Et pourtant, on entend les
Inkotanyi répéter partout que les Tutsi représentent 1 % des effectifs scolaires. C’est triste !115

Dans une rhétorique empruntant au motif du complot, ce discours revenait à considérer que la falsification
des identités « ethniques », parce qu’elle avait conduit à l’échec de la politique des quotas, risquait de
précipiter la république vers sa perte. Un réajustement était donc plus que jamais nécessaire :
En ces temps de la plus grande crise qu’ait connue la république rwandaise et qui est d’origine, en grande partie,
ethnique, il est plus que jamais évident qu’un réajustement des actions en matière d’équilibre ethnique s’avère
absolument indispensable. Depuis longtemps on a parlé, officieusement, de manipulation de la mention ethnique dans
les cartes d’identité et dans les documents administratifs comme tactique de s’emparer du plus grand morceau de telle
sorte qu’on pouvait constater deux frères nés d’un même père avec ethnies différentes. On a malheureusement fermé
les yeux et ça passa avec la plus grande indifférence et le meilleur calme possible. Les raisons restent inconnues de
l’opinion rwandaise qui a préféré garder silence et attendre la suite. […]
Il est fort probable que la minorité tutsi se soit emparée de places réservées à la majorité hutu accordées par le principe
d’équilibre et l’existence d’une force intellectuelle, politique, militaire et médiatique et d’un espoir de sa prise du
pouvoir se fonderaient sur le résultat de cette erreur grave et inexplicable. La maîtrise des données devrait requérir
l’attention et la prudence qui exigent une analyse et une décision politiques qui concernent tout un peuple 116.

OUTILS DE VERIDICTION ET INCERTITUDE DOCUMENTAIRE PENDANT LE GENOCIDE (AVRILJUILLET 1994)
En dépit de la présence de nombreux charniers et de multiples fosses communes dans le pays, peu d’enquêtes
médico-légales ont été menées au Rwanda après le génocide, sinon dans les premiers mois et premières
années après les massacres117. Ainsi, dans le cadre de l’Unité spéciale d’enquête mise en œuvre en octobre
1994 à l’initiative de la Commission des droits de l’homme de l’ONU118, deux médecins légistes espagnols
se rendent au Rwanda du 29 octobre au 10 novembre 1994 et visitent sept sites de massacres. Bien qu’ils ne
procèdent ni à l’exhumation des fosses, ni à des analyses médico-légales approfondies sur les cadavres, ils
établissent un rapport à partir de l’examen des lieux et des corps restés en surface.

« Abategetesi ba mbere ba Parmehutu nabo ntibakurikije ukuri, kuko bemereye abatutsi kwihutura – kandi ukuri kuvuga ko umuntu agomba
kwemera ubwoko bwe kabone n’iyo bwaba budafite ubutegetsi mu gihugu. Abo bategetsi bahaye intebe icyo kinyoma bitwaje ko bamwe muri
abo batutsi bari barabahaye inka, abandi batunze bashiki babo. […] Aho repubulika ya kabiri iziye, icyo kinyoma noneho cyahindutse
nk’itegeko […]. Ese guhindura ubwoko mu ndangamuntu si ukwica itegeko ryashyizweho n’abadepite ? Ni bangahe se babihaniwe ? Ese ubwo
Leta idahana abanyabinyoma nk’abo bemeza mu ruhame ko ikintu cy’umukara ari umweru, yo iri mu kuri ?[…] / Rwose mututsi wihutuye
nyumva neza wihisha ubwoko bwawe, kuko ubutegetsi buriho ubu bukunda abatutsi by’agahebuzo » (Jean-Baptiste Hategekimana, « Ukuri
niyo nkingi ya demokarasi » [La vérité est le fondement de la démocratie], Kangura, n° 14, avril 1991, p. 17, traduit dans Chrétien, 1995b
[2002], 102-103).
115
« Politiki y’Igihugu ishingiye ku iringaniza ry’amoko ndetse n’uturere mu mashuri. Njye mbona iyi politiki ari nziza. Abayirwanya ni abazi
ko ari abahanga kurusha abandi. Niyo mpamvu usanga abatutsi bayirwanya cyane. […] Kubera ihindura ry’amoko rero, abatutsi biyita
abahutu, politiki y’iringaniza yarapfuye. Ntegereje uzanyomoza ! Niyo mpamvu usanga hamwe na hamwe mu mashuri, abatutsi (abagumanye
ubwoko bwabo abahinduye) ari 80 %. Icyakora nta mugayo, kuko n’abakora iryo ringaniza ari abatutsi bigize abahutu. Nyamara ukumva
inkotanyi zivuga ngo abatutsi biga ni 1 %. Birababaje ! » (« Ese guhindura ubwoko ku irangamuntu si ikosa ? » [N’est-ce pas une faute que
de changer d’ethnie sur la carte d’identité ?], Kangura, n° 12, mars 1991, p. 13, traduit dans Kabanda, 2001, 32).
116
Gallican Mugabonake, « Quel bilan de la politique d’équilibre ethno-régional au Rwanda ? », Kangura, n° 12, mars 1991, p. 10 et p. 16 (en
français dans le texte).
117
Dumas, 2013, 30-43.
118
United Nations. High Commissioner for Human Rights. Human Rights Field Operation in Rwanda. Special Investigations Units, SIU. Final
Report on the Genocide Investigation, Kigali, 12 avril 1995 (Archives du TPIR, procès n° 98-41T, pièce à conviction n° P237).
114

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24

La carte d’identité, un instrument au service de la guerre et de l’extermination
Se rendant notamment dans la paroisse de Gikondo à Kigali, où de nombreux réfugiés tutsi ont été mis à mort
dès le 9 avril119, ils décrivent ainsi une petite chapelle :
À l’intérieur, on trouve des noircissures de fumée sur les murs et sur les sols qui ont été lavés. Sur la table en maçonnerie
qui servait d’autel on trouve : un ostensoir déformé par l’action du feu, un calice dans les mêmes conditions de même
que des documents dont les bords étaient brûlés, appartenant tous à des personnes d’ethnie tutsie120.

Cette description fait écho au récit de Brent Beardsley, adjoint du commandant de la Mission des Nations
unies d’assistance au Rwanda, qui est l’un des premiers à se rendre sur les lieux l’après-midi même, et évoque
le massacre de l’église de Gikondo dans un témoignage au Tribunal pénal international pour le Rwanda en
février 2004 :
Ce qu’ils [deux observateurs militaires et un prêtre polonais présents à la paroisse] nous ont dit, c’est que le 7 [avril],
ils avaient pris la décision de rester à la mission ; ils avaient dit que dans la matinée du 8, la zone avait été – comme on
dit – quadrillée, à savoir que les principales… les principaux accès étaient bloqués… c’était bloqué par l’armée
rwandaise ; ils ont dit que la gendarmerie… ils avaient observé le déplacement méthodique d’éléments de la
gendarmerie vers la zone de Gikondo, près de l’église, ils avaient une liste et ils regroupaient les gens qu’ils escortaient
dans l’église. Il y avait d’autres personnes qui, en fait, ont cherché refuge dans l’église. La seule chose qu’ils
partageaient en commun, c’était qu’ils étaient d’ethnie tutsie, ethnie qu’on pouvait voir sur la carte d’identité. Et une
fois que ces personnes étaient regroupées dans l’église – je parle de la gendarmerie –, donc les gens ont commencé à
crier et à pleurer, et les observateurs et le prêtre ont décidé de traverser l’enceinte pour aller vers l’église pour voir ce
qui s’y passait.

Lorsqu’ils sont arrivés, la gendarmerie les a saisis, les a menacés en mettant leurs pistolets sous la gorge. Les gendarmes ont retiré les cartes d’identité des adultes et ils essayaient de les comparer par rapport à la liste des noms qu’ils avaient sur eux. Et, ensuite, un nombre important de personnes qu’ils avaient identifiées comme étant des interahamwe, des miliciens, sont entrés dans l’église, ont pris des machettes et des gourdins. Ils ont commencé à tuer les hommes, les femmes et les enfants qui étaient à l’intérieur de cette mission. Cela a duré des heures et des heures et, pendant ce temps, on tenait à distance les militaires… le prêtre et les observateurs ; on les obligeait à ouvrir… à garder les yeux ouverts pour regarder les femmes enceintes se faire éventrer, les fœtus sortis 121.

Pendant le génocide, les cartes d’identité sont un instrument extrêmement utile aux tueurs, pour identifier les
cibles et déterminer qui assassiner. Ainsi qu’en rend compte Brent Beardsley, il s’agit d’une part de repérer
les Tutsi par la mention sur leurs papiers, d’autre part de vérifier les noms de celles et ceux qui, dans le cas
des opposants politiques et des personnalités hostiles à la logique génocidaire qu’elles soient tutsi ou hutu,
figurent sur les listes de personnalités à tuer122.
Dès le début de la guerre, en 1990, et plus encore pendant les massacres, les barrières sont à la fois un lieu
de rassemblement et de convivialité des tueurs et un outil de quadrillage du territoire et de contrôle des
populations, où l’on vérifie les identités et où sont tués de très nombreux Tutsi123. En ville comme à la
campagne, installées sur les routes asphaltées comme sur les chemins de terre, ces barrières, mobiles,
matérialisées parfois par de simples pierres ou branches d’arbre, forment un réseau serré, séparées souvent
de quelques centaines de mètres tout au plus. Elles ne sont pas un lieu d’anomie, signe qu’il n’y a pas d’État
failli pendant le génocide. D’ailleurs à tous les niveaux, les acteurs étatiques organisent les barrières et tentent
de contrôler leur fonctionnement et leur action. À Kigali par exemple, le préfet Tharcisse Renzaho intervient
sur Radio Rwanda le 6 mai et rappelle la nécessité de veiller au bon recrutement des membres des barrières
afin que ne soient pas tuées des personnes qui ne devraient pas l’être (ce qui signifie en creux que certains
doivent bien être éliminés) :

119

Piton, 2018a.
Jose Maria Abenza Rojo et Emilio Perez Pujol, Mision en Ruanda : informe medico-forense, version française, Madrid, 22 novembre 1994,
p. 5 (c’est moi qui souligne) (Archives du TPIR, procès n° 01-74T, pièce à conviction n° P30).

121
Tribunal pénal international pour le Rwanda, Chambre de première instance I, Affaire n° ICTR-98-41-T : le procureur c. Théoneste
Bagosora, Gratien Kabiligi, Aloys Ntabakuze & Anatole Nsengiyumva, audience du mardi 3 février 2004, transcription caviardée, p. 42 (c’est
moi qui souligne).

122
Sur la confection et l’utilisation de listes avant et pendant le génocide, voir par exemple : Tribunal pénal international pour le Rwanda,
Chambre de première instance I, Affaire n° ICTR-98-41-T : le procureur c. Théoneste Bagosora, Gratien Kabiligi, Aloys Ntabakuze & Anatole
Nsengiyumva, jugement portant condamnation, 18 décembre 2008, p. 122-157.
123
Dumas, 2014, 53-56 ; Viret, 2011, 398-399.
120

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25

Je demande que les gens que nous avons choisis soient déployés sur les barrières. Ceux-ci doivent être des gens instruits,
raisonnables et capables de résoudre les problèmes. Ces barrières s’occuperont du tri et communiqueront aux forces de
l’ordre toute anomalie constatée concernant les infiltrés qui viennent pour des raisons obscures et inconnues. […]
Rappelons que ces barrières doivent être contrôlées par des gens bien connus, habitant un même quartier et se
connaissant mutuellement. Ceci parce qu’il nous a été rapporté qu’il y a des gens qui viennent aux barrières […]
demander les noms de ceux qui sont responsables des barrières. Alors lorsqu’un paysan peu vigilant dénonce les
responsables des barrières on les rafle et on les tue. Vous comprenez que ceux qui font pareille chose ne veulent pas
que les citoyens vivent en paix. Ce sont des terroristes qui se camouflent pour continuer à commettre leur forfait. […]
Après analyse, nous avons constaté que les auteurs de ces forfaits étaient des gens déguisés qui venaient aux barrières,
demandaient des questions sans fondement, rassemblaient les gens, les tuaient et s’en allaient. Ces barrières doivent
donc être contrôlées 124.

L’absence d’anomie sur les barrières se lit d’abord dans le contrôle que les autorités tentent d’instituer sur la
distribution des armes à feu. Tharcisse Renzaho ajoute ainsi :
De plus, les gens qui sont sur les barrières ne devraient pas s’approprier les outils que nous leur avons donnés car ils
appartiennent aux citoyens. En réalité, l’État ne distribue pas d’équipement à un individu. L’État assure une sécurité
collective et non individuelle. Cela veut dire donc que ces outils ont été distribués à certaines personnes pour le bien
de la population. Et c’est cette population qui a proposé les personnes de confiance qui devaient recevoir ces outils.
Ces personnes doivent donc servir la population en la protégeant et en protégeant leurs quartiers. Il faut que les gens le
comprennent comme ça. […] Sera puni de façon exemplaire celui qui sera poursuivi pour s’être approprié l’outil de
l’État et donc appartenant à la population. […] Les utilisateurs de cet outil doivent être plutôt nombreux pour ne pas
créer de problèmes de rotation. Les rotations au travail doivent se faire selon les heures convenues par les participants.
Celui qui travaille pendant deux ou trois heures se repose et donne l’outil à son remplaçant pour trois ou quatre heures
aussi, et ainsi de suite. Il faut beaucoup de gens qui savent manier cet instrument. Dans les quartiers où cela n’a pas
encore été fait suffisamment, je demanderais qu’on fasse un recrutement rapide de gens capables parmi les habitants.
On peut trouver des gens capables de pouvoir entraîner les autres rapidement pour accroître le nombre 125.

À plusieurs reprises pendant les trois mois du génocide, des instructions sont données à propos des documents
d’identification qui doivent être contrôlés aux barrières : la « bureaucraties des papiers » est mise au service
de l’entreprise génocidaire orchestrée par le gouvernement intérimaire, l’armée et leurs relais locaux. Le 10
mai, toujours sur Radio Rwanda, le même Tharcisse Renzaho liste ainsi les « pièces requises à la barrière […
et] qui sont prévues par la loi » : carte d’identité, laissez-passer fourni par les autorités préfectorales ou
communales dès lors qu’un individu (ou un véhicule) se déplace en dehors de sa préfecture ou commune de
résidence, permis de résidence pour les séjours en ville, passeport pour les étrangers, ordre de mission pour
les agents de l’État126… Il rappelle une nouvelle fois ces règles un peu plus d’un mois plus tard, le 18 juin,
ajoutant qu’il n’est pas nécessairement utile de demander tous ces papiers à chacun. Ainsi, dans le cas d’un
fonctionnaire de l’État muni d’un ordre de mission peut-on se contenter de ce seul document, dans la mesure
où pour obtenir ledit ordre de mission, le fonctionnaire a déjà dû fournir des documents d’identification qu’il
serait donc inutile de vérifier à nouveau, au risque « d’agresser les passants, et leur rendre la vie difficile »127.
La précision est intéressante car elle montre qu’y compris en plein génocide, on continue à faire confiance
aux institutions et à l’État. Bien plus, c’est précisément cette confiance dans les institutions et dans l’État qui,
à certains égards, rend le génocide possible.
Autour du 19 mai, des instructions similaires à celles de Tharcisse Renzaho sont transmises par le préfet de
Gitarama, Fidèle Uwizeye, aux bourgmestres de son ressort. Les individus à pied doivent pouvoir exhiber
leur carte d’identité et un laissez-passer fourni par leur commune d’origine, tandis que ceux en voiture doivent
être dotés de leur carte d’identité, d’un laissez-passer mentionnant les noms de tous les occupants et de la
carte rose du véhicule avec le nom du propriétaire. Quant aux militaires, afin de repérer les éventuels
déserteurs, il leur faut fournir une carte de service délivrée par le commandant de leur camp de
rattachement128. Le 20 mai, le sous-préfet de Kigali rural, François Karera, se fait encore plus précis à propos
des militaires :

124

Radio Rwanda, 6 mai 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° DNZ87, p. 2 en français).
Radio Rwanda, 6 mai 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° DNZ87, p. 2-3 en français).
126
Radio Rwanda, 10 mai 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° DNZ88, p. 20 sqq. en français).
127
Radio Rwanda, 18 juin 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° DNZ782, p. 3-4 en français).
128
Radio Rwanda, 19 mai 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° DNZ316, p. 10 en français).
125

Sociétés politiques comparées, 48, mai/août 2019
26

Nous avons aussi demandé aux militaires pris à bord de ces véhicules de présenter spontanément leurs papiers de
permission.
Je leur ai dit que seule la permission de se rendre à un enterrement est valable, qu’il ne suffit donc pas de déclarer qu’on
quitte le bataillon pour rejoindre un tel autre. Si un militaire rejoint un autre bataillon commandé par d’autres dans cette
région, par exemple s’il se rend de la zone des opérations militaires de Rulindo en provenance de celle des OPS PVK129,
il doit avoir une autorisation écrite 130.

Le 14 mai, les participants au conseil préfectoral de Butare, préfecture du Sud dont le front se rapproche
progressivement et qui est confrontée à un afflux de déplacés fuyant l’avancée du FPR à l’est et au nord,
rappellent les règles auxquelles il faut s’astreindre pour contrôler l’identité des personnes et vérifier qu’aucun
« ennemi » n’en profite pour passer la ligne de front et infiltrer la zone encore sous contrôle gouvernemental :
Ceux qui fuient doivent s’arrêter à une distance d’entre 10 et 20 mètres du barrage routier. Ceux qui contrôlent les
pièces d’identité doivent appeler 5 à 10 personnes pour vérifier leurs cartes d’identité et faire le contrôle de tous les
objets qu’ils emportent dans leur fuite. Ils ne doivent pas avoir honte de fouiller dans les habits qu’ils portent car c’est
là que les malfaiteurs cachent des munitions ainsi que d’autre matériel militaire 131.

Autant pour éviter l’infiltration supposée des soldats du FPR que pour empêcher la fuite des Tutsi, le contrôle
des mobilités est prioritaire ; aussi les papiers des véhicules, et plus généralement leur circulation, sont
également soumis à une législation stricte, ainsi que ceux des individus. En témoignent les décisions prises
mi-mai au conseil préfectoral de Butare :
Tout véhicule, se déplaçant d’une commune vers une autre, doit toujours avoir un laissez-passer délivré par le
bourgmestre de la commune d’où vient ce véhicule. Toute personne qui se déplace d’une préfecture à l’autre doit être
porteur d’un laissez-passer délivré par le préfet. Aucun véhicule, sans numéro d’immatriculation, ne doit entrer en
circulation. Aucune motocyclette ne doit circuler en ville. Les bourgmestres doivent voir si la circulation des
motocycles est nécessaire et leur accorder des laissez-passer132.

La seule lecture des transcriptions de Radio Rwanda pourrait toutefois laisser croire que le contrôle des
papiers et des documents d’identification opère dans un cadre guerrier, et que ce ne sont pas les Tutsi en tant
que tels mais les membres supposés du FPR qui sont la cible de contrôles. Le 1er juin, plusieurs membres
d’une barrière de Kigali, dans le quartier de Cyahafi, sont interrogés, alors que la capitale fait l’objet de
violents affrontements entre les forces gouvernementales et les soldats du FPR qui ont pris l’aéroport et le
quartier stratégique de Kanombe une dizaine de jours plus tôt. Un certain Moussa Butera déclare par
exemple :
La seule personne qui peut être agressée est celle qui prétend qu’elle n’a pas de pièces requises mais dont on découvre
après la fouille, après qu’elle ait ôté ses habits, qu’elle les a plutôt cachées dans les sous-vêtements. C’est celle-là qui
peut avoir des ennuis. S’agissant de quelqu’un qui les a manifestement perdues, nous le remettons aux autorités du
secteur qui examinent son cas, et quand elles constatent qu’il les a réellement perdues, elles lui délivrent une attestation
certifiant qu’il s’agit d’une personne en fuite en provenance de Kanombe 133.

Le contrôle des papiers d’identification comme simple outil dans le cadre de la guerre contre le FPR ?
L’analyse est un peu courte, d’autant que d’autres interventions dans ce même reportage sur Radio Rwanda
le 1er juin soulignent que les meurtres aux barrières – par ailleurs assumés publiquement – sont justifiés par
des indices fort ténus qui pourraient « révéler » tout aussi bien des réfugiés tutsi fuyant les massacres que des
soldats du FPR infiltrés. Ainsi cette anecdote d’un certain Félicien Munyezamu, dont le vocabulaire est
davantage imprégné par l’idéologie anti-Tutsi (en témoigne, par exemple, l’utilisation du qualificatif inyenzi)
que par une rhétorique strictement guerrière :
Nous avons posté les gens aux barrages routiers afin de procéder au contrôle. Nous laissions partir ceux qui avaient les
pièces requises. Quant à ceux qui n’en avaient pas, nous faisions attention et nous nous assurions qu’ils les avaient
réellement perdues. Nous n’avons arrêté personne à part deux inyenzi qui n’avaient aucune pièce où figurait la mention
« Rwanda ». Ils prétendaient qu’ils les avaient perdues, mais la preuve qu’ils étaient des inyenzi, c’est que chacun
portait quatre pantalons, trois chemises et un manteau et il était clair que ça faisait longtemps qu’ils ne se lavaient pas.
Désigne la zone d’opérations militaires de la préfecture de Kigali ville.
Radio Rwanda, 20 mai 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° P439, p. 2 en français).
131
Radio Rwanda, 16 mai 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° P248, p. 30 en français).
132
Radio Rwanda, 16 mai 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° P248, p. 29 en français).
133
Radio Rwanda, 1er juin 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° P252, p. 26 en français).
129
130

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27

Quand on leur a demandé la commune ou le secteur de leur provenance, ils n’en connaissaient pas, ils ont bredouillé et
répondu qu’ils se sont installés d’abord à de tel ou tel endroit, qu’ils fuyaient. Nous leur avons demandé ce qu’ils
fuyaient, ce qu’ils avaient fait. Nous avons alors fait notre travail parce que nous n’avions pas d’autre choix 134 !

Les choses sont parfois plus explicites encore sur les ondes de la RTLM, comme dans cette intervention le
28 mai 1994 de Séverin Sezibera, un membre des impuzamugambi, la milice du parti extrémiste Coalition
pour la défense de la république :
Celui qui n’a pas de pièces d’identité peut être retenu à la barrière ou y laisser sa vie. Mais en réalité ce contrôle est
nécessaire et chacun doit se munir des pièces d’identité pour prouver qu’il est réellement rwandais et descendant de
Sebahinzi, qu’il n’est ni ennemi, ni complice, ni un Inkotanyi.

La référence à la chanson de Simon Bikindi Bene Sebahinzi (« les fils du père des cultivateurs », le terme
« cultivateur » désignant implicitement les Hutu), de même que les termes utilisés, renvoient clairement à
l’idéologie anti-Tutsi. En expliquant que la vérification des papiers permet d’authentifier l’appartenance à la
nation rwandaise et aux « descendants de Sebahinzi », il s’agit bien de suggérer que les Tutsi, eux, ne font
pas partie de cette nation et doivent donc être mis à mort aux barrières, parce qu’« ennemis » et « complices »
du FPR.
Plus généralement, nombre de témoignages de rescapés soulignent combien le contrôle des cartes d’identité
est bien un puissant outil de véridiction pour identifier les cibles tutsi du génocide. Celles et ceux qui, bien
que tutsi, avaient pu obtenir dans les années précédentes une carte d’identité hutu y voient souvent la cause
de leur survie. Ainsi cette femme qui avait réussi à se procurer une carte d’identité hutu en 1979 et qui,
conduite à quatre reprises au bord d’une fosse, n’y est pas jetée après qu’elle a montré ses papiers135. Ou
encore cet employé d’hôtel de Butare, qui avait falsifié ses papiers avant le début des massacres en profitant
de ce que les autorités avaient par erreur légèrement raturé la mention « Tutsi » sur sa carte d’identité, rature
qu’il avait ensuite lui-même accentuée de sorte que la rature initiale sur le mot « Hutu », elle-même légère,
paraissait désormais moins visible. L’homme ajoute toutefois que le stratagème n’a pu fonctionner que parce
qu’il n’était pas originaire de Butare et que personne ne le connaissait : en retournant dans sa commune
d’origine, sans doute aurait-il été démasqué136. Ce court récit constitue un premier indice de ce que les cartes
d’identités, quoiqu’outil important de véridiction, ne sont pas nécessairement complètement fiables, et
qu’elles sont redoublées par d’autres instruments permettant d’identifier les cibles du génocide.
Incertitude et insécurité documentaires
La liste, énumérée par le préfet de Kigali Tharcisse Renzaho et citée plus haut, des documents exigés aux
barrières atteste que la carte d’identité apparait bien vite comme un outil insuffisant et incertain de véridiction.
Dès le 15 avril, le conseil préfectoral de Ruhengeri, une préfecture proche du front où les massacres de Tutsi
ont eu lieu dès les premiers jours du génocide et sont d’ores et déjà quasiment achevés, estime que le contrôle
des cartes d’identité aux barrages ne suffit pas, « étant donné que l’ennemi en [a] volé quelques-unes », et
demande au gouvernement « d’examiner les voies et moyens de restaurer l’usage de laissez-passer pour les
déplacements »137, une décision effectivement mise en vigueur dans les semaines suivantes.
À partir du mois de mai, alors que l’essentiel des grands massacres a déjà eu lieu138 et à mesure que le FPR
gagne du terrain sur les forces gouvernementales, les craintes d’une infiltration « ennemie » sont décuplées.
En dehors de quelques poches de résistance, par exemple à Bisesero, et des lieux de refuge sous la menace
permanente des milices et de l’armée, comme à Kabgayi ou au bureau préfectoral de Butare, la plupart des
Tutsi encore en vie sont isolés. Ce n’est donc sans doute pas un hasard si c’est à ce moment-là que se
134

Radio Rwanda, 1er juin 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° P252, p. 30 en français).
Tribunal pénal international pour le Rwanda, Chambre de première instance I, Affaire n° ICTR-99-52-T : le procureur c. Ferdinand
Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngenze, jugement et sentence, 3 décembre 2003, p. 38.
136
Tribunal pénal international pour le Rwanda, Chambre de première instance II, Affaire n° ICTR-98-42-T : le procureur c. Pauline
Nyiramasuhuko, Arsène Shalom Ntahobari, Sylvain Nsabimana, Alphonse Nteziryayo, Joseph Kanyabashi et Élie Ndayambaje, jugement
portant condamnation, 24 juin 2011, p. 675-676, 1206-1207.
137
Radio Rwanda, 15 avril 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-42T, pièce à conviction n° P239, p. 28 en français).
138
Verwimp, 2004.
135

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28

multiplient les rumeurs sur les stratagèmes mis en œuvre par les soldats du FPR, et avec eux de tous les Tutsi.
Sur Radio Rwanda comme sur la RTLM, on rappelle à l’envi l’habilité des Inkotanyi et de leurs « complices »
à ruser, à mentir et à se déguiser pour envahir et submerger le pays et le peuple hutu. Ainsi le 15 mai, un
certain Eugène Uwimana déclare sur Radio Rwanda :
Les jeunes qui ont rejoint les Inkotanyi sont venus d’un peu partout et savent très bien comment s’infiltrer dans la ville
ou ailleurs. Ils étaient des boys ou des enfants de rue et ils sont malins. Je voudrais que les responsables [de la sécurité]
prêtent une attention particulière sur ce point 139.

Le lendemain, sur la même antenne, le journaliste Hyacinthe Bicamumpaka lit un communiqué du ministère
de la Défense évoquant les « stratagèmes de déguisement [de l’ennemi] pour vous prendre au dépourvu »,
notamment le port des tenues des miliciens interahamwe ou des militaires des Forces armées rwandaises. Par
conséquent, « même ceux qui portent des tenues militaires doivent […] montrer leurs pièces d’identité ainsi
que leurs laissez-passer »140. Ailleurs, « l’ennemi » se camouflerait en se mêlant aux civils fuyant les
combats, dissimulant armes et documents au milieu de sacs et de matelas141, ou en arborant l’uniforme de la
Croix rouge142. Plus classiquement encore, lorsqu’il doit transporter du matériel impossible à cacher,
« l’ennemi » passerait par les marais ou les talwegs entre les collines, « des itinéraires que ne peuvent
emprunter des gens normaux »143. Une fois infiltré, il utiliserait de multiples subterfuges pour cacher le
matériel en vue des combats à venir :
Les Inkotanyi utilisent plusieurs stratégies pour cacher leur matériel. Ils cachent les documents et le matériel de guerre
de petit calibre, comme des grenades, dans des tranchées qu’ils couvrent de terre et y déposent des pots de fleurs. Quant
aux armes à feu de gros calibre, ils les cachent dans des cimetières et inscrivent sur les croix fixées sur les tombes, des
noms que seuls les Inkotanyi connaissent. D’ailleurs, il ressort des documents saisis sur les Inkotanyi capturés que
chaque Inkotanyi ou son complice a un nom de code donné par le Front144.

Dans un contexte de guerre insurrectionnelle, il est vrai que ces techniques pouvaient paraître plausibles.
Néanmoins, sans doute peut-on aussi voir dans ces accusations une nouvelle déclinaison d’un attribut depuis
longtemps associé aux Tutsi : leur propension au mensonge, leur capacité à manipuler leurs interlocuteurs,
et leur fourberie consistant à user de moyens contournés et cachés pour parvenir à leurs fins. « Vous savez
que c’est comme ça que le FPR procède. Il agit par des subterfuges que vous ignorez et à la manière de Satan
que vous connaissez », affirme Tharcisse Renzaho le 6 mai145, puisant au registre de la fourberie et de la
démonologie souvent associé aux Tutsi146. La « vigilance » de ceux qui gardent les barrières, et plus
généralement de l’ensemble des « citoyens » doit donc être renforcée :
J’en appelle aux gens qui tiennent les barrières de continuer à demander des pièces d’identité mais sans oublier aussi
de fouiller les passants pour vérifier s’ils portent sur eux un talkie-walkie. Il s’agit de petits postes de radio permettant,
par exemple, de communiquer avec quelqu’un qui se trouve à une distance d’un kilomètre. Vérifiez si ces personnes
sont munies de cet outil qui est aussi une arme en soi ! Le talkie-walkie est une arme de poche également redoutable.
Vérifiez aussi si ces personnes n’ont pas de pistolets. Il paraîtrait qu’ils transportent même des armes à feu démontables
dans des sacs. Vérifiez donc s’ils ont ces armes à feu. Il faut également vérifier s’ils ont des pièces d’identité ou s’ils
cachent autre chose. Je vous le répète, les Inkotanyi ont fait du déguisement leur arme de destruction massive mais nous
les vaincrons 147.

Parmi les stratagèmes et les techniques de « déguisement » évoqués à la radio, plusieurs concernent les
papiers et documents d’identification. Les rumeurs les plus fréquentes semblent concerner les cartes
d’identité, qui s’avèrent des outils incertains pour identifier « l’ennemi ». Le 20 mai par exemple, le souspréfet de Kigali rural François Karera explique que les cartes délivrées après la reprise de la guerre, le 6 avril
1994, ne sont pas reconnues, et que les laissez-passer délivrés aux déplacés fuyant les combats sont également

139

Radio Rwanda, 15 mai 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-42T, pièce à conviction n° P171, p. 27 en français).
Radio Rwanda, 16 mai 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° P248, p. 27 en français).
141
Radio Rwanda, 16 mai 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° P248, p. 28 en français).
142
Radio Rwanda, 17 mai 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° P249, p. 9 en français).
143
Radio Rwanda, 16 mai 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° P248, p. 28 en français).
144
Ibid.
145
Radio Rwanda, 6 mai 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° DNZ87, p. 4 en français).
146
N’Diaye, 2017.
147
Radio Rwanda, 17 mai 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° P249, p. 9 en français).
140

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sujets à caution. La signature du bourgmestre et le cachet de la commune de délivrance apparaissent comme
des moyens de vérifier a minima qu’il ne s’agit pas de documents falsifiés :
Concernant les cartes d’identité, je leur ai rappelé que les cartes d’identité délivrées actuellement ne sont pas reconnues.
Ils doivent faire attention aux cartes d’identité délivrées après l’assassinat du chef de l’État le 6, que ce soit celles
délivrées dans toutes les préfectures pour permettre aux gens de passer par cette ville, que ce soit celles délivrées ici en
ville de Kigali où il y a des combats ; l’octroi des cartes d’identité a été suspendu. Mais nous avons plutôt découvert
celles dont les porteurs ont imité les signatures des bourgmestres fantômes. J’en ai même vu une délivrée à Kicukiro 148.
J’en appelle encore une fois aux gens qui tiennent les barrières de vérifier leur date d’octroi. Si la carte a été délivrée
après le 6, qu’on demande au détenteur celui qui la lui a délivrée, le nom du bourgmestre, le nom du conseiller, et celui
de sa cellule de résidence. S’il répond bien à toutes ces questions, qu’on le laisse partir. […]
[Certains bourgmestres] ont délivré des attestations dans leur lieu de refuge. Mais il faut faire attention à ces attestations.
Une attestation doit porter la signature du bourgmestre et le cachet communal. Un bourgmestre qui ne dispose pas de
cachet de sa commune utilise celui de la préfecture de Kigali et c’est moi-même qui l’appose sur les attestations.
Cependant les dites attestations doivent porter les signatures du bourgmestre car ce sont eux qui connaissent leurs
administrés. Je rappelle encore une fois que les attestations valables sont celles délivrées par l’administration 149.

On explique également que le FPR aurait, au cours de son avancée sur le territoire rwandais, volé des cartes
d’identité vierges et des cachets communaux, utilisés pour fabriquer de fausses cartes 150. Si l’accusation cible
ici les soldats du FPR et non les Tutsi « de l’intérieur » en tant que tels, elle s’inscrit néanmoins dans la
continuité des accusations de falsifications et d’infiltration depuis les années 1970.
Mi-juin, le préfet de la ville de Kigali Tharcisse Renzaho fait état d’une autre rumeur selon laquelle les
« inyenzi » tentant d’infiltrer les lignes des forces gouvernementales utiliseraient des cartes d’identité avec
un signe distinctif leur permettant de se reconnaître au moment de retourner en zone FPR. Son discours est
intéressant car il rend compte à la fois de l’incertitude documentaire et du risque encouru par quiconque
porterait une carte mentionnant « l’ethnie » tutsi :
Je voudrais informer les membres de la population qu’il y a une nouvelle méthode dont les inyenzi usent pour se
camoufler. Ils envoient des espions dans les zones qu’ils ne contrôlent pas. Ils utilisent souvent des Hutu ou d’autres
personnes munies d’une carte d’identité portant la mention ethnique hutu car ils savent que des personnes étiquetées
comme telles ne rencontrent pas des problèmes lors des contrôles. Pour que ces espions ne rencontrent pas des
difficultés à leur retour de mission, ils ont convenu d’un signe qui nous a été révélé par un de leurs espions que nous
avons capturé. Il nous a indiqué qu’à l’aide de ciseaux, ils font une petite marque en forme de « V » sur les bords
supérieur et inférieur de la carte d’identité. Pour éviter que la carte ne se déchire autour de la marque en forme de « V »,
ils l’entourent d’un papier collant en plastique. Quand la personne atteint leur zone et qu’elle présente la carte portant
ces deux marques en « V », ils savent que cette personne est un des leurs, car c’est un signe convenu entre eux. Ils ont
peut-être d’autres signes, mais en ce qui concerne les cartes d’identité, c’est celui-là que nous avons découvert.
Je voudrais donc demander aux membres de la population qui se trouvent aux barrages routiers ou à toute personne qui
fait le contrôle aux barrages routiers, de faire très attention pour voir si les cartes d’identité ne portent pas ces petites
marques. Si celles-ci sont découvertes, le détenteur de cette carte d’identité doit être pris comme suspect et mis à l’écart
pour interrogatoire afin de recueillir des informations à son sujet, car sa situation n’est pas normale. Il est évident que
l’on ne peut pas se baser sur cela pour lui faire du mal tout de suite, mais c’est à partir de ce fait qu’il faut lui poser
beaucoup de questions sur son identité, sur sa destination, etc. Nous savons que les inyenzi utilisent actuellement cette
marque pour identifier leurs espions qu’ils envoient en mission de reconnaissance. Il faut que les membres de la
population en soient informés151.

La carte d’identité « ethnique », conçue initialement comme un outil garant de la « sécurité » et de la
préservation de la nation hutu, se retournerait donc contre les Hutu, en raison des manœuvres des « inyenzi »
eux-mêmes. Ainsi cette autre accusation relayée cette fois par Hassan Ngeze, rédacteur en chef de Kangura
dès sa création en mai 1990 et idéologue patenté de l’extrémisme hutu. Le 12 juin sur Radio Rwanda, il
affirme que dans ses zones conquises, le FPR inscrirait la mention « RPF » ou « FPR » sur le verso des
photographies des cartes d’identité des habitants, leur faisant courir le risque en cas de fuite d’être pris pour
des « complices » et d’être ainsi tués par ceux-là mêmes qui lutteraient contre le Front :

148

Kicukiro est une commune de la préfecture de Kigali ville dont le bourgmestre, hostile au génocide, a été écarté en avril.
Radio Rwanda, 20 mai 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° P439, p. 4-5 en français).
150
Radio Rwanda, 6 mai 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° DNZ87, p. 4 en français) ; Radio Rwanda, 2 juin
1994 (Archives du TPIR, procès n° 99-50T, pièce à conviction n° 3D133, p. 10-11 en français).
151
Radio Rwanda, 18 juin 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° DK38, p. 28-29).
149

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Nous devons comprendre que tous ceux-là sont des pièges du FPR qui nous poussent à tuer ceux qu’il n’a pas pu tuer.
[…]
Ce qu’ils visent en fait c’est que tu ne les quittes pas, que tu restes captif dans leur région. Tu comprends que tu ne
peux pas rester du côté du FPR alors que tu ne le soutiens pas, alors que tu le combats […].
Tu comprends ensuite que tu ne peux pas prendre cette carte et la déchirer. Si tu la déchires tu n’auras pas les moyens
d’atteindre le côté que nous occupons. […]
Même si tu nous rejoins, nous la trouvons comme ça et nous te tuons – et cela se passe pour des Hutu de Ruhengeri et
de Byumba, dans ces régions occupées par les Inkotanyi. Et tu trouves que c’est un piège qui nous est tendu par le FPR
pour que nous continuions à tuer les gens 152.

Mi-mai, sur la RTLM, on explique également que dans les régions de l’Est désormais sous le contrôle du
FPR, les « inyenzi » sélectionnent pour les exécuter non seulement les intellectuels et les membres des
interahamwe, mais également tout Hutu, se basant pour se faire sur… les cartes d’identité153. Depuis 1994,
la rhétorique révisionniste s’appuie sur cette idée selon laquelle les massacres de Tutsi auraient été redoublés
par des massacres tout aussi systématiques des Hutu par le FPR 154. Or, ce discours vicié sur un prétendu
double génocide est dans la droite ligne de ce qu’on lisait et entendait dans les médias extrémistes dès avant
le génocide des Tutsi, la thèse des exterminations en miroir faisant feu de tout bois pour expliquer, en somme,
que les assassinats de Tutsi seraient au pire une réaction à des massacres plus horribles et plus systématiques
de Hutu. En vertu d’un discours fondé tout entier sur l’inversion, la carte d’identité utilisée sur les barrières
par les tueurs hutu est ici présentée comme un outil utilisé cette fois pour procéder à une prétendue
extermination des Hutu.
L’incertitude documentaire est alors redoublée par une insécurité documentaire. François Karera, le souspréfet de Kigali rural, rappelle le 20 mai que les cartes des partis et des milices interahamwe et
impuzamugambi ne sauraient constituer des outils fiables de véridiction, d’une part parce qu’elles ont pu être
falsifiées, d’autre part parce que quiconque serait pris avec l’une de ces cartes par le FPR risquerait à son
tour la mort155. Sur les barrières, la confiance dans les cartes d’identité est donc toute relative. Début mai,
Tharcisse Renzaho explique que dans certaines communes de la périphérie de Kigali, on a inscrit sur les
cartes, légales et non falsifiées cette fois, la mention « RP » pour « registre de la population » ; croyant y lire
un signe d’appartenance au FPR – en anglais RPF – certains membres des barrières auraient suspecté leurs
détenteurs « d’être des inyenzi », conduisant parfois à leur assassinat. Le préfet invite plutôt à s’assurer auprès
des autorités administratives avant de « s’empresser d’en finir avec les gens arrêtés »156.
Instruments de véridiction alternatifs pendant le génocide : « l’État malgré tout »157
Insuffisante, incertaine, voire dangereuse, la carte d’identité « ethnique » doit donc être redoublée par
d’autres outils de véridiction. Le 16 mai 1994, lors du conseil préfectoral de sécurité de Butare, le colonel
Muvunyi, commandant de l’école des sous-officiers et chargé des opérations de sécurité dans les préfectures
de Butare et Gikongoro, conseille ainsi : « En plus de la carte d’identité, vous devez fouiller sérieusement ;
demander à l’intéressé d’où il vient pour tester s’il connaît le Rwanda »158. Dans son agenda, la ministre de
la Famille et de la Promotion féminine Pauline Nyiramasuhuko note encore, à propos du conseil des ministres
du 17 mai 1994 : « Lors du contrôle, vérifier la carte d’identité + chercher un signe de distinction éventuel
du FPR »159. « Même à vue d’œil, vous reconnaîtrez généralement les inyenzi parce qu’ils ont une apparence,
un regard et une démarche qui leur sont particuliers », explique encore le journaliste Ananie Nkurunziza sur

152

Radio Rwanda, 12 juin 1994 (Archives du TPIR, procès n° 99-52T, pièce à conviction n° P105/4, p. 4, 14-15 en français).
RTLM, 17 mai 1994 (Archives du TPIR, procès n° 99-52T, pièce à conviction n° P103/9, p. 3).
154
Dumas, 2009 ; 2010.
155
Radio Rwanda, 20 mai 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° P439, p. 5 en français).
156
Radio Rwanda, 6 mai 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° DNZ87, p. 4 en français).
157
Grajales et Le Cour Grandmaison, 2019.
158
Agenda 1994 de Pauline Nyiramasuhuko, page du 19 février 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° P224).
159
Agenda 1994 de Pauline Nyiramasuhuko, page du 25 février 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° P224).
153

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31

les ondes de la RTLM le 25 juin160. Il faut, en somme, faire preuve de « vigilance » et de « clairvoyance »
pour démasquer les « astuces »161.
Le 1er juin, lors du reportage sur la barrière de Cyahafi, un milicien déclare au journaliste que l’on peut
reconnaître les Inkotanyi – un terme dont on sait que, s’il sert originellement à désigner les soldats du FPR,
en est vite venu à qualifier les Tutsi dans leur ensemble – à leur amaigrissement, mais également en
interrogeant les compagnons de route de celles et ceux qui se déplaceraient sans papiers :
En fait, il s’agit bien sûr d’un secret qu’il ne faut pas divulguer sur les antennes de la radio, mais l’on peut observer et
reconnaître les Inkotanyi. Les Inkotanyi sont amaigris par la faim. Lorsque les réfugiés arrivent et qu’il y a parmi eux
une personne qui ne porte pas de pièces d’identité, l’on peut demander aux personnes âgées du groupe si elles
connaissent cette personne 162.

En somme, l’interconnaissance sociale est un excellent outil de véridiction, plus fiable à bien des égards que
les papiers de l’État documentaire car reposant sur les relations directes entre les acteurs sociaux. C’est ce
que déclare également Tharcisse Renzaho le 18 juin, toujours sur Radio Rwanda :
Est-il nécessaire de rayer [des cartes d’identité] les mentions ethniques Hutu, Twa ou Tutsi ? Cela ne servirait à rien
car nous pouvons nous référer aux registres de la population.
Le problème pourrait peut-être se poser dans les communes situées dans les régions sous contrôle du FPR car les
documents y ont été déchirés et tout a été endommagé. Mais il faut savoir que, nous les Rwandais, de par nos relations
de voisinage, nous nous connaissons tellement bien qu’il est facile de reconnaître le groupe ethnique de telle ou telle
personne. Il ne faut donc pas chercher midi à 14 heures 163.

Se référant à l’imaginaire racialiste, il semble bien que les tueurs identifient également les cibles en puisant
aux stéréotypes physiques habituellement attribués aux Tutsi : le nez fin, la taille svelte, le teint clair. Ainsi
cet appel glaçant d’un journaliste phare de la RTLM, Habimana Kantano, le 4 juin 1994 :
Il faut alors trouver ces cent mille jeunes dans les plus brefs délais, qui doivent se mobiliser en même temps pour
exterminer tous les Inkotanyi, surtout que ce qui nous aidera à les exterminer est qu’ils sont d’une même race. L’on
peut identifier alors quelqu’un par sa taille et sa eh… son visage, il suffit simplement de regarder sur son nez et de le
briser164.

Il semble d’ailleurs que des Hutu, bien que détenant des cartes d’identité hutu, sont tués ou du moins menacés
aux barrières car ayant des caractéristiques physiques proches de celles, théoriquement, des Tutsi. Ces cas,
s’ils attestent le manque de confiance envers les outils d’identification tels que les papiers, soulèvent des
craintes chez certaines autorités, qui voient d’un mauvais œil que l’on puisse tuer « par erreur », des frères
Hutu aux barrières. À nouveau, les outils de l’État documentaire risquent de se retourner contre le « peuple
majoritaire » lui-même. Aussi faut-il faire appel, une fois encore, aux autorités administratives pour procéder
à des vérifications, pour éviter que les barrières ne soient un lieu d’anomie et que les tueries ne se déroulent
de manière anarchique et au hasard :
Il y a aussi sur les routes cette autre idée qui veut que toute personne qui a une belle apparence soit tutsi, mais les gens
doivent se débarrasser de ces idées. Toute personne qui a un petit nez n’est pas forcément un Tutsi. Il y a des personnes
qu’on arrête à la douane et qui exhibent leurs cartes d’identité qui montrent bien qu’elles sont hutu. Mais étant donné
leur teint clair ou leur petit nez, on dit qu’elles sont tutsi. Elles sont accusées d’être des complices de l’ennemi.
Monsieur Gahigi, quand vous êtes au micro, veuillez expliquer ces choses aux membres de la population qui sont aux
barrières. Toute personne qui a un petit nez, qui est mince, ou qui a un teint clair n’est pas nécessairement un Tutsi. Si
cela n’est pas fait, nous allons nous retrouver en train de nous exterminer nous-mêmes les Hutu, nous méprenant pour
des Tutsi, des inyenzi. Et où cela va-t-il nous conduire ? Si vous appréhendez une personne munie d’une carte d’identité
indiquant qu’elle est hutu mais que vous avez des doutes, vous pouvez aller voir le conseiller ou le bourgmestre et
vérifier. Cette instruction devrait être scrupuleusement respectée aux barrières 165.

160

RTLM, 25 juin 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° 103/302, p. 6 en français).
RTLM, 25 juin 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° 103/302, p. 5-6 en français).
162
Radio Rwanda, 1er juin 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° P252, p. 10 en français).
163
Radio Rwanda, 18 juin 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° DNZ782, p. 2 en français).
164
RTLM, 4 juin 1994 (Archives du TPIR, procès n° 99-52T, pièce à conviction n° P95, p. 14 en français).
165
RTLM, non daté (Archives du TPIR, procès n° 99-52T, pièce à conviction n° P103/257).
161

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32

Même lorsque les outils de l’État deviennent inopérants, c’est bien à l’État qu’on fait encore appel pour
pallier les défaillances. Certes, la défiance à l’égard des papiers est récurrente pendant le génocide.
Néanmoins, la défiance documentaire ne signifie pas la défiance bureaucratique dans son ensemble, loin s’en
faut. C’est notamment aux agents de l’État que l’on continue à recourir pour vérifier l’identité des personnes
– à moins que ces agents soient eux-mêmes perçus comme des « ennemis », à l’instar du bourgmestre de
Kicukiro, Évariste Gasamagera, évoqué plus haut166. François Karera explique par exemple qu’en cas de
doute sur l’identité d’individus, « il faut leur demander les noms de leurs bourgmestres, de leurs conseillers,
le nom de la localité où ils arrivent ainsi que leur destination »167. L’illusion de légalité est préservée tout au
long du génocide, ainsi que le rappelle Jean-Baptiste Ntagwabira interrogé par Radio Rwanda sur la barrière
de Cyahafi le 1er juin :
Nous vérifions les pièces d’identité de toute personne qui passe par ici pendant la nuit. Celui qui n’en dispose pas est
retenu ici, pour être ensuite conduit devant les instances habilitées ou devant notre brigade du quartier, car nous avons
aussi notre propre brigade ; nous n’arrêtons personne arbitrairement 168.

La célèbre journaliste de la RTLM Valérie Bemeriki ne dit pas autre chose le 19 juin :
S’il entre dans la zone des inyenzi Inkotanyi, quand les inyenzi examinent cette carte d’identité, s’ils se rendent compte
qu’elle porte ces signes distinctifs, ils sauront que cette personne est un inyenzi, un des leurs ou un de leurs complices
ou quelqu’un qui était allé effectuer cette mission. Cela veut dire que toute la population devrait rester vigilante sur les
barrières et examiner scrupuleusement tout ce qui ne paraît pas clair sur les pièces d’identité des passants, des gens en
fuite ou des gens qui retournent chez eux. Mais cela ne veut pas dire que les gens chez lesquels ces anomalies sont
constatées sont absolument des inyenzi. Ceci c’est pour mettre en garde les [sic] risques de dérapage préjudiciables aux
autres. Ceci veut dire tout simplement que lorsqu’une telle anomalie est constatée, vous ne devriez pas directement
trancher sur le sort de la personne chez laquelle l’anomalie est découverte mais que s’il y a quelque chose qui n’est pas
clair, cette personne doit être transférée aux autorités administratives. Les autorités administratives vont examiner ses
papiers et vont chercher à faire de plus amples investigations concernant cette personne en l’interrogeant et elles ne
tarderont pas à se rendre compte que c’est bel et bien un inyenzi Inkotanyi. Cela devient donc rapidement clarifié 169.

L’efficacité du génocide tient d’une manière générale à la mobilisation des acteurs et des moyens de l’État,
singulièrement de l’État local. En 1999, le ministère rwandais de la Justice a diffusé une liste de génocidaires
de « première catégorie », c’est-à-dire de ceux suspectés d’avoir organisé les tueries ou d’y avoir pris une
part particulièrement zélée170. Sur les 139 bourgmestres en poste le 6 avril 1994, 78 sont inscrits sur la liste,
ainsi que 11 bourgmestres nommés pendant les massacres, soit que le poste était vacant, soit que le titulaire
ait été tué ou remplacé. Au total, ce sont 89 bourgmestres – presque deux sur trois – qui ont donc été
considérés comme faisant partie des principaux organisateurs du génocide dans leur commune. La liste
mentionne également 115 conseillers et conseillères de secteurs (environ 8 % du total), ainsi que quelques
dizaines de membres et responsables de cellules. Ainsi que l’a attesté le suivi attentif du procès des
bourgmestres de Kabarondo Octavien Ngenzi et Tito Barahira à Paris au printemps 2018, le rôle des autorités
locales dans les massacres renvoie aux fonctions qui étaient les leurs en situation « ordinaire » : collecte et
distribution des armes, organisation des réunions de mobilisation, utilisation des véhicules officiels, partage
des biens des victimes, supervision des enterrements des corps… et mise à disposition des savoirs
administratifs et des techniques bureaucratiques au service de l’extermination. S’il est bien un temps de
rupture et de réversibilité totale des liens antérieurs, dans sa mise en œuvre, le génocide s’inscrit dans la
continuité de l’État rwandais, y compris lorsqu’il doutait de lui-même.

CONCLUSION
Dès lors qu’on examine les violences et les politiques anti-Tutsi des décennies antérieures au génocide, on
avance en permanence sur une ligne de crête 171. Cette réflexion sur les cartes d’identité « ethniques »
166

Radio Rwanda, 20 mai 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° P439, p. 4 en français).
Ibid.
168
Radio Rwanda, 1er juin 1994 (Archives du TPIR, procès n° 98-44T, pièce à conviction n° P252, p. 6 en français).
169
RTLM, 19 juin 1994 (Archives du TPIR, procès n° 99-52T, pièce à conviction n° P103/32, n.p.).
170
Publication de la mise à jour de la liste de la première catégorie prescrite par l’article 9 de la loi organique n° 8/96 du 30 août 1996, Journal
officiel de la république rwandaise, 38ème année, n° spécial, 31 décembre 1999.
171
Adjemian et Piton, 2018.
167

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n’échappe pas à la règle. S’il faut prendre garde en effet à tout dérive téléologique, il s’agit en même temps
de cerner dans le temps long de l’histoire rwandaise de l’État et des discriminations la mise en œuvre
progressive des logiques d’identification, d’exclusion et de ciblage des Tutsi comme des « ennemis »
consubstantiels à la nation hutu. Au travers de l’étude des papiers et de l’État documentaire, on peut ainsi
émettre quelques hypothèses sur la chronologie de cette histoire longue, et nuancer la place souvent accordée
aux grandes ruptures politiques. Pas plus que le coup d’État de Juvénal Habyarimana en juillet 1973 ne se
traduisit par une véritable mise en œuvre d’une politique de « réconciliation » entre les « ethnies », il semble
bien que le déclenchement de la guerre civile en 1990, s’il renforça incontestablement la perception des Tutsi
dits « de l’intérieur » comme une menace, s’inscrivait en réalité dans la continuité d’une évolution amorcée
au moins quelques années plus tôt, entre la fin des années 1970 et la seconde moitié des années 1980, ainsi
qu’en attestent l’attention plus grande aux statistiques, la multiplication des débats sur la politique dite
d’équilibre – perçue comme insuffisamment efficace – ou les enquêtes récurrentes sur les falsifications
d’identité des élites ou des fonctionnaires. Il y eut ensuite après 1990, et alors que le président de la
République avait annoncé son projet de suppression des mentions « ethniques » sur les documents officiels,
un net accroissement des prises de position sur la nécessité de l’identification « ethnique » et les craintes de
voir les Tutsi user de techniques d’infiltration pour se soustraire au contrôle et à cette identification. Les
discours étudiés dans le journal Kangura puisaient toutefois à un fonds idéologique et à des pratiques
administratives déjà existantes. De la même façon, l’incertitude documentaire observée en 1994, tout au long
des trois mois du génocide, ne vient pas de nulle part et s’inscrit dans des logiques observables également,
quoique sous une autre forme, dans les années et décennies précédentes.
Cette incertitude documentaire, qui n’est pas contradictoire avec l’attention portée aux mesures
d’identification « ethnique », est une constante de l’histoire de l’État rwandais. Dès l’indépendance, on
craignit que les outils administratifs mis en œuvre pour identifier et repérer les individus fussent détournés
et falsifiés par des Tutsi. Pendant le génocide, de multiples outils de véridiction alternatifs sont donc
mobilisés, parmi lesquels l’interconnaissance sociale ou les enquêtes généalogiques, outils alternatifs dont
on a esquissé ici quelques analyses mais qui mériteraient des développements bien plus poussés 172. On peut
toutefois souligner qu’incertitude documentaire ne signifie pas incertitude étatique. Ainsi recourt-on
régulièrement aux autorités communales et aux savoirs administratifs – archives, fonctionnaires – pour
vérifier l’identité de tel ou tel aux barrières en cas de doute sur la véracité des papiers ou des récits présentés
par les personnes contrôlées. L’absence d’anomie, qui exclut définitivement le génocide des Tutsi de la
barbarie culturaliste pour en faire au contraire le produit d’une organisation étatique moderne et terriblement
efficace, implique de ne pas tuer au hasard, et d’éviter les jugements trop hâtifs. Si tous les Tutsi sont
effectivement pris pour cible, il s’agit bien en effet d’éviter de mettre à mort des Hutu insoupçonnables de la
moindre complicité avec les « ennemis ».
Après le génocide, le nouveau pouvoir, issu pour l’essentiel du FPR ayant gagné la guerre et mis fin aux
massacres, décide de remplacer les cartes d’identité par un nouveau modèle ne mentionnant plus « l’ethnie ».
Le discours sur l’unité des Rwandais est très présent aujourd’hui au Rwanda et s’inscrit depuis longtemps
dans l’environnement intellectuel et idéologique du FPR173. Le lien mériterait d’être creusé, mais on est
frappé des parentés entre certains discours actuels et les positions défendues à la fin des années 1950 par ceux
qui défendaient la suppression des mentions « raciales » sur les documents officiels, au nom d’une lecture de
la société rwandaise au prisme des catégories et des classes sociales plutôt qu’à celui des « races » ou des
« ethnies ». Le contexte est bien entendu tout à fait différent. Sans doute les cadres du FPR voient-ils
aujourd’hui dans la remise en cause – salutaire compte tenu de l’histoire du pays – des clivages « ethniques »
un moyen de s’assurer une forme de légitimité, quand la seule légitimité « ethnique » ou « ruraliste » (ayant
pour beaucoup grandi à l’étranger, leur connaissance des campagnes et des collines est parfois sommaire) ne

On a surtout procédé ici à une histoire « par le haut » des papiers. D’autres sources, issues notamment des victimes et des rescapés,
permettraient sans nul doute d’enrichir notre connaissance des régimes de véridiction avant et pendant le génocide.
173
Blackie et Hitchcott, 2018 ; Kimonyo, 2017 ; Piton, 2018b, 220-229.
172

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suffirait sans doute pas. En misant sur une stratégie de légitimation par le développement174, les cadres du
pouvoir actuel espèrent sans doute que le développement économique permettra d’atténuer les identités
« ethniques » au profit d’identités de « classes » distinguant les individus en fonction de critères comme la
catégorie socio-professionnelle ou les modes de consommation 175. Il n’en reste pas moins que cette politique
introduit, cette fois, une incontestable rupture dans la manière dont l’État rwandais gère la bureaucratie des
identités.

L’AUTEUR
Ancien élève de l’École normale supérieure de Lyon, Florent Piton est doctorant en histoire de l’Afrique à
l’université Paris Diderot et au Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains, et
asiatiques (Cessma). Ses recherches portent sur l’histoire du racisme et des mobilisations sociales et
politiques au Rwanda des années 1950 au génocide des Tutsi. Il est notamment l’auteur de Le Génocide des
Tutsi du Rwanda (Paris, La Découverte, 2018). (florentpiton1@gmail.com)

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174

Chemouni, 2016, 211-238.
Je remercie Benjamin Chemouni pour ses remarques sur ce sujet, à l’occasion d’un séminaire organisé par Vincent Bonnecase à Bordeaux
le 4 avril 2019.
175

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