Fiche du document numéro 2435

Num
2435
Date
Jeudi 1er avril 2004
Amj
Auteur
Fichier
Taille
143606
Pages
2
Titre
Rwanda. Le récit d'un Interahamwe
Sous titre
Rwanda
Lieu cité
Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
« J'ai tué à Murambi » reconnaît l'ancien milicien depuis la prison
de Gikongoro.
Arborant cet assez incongru uniforme rose des détenus rwandais,
Emmanuel Nyirimbuga précise dès le début de notre entretien être en
prison comme « exécutant, pas comme planificateur » du génocide, un
statut qui lui permet de passer devant une juridiction gacaca
(prononcez : gaxaxa), définie comme un outil de la réconciliation
nationale, et non devant un tribunal classique. La comparution devant
une justice traditionnelle ouvre la perspective d'une peine plafonnée
dans le temps, de plus divisée pour moitié en durée de détention et en
durée de travaux d'utilité publique. Une condition pour cela, qu'il
souscrive à la procédure d'aveu et de plaidoyer de culpabilité. « J'ai
beaucoup à raconter et suis décidé à dire toute la vérité
 », assure
l'ancien cultivateur, qui fut membre actif de l'Interahamwe (la milice
fer de lance des massacres d'avril-juillet 1994 avec l'armée et la
gendarmerie du régime Habyarimana).


Dès le 6 avril, jour de l'attentat contre l'avion d'Habyarimana, il
reçoit la consigne d'un gendarme : « Le président est mort. Plus de
travail, c'est la guerre !
 ». À partir de cette date, raconte-t-il,
les Tutsi ont commencé à fuir. D'abord vers une école primaire de
Gikongoro. Le préfet Laurent Kibaruta (aujourd'hui réfugié en France --
NDLR), le capitaine de gendarmerie Sebuhura et le bourgmestre Félicien
Semakwavu (qui, eux, ont fui en RD-Congo -- NDLR) viennent les
rencontrer pour leur dire : « Allez à Murambi, vous serez protégés. »
Quelques jours plus tard, les mêmes, accompagnés du sous-préfet
Frodoir Hanuga et du greffier de tribunal David Kalangwa, réunissent
la population du centre proche de Murambi et ordonnent d'ériger une
barrière sur l'accès au lieu. « J'étais parmi ceux-ci. On a reçu le
renfort des jeunes de trois cellules du secteur Remera, celles de
Nyamifumba, Muriro et Murambi. On n'a plus laissé passer que les
voitures escortées par les gendarmes qui amenaient les Tutsi à
Murambi.
 »


Les « planificateurs » s'inquiètent du grand nombre de personnes
amassées dans ce camp de concentration improvisé (qui risque, le
moment venu de leur permettre de se défendre) - l'ancien milicien les
chiffre à « 25 000 au début, et puis peut-être 50 000 ». La consigne
se transforme, concernant les nouveaux arrivants : « Quelqu'un dit à
un autre devant eux : amène-les chez le conseiller. Une maison qui
avait été choisie pour tuer ces gens et jeter les corps dans les
latrines.
 »


« Ça continue jusqu'au 18 avril. Là on nous dit : le temps d'attaquer
Murambi est arrivé. Le préfet, le bourgmestre, le capitaine, le
sous-préfet et le greffier nous le disent. Ils nous annoncent un
renfort de la garde présidentielle. Et un grand Interahamwe, Kabaga,
est venu de Kigali pour tout diriger.
 »


Les tueurs prennent position sur la colline d'en face. Ils jugent
leurs effectifs insuffisants pour exterminer à coup sûr une telle
foule. « On a pris un enfant, Félicien, surnommé Bingwa (le
"vainqueur") pour prévenir les autres groupes d'Interahamwe. Le 20, le
bourgmestre, le préfet et le capitaine reviennent avec les gendarmes
et organisent la fouille des réfugiés pour prendre tout ce qui aurait
pu leur servir d'armes. Ils emmènent les machettes et le reste au camp
de la gendarmerie.
 » Une nuée de véhicules convoient les jeunes
miliciens durant la nuit, « ceux de Mutasama sont venus dans les
voitures des usines à thé de Kitabi et Mata ; il y avait aussi les
voitures de la commune et celles de commerçants
 ».


« Les gendarmes commencent à tirer à partir de 3 heures du matin. Au
petit matin, ils cessent le feu. C'était notre tour.
 » Deux lignes
de miliciens sont formées : « Nous combattions en avant ; d'autres
encerclaient pour empêcher les fuites. Les Tutsi ont essayé de
résister ; ils jetaient des pierres. Les gendarmes abattent ceux qui
les lançaient.
 » À l'arme à feu ou à la grenade. Faisant au passage
deux morts chez les assaillants, rapporte Emmanuel Nyirimbuga.
Machettes ou bâtons cloutés à la main, les Interahamwe pénètrent alors
dans le site. « À 10 heures du matin, le travail était fini. »


« Des rescapés fuyaient vers Cyanika. L'équipe les suivait et tuait en
cours de route. Le même jour (le 21), ils sont tous morts à Cyanika.
 »
Emmanuel Nyirimbuga tient à prouver qu'il ne cache rien : « J'ai tué
trois personnes seulement à Murambi. Auparavant, sur la barrière,
j'avais tué trois autres personnes et participé à la mort de deux
autres dans la cellule de Muriro.
 » Enfin, il raconte la mise à mort
d'un rescapé qui s'était caché dans la forêt, Mathias Kanuma (du même
village que lui), précisant en signe de bonne foi : « Je ne l'ai pas
achevé, mais j'avais l'intention.
 »


J. C.

(*) Littéralement « ceux qui frappent ensemble » en kinyarwanda.
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