Fiche du document numéro 2433

Num
2433
Date
Samedi 27 mars 2004
Amj
Auteur
Fichier
Taille
135355
Pages
3
Sur titre
Le procureur général du Rwanda évoque les difficultés à remplir un double défi : réussir à ne pas laisser de crimes impunis et reconstruire le pays.
Titre
Rwanda - Les raisons des lenteurs de la justice
Nom cité
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Au terme d'une expérience atroce et unique dans l'histoire de l'humanité
-- celle d'un pays dont les autorités entraînent une partie de la
population à en exterminer une autre -- le Rwanda demeure confronté au
problème de la justice. En 1994, le pouvoir judiciaire s'était trouvé
réduit à néant. Dix ans plus tard, 80 000 détenus demeurent en attente
de jugement. Rencontre avec Jean de Dieu Mucyo, procureur général du Rwanda.

Le problème de la justice après le génocide est toujours brûlant en
2004. Pourquoi ce retard ? Pensez-vous que les moyens existent désormais
pour y mettre terme dans les plus brefs délais possibles ?


Jean de Dieu Mucyo. Lorsque plus d'un million de personnes ont été
assassinées en trois mois, cela pose des problèmes sans précédent à la
justice d'un pays. La loi sur le génocide a été votée en 1996. Les
premiers procès sont intervenus début 1997. Ils se poursuivent
aujourd'hui à la cadence d'un millier de jugements par an. Ce n'est pas
peu, mais, à ce rythme, cela prendrait des années et des années pour que
justice soit rendue, le nombre de détenus ayant à un moment dépassé les
100 000. C'est pourquoi nous nous sommes tournés vers la juridiction
gacaca (prononcez gaxaxa -- NDLR), intermédiaire entre la justice
classique et notre justice traditionnelle. Sur cette base, oui, je pense
que l'optimisme devient possible. En vous rappelant que les autorités
génocidaires tenaient en substance le discours suivant à la population :
participez nombreux et vous ne serez pas punis. Pas plus que dans les
années soixante ou en 1973. Peut-être 600 000 personnes auraient
participé au génocide. Il faut rompre avec le mécanisme de l'impunité.

La loi distingue quatre catégories de coupables. C'est-à-dire ?

Jean de Dieu Mucyo. La catégorie 1 regroupe les planificateurs du
génocide, les auteurs de tortures sexuelles, les tueurs de grand renom.
Les catégories 2 et 3 ceux qui ont exécuté, qui ont suivi. La catégorie
4 concerne les auteurs de délits contre les biens. 1994 a été
exceptionnel et il nous faut chercher des procédures exceptionnelles
telles que l'aveu et le plaidoyer de culpabilité, ainsi que le recours à
la gacaca. Un collège de 19 personnes, réuni en public dans la région
concernée par tel massacre pour juger des personnes de 2e, 3e et 4e
catégories. Son travail commence par des réunions visant la collecte des
informations, le procès lui-même venant après... Un accusé de 2e
catégorie qui avoue dès le début de la procédure ou prend l'initiative
de ses aveux encourt entre sept et douze ans. S'il avoue durant
l'audience, entre douze et quinze ans. Avec le choix de passer la moitié
de sa peine en prison et la moitié à des travaux d'intérêt général. S'il
n'avoue pas et que la preuve de sa culpabilité est apportée, il encourt
entre vingt-cinq ans et la perpétuité. La 3e catégorie concerne les
auteurs d'actes criminels commis sans intention de donner la mort. Les
peines sont alors de un à trois ans, de trois à cinq ans, de cinq à sept
ans. Avec la même possibilité de les exécuter pour moitié à l'extérieur.
Pour la 4e catégorie, pas de peine d'emprisonnement prévue, seulement la
réparation.

Les gacaca ne risquent-elles pas de générer de nouveaux problèmes, voire
des bombes à retardement ? Une rescapée a employé le terme de laxisme, parlant de volonté de tourner prématurément la page.


Jean de Dieu Mucyo. Au début de la gacaca, certains ont ainsi parlé ;
aujourd'hui ils n'ont généralement plus le même raisonnement. Au centre
de la gacaca, il y a l'exigence d'expression de la vérité. La gacaca est
une justice qui réconcilie. On ne peut pas parler de justice sans parler
de réconciliation, pas plus que l'on ne peut parler de réconciliation
sans parler de justice. Nous sommes face à un double défi : éradiquer la
culture de l'impunité et, en même temps, reconstruire le pays. La vérité
provoque la douleur, mais tout le monde veut savoir ce qui s'est passé
pour sa famille.

Le Rwanda s'était jadis prononcé pour la création du TPIR (tribunal
pénal international). Depuis sa constitution, les relations Kigali-TPIR
n'ont cessé de se tendre, notamment durant toute la période où Carla del
Ponte était en poste. Comment expliquer cet antagonisme ?


Jean de Dieu Mucyo. Des problèmes sont apparus avant même Carla del
Ponte . Par exemple celui des témoins, celui de l'extrême lenteur du
TPIR, parfois de corruption (avec notamment le partage d'honoraires
entre avocats de la défense et détenus).Comparez le TPIR et le TPIY
(celui pour l'ex-Yougoslavie) : la différence est flagrante. Et
récemment, cet acquittement de l'ancien préfet de Cyangugu, connu comme
massacreur à travers tout le pays, et cela avant même 1994 ! Nous avions
apporté toutes les preuves au TPIR. Je ne comprends pas.

Des génocidaires avérés ont trouvé refuge à l'étranger. Par exemple le
père Wenceslas en France. Quelle est la position des autorités
rwandaises à ce propos ?


Jean de Dieu Mucyo. Nous avions évoqué trois possibilités dès le début :
extrader ces personnes vers notre pays pour qu'elles y soient jugées ;
si ce n'était pas possible, les déférer au TPIR ; sinon mettre en place
l'appareil législatif permettant de les juger dans le pays refuge. Cette
dernière position a été adoptée en Belgique ou en Suisse. À la France
d'enfin déterminer la sienne.
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