Fiche du document numéro 24199

Num
24199
Date
Dimanche 7 avril 2019
Amj
Auteur
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Fichier
Taille
149751
Pages
2
Urlorg
Titre
La France ouvre les archives de son passé au Rwanda
Soustitre
Emmanuel Macron a annoncé la mise en place d’une commission pour examiner le rôle du pays dans le génocide des Tutsis.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
S’il fallait une évidence du caractère hautement sensible de la question de politique française au Rwanda, la polémique autour de la création d’une commission d’historiens est amplement suffisante. Le président Emmanuel Macron a annoncé, vendredi, la mise en place de cette « commission de chercheurs chargée de mener un travail de fond centré sur toutes les archives françaises » pour enfin établir « le rôle et l’engagement de la France » sur la période 1990 à 1994 dans ce cœur de la région des Grands Lacs. L’ouverture des archives est, depuis des années, une demande pressante des historiens mais aussi des survivants du génocide des Tutsis qui a fait au moins 800.000 morts entre avril et juin 1994.

Selon l’Élysée, les fonds vont être largement ouverts. « Les membres de la commission auront accès aux archives des Affaires étrangères mais aussi à celles du ministère de la Défense et de la DGSE », affirme-t-on. Si les dossiers des Affaires étrangères ont déjà été en partie dévoilés, l'ouverture de ceux des militaires et des services secrets, jusqu'à présent largement fermés, est une grande première et un signe de bonne volonté de la part des autorités françaises. Reste à savoir si le dernier fonds, les archives présidentielles de François Mitterrand, conservées par la fondation de l'ancien chef de l'État, seront eux aussi accessibles. La mandataire, Dominique Bertinotti, s'y était opposée en 2015. « C'est à elle de choisir mais nous avons bon espoir », souligne-t-on. Être seule à barrer la porte à la recherche paraît en effet difficile.

Pour éviter l'écueil d'une levée du secret-défense qui frappe quasiment tous les documents, une procédure longue et complexe, l'Élysée a choisi une voie nouvelle : habiliter au secret-défense l'ensemble des neuf chercheurs choisis. Ils auront deux ans pour rédiger un rapport à remettre au président avant qu'il soit « rendu public ».

« L'accès aux archives d'État est crucial pour la connaissance précise des liens de la France avec le régime rwandais qui va se transformer en implacable pouvoir génocidaire ; il est essentiel aussi pour connaître la réalité des opérations d'évacuation des ressortissants européens lors du déclenchement du génocide le 7 avril ; et il est bien sûr capital pour comprendre l'opération Turquoise », insiste, auprès du Figaro, Vincent Duclert, directeur à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et inspecteur général de l'Éducation nationale, désigné pour diriger la commission.

Suspicions



L'objectif avoué est de tenter de purger le lourd passé de la France au Rwanda. Bien des points sont disputés, mais la réalité de l'aide militaire alors apportée au gouvernement rwandais, le degré de connaissance des militaires français dans la préparation des tueries et les circonstances de l'attentat contre l'avion du président rwandais Juvénal Habyarimana, qui, au soir du 6 avril, allait servir de déclencheur au génocide sont très attendus. « À chaque mois d'avril, les polémiques reprennent. Il faut en finir et avancer », souligne un conseiller du chef de l'État.

« Le fait de créer la commission est un geste fort. Maintenant, il faut attendre. J'ai des craintes car nous avons souvent été déçus, nous avons souvent été trahis », a expliqué, au sortir d'une réunion avec le président Macron, Marcel Kabanda, président d'Ibuka France, une association internationale de survivants qui milite pour la mémoire du génocide tutsi.

La procédure choisie n'a d'ailleurs pas empêché les critiques de pleuvoir avant même l'annonce. La désignation de Vincent Duclert, fonctionnaire, est cible de suspicions. Tout comme l'absence d'experts du Rwanda au sein de l'instance où siègent des chercheurs sur l'histoire militaire, la Shoah ou le génocide arménien. « Un fonctionnaire ne peut pas être indépendant de sa tutelle et donc du pouvoir politique » , accuse l'historien Stéphane Audoin-Rouzeau, spécialiste du Rwanda. Selon lui, sa mise à l'écart ainsi que celle de l'une de ses proches, Hélène Dumas, seraient le fruit de pressions de militaires et de diplomates. « Si les exclusives sont maintenues, on peut avoir des doutes sur l'indépendance (de la) commission », explique cette dernière dans une interview au Monde. « C'est un choix. Les universitaires spécialstes du sujet sont si divisés que les intégrer à la commission aurait conduit à la diviser », répond-on à l'Élysée.

Une décision que certains chercheurs approuvent, comme Claudine Vidal du CNRS : « Le panel des gens recrutés me paraît intéressant. La composition est variée, c'est un gage de qualité. Et puis, ces spécialistes peuvent toujours être consultés. »
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