Fiche du document numéro 24174

Num
24174
Date
Vendredi 5 avril 2019
Amj
Auteur
Fichier
Taille
1846723
Pages
1
Titre
Le Rwanda est un désastre français
Sous titre
L’ancien officier, qui a servi dans cet Etat africain en 1994, considère que la France peut être accusée de complicité de génocide
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
V
ingt-cinq ans après les faits, nous – Français – ne connaissons toujours pas la réalité de l’implication de notre pays dans le génocide des Tutsi au Rwanda. Il
serait temps de sortir du déni car c’ e st le dernier génocide du XX e siècle, celui que ma génération aurait dû empêcher. Mais ce n’ e st malheureusement pas ce
que nous avons fait.
Nous avons livré des armes aux génocidaires, avant le génocide, pendant et même après. Ce sont aujourd’hui des faits documentés, ils ont même été
reconnus par Hubert Védrine, ancien secrétaire général de l’Elysée, sans qui aucune décision du président Mitterrand ne pouvait être appliquée et pilotée.
Son audition devant la commission de la défense nationale, en avril 2014, se passe de commentaires : la France a livré des armes aux génocidaires, mais c’ é tait, selon lui,
« sans rapport avec le génocide »...
Pendant l’opération « Turquoise » – l’intervention militaire « humanitaire » de la France –, ces livraisons ont été e ectuées via l’aéroport de Goma, au Zaïre
[aujourd’hui République démocratique du Congo], qui était alors la base opérationnelle avancée de notre opération, et donc totalement sous contrôle de l’armée
française. Aucune arme n’aurait pu être débarquée sans l’autorisation du chef d’ é tat-major des armées, l’amiral Jacques Lanxade, car jamais mes compagnons d’armes
ne l’auraient accepté sans son accord. Et des livraisons d’armes aux forces gouvernementales qui commettaient le génocide n’ont jamais cessé, notamment par les
avions de la société Spairops.
Sur la question-clé des archives de ces opérations, présentées comme « humanitaires », ces décideurs français n’hésitent pas à affirmer qu’ils sont favorables à leur
ouverture, d’une main, tout en les bouclant depuis vingt-cinq ans avec l’autre main. C’ e st une de leurs caractéristiques que d’afficher le contraire de ce qu’ils font en
réalité, comme avait d’ailleurs procédé le président François Hollande, probablement sur leurs conseils avisés, en annonçant l’ouverture des archives en 2015, et en se
gardant bien de le faire. Ces mêmes responsables s’assurent régulièrement, auprès de l’Institut François-Mitterrand comme du ministère de la défense, qu’aucune
initiative ne sera prise en la matière, et que nous ne puissions pas savoir ce qui a été fait en réalité « au nom de la France », en notre nom.
Une entreprise sophistiquée
Le Rwanda est sans doute un désastre français, le Tchernobyl de nos interventions extérieures. Et lorsque l’amiral Lanxade annonce à Sciences Po Paris, le 20 mars,
qu’une « commission est mise en place sur le Rwanda et là, on verra que jamais de telles instructions n’ont été données... », il faut s’attendre au pire. Nous attendions
une commission d’historiens et de chercheurs avec un accès réel à toutes nos archives. Il nous faut maintenant craindre que le président de la République n’ait pas le
courage d’aller au-delà d’un débat tronqué, d’un placard à balais dirigé par un haut fonctionnaire sans autonomie, débarrassé de tout contradicteur et limité à un
accès aux archives éché par ceux-là mêmes qui sont mis en cause.
Mais pire encore, non contents de s’ ê tre trompés, ces décideurs français cherchent de plus à inverser les responsabilités. Ils ont été parfaitement informés par la DGSE
que les extrémistes hutu avaient assassiné le président Habyarimana, en avril 1994, pour s’ e mparer du pouvoir, qui allait leur échapper, et mettre à exécution leur
solution nale. Le rapport balistique demandé par la justice française en 2012 a con rmé techniquement l’analyse de la DGSE. Alors, pourquoi ces responsables
français continuent-ils aujourd’hui encore à affirmer que le Front patriotique rwandais aurait abattu l’avion du président rwandais ? Pourquoi continuent-ils à insinuer que « des Tutsi auraient provoqué le génocide des Tutsi » ?
Pourtant, il n’y a pas d’alternative à la réalité. Le génocide des Tutsi n’a pas été un mouvement de vengeance spontané et incontrôlé d’une foule de sauvages. Bien au
contraire, le génocide des Tutsi était une entreprise sophistiquée et machiavélique menée par une organisation implacable, préparée et nancée depuis plusieurs
années. Ce génocide a « conduit » chaque jour plus de 10 000 personnes à la mort, pendant cent jours – 15 fois Oradour-sur-Glane pendant trois mois et dix jours.
Alors, pourquoi nos décideurs inversent-ils les responsabilités ? Pourquoi transforment-ils les bourreaux en victimes ?
Du fait de leurs décisions et de leur comportement, le président François Mitterrand, son secrétaire général, Hubert Védrine, comme l’amiral Lanxade, son chef d’ é tat-
major des armées, nous ont mis dans une situation inacceptable : la France peut être accusée de complicité de génocide. Et ce n’ e st pas en nous enfermant dans le déni
qu’ils échapperont à leurs responsabilités, car c’ e st un déni de démocratie, un déni de la réalité et un déni de la vie.
Guillaume Ancel est un militaire et écrivain français. Après vingt ans de service dans l’armée, qu’il quitte avec le grade de lieutenant-colonel, il poursuit une carrière de
cadre dirigeant dans de grandes entreprises françaises. Il a publié plusieurs ouvrages sur les opérations militaires extérieures au Rwanda et en Bosnie, dont
« Rwanda, la fin du silence. Témoignage d’un officier français » (Les Belles Lettres, 2018)
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