Fiche du document numéro 24005

Num
24005
Date
Vendredi 3 avril 1998
Amj
Auteur
Fichier
Taille
108727
Pages
2
Urlorg
Titre
En plein génocide, la mystérieuse visite d'un colonel en Suisse
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le 3 juin 1994, Pierre-Célestin Rwagafilita, colonel rwandais, commandant en retraite de la gendarmerie et membre de la faction dure hutue accusée d'avoir perpétré le génocide, se trouvait en « mission officielle » en Suisse. Comme le confirme Livio Zanolari, porte-parole du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), l'ambassade de Suisse à Kinshasa délivrait le 2 juin 1994 un visa de 15 jours à Rwagafilita, qui entrait en Suisse le jour suivant. Particularité de cette démarche, c'est le service protocolaire du DFAE qui délivrait ce visa, et non l'Office fédéral des étrangers, Rwagafilita étant au bénéfice d'un passeport rwandais de service, un statut proche de celui d'un diplomate. Le DFAE assure que le colonel rwandais n'a « rencontré personne au Département » mais que le but de son voyage était de rendre visite à l'ambassadeur du Rwanda à Berne. Il n'est pas resté, selon le DFAE, plus de 15 jours en Suisse. Coïncidence, c'est exactement à l'issue de ce séjour, le 16 juin 1994, qu'atterrissaient les premiers chargements d'armes à Goma à destination de l'armée rwandaise.

L'affaire n'avait pas fait de grands remous, l'attention étant alors focalisée en Suisse sur le cas de Félicien Kabuga, cet homme d'affaires rwandais, soupçonné d'avoir financé les durs du régime génocidaire. L'attribution d'un visa d'entrée en Suisse à Kabuga par Alexandre Hunziker, chef de l'Office fédéral des étrangers, devait provoquer la chute de ce fonctionnaire, en novembre 1994.

« Je trouve énorme que la Suisse ait attribué un visa à Rwagafilita à cette époque, accuse pourtant le professeur belge Filip Reynjtens, spécialiste du Rwanda. Le desk Afrique du DFAE ne pouvait pas ignorer qui il était. Comme la Belgique, la Suisse connaissait à fond le Rwanda. Même si je ne détiens pas de preuves, je pense que la seule et unique raison de la présence de Rwagafilita en Suisse à cette date était pour y organiser des livraisons d'armes. » Pierre-Célestin Rwagafilita était membre de l'Etat-major du colonel Théoneste Bagosora, détenu par le Tribunal d'Arusha qui l'accuse d'être le cerveau du génocide. Dans la nuit du 6 au 7 avril 1994, alors que l'avion qui transportait le président Habyarimana était abattu à son arrivée à Kigali et que le Rwanda basculait dans le génocide, Rwagafilita, par ailleurs beau-frère du président, reprenait immédiatement du service aux côtés de Bagosora, avec qui, en plein chaos, il formait un « Comité de Salut public », sorte de cabinet de l'ombre chargé d'exécuter le génocide. Quelques semaines après son passage en Suisse, le nom de Rwagafilita était porté sur la liste des « personnes indésirables en Suisse » tenue par le DFAE, aux côtés de Kabuga.

J.-P. C.
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