Fiche du document numéro 23815

Num
23815
Date
Dimanche 10 mars 2019
Amj
Auteur
Fichier
Taille
571737
Pages
19
Titre
Le professeur Reyntjens, expert du Tribunal international sur le Rwanda et ami de génocidaires
Nom cité
Type
Note
Langue
FR
Citation
Le professeur Reyntjens, expert du Tribunal
international sur le Rwanda et ami de
génocidaires
Jacques Morel
10 mars 2019, v1.0
Résumé
Bon connaisseur du Rwanda, expert au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), l’universitaire belge Filip Reyntjens s’est
construit une image d’expert impartial omniprésent dans les médias. Il
était conseiller du président Habyarimana. Il a participé à la rédaction
de la Constitution qui a légitimé son coup d’État et consacré son régime
de parti unique. À ce titre, il s’est permis d’adresser des critiques au régime en dénonçant notamment des escadrons de la mort, mais il donne
ensuite des assurances au président que l’enquête à ce sujet n’ira pas plus
loin. Il était lié à des organisateurs du génocide comme Ferdinand Nahimana et Froduald Karamira, le dirigeant du Mouvement démocratique
républicain, qui, d’opposant à Habyarimana, est devenu le leader du Hutu
Power, le coorganisateur du génocide des Tutsi avec l’ex-parti unique.
Reyntjens doit sa notoriété à la publication de l’identification des missiles
SAM 16 sur laquelle le juge Bruguière a fondé son enquête. Or cette identification, communiquée par le colonel Bagosora, est probablement fausse.
Louvoyant sans cesse entre amitié pour des génocidaires et défense des
Droits de l’homme, Filip Reyntjens garde constante son aversion pour
le Front patriotique rwandais. Celui-ci ne peut être à ses yeux que l’auteur de l’attentat contre Habyarimana qui a mis le feu aux poudres. C’est
d’ailleurs par lui que tout a commencé en 1990. Mais le professeur Reyntjens se garde bien de relater les pogroms anti-tutsi de 1959 à 1973 sur
lesquels s’est fondé un État raciste qu’il a voulu faire passer pour un État
de droit.

Filip Reyntjens, professeur de droit à l’université d’Anvers, est bien informé
sur les événements qui se sont déroulés au Rwanda. Il fait figure d’expert impartial dans les médias. Pourtant il nourrit lui-même les doutes sur son objectivité
dans son autobiographie. 1 Il s’y présente comme « chercheur-acteur », c’est-àdire qu’il affirme utiliser ses connaissances pour peser sur les événements. Dans
quel sens donc ?
1. Filip Reyntjens, Les risques du métier. Trois décennies comme “chercheur-acteur” au
Rwanda et au Burundi, L’Harmattan, 2009.

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RÉDACTEUR DU PROJET DE CONSTITUTION EN 1978

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Rédacteur du projet de Constitution en 1978

Il a participé à la rédaction du projet de Constitution de la République rwandaise en 1978. 2 Dans son préambule, cette Constitution consacre les pogroms
anti-tutsi de 1959-1963 comme « l’œuvre de libération entreprise par la Révolution de 1959 » 3 et le coup d’État de « la journée mémorable du 5 juillet 1973 »
qui a permis « la sauvegarde des acquis de la Révolution de 1959 ». L’objectif
des auteurs du génocide des Tutsi en 1994 n’était rien d’autre que la sauvegarde
des acquis de la Révolution de 1959.
L’article 7 de la Constitution instituait un régime à parti unique. « Le peuple
rwandais est politiquement organisé au sein du Mouvement révolutionnaire national pour le développement, formation politique unique hors du cadre de laquelle nulle activité politique ne peut s’exercer ».
Alors que l’article 16 dispose que « tous les citoyens sont égaux devant la loi,
sans discrimination aucune, notamment de race, de couleur, d’origine, d’ethnie,
de clan, de sexe, d’opinion, de religion ou de position sociale », cette constitution
instituait de fait un régime d’apartheid vis-à-vis d’une partie de la population,
les Tutsi, qui ne sont pas nommés.
Après ces bons services juridiques, Reyntjens avait gagné naturellement
l’oreille du président-dictateur Habyarimana.

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Les escadrons de la mort

Avec le sénateur Kuijpers et l’avocat Scheers, Filip Reyntjens publie en 1992
un rapport sur les escadrons de la mort qui met en cause des proches du Président Habyarimana dans l’organisation de troubles visant à remettre en cause
la présence de partis d’opposition dans le gouvernement. Les troubles les plus
graves sont les massacres au Bugesera en mars 1992 et à Kibuye au mois août
suivant. 4
Mais une lettre du 27 octobre 1992 de Reyntjens au colonel Sagatwa, luimême incriminé dans ce rapport, laisse supposer qu’il s’est entendu avec Habyarimana pour atténuer les effets de cette dénonciation. Il y est question d’une
enquête discrète avant le démarrage de la commission d’enquête internationale
demandée. « J’ai rappelé sa promesse au Sénateur, qui m’a dit qu’il contacterait
deux personnes qui pourraient se mettre au service du Chef de l’Etat. » 5
2. De Wolf René, Ntashamaje, Antoine et Reyntjens Filip, Projet de constitution de la
République rwandaise, Rapport présenté au président de la République, Kigali, 1978, 68 p.
Cf. Curriculum vitae F. Reyntjens, TPIR, Case No : ICTR-98-41-T, Exhibit No : P 299,
Date admitted : 15-9-2004, Tendered by : Prosecutor, Name of witness : Filip Reyntjens.
http://www.francegenocidetutsi.org/ReyntjensCurriculum2004.pdf
3. Constitution du 20 décembre 1978. http://www.francegenocidetutsi.org/
RwandaConstitution1978.pdf
4. Filip Reyntjens, Données sur les “Escadrons de la mort”, 9 octobre 1992. http://www.
francegenocidetutsi.org/EscadronsDeLaMortReyntjens9octobre1992.pdf
5. Filip Reyntjens, Lettre au colonel Sagatwa, 27 octobre 1992. http://www.
francegenocidetutsi.org/ReyntjensSagatwa27octobre1992.pdf

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SA SYMPATHIE POUR LES THÈSES DU HUTU POWER

3

Sa sympathie pour les thèses du Hutu Power

À l’instigation de Fabien Singaye, l’espion rwandais de Berne en relation
avec le capitaine Paul Barril qui deviendra l’interprète du juge Bruguière, il
participe à une conférence à Genève en novembre 1990 pour contrebalancer la
« propagande du FPR » en compagnie de Ferdinand Nahimana, le fondateur de
Radio Mille Collines, avec qui il s’entend « plutôt bien » 6 et qui sera condamné
par le TPIR, puis libéré en 2017 sans avoir accompli toute sa peine.
Du 29 mai au 2 juin 1992, à l’instigation des avocats Maingain et Scheers
et du sénateur Kuypers, trois formations de l’opposition rwandaise et le FPR
se rencontrent à Bruxelles. Les entretiens devaient rester secrets. Mais Filip
Reyntjens invita Johan Scheers et Willy Kuypers à rencontrer le Président Habyarimana. Il parvint à les retourner. Scheers devint l’avocat de Jean Kambanda,
Premier ministre du Gouvernement intérimaire qui présida au génocide. 7
Invité aux réunions de préparation de la commission d’enquête internationale, Reyntjens dénonce la participation de Jean Carbonare. « Carbonare, qui
est président de l’association Survie, écrit-il, a noué de nombreuses amitiés dans
la diaspora tutsi, tant à Paris qu’en Afrique de l’ouest où il a été coopérant. Survie est une caisse de résonance du FPR et Carbonare ne cache pas réellement
ses sympathies. » 8 Jean Carbonare aurait-il eu tort d’interpeller les Français
sur le risque de génocide à l’issue de cette commission d’enquête ? 9

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Son animosité pour Jean-Pierre Chrétien

Dans un article « Du bon usage de la science : “l’école historique burundofrançaise” », Reyntjens s’en prend à une étude de Jean-Pierre Chrétien sur le
Burundi. 10 Il lui reproche de s’aligner sur le gouvernement burundais et de juger
que « c’est la faute des Hutu ». L’assassinat du prince Rwagasore n’est pour lui
que le résultat d’un conflit entre lignages, la Belgique n’y serait donc pour
rien. Face à Chrétien, à qui il reproche de ne travailler qu’avec des chercheurs
tutsi de l’université du Burundi, Reyntjens, lui, défend les Hutu. Il reproche à
Chrétien de « minimiser la pertinence de l’appartenance ethnique ». Fidèle à son
ethnisme, il note encore avec soin en 1999 l’ethnie des responsables politiques
dans ses annuaires, alors que ces mentions sont proscrites dans les documents
officiels au Rwanda depuis 1994. 11
6. Filip
Reyntjens
[15,
p.
46].
http://www.francegenocidetutsi.org/
ReyntjensRisquesMetierExtraits.pdf#page=5
7. Bernard Maingain, France au Rwanda : un certificat de bonne conduite mérité ?, Le Soir,
4 juillet 2014. http://www.francegenocidetutsi.org/MaingainLeSoir4juillet2014.pdf
8. Filip Reyntjens [15, p. 69].
9. Bruno Masure, Interview de Jean Carbonare, France 2, 24 janvier 1993.
10. Jean-Pierre Chrétien, André Guichaoua et Gabriel Le Jeune, La crise d’août 1988 au
Burundi, Cahier du CRA no 6, Paris, 1989 (diffusion Karthala), 209 p.
11. Filip Reyntjens, Institutions au Rwanda. Remaniement gouvernemental du
10 janvier 1998 et 8 février 1999, 1999. http://www.francegenocidetutsi.org/
InstitutionsRwanda1999.pdf

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SON AMITIÉ POUR FRODUALD KARAMIRA

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Au Burundi, Reyntjens reconnaît lui-même qu’il est proche du parti extrémiste Palipehutu (Parti pour la libération du peuple hutu). 12
Reyntjens y a « une bonne connaissance » en la personne de l’homme d’affaires et politicien Mathias Hitimana. 13 Celui-ci est cité comme ce M. H. qui
aurait pu fournir les missiles qui ont abattu l’avion du président Habyarimana. 14
Cette piste n’a pas été corroborée.
En décembre 1991, un groupe d’ONG l’envoie enquêter au Burundi avec
Brigitte Erler sur de récents massacres. Dans une conférence de presse, ils annoncent beaucoup plus de victimes que le gouvernement en a reconnues. Dans
une lettre à Catherine Simon du journal Le Monde, Jean-Pierre Chrétien s’en
prend à l’auteur de ce rapport. « Tout se passe, écrit Chrétien, comme si cet
universitaire participait à la fuite en avant ethniste du régime rwandais et à
ses obsessions, en particulier à son hostilité aux efforts de réconciliation au Burundi ». 15 Reyntjens a eu connaissance de cette lettre. Il l’envoie à son ami
Fabien Singaye et lui dit : « Voici le texte de Chrétien. Je serai obligé de me
défendre et toutes les munitions seront bienvenues. » 16
Reyntjens fait partie de la « Commission internationale d’enquête sur les
violations des Droits de l’homme au Burundi depuis le 21 octobre 1993 ». 17
Chrétien aurait remis en cause sa participation et celle de Michel Elias dans
cette commission et accuse son rapport de partialité. 18

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Son amitié pour Froduald Karamira

Froduald Karamira et Filip Reyntjens sont amis. Reyntjens l’a défendu
quand celui-ci a été emprisonné lors des rafles de début octobre 1990. 19 Karamira était alors un opposant à Habyarimana. Il compte parmi les fondateurs
du Mouvement démocratique républicain (MDR) qui ressuscitent le Parmehutu,
le parti de l’ancien président Grégoire Kayibanda renversé en 1973 par Habyarimana.
Lors du meeting du 23 octobre 1993 en soutien au peuple burundais, Karamira accuse le FPR d’avoir fait assassiner le président Ndadaye. Il ajoute qu’il
agirait de même au Rwanda car : « il nous a menti à Arusha où ils ont signé
12. Filip
Reyntjens
[15,
p.
47].
http://www.francegenocidetutsi.org/
ReyntjensRisquesMetierExtraits.pdf#page=5
13. Filip Reyntjens [15, p. 76].
14. Colette Braeckman, Rwanda : les missiles de 1994 sont passés par la Belgique, Le Soir,
21 avril 1998, p. 1 http://www.francegenocidetutsi.org/MissilesBelgiqueLS21avril1998.
pdf ; François-Xavier Verschave, Contribution à la Mission parlementaire d’information sur
le Rwanda. Note de lecture sur le rôle de Paul Barril au Rwanda, 20 juin 1998. http://www.
francegenocidetutsi.org/BarrilVerschave20juin1998.pdf
15. Filip Reyntjens [15, pp. 47, 49, 55].
16. Filip Reyntjens, Fax à Fabien Singaye, 1992. Cf. Jean-Paul Gouteux [8, p. 420]. http:
//www.francegenocidetutsi.org/ReyntjensSingayeChretien1992.pdf
17. Filip Reyntjens [15, p. 73].
18. Filip Reyntjens [15, p. 78].
19. Filip Reyntjens [15, pp. 34, 42]. http://www.francegenocidetutsi.org/
ReyntjensRisquesMetierExtraits.pdf#page=2

5

SON AMITIÉ POUR FRODUALD KARAMIRA

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pour la paix et la démocratie. » Il appelle tous les Hutu du Rwanda à « prendre
les mesures nécessaires ». « Nous ne nous contentons pas, poursuit-il, de “chauffer les têtes” en disant que nous avons des projets “de travailler” ». Il appelle
ensuite la foule à aider les autorités « à chercher ce qui est en nous, l’ennemi qui
est parmi nous. Nous ne pouvons pas nous asseoir en pensant que ce qui s’est
passé au Burundi ne se produira pas ici parce que l’ennemi est parmi nous ». 20
Puis Karamira lance le slogan « Hutu Power », le nom de ce front réunissant
le MRND 21 et la CDR 22 avec les fractions anti-tutsi des partis d’opposition. 23
Il appelle publiquement au massacre des Tutsi. Le 8 avril 1994, il est l’un des
négociateurs pour former le Gouvernement intérimaire. Il lance des appels au
massacre des Tutsi à la radio et distribue des armes. Le 17 avril, sur Radio
Rwanda, il déclare :
Mais le principal problème – je veux dire en matière de sécurité –
c’est que pour les forces armées rwandaises elles-mêmes, il est difficile
d’identifier celui contre lequel elles se battent... parce que les gens du
FPR qui sont ici en ville sont mêlés avec les civils ; ils sont habillés
comme des civils ; ils ont des fusils... Par conséquent les forces armées
ne peuvent pas se résoudre à se battre sur tel ou tel front précis, car
ce ne sont pas des soldats qu’ils ont en face dans les combats...
La population, après avoir mis à l’abri les enfants et les femmes,
est en train de procéder à la fouille systématique de toutes les habitations à la recherche de toute personne cachée, toute personne
qui n’a pas fait la patrouille avec les autres, qu’on n’a pas vue avec
les autres, puisqu’une telle personne est soupçonnée de détenir les
armes, comme les gens qui en détiennent ne sont pas en uniforme
militaire et sont cachés parmi la population... 24
Dès le 7 avril 1994, Reyntjens est en contact avec Karamira qui lui donne
les numéros de téléphone des colonels Bagosora et Renzaho. 25 Il fait allusion à
« cette personne que je connaissais bien » dans son livre de 1995. 26 Reyntjens
n’aura réussi à sauver qu’une famille en contactant Karamira le 15 avril. 27
Karamira sera condamné à mort par un tribunal au Rwanda 28 et exécuté le 24
avril 1998. L’expert Reyntjens en deviendra encore plus opposé au FPR.
20. Aucun témoin ne doit survivre [6, pp. 164-165].
21. Le Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND) est le parti
unique créé par Juvénal Habyarimana. Il ne l’est plus depuis la Constitution de 1991.
22. La Coalition pour la défense de la République (CDR) est un parti extrémiste hutu.
23. Jean-Pierre Chrétien (dir.) Les médias du génocide [3, p. 209] ; Aucun témoin ne doit
survivre [6, p. 164].
24. Jean-Pierre Chrétien (dir.), Les médias du génocide [3, p. 302].
25. Filip
Reyntjens
[15,
p.
86].
http://www.francegenocidetutsi.org/
ReyntjensRisquesMetierExtraits.pdf#page=7
26. Filip Reyntjens [14, p. 58].
27. Filip
Reyntjens
[15,
pp.
84-86].
http://www.francegenocidetutsi.org/
ReyntjensRisquesMetierExtraits.pdf#page=6
28. Jugement du 14 février 1997 du tribunal de Première instance de Kigali, Ministère Public c/ Karamira, 14 février 1997. http://www.francegenocidetutsi.org/
KaramiraJugement14fevrier2007.pdf

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TROIS JOURS QUI ONT FAIT BASCULER L’HISTOIRE

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Trois jours qui ont fait basculer l’histoire

Son livre « Rwanda, trois jours qui ont fait basculer l’histoire » 29 a pu passer pendant plusieurs années, en l’absence d’enquête judiciaire, comme la seule
étude bien informée sur l’attentat du 6 avril 1994, les assassinats de responsables
politiques le lendemain et la formation du Gouvernement intérimaire le 8 avril.
Il est vrai que Reyntjens a fait un réel travail d’enquête, questionnant, tel qu’en
attestent les documents qu’il remet au juge belge Vandermeersch, entre autres
le colonel Bagosora, 30 le général Gatsinzi, 31 le général Ndindiliyimana 32 , le
général Dallaire, Peter Maggen 33 et le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU, Jacques-Roger Booh-Booh. 34 Il interroge également des militaires
belges et l’ex-capitaine Barril. 35 Il suspecte ce dernier d’avoir fait une opération
de brouillage avec sa fausse boîte noire, mais cela ne l’empêche pas de maintenir
le contact avec lui. À ce propos, Philippe Braewaeys révèle une lettre de Reyntjens qui écrit à Barril : « D’après mes informations ces missiles proviennent
de stocks irakiens [...] lot saisi en Irak à la fin de la guerre du Golfe par le
contingent français. [...] Vous paraît-il possible que les Français les aient emmenés et ensuite cédés au FPR ? Enfin avez-vous des informations qui permettent
de mettre en cause le FPR dans cet attentat ? » 36
On mesurera ici le niveau d’honnêteté du professeur. Quoi qu’il en soit, son
livre a fait autorité pour avoir publié l’identification des deux lanceurs de missiles
qui auraient abattu l’avion d’Habyarimana. 37 Elle a été reprise par la Mission
d’information parlementaire française de 1998 et par le juge Bruguière.
Le livre est rédigé de manière apparemment objective. La plupart des faits
qu’il rapporte désignent les extrémistes hutu mais, curieusement, il écrit dans
sa conclusion que « plusieurs indications tendent à mettre en cause le F. P. R.
comme auteur de l’attentat ». 38
Pour identifier les auteurs de l’attentat, Reyntjens envisage quatre hypo29. Filip Reyntjens, Rwanda, trois jours qui ont fait basculer l’histoire, Cahiers africains - L’Harmattan, Vol. 16, 1995. http://www.francegenocidetutsi.org/
ReyntjensTroisJoursBasculeHistoire.pdf
30. Réponses du colonel Bagosora Théoneste aux questions du professeur
Filip
Reyntjens
,
30
octobre
1995.
http://www.francegenocidetutsi.org/
BagosoraReyntjensYaounde30octobre1995.pdf
31. Lettre au professeur Reyntjens, 25 juin 1995. http://www.francegenocidetutsi.org/
Gatsinzi25juin1995.pdf
32. Filip Reyntjens, Notes d’entretiens avec Augustin Ndindiliyimana, 16 décembre 1994.
http://www.francegenocidetutsi.org/NdindilyimanaReyntjens16decembre1994.pdf
33. Filip Reyntjens, Réponses du colonel Bagosora à des questions de Reyntjens.
Notes d’entetien avec Roméo Dallaire et Peter Maggen, 21 novembre 1995. http://www.
francegenocidetutsi.org/ReyntjensBagosora21nov1995.pdf
34. Réponses du Dr. Jacques-Roger Booh-Booh aux questions sur le Rwanda posées par
le professeur Dr. Filip Reyntjens, 20 juillet 1995. http://www.francegenocidetutsi.org/
BoohBoohReyntjensReponses.pdf
35. Filip Reyntjens [14, p. 41].
36. Lettre de Filip Reyntjens à Paul Barril, Anvers, 10 octobre 1996. Cf. Philippe Brewaeys
[1, pp. 59-60].
37. Ibidem, p. 45.
38. Filip Reyntjens [14, p. 46].

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TROIS JOURS QUI ONT FAIT BASCULER L’HISTOIRE

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thèses :

1- Les éléments radicaux du régime et des FAR avec éventuellement un soutien français
Il ne cache pas que les accords d’Arusha représentaient « pour le réseau
mafieux de l’entourage présidentiel, la fin du pot aux roses ». Il n’exclut pas
que les « radicaux » aient appréhendé une « capitulation » d’Habyarimana. Il
évoque cette réception du contingent sénégalais de la MINUAR où Bagosora a
déclaré « qu’il fallait exterminer tous les Tutsi » 39 et son intention de déclencher l’apocalypse rapportée par le ministre des Finances Marc Rugenera, mais
il entretient le doute sur l’intention d’Habyarimana de mettre ces accords en application. Il ne dit rien sur l’abandon de la CDR par Habyarimana au sommet
de Dar-es-Salaam le 6 avril 1994. Il affirme comme établi que les missiles ont été
tirés depuis le lieu-dit « La Ferme », au pied de la colline de Masaka. Colette
Braeckman l’affirme également. C’est l’ambassadeur Jean-Michel Marlaud qui,
le 7 avril à une heure du matin déclare que l’avion a été abattu par des missiles
qui « auraient été tirés depuis le quartier Masaka ». 40 Si c’était le cas, l’avion
serait tombé plus loin à l’est de la résidence présidentielle et ses réacteurs placés
à l’arrière auraient été touchés. Mais Reyntjens n’est sans doute pas allé voir
qu’ils étaient intacts. Comme Braeckman, il évoque les massacres aussitôt déclenchés sur la colline de Masaka alors qu’on sait que les paras-commando et la
garde présidentielle ont commencé à massacrer sur la colline de Kanombe, 41 autour du camp militaire, là où les experts commis par les juges Poux et Trévidic
situent le départ des missiles. 42
Il évoque la note SGR qui avance que six missiles achetés en France sont
partis à Kinshasa par l’aéroport d’Ostende puis ont gagné Goma et Gisenyi,
mais estime l’information douteuse. 43
Reyntjens cite le témoignage du belge Paul Henrion (P. H.) qui a vu dans
le fond de Masaka des soldats noirs portant le béret à la française le jour de
l’attentat. 44 Cette preuve est bien ténue. Il relève que, selon le rapport de Human Rights Watch, les Forces armées rwandaises (FAR) disposaient de missiles
SAM 7 et de 15 Mistral. 45 Mais il note qu’aucun militaire rwandais n’avait été
formé pour s’en servir, ce qui lui fait évoquer la « thèse française ». Cette in39. Filip Reyntjens [14, p. 22].
40. Monique Mas [10, p. 369].
41. African Rights, Histoire du génocide dans le secteur Nyarugunga, février 2003. http:
//www.francegenocidetutsi.org/Nyarugunga.pdf
42. Claudine Oosterlinck, Daniel Van Schendel, Jean Huon, Jean Sompayrac, Rapport d’expertise. Destruction en vol du Falcon 50 Kigali (Rwanda), Tribunal de
Grande Instance de Paris, 5 janvier 2012. http://www.francegenocidetutsi.org/
rapport-balstique-attentat-contre-habyarimana-6-4-1994.pdf
43. Note SGR du 22 avril 1994 concernant l’attentat de Kigali contre les Présidents
du Rwanda et du Burundi, SGR, 22 avril 1994. http://www.francegenocidetutsi.org/
SGR22avril1994.pdf
44. Guy Artiges, Déposition de Paul Henrion à l’Auditorat militaire belge, Auditorat militaire belge, 21 juin 1994. http://www.francegenocidetutsi.org/Henrion21juin1994.pdf
45. Filip Reyntjens [14, p. 24].

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TROIS JOURS QUI ONT FAIT BASCULER L’HISTOIRE

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formation sur les missiles en possession des FAR a été publiée en 1995. 46 Elle
provient d’un fax de l’ONU daté de septembre 1994. 47
La thèse française se fonde sur la lettre d’un certain Thaddée reçue par
Colette Braeckman. 48 Il avance que l’un des tireurs, Étienne, est Pascal Estrevada [Estevada]. Il tient probablement l’information de l’enquêteur belge Guy
Artiges.
Il suppose que les gendarmes français Didot et Maïer et l’épouse du premier
ont été tués par le FPR parce qu’ils habitaient non loin de son cantonnement
et que Didot écoutait les communications du FPR. 49
Enfin, il s’interroge sur la coïncidence entre l’attentat et le suicide à l’Élysée
le lendemain de François de Grossouvre, grâce à qui le capitaine Barril avait été
mis en contact avec Juvénal Habyarimana. 50
Alors que ces charges paraissent lourdes contre les « “durs” du régime »,
Reyntjens salue l’indépendance d’esprit de Stephen Smith qui a eu « le courage » de remettre en cause la thèse des « radicaux hutu ». 51 Smith écarte la
responsabilité de ces durs parce qu’un de leurs chefs, Sagatwa, est victime de
l’attentat, parce qu’il était facile de tuer Habyarimana par d’autres moyens et
en raison de l’impréparation de la mouvance présidentielle qui « fut totalement
prise au dépourvu ». 52

2- La filière burundaise
La thèse que c’est le président burundais Ntaryamira qui était visé est difficile
à soutenir car c’est peu avant le départ de Dar-es-Salaam que son retour dans
l’avion d’Habyarimana a été décidé.

3- Un coup démocratique qui a mal tourné
C’est une accusation des extrémistes qui accuse le Premier ministre Agathe
Uwilingiyimana d’avoir fomenté un coup d’État en réunissant des officiers du
46. Rwanda/Zaire, Rearming with Impunity- International Support for the Perpetrators
of the Rwandan Genocide (pdf), HRW, mai 1995. http://www.francegenocidetutsi.org/
HRWrearmingWithImpunityMay1995.pdf
47. Situation
Centre
DPKO,
Daily "Information" Digest. Subject : Special Report Rwanda, September 1, 1994. http://www.francegenocidetutsi.org/
DpkoSpecialReportRwanda1septembre1994.pdf
48. Message de Thaddée, chef de milice, reçu par Colette Braeckman accusant deux
membres du DAMI et des membres de la CDR d’être les auteurs de l’attentat du 6 avril
1994, 29 mai 1994. Cf. Rapport Mutsinzi [4, p. 107] http://www.francegenocidetutsi.
org/Thaddee29mai1994Mutsinzip107.pdf ; Colette Braeckman, « L’avion Rwandais Abattu
Par Deux Français ? », Le Soir, 17 juin 1994, p. 1. http://www.francegenocidetutsi.org/
BraeckmanAvionAbattuPar2FrancaisLeSoir17juin1994.pdf
49. Filip Reyntjens [14, pp. 29-30].
50. Filip Reyntjens [14, p. 30].
51. Stephen Smith, Habyarimana, retour sur un attentat non élucidé, Libération, 29 juillet
1994, pp. 14-15. http://www.francegenocidetutsi.org/SmithLiberation29juillet1994.
pdf
52. Filip Reyntjens [14, p. 27].

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TROIS JOURS QUI ONT FAIT BASCULER L’HISTOIRE

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sud le 1er ou le 4 avril 1994. 53 Il ajoute à ça l’opération de désarmement que
la gendarmerie rwandaise dirigée par Augustin Ndindiliyimana, officier du sud,
et les Casques bleus de la MINUAR avaient projetée à l’aube du 7 avril. Les
« durs » auraient réagi contre cette tentative commencée par l’assassinat d’Habyarimana en « entamant une campagne d’extermination politique préparée depuis longtemps ». 54 Une note DGSE du 8 avril 1994 va dans le sens de cette
thèse, 55 mais elle a été très vite abandonnée.

4- Le FPR avec éventuellement un soutien belge
Dès l’annonce de l’attentat, ce sont les Belges qui sont accusés par les médias
extrémistes. L’accusation sera reprise par des officiels rwandais. 56
Reyntjens montre que l’information selon laquelle trois militaires belges ont
été appréhendés 57 ou tués est fausse.
Il doute du capitaine Barril quand celui-ci affirme qu’il dispose d’enregistrements de la tour de contrôle où il reconnaît des « accents belges ». Mais il ne
le réfute pas quand il affirme que le FPR aurait « entamé une offensive sur la
frontière rwandaise dès le 6 avril ». 58
Quant au FPR, Reyntjens reprend l’argument classique qu’il ne remporterait
jamais « un processus politique compétitif ». Il est persuadé que le FPR dispose
de missiles sol-air et sait les manier. Mais ils proviennent d’Ouganda qui ne
possède que des SAM 7 selon lui.
Un rapport établi par les gendarmes français en 1993 affirme que la majorité
des attentats en 1991-1992 a été commanditée par le FPR. Gérard Prunier
estimait que ces accusations ne tenaient pas debout 59 et la DGSE contredit ce
rapport en pointant l’entourage du chef de l’État. 60
Reyntjens dispose de sources à l’intérieur du FPR qui lui disent que « le
coup aurait été fait par des éléments de l’A. P. R. et de plusieurs Libyens »,
encadrés par Rose Kabuye et le colonel Kayumba. 61 Par ailleurs, en octobre
1994, il a rencontré un témoin à Masaka qui « a vu partir les missiles ». Il fait
53. Filip Reyntjens [14, p. 34].
54. Filip Reyntjens [14, pp. 33-38].
55. Extraits de notes DGSE déclassifiées, 13 novembre 2006. http://www.
francegenocidetutsi.org/NotesDGSEextraits.pdf
56. A Definition of The Rwandese Tragedy, Min. Aff. étrangères, Kigali, 15 avril 1994. http:
//www.francegenocidetutsi.org/CommuniqueMinAffEtRwd15avril1994.pdf ; Etienne Sengerera, [L’avion présidentiel abattu par des militaires belges], 20 avril 1994. http://www.
francegenocidetutsi.org/SengereraKinshasa20avril1994.pdf
57. Consignes du ministre des Affaires étrangères du Gouvernement intérimaire aux représentations diplomatiques rwandaises en date du 15 avril 1994. À l’attention des missions
diplomatiques et consulaires du Rwanda (toutes). Objet : Mise au point au sujet de la tragédie rwandaise. Cf. André Guichaoua, Les crises politiques au Burundi et au Rwanda, 1995,
pp. 678-681. http://www.francegenocidetutsi.org/MinafetGIR15avr1994.pdf
58. Filip Reyntjens [14, p. 39].
59. Gérard Prunier [12, pp. 177-178].
60. DGSE, Fiche particulière Rwanda, 18 février 1993, no 18149/N. http://www.
francegenocidetutsi.org/DGSE19930218.pdf
61. Filip
Reyntjens
[14,
p.
44].
http://www.francegenocidetutsi.org/
ReyntjensTroisJoursBasculeHistoire.pdf#page=24

6

TROIS JOURS QUI ONT FAIT BASCULER L’HISTOIRE

10

allusion au message du FPR « Target is hit » qui aurait été intercepté depuis la
station d’écoute des FAR à Gisenyi. Il renvoie au texte en annexe mais oublie
de le joindre. Le témoignage de Richard Mugenzi a établi que ces messages
étaient des faux rédigés par le colonel Nsengiyumva, ancien chef des services de
renseignement des FAR. 62
C’est alors qu’il exhibe l’identification des deux lanceurs SAM 16 relevée par
le lieutenant Munyaneza le 25 avril 1994 quand les deux lance-missiles ont été
trouvés. 63 Il la reçoit des ex-FAR à Goma plus d’un an après, soit après juillet
1995. Rappelons quelques faits :
- le 25 avril 1994, le lieutenant Munayaneza est censé relever cette identification, lorsque les deux lanceurs auraient été retrouvés le même jour ; 64
- le 5 juin 1995, Bagosora écrit à son avocat De Temmerman qu’il ne voit
pas d’inconvénient d’échanger des informations avec le professeur Reyntjens ; 65
- le 10 juillet 1995, le juge belge Vandermeersch reçoit cette identification
de l’avocat de Temmerman qui l’a reçue le jour même du colonel Bagosora à
Goma ; 66
- en décembre 1995, le Commandement des FAR en exil publie une « Contribution des FAR à la recherche de la vérité sur le drame rwandais - La guerre
d’octobre 1990 et la catastrophe d’avril 1994 ». 67 On y lit page 35 : « À la
fin du mois d’avril 1994, deux lance-missiles SAM 7 de fabrication soviétique
ont été découverts par la population dans des buissons où ils étaient cachés à
l’endroit où les coups de départ avaient été entendus (rapport du lieutenant Ir
Munyaneza et déclaration de Mr Ntamumaro Gabriel). » Donc les ex-FAR affirment en décembre 1995 que les missiles étaient des SAM 7, en contradiction
avec le relevé qu’aurait fait le lieutenant Munyaneza le 25 avril. Une version
remaniée de ce document portant la même date a été versée par la défense du
général Kabiligi au TPIR. 68 La phrase sur la découverte de missiles SAM 7 y
figure. Mais plus loin, l’identification des deux lance-missiles par le lieutenant
Munyaneza y est ajoutée. Cette identification est conforme à celle donnée dans
62. Jean-François Dupaquier, L’agenda du génocide - Le témoignage de Richard Mugenzi
ex-espion rwandais, Karthala, 2010 ; Rapport Mutsinzi d’enquête sur l’attentat du 6 avril 1994
[4, p. 86].
63. Filip Reyntjens [14, p. 44].
64. Filip Reyntjens [14, p. 44].
65. Théoneste Bagosora, Lettre à Maître Luc de Temmerman, 5 juin 1995. http://www.
francegenocidetutsi.org/BagosoraTemmerman5juin1995.pdf
66. Luc De Temmerman à Mr. Van Der Meersch, 10 juillet 1995. Cf. TPIR, Affaire No ICTR98-41-T, Procès Militaires I (Bagosora), Pièce à conviction BAGOTHE-19, exhibit no P372A.
http://www.francegenocidetutsi.org/Bagothe19-10July1995P372A.pdf
67. Commandement des FAR en exil, Contribution des FAR à la recherche de la
vérité sur le drame rwandais - La guerre d’octobre 1990 et la catastrophe d’avril
1994, décembre 1995. Cf. TPIR, Case No : ICTR-98-41-T Exhibit No : DK 81 A
Date admitted : 23-9-2004 Tendered by : Defence. http://www.francegenocidetutsi.org/
ContributionDesFarAlaRechercheDeLaVeriteDecembre1995.pdf
68. Commandement des FAR en exil, Contribution des FAR à la recherche de la
vérité sur le drame rwandais - La guerre d’octobre 1990 et la catastrophe d’avril
1994 , 1 décembre 1995. TPIR, Case No : ICTR-98-41-T Exhibit No : DK 81 C
Date admitted : 23-9-2004 Tendered by : Defence http://www.francegenocidetutsi.org/
ContributionDesFarAlaRechercheDeLaVeriteDecembre1995VersionKabiligi.pdf

7

LES MODIFICATIONS APPORTÉES AU LIVRE « TROIS JOURS... »11

le livre de Reyntjens. Suit la phrase : « Selon certains connaisseurs, le professeur Reyntjens notamment, il s’agirait plutôt de missile SAM 16 “GIMLET” ».
Ainsi nous apprenons que le juriste Reyntjens serait conseiller des ex-FAR dans
le domaine des missiles. Rien de tout cela paraît sérieux et tout porte à croire
que cette identification de missiles SAM 16 est une fabrication a posteriori.
Mais Reyntjens ajoute : « Les lanceurs auraient fait partie d’un lot vendu
en 1988 à l’Iraq. À l’issue de la guerre du Golfe, ces missiles auraient été saisis
comme “butin de guerre” par le contingent français de la force multinationale
et ramenés en France pays qu’officiellement ils n’auraient jamais quitté ». 69
En juin 1996, il déclare qu’il a obtenu deux autres témoignages confirmant cette
provenance des missiles. 70 Il l’écrit de nouveau à Bernard Cazeneuve, rapporteur
de la Mission d’information parlementaire. 71
On ne voit pas bien comment ce fait, s’il est exact, prouverait la responsabilité du FPR. D’autant plus que l’auteur ajoute que « des militaires français, dont
le commandant de St Quentin, ont visité les lieux du crash à diverses reprises
et que des débris de l’avion et des missiles ont été récoltés. » 72
Il cite encore l’épisode de la fausse boîte noire exhibée par Barril 73 , bref,
la plupart des indices trouvés désignent les radicaux hutu assistés de Français,
mais en conclusion l’expert Reyntjens suspecte le FPR.

7

Les modifications apportées au livre « Trois
jours... »

Une ébauche de ce livre (draft) se trouve dans les archives judiciaires belges.
Reyntjens l’a remise au juge Vandermeersch le 2 août 1995. 74 La confrontation
avec son livre imprimé fin 1995 permet d’éclairer en partie sa démarche.

7.1

La rencontre Booh-Booh - Habyarimana à Gisenyi le
2 avril

Dans le livre, Habyarimana pressé par Jacques-Roger Booh-Booh, l’informe
qu’il se rendra le 6 avril 1994 à Dar-Es-Salaam mais il ne s’engage à rien de
69. Filip Reyntjens [14, p. 45].
70. Qui a abattu l’avion ? Nouvelles révélations, Africa international, 30 juin 1995, p. 21-24.
http://www.francegenocidetutsi.org/ReyntjensAfricaInternational295Juin1996.pdf
71. Filip Reyntjens à Bernard Cazeneuve, Anvers, le 10 décembre 1998. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [13, Tome II, Annexes, p. 251]. http://www.
francegenocidetutsi.org/ReyntjensCazeneuve10decembre1998.pdf
72. Filip Reyntjens [14, p. 48].
73. Hervé Gattegno, Corine Lesnes, Rwanda : l’énigme de la « boîte noire »,
Le Monde, mardi 28 juin 1994, pp. 1, 6. http://www.francegenocidetutsi.org/
GattegnoBoiteNoire28juin1994.pdf ; Hervé Gattegno, La « boîte noire », le Falcon
et le capitaine, Le Monde, 8 juillet 1994, p. 3. http://www.francegenocidetutsi.org/
GattegnoBarril8juillet1994.pdf
74. Filip Reyntjens, Rwanda Trois jours qui ont fait basculer l’histoire, Preprint envoyé au
juge Vandermersch, 2 août 1995. http://www.francegenocidetutsi.org/Reyntjens3jours.
pdf

7

LES MODIFICATIONS APPORTÉES AU LIVRE « TROIS JOURS... »12

précis. 75 Il ne note pas la présence du colonel Bagosora.
Dans le draft (p. 21), Bagosora est présent, alors qu’il ne l’est pas dans
le livre. Jean Birara affirme que le colonel Bagosora était à ce moment-là en
vacances à Gisenyi. 76
Reyntjens note qu’en présence de membres de l’Akazu, « le Président Habyarimana aurait demandé à Booh-Booh d’informer Boutros-Ghali que les institutions seraient mises en place le 8 avril. Sur ce, Nzirorera se serait levé en
déclarant : “On ne se laissera pas faire, M. le Président”. » Cette phrase est
supprimée dans le livre où il cache que Habyarimana est décidé à mettre en
application les accords d’Arusha dès ce 2 avril. Cette phrase de Nzirorera, secrétaire général du MRND, l’ex-parti unique, est rapportée par le journaliste
Vénuste Nshimiyimana. 77 Nshimiyimana, journaliste de Radio Rwanda détaché à la MINUAR, est très informé. C’est un proche de Jean Kambanda, qui
sera le Premier ministre du Gouvernement intérimaire rwandais (GIR).
Pourquoi Reyntjens a-t-il supprimé ce passage ? Il écrit dans la marge à la
main que « ceci est sujet à caution, je suis en train de le vérifier ». Ce n’est
pas la réponse de Jacques-Roger Booh-Booh à ses questions qui lui commande
cette suppression puisqu’il l’évoque déjà dans le draft (p. 20). Il va de soi que
dissimuler ce fait décharge le colonel Bagosora et les extrémistes du MRND et
des FAR de l’accusation d’avoir fomenté l’élimination de leur président.

7.2

L’hypothèse de tireurs français

Dans le draft (p. 26), il dit que nous connaissons le vrai nom d’Étienne cité
dans la lettre de Thaddée. Il s’agit de Pascal Estrevada. Et il ajoute en note
40 : « Le prénom est un nom de guerre, qui commence par la première lettre du
vrai nom de famille ; un autre membre du DAMI présent à Kigali le 6 avril, le
lieutenant Ray, avait pour nom de guerre Régis ». Cette allusion à ce Régis a
été supprimée dans le livre. 78
Le livre de Goffin, écrit à partir des témoignages des Casques bleus belges,
met en scène deux tireurs dont le chef « Estevan ». 79 Commentant ce livre,
Colette Braeckman remarque que ces observations sont concordantes avec celles
publiées dans son journal et ajoute que « selon des informations qui sont depuis
lors parvenues au “Soir”, l’autre tireur, opérant à côté de ”Estevan”, portait le
nom de code de “Régis”. » 80 L’oubli de ce Régis, exactement l’adjudant Claude
Ray du 1er RPIMa comme Pascal Estevada, vise, quelle que soit la réalité de
l’implication de ces deux militaires, à diminuer la responsabilité française dans
l’attentat. On sait que ce Régis était en poste au camp Kigali et Pascal Estevada
75. Filip Reyntjens [14, p. 22].
76. Guy Artiges, Audition de Jean Birara, Auditorat militaire belge, PV no 134, 26 mai
1994. http://www.francegenocidetutsi.org/Birara26mai1994.pdf
77. Vénuste Nshimiyimana [11, p. 38].
78. Filip Reyntjens [14, p. 28].
79. Alexandre Goffin [7, p. 36].
80. Colette Braeckman, L’épopée tragique des paras belges au Rwanda, Le Soir, 3 novembre
1995.

8

LA FORMATION DU GIR LE 8 AVRIL

13

a déclaré qu’il était au Burundi à cette époque. 81

7.3

L’identification des deux missiles SAM 16

Elle ne figure pas dans le draft. Reyntjens l’a donc reçue après le 2 août
1995.

7.4

L’assassinat des gendarmes Maïer, Didot et son épouse

Dans son draft, il reste dans le doute quant à la mort des gendarmes Didot
et Maïer. Il cite le point de vue de Colette Braeckman en note 47 : « Colette
Braeckman (Rwanda... , op. cit., p. 196) écrit que les trois ont été abattus par
des membres de la Garde présidentielle, parce qu’ils auraient caché des Tutsi.
Cela n’est pas prouvé et en réalité peu probable, parce que les Français ont été
tués avant que la chasse aux Tutsi ne débute ». Mais dans le livre, Reyntjens
suppose que c’est le FPR qui les a tués et supprime la note sur Braeckman. 82

7.5

La journée du 7 avril 1994

Le livre comporte un ajout d’importance par rapport à l’ébauche. À l’issue
de la réunion à l’ESM le 7 au matin, Bagosora aurait dit au lieutenant-colonel
Nkundiye (ancien chef de la garde présidentielle), et aux majors Nzuwonemeye et
Ntabakuze, commandants des bataillons de reconnaissance et paras-commando,
« Muhere aruhande », littéralement « commençons par un côté ». « Cette expression évoque un ratissage systématique », ajoute Reyntjens, « manifestement
le plan était connu ». 83 Il ne cherche donc pas à camoufler la planification du
génocide comme le fait André Guichaoua. 84 Mais dans son « Que Sais-je », il
s’alignera sur ce dernier en prétendant qu’il n’y a pas eu de planification du
génocide avant l’attentat ! 85

8

La formation du GIR le 8 avril

Dans le draft (p. 74), figure cette phrase à propos de l’ambassadeur de
France, Jean-Michel Marlaud, qui est supprimée dans le livre : « Plus tard dans
la journée, Marlaud annonce à Swinnen : “Je viens de présider mon premier
conseil des ministres”, à quoi ce dernier répond : “A ta place, je ne serais pas
si fier”. » 86 Il est clair qu’elle laissait entendre que ces ministres ont été choisis
81. Jean-Louis Bruguière, Déposition de Pascal Estevada (extraits), 21 mars 2002. http:
//www.francegenocidetutsi.org/DepositionEtienneEstevada.pdf
82. Filip Reyntjens [14, p. 29].
83. Filip Reyntjens [14, p. 58].
84. André Guichaoua [9, p. 443].
85. Filip Reyntjens, Le génocide des Tutsi au Rwanda, Que sais-je ?, PUF, 2017, p. 60.
86. Filip Reyntjens, Rwanda Trois jours qui ont fait basculer l’histoire, preprint envoyé au
juge Vandermersch, 2 août 1995. http://www.francegenocidetutsi.org/Reyntjens3jours.
pdf

9

L’ENQUÊTE DU JUGE BRUGUIÈRE

14

par Marlaud. Elle est corroborée par Colette Braeckman au contre-sommet de
Biarritz :
Sharon Courtoux : Un certain nombre de sources affirment que
le GIR a été formé à l’ambassade à Kigali. Et c’est une chose que
l’on lit sous votre plume dans l’un de vos ouvrages. [...] Est-ce que
vous pouvez confirmer cela ?
Colette Braeckman : Oui, tout à fait. Comme je vous l’avais dit,
j’ai passé 10 jours au début du génocide à l’aéroport de Kigali, et là
j’ai rencontré un Belge qui était ami avec l’ambassadeur de France
et avec qui on refaisait un peu l’historique du GIR. Et il me fait part
d’une réflexion de l’ambassadeur de France : « Ça alors, c’est bien la
première fois de ma vie que je constitue un gouvernement. » Parce
que ce Gouvernement intérimaire s’est constitué dans l’enceinte de
l’ambassade de France, avec l’attention bienveillante de l’ambassadeur. 87
Le compte rendu de l’audition de Jean-Michel Marlaud devant la Mission
d’information parlementaire relate :
La matinée du 8 avril avait été marquée par [...] et l’arrivée à
l’ambassade de France de plusieurs ministres. Ces derniers ont alors
tenu une réunion au cours de laquelle ils ont fixé trois orientations :
remplacer les ministres ou les responsables morts ou disparus, tenter
de reprendre en main la garde présidentielle en vue d’arrêter les massacres et, enfin, réaffirmer leur attachement aux accords d’Arusha.
Ils se sont néanmoins refusé à nommer M. Faustin Twagiramungu
Premier Ministre en remplacement de Mme Agathe Uwilingiyimana
[...] 88
La phrase écartée par Reyntjens dans son livre est donc tout à fait plausible.
Cette omission a pour but de masquer le rôle essentiel du représentant de la
France dans la formation de ce gouvernement qui a permis de dissimuler le coup
d’État et de garder le siège du Rwanda au Conseil de sécurité.

9

L’enquête du juge Bruguière

Reyntjens endosse avec empressement les fausses révélations d’Abdul Ruzibiza. Il écrit que « l’attentat serait alors le couronnement de la stratégie de la
tension menée par le FPR, qui aurait sacrifié des centaines de milliers de Tutsi
sur l’autel de la victoire militaire et de la prise du pouvoir. » 89
Il fournit au juge Bruguière le témoignage de Sixbert Musangamfura qui
accuse le FPR. 90 Il dit au juge que « les missiles sol-air utilisés pour l’attentat
87. L’horreur qui nous prend au visage [5, p. 214].
88. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [13, Tome III, Auditions, Vol. 1, pp. 296297]. http://www.francegenocidetutsi.org/AuditionMarlaud13mai1998.pdf#page=10
89. Filip Reyntjens, Les transitions politiques au Rwanda et au Burundi, in L’Afrique des
Grands Lacs, dix ans de transition conflictuelle, L’Harmattan, 2006, p. 7.
90. Jean-Louis Bruguière, Ordonnance, [2, p. 22].

10

L’EXPERT AU TPIR

15

avaient été remis par l’Ouganda au F.P.R. », 91 alors que dans son livre « Trois
jours... », il affirme que l’Ouganda disposait de SAM 7 et non de SAM 16 92 et
que les missiles SAM 16 ayant servi à l’attentat avaient été saisis en Irak par les
Français. 93 Le professeur Reyntjens apparaît ici comme expert en tête à queue.

10

L’expert au TPIR

Le TPIR a fait plusieurs fois appel à Filip Reyntjens comme expert cité par
le procureur (Affaires Bagosora, Rutaganda) mais une fois aussi par la défense
(Affaire Kanyabashi).

10.1

Son rapport sur l’auto-défense civile

Il est commis par le bureau du procureur pour faire un rapport en anglais
sur l’auto-défense civile. 94
Il y fait les remarques suivantes :
10.1.1

Introduite dans le nord du pays, l’organisation de l’autodéfense est étendue à tout le pays

Il s’appuie sur la « Définition des zones de combat et à haute tension »
où figurent Kibungo, Kibuye, Cyangugu, Gikongoro dans l’agenda de Bagosora
à la date du 14 février 1993. 95 La « Contribution des FAR à la recherche de
la vérité » indique aussi que l’auto-défense populaire a été étendue à d’autres
régions que le nord en raison des infiltrations du FPR. 96
Reyntjens ne relève pas qu’il n’y a jamais eu de combats avec le FPR à
Kibuye, Cyangugu, Gikongoro et qu’en revanche il y a eu des massacres de
Tutsi dans ces régions par le passé.
10.1.2

L’auto-défense est une organisation d’État

Il y a une coordination à tous les niveaux et une coopération entre les ministères de la Défense et de l’Intérieur.
91. Ibidem, p. 38.
92. Filip Reyntjens [14, p. 42].
93. Filip Reyntjens [14, p. 45].
94. Filip Reyntjens, Prosecutor v. Bagosora et al. Expert Witness Statement of Filip Reyntjens on « Civilian Self-Defence », TPIR, June 20, 2004. http://www.francegenocidetutsi.
org/ReyntjensDefenseCivile20juin2004.pdf
95. Théoneste Bagosora, Agenda du colonel Bagosora. Année 1993. http://www.
francegenocidetutsi.org/TheonesteBagosoraAgenda1993.pdf
96. Commandement des FAR en exil, Contribution des FAR à la recherche
de la vérité sur le drame rwandais - La guerre d’octobre 1990 et la catastrophe
d’avril
1994,
décembre
1995.
http://www.francegenocidetutsi.org/
ContributionDesFarAlaRechercheDeLaVeriteDecembre1995.pdf#page=116

10

L’EXPERT AU TPIR

16

Reyntjens renvoie à l’agenda de Bagosora et à la lettre du préfet de Kigali,
Tharcisse Renzaho, qui dépend du ministère de l’Intérieur, au chef d’état major
de l’armée rwandaise. 97
10.1.3

Personnels engagés

Sont engagés dans les groupes d’auto-défense des personnes entraînées par
les FAR, par des policiers communaux, par des réservistes ainsi que par des
gendarmes et des militaires résidents dans le quartier.
10.1.4

Utilisation d’armes traditionnelles

Reyntjens note que l’allusion fréquente à l’utilisation de ces armes est significative parce que ces armes ne sont pas adaptées au combat contre le FPR.
Elles sont faites pour tuer des civils.
Dans son agenda, Bagosora cite à la date du 16 février 1993 comme armes
utilisables : fusil, grenade défensive, flèche et lance. 98 Dans « L’organisation de
l’auto-défense civile », on lit qu’il est nécessaire de « sensibiliser les gens pour
qu’ils se cherchent des armes traditionnelles (lances, arcs et flèches surtout) ». 99
Le général Nsabimana écrit qu’« il a été suggéré d’instruire la population
par les Bourgmestres sur le maniement des armes traditionnelles (épées, lances,
machettes, arcs et flèches) ». 100
10.1.5

Tendance républicaine

Les personnes enrôlées doivent être de « tendance républicaine » ou adhérente de la « cause de la défense de la République ». Reyntjens observe que dans
le contexte bipolaire de début 1994, ces expressions signifient Hutu-Power ou
Coalition pour la défense de la République (CDR).
Dans « L’organisation de l’auto-défense civile », on lit page 3 que le recrutement doit se faire parmi « les adhérents des partis politiques gagnés à la cause
de la défense de la République et de la Démocratie. » Il remarque que ceci vient
en contradiction avec Bagosora qui écrit « éviter les considérations partisanes »
dans son agenda à la date du 5 février 1993.
Cette remarque est fallacieuse car, dans les faits, on ne sait pas distinguer
parmi les massacreurs ceux qui relèvent de l’auto-défense civile ou des milices
de partis politiques, Interahamwe, pour le MRND, ou Impuzamugambi, pour
97. Tharcisse Renzaho, Col. I.G., préfet de Kigali à monsieur le chef d’état-major de l’Armée
rwandaise, no . 14/04.07, Kigali, 31 mars 1994. Objet : Liste de personnes (dans le cadre de la
défense civile). http://www.francegenocidetutsi.org/Renzaho31mars1994Melvlin-24.pdf
98. Théoneste Bagosora, Agenda du colonel Bagosora. Année 1993., TPIR, 31 décembre
1993. http://www.francegenocidetutsi.org/TheonesteBagosoraAgenda1993.pdf#page=14
99. Organisation de l’Auto-Défense Civile, TPIR, Affaire ICTR-98-41-T, Bagosora et al.
Exh. P 254 A, p. 7. http://www.francegenocidetutsi.org/OrgaAutoDefenseCivile.pdf
100. Déogratias Nsabimana à monsieur le ministre de la Défense, Compte-rendu de
réunion, No . 0599/G3.9.2, Kigali, 30 mars 1994. http://www.francegenocidetutsi.org/
NsabimanaAutoDefensePopulaire30mars1994.pdf

11

CONCLUSION

17

la CDR. Dans les communes avec un bourgmestre d’opposition passé ou HutuPower comme à Karama avec Désiré Ngezahayo du Parti social démocrate (PSD)
ou Nyakizu avec Ladislas Ntaganzwa du MDR, on a massacré comme ailleurs
et englobé les tueurs sous le nom d’Interahamwe, alors que c’était le nom de la
jeunesse du MRND.
10.1.6

Une logique de reprise des hostilités

Tous ces documents montrent que le régime raisonne dans la perspective
d’une reprise des hostilités quelle que soit l’évolution politique. « L’organisation
de l’auto-défense civile » prévoit page 3 : « En perspective des reprises éventuelles des hostilités par le FPR même après la mise en place des institutions de
transition à base élargie, il y a lieu d’envisager d’ores et déjà comment continuer
à entretenir les performances techniques de nos militaires démobilisés dans cette
structure d’auto-défense civile ».
Pour terminer, Reyntjens ne peut s’empêcher d’écrire que le FPR, lui aussi,
prépare la guerre car il sait qu’il ne peut prendre le pouvoir par des moyens
politiques. Mais il ne fournit au tribunal aucune preuve documentaire. Ce rapport de Reyntjens sur l’auto-défense civile illustre la préparation du génocide
et rend d’autant plus incompréhensible son affirmation évoquée plus haut qu’il
n’y a pas eu de planification du génocide avant l’attentat.

10.2

Il soutient le général Kabiligi

Reyntjens déclare à Me Degli, avocat de Gratien Kabiligi, que celui-ci « ne
fait pas partie des planificateurs ni des exécutants des massacres ». 101 Pourtant,
le lieutenant-colonel Beaudoin, conseiller du colonel Kabiligi, rapporte que celuici aurait dit quinze jours avant l’attentat, « si Arusha était exécuté, ils étaient
prêts à liquider les Tutsis. » 102 Par ailleurs, l’armée rwandaise, dont Kabiligi
était le chef des opérations (G3), a été le grand pourvoyeur d’armes des miliciens.
Tout en absolvant un des dirigeants du génocide, Reyntjens estime que l’association de rescapés Ibuka compte parmi les « syndicats de délateurs » et que
les Rwandais sont de « brillants menteurs ». 103

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Conclusion

L’honnêteté du professeur Filip Reyntjens est problématique. Il dispose de
beaucoup de relations avec l’ancien régime d’Habyarimana, donc d’informations.
101. Jean Yaovi Degli, Procès verbal [d’audition du professeur Filip Reyntjens], TPIR, 17
juin 1998. http://www.francegenocidetutsi.org/doc56879.pdf
102. Commission d’enquête parlementaire du Sénat belge 1-611/7, section 3.3.3.11, p. 334.
http://www.francegenocidetutsi.org/SenatBelgique-r1-611-7.pdf#page=334 Rapport de
la commission Kigali, 1-611/12, Exposé du Lt Col B.E.M. Beaudoin, p. 78. http://www.
francegenocidetutsi.org/SenatBelgique-r1-611-12p78.pdf
103. Degli, op. cit., pp. 1-2.

RÉFÉRENCES

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Il se permet de jouer avec les faits, escamotant les uns ou accréditant des histoires sans fondement pour faire condamner les uns ou faire échapper d’autres à
la justice. C’est un manipulateur, avant tout nostalgique de la politique discriminatoire de ce régime dont il a rédigé la constitution, régime qui a conduit au
génocide contre les Tutsi. Il use de son savoir et de la naïveté des journalistes
et des juges pour masquer les crimes des auteurs du génocide. Il jongle avec le
vrai et le faux mais là où il ne varie pas c’est pour charger le Front patriotique
rwandais. Il ne se console pas que le Rwanda se passe de ses services.

Références
[1] Philippe Brewaeys : Rwanda 1994 - Noirs et Blancs Menteurs. Racine RTBF, avril 2013.
[2] Jean-Louis Bruguière : Délivrance de mandats d’arrêts internationaux Ordonnance de soit-communiqué. 17 novembre 2006.
[3] Jean-Pierre Chrétien, Jean-François Dupaquier, Marcel Kabanda et
Joseph Ngarambe : Rwanda : Les médias du génocide. Karthala, 1995.
[4] Comité indépendant d’experts chargé de l’enquête sur le crash
du 06/04/1994 de l’avion Falcon 50 immatriculé No 9XR-NN :
Rapport d’enquête sur les causes, les circonstances et les responsabilités de l’attentat du 06/04/1994 contre l’avion présidentiel rwandais Falcon 50 No 9XR-NN. République du Rwanda, 20 avril 2009. http:
//mutsinzireport.com/.
[5] Laure Coret et François-Xavier Verschave : L’horreur qui nous prend
au visage - L’État français et le génocide au Rwanda. Karthala, janvier
2005. Rapport de la Commission d’enquête citoyenne, 22-26 mars 2004.
[6] Alison Des Forges : Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au
Rwanda. Karthala, Human Rights Watch, Fédération internationale des
Droits de l’homme, avril 1999. Traduction de Leave None to Tell the Story.
[7] Alexandre Goffin : Rwanda, 7 avril 1994 : 10 Commandos vont mourir.
ASBL « In Memoriam, J’avais dix camarades », 1995.
[8] Jean-Paul Gouteux : La nuit rwandaise. L’implication française dans le
dernier génocide du siècle. Izuba Éditions, L’Esprit frappeur, 2002.
[9] André Guichaoua : De la guerre au génocide. Les politiques criminelles
au Rwanda (1990-1994). La Découverte, 2010.
[10] Monique Mas : Paris-Kigali 1990-1994 ; Lunettes coloniales, politique du
sabre et onction humanitaire pour un génocide en Afrique. L’Harmattan,
1999.
[11] Vénuste Nshimiyimana : Prélude du génocide rwandais - Enquête sur les
circonstances politiques et militaires du meurtre du Président Habyarimana.
Éditions Quorum (32, rue du Viaduc B-1340 Ottignies) LLN, 1996.
[12] Gérard Prunier : Rwanda : le génocide. Dagorno, 1997. Traduction de
The Rwandan Crisis, History of a Genocide, Hurst and Co, Londres, 1995.

RÉFÉRENCES

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[13] Paul Quilès : Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994. Assemblée nationale, rapport no 1271, http://www.assemblee-nationale.fr/
dossiers/rwanda.asp, 15 décembre 1998. Mission d’information de la
commission de la Défense nationale et des Forces armées et de la commission des Affaires étrangères, sur les opérations militaires menées par la
France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994.
[14] Filip Reyntjens : Rwanda, trois jours qui ont fait basculer l’histoire.
Cahiers africains - L’Harmattan, Vol. 16, 1995. Dépôt légal : février 1996.
[15] Filip Reyntjens : Les risques du métier. Trois décennies comme
“chercheur-acteur” au Rwanda et au Burundi. L’Harmattan, 2009.

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