Fiche du document numéro 23592

Num
23592
Date
Jeudi 25 janvier 1996
Amj
Auteur
Fichier
Taille
114434
Pages
2
Titre
Internet rompt le secret Gubler et contourne la justice
Sous titre
Le livre interdit à la vente est depuis mardi accessible sur le « réseau des réseaux ». En l'absence de législation, la polémique s'installe entre partisans du laisser-faire et d'une codification du service.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
ALORS que les éditions Plon n'avaient toujours pas officiellement fait appel, hier, de l'ordonnance du 8 janvier leur interdisant la diffusion du livre du Dr Gübler, « le Grand secret » est, depuis mardi minuit, disponible sur Internet. Au moyen d'un simple scanner, Philippe Barbraud, patron du « Web », un cybercafé de Besançon, a pu « télécharger » l'ouvrage. Lequel est désormais accessible, pour tous les abonnés du « net », au prix d'une simple communication téléphonique. Simple coup de pub ? Philippe Barbraud n'a pas caché que sa démarche, neutre en termes financiers, lui vaudra certainement une certaine notoriété. Quelles que soient ses intentions, son initiative met en relief le vide juridique dans lequel évolue le « réseau des réseaux ». Elle souligne, également, l'ambiguïté sur laquelle repose son utilisation. Elle pose la question du fonctionnement démocratique de nos institutions.

Pour certains utilisateurs d'Internet, qui revendiquent « un esprit Internet » fondé sur une éthique de la gratuité et de la liberté, la décision de Philippe Barbraud n'a d'autre objectif que de « contourner une censure injuste ». C'est notamment l'opinion de Pascal Vuylsteker, responsable du serveur Internet de l'Institut national de l'audiovisuel (INA). Pour cet ingénieur, « la justice peut se tromper » et l'initiative de Philippe Barbraud, au-delà de son aspect tapageur, vise à « donner aux utilisateurs d'Internet les moyens d'en juger ». « On doit pouvoir accéder à tout. A chacun, ensuite, de trier ». Une analyse partagée par nombre d'utilisateurs pour lesquels Internet ne serait que l'instrument d'une forme de « démocratie directe ». Et qui balaie, au passage, la légitimité des décisions de justice et de leur respect.

Techniquement, la diffusion du livre du docteur Gubler sur Internet peut être interrompue à tout moment. France Télécom peut en effet décider de « couper le tuyau » permettant d'accéder au livre interdit. Car c'est sur son propre site que le « Web » a choisi de le rendre disponible. Ce qui oblige les curieux à s'y connecter et comporte le risque, pour le cybercafé, de se voir couper du reste d'Internet sur décision de France Télécom. Mais « pour couper une ligne, il faut que nous en ayons l'autorisation », souligne Gérard Merveille, porte-parole de l'entreprise. « Et, actuellement, nous ne pouvons le faire pour Internet. Il n'existe aucune réglementation spécifique à ce réseau. » Philippe Barbraud aurait-il voulu, de cette façon, inciter les instances politiques à réagir? Allant jusqu'au bout de sa logique, il a annoncé qu'il n'hésiterait pas, en cas de censure, à délocaliser son site aux Etats-Unis ou ailleurs.

« C'est une affaire très grave », reconnaît Hervé Soymié, responsable du Conseil supérieur de la télématique (CST). « Elle porte atteinte, à la fois, à une décision de justice, à la législation sur le copyright et les droits d'auteur, et aux droits de la famille Mitterrand. » Créé en 1993, le CST a notamment pour mission d'élaborer une législation relative à Internet « parce que, cette affaire le montre, il n'est pas opportun qu'Internet demeure hors de toute déontologie », affirme Hervé Soymié. Soulignant que « la liberté doit s'arrêter où commence celle d'autrui », il déplore qu'Internet soit passé, en quelques mois, d'« un fonctionnement associatif à un fonctionnement commercial ». Persuadé qu'« à terme, c'est à l'échelle internationale qu'il faudra élaborer une législation », le CST pourrait néanmoins émettre un avis le mois prochain...



ELISABETH FLEURY.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024