Fiche du document numéro 22977

Num
22977
Date
Samedi 1er septembre 2018
Amj
Auteur
Fichier
Taille
412180
Pages
18
Urlorg
Titre
Quand la boussole perd le nord
Sous titre
« Que sais-je ? » sur le génocide des Tutsi du Rwanda
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Résumé

Au mois d’avril 2017, les Presses universitaires de France ont fait paraître un « Que sais-je ? » consacré au génocide des Tutsi du Rwanda. Sous l’apparence d’une analyse documentée et équilibrée, l’auteur, Filip Reyntjens, tente d’imposer sa relecture partiale et malhonnête des faits, n’hésitant pas à recourir à des procédés peu dignes d’un historien rigoureux. Le courant révisionniste qu’il incarne vise notamment à faire porter une partie de la responsabilité de la tragédie aux rebelles du FPR et manifeste ainsi, une fois encore, sa capacité à faire valoir ses thèses jusque dans les collections les plus populaires et les plus prestigieuses.

1 La parution, au mois d’avril 2017, d’un « Que sais-je ? » consacré au génocide des Tutsi du Rwanda aurait pu être une bonne nouvelle. Vingt-trois ans après la tragédie, la nécessité de rendre accessible à un large public cette histoire controversée, dans un ouvrage concis et honnête, se fait d’autant plus sentir que des informations et des recherches nouvelles permettent enfin d’échafauder des scénarios probants et de développer des analyses fondées sur des données factuelles et consistantes.


2 De toute évidence, pourtant, l’ouvrage de Filip Reyntjens, professeur émérite de droit à l’université d’Anvers, échoue à remplir l’objectif qu’il s’est apparemment fixé : offrir « des clés de lecture permettant de dégager des faits communément acceptés » pour une « interprétation plus sobre » des événements (p. 8). Sa parution suscite d’ailleurs rapidement une polémique entre spécialistes qui s’affrontent dans les rubriques d’expression libre de la presse écrite. Le 25 septembre 2017, une tribune du quotidien Le Monde accuse Filip Reyntjens d’avoir produit un « brûlot» visant avant toute chose à attribuer aux rebelles du Front Patriotique Rwandais (FPR, le parti des exilés tutsi), et par ricochet au régime en place à Kigali, une responsabilité « historique et politique » dans le génocide des Tutsi2. Ce collectif d’intellectuel.le.s (Aurélia Kalisky, Raphaël Doridant, Yves Ternon, Patrick de Saint-Exupéry, Vincent Duclert, Hélène Dumas, Stéphane Audoin-Rouzeau) relève les « falsifications » du juriste belge, suspect « d’idéologie », et qui, loin d’apporter la clarification attendue, entretiendrait au contraire la confusion autour d’un sujet toujours sous haute tension, du fait des soupçons de « complicités de génocide » pesant sur de hauts responsables politiques et militaires français.

3 Marc Le Pape, Claudine Vidal, 4 Marc Le Pape,
3 Quelques jours plus tard, le 30 septembre, Marc Le Pape et Claudine Vidal, chercheur et chercheuse au CNRS, manifestent dans un article posté sur Mediapart leur désaccord avec « la violence dénonciatrice de cette tribune », « son ton inquisitorial », « ses accusations injustes » et « son arrogance idéologique ». Reprenant point par point le texte du collectif, les deux sociologues tentent de démontrer que Filip Reyntjens est victime d’un faux procès, puisqu’il a effectué un travail sérieux et équilibré, appuyé sur les recherches des meilleur(e)s spécialistes, qu’il ne travestit en rien la réalité et n’a pas les arrière-pensées idéologiques qu’on lui prête : « il décrit “les faits” sans les relativiser et sans les banaliser, sauf pour une lecture malveillante qui veut le stigmatiser en “négationniste du sens”3 ». Le 20 octobre suivant, Marc Le Pape revient sur le sujet en publiant une analyse plus offensive dans Le Monde. Il s’agit cette fois d’affirmer que le collectif auteur de la tribune du 25 septembre est composé de « censeurs » animés, non pas par la volonté d’alimenter une controverse entre chercheurs, mais par un projet de « dénonciation », « d’intimidation » qui cherche à « délégitimer » Filip Reyntjens en faisant planer sur lui le soupçon de « négationnisme ». Reprenant un vocable emprunté à Bourdieu, Marc Le Pape aboutit à assimiler Stéphane Audoin-Rouzeau, Patrick de Saint-Exupéry, Hélène Dumas, Yves Ternon et les autres à des « clercs » qui useraient de leur « forte légitimité dans leur champ professionnel » pour faire passer dans l’opinion une « orthodoxie » favorable à la dictature du président rwandais Paul Kagame, une attitude qui lui évoque les « compagnons de route » de l’Union soviétique ou de la Chine maoïste4.

5 Marc Le Pape, Claudine Vidal, « Rwanda. Dans quel camp sommes-nous ? », Le Monde, 28 février 2012.
6 Alain Gabet, Sébastien Jahan, « Les faits sont têtus : vingt ans de déni sur le rôle de la France (...)
7 Stéphane Audoin-Rouzeau, Une initiation. Rwanda (1994-2016), Paris, Seuil, 2017.

4 Celles et ceux qui connaissent le dossier rwandais auront rapidement perçu que les deux parties en présence sont positionnées depuis quelque temps déjà sur le terrain éditorial et médiatique, Claudine Vidal et Marc Le Pape s’affichant dans le rôle compliqué et pas toujours très convaincant des « non-alignés », entre les défenseurs de la « vérité » officielle française (Pierre Péan, Jean-Louis Bruguière, Hubert Védrine…) et ses détracteurs (Patrick de Saint-Exupéry, l’association Survie...)5. Pour qui n’a pas, en revanche, l’habitude de fréquenter la thématique, nous nous permettons de renvoyer à la mise au point, publiée dans cette revue, qui précise le rôle de certain.es des protagonistes de la polémique de l’automne 2017 dans l’élaboration ou la diffusion des différentes versions de l’histoire du génocide de 19946. Mais il y a tout de même de quoi être troublé par la virulence de ces propos qui, dans le champ du débat universitaire, semblent faire du Rwanda un sujet plus passionnel encore que l’histoire de la colonisation ou de la Révolution française. En France plus qu’ailleurs, en raison de la gravité extrême tant du crime lui-même que des responsabilités imputables à notre pays, les enjeux scientifiques de la question sont manifestement très vite submergés par d’autres considérations, pas forcément d’ailleurs déchiffrables en terme « d’idéologies », et qui renvoient plutôt à d’autres types de loyautés, plus intimes et plus difficiles à catégoriser (liens d’amitié avec des Rwandais, compromissions avec le régime d’Habyarimana, préjugé ethnique, attachement patriotique, fidélité à la mémoire des victimes, exigence de justice et de vérité, éthique personnelle, sentiment de culpabilité…). Pour ne parler que de celles et de ceux qui s’intéressent à la question, car une grande majorité de chercheurs ou de militants ignorent encore presque tout de l’événement, faute d’avoir vécu l’expérience, parfois douloureuse et intérieurement subversive, d’une « initiation » telle que la décrit, par exemple, Stéphane Audoin-Rouzeau dans un récent petit livre, particulièrement instructif7. En tout état de cause, dans cette confrontation médiatique où les contraintes du format laissent difficilement le raisonnement se déployer, il y a fort peu de chances pour qu’un.e novice en la matière, souhaitant s’éclairer sur cette page douloureuse de l’histoire contemporaine, puisse savoir s’il (elle) a intérêt ou non à se procurer le livre de Filip Reyntjens.

5 Bien que ne pouvant prétendre au statut de spécialistes du génocide des Tutsi, ni à une quelconque connaissance directe de l’Afrique des Grands Lacs et de ses populations, nous sommes conscients d’être nous-mêmes, comme tout un chacun, sujets à des déterminismes qui ont sans doute leur part d’influence dans l’opinion que nous avons fini par nous forger sur ce qui s’est passé au Rwanda en 1994. Notre point de vue a été longuement exposé et argumenté au fil des deux articles que nous avons consacrés, dans les Cahiers d’Histoire, à l’implication française dans la préparation et le déroulement des violences génocidaires8. C’est dans un état d’esprit similaire – dévoiler les tentatives de mystification et d’enfumage – et avec les mêmes matériaux – les synthèses historiques, les témoignages et les enquêtes journalistiques à ce jour reconnus pour leur fiabilité – que nous entreprenons la lecture critique du livre de Filip Reyntjens. À cet égard, il nous apparaît in fine que cette publication relève clairement d’un courant de pensée bien identifié qui tend, comme on va le voir, à diluer la responsabilité du génocide au prix d’inquiétants accommodements avec la vérité. Comme d’autres avant elle, mais de manière un peu plus subtile, elle s’emploie à faire accepter une lecture révisionniste des événements, à savoir l’idée que les extrémistes hutu ne sont pas les seuls coupables puisque ce sont les rebelles du FPR et leur chef qui, assoiffés de pouvoir, ont enclenché le processus entraînant la région dans l’horreur et le chaos. Ce faisant, le « Que sais-je ? » de Filip Reyntjens est aussi un évident fiasco éditorial pour la prestigieuse collection à la boussole qui, dans l’affaire, semble bien avoir perdu le nord !

Une synthèse tronquée, voire malhonnête



6 Dans l’analyse qu’il propose du génocide comme de ses antécédents, Filip Reyntjens fait l’impasse sur certains éléments essentiels à la compréhension des événements, quand il ne choisit pas de privilégier des thèses très discutables, voire, dans certains cas, non fondées.

7 Dès le premier chapitre du livre, la perception de l’histoire longue du Rwanda est ainsi brouillée par un discours qui tend à amoindrir tant la responsabilité de la colonisation belge que celle de la IIe République rwandaise dans l’émergence et la diffusion du clivage et du ressentiment ethniques. Si l’auteur concède que « la Belgique et l’Église catholique ont accentué les divisions ethniques » (p. 15), il défend l’idée qu’une « ethnicité politique (ou moderne si l’on veut), avec les avantages ou inconvénients inhérents à l’appartenance identitaire, existait à la fin de la période » (p. 12-13). Pour appuyer ses propos, Filip Reyntjens utilise une citation de l’historienne Catharine Newbury, dont il faut vraiment tordre le sens pour la faire entrer dans la logique de sa démonstration, et une autre (déformée, nous y reviendrons plus loin) de Jean-Pierre Chrétien. Laisser entendre que Jean-Pierre Chrétien ait pu faire remonter l’ethnicisation du clivage hutu/tutsi/twa à l’époque précoloniale est un comble lorsqu’on sait que cet historien a consacré une douzaine de pages de son ouvrage sur l’histoire de l’Afrique des Grands Lacs à la « question du clivage sociohistorique » dans lequel il étudie comment les observateurs européens ont transformé des catégories sociales – jusque-là secondaires dans la définition de l’identité individuelle – en étiquettes raciales (les Tutsi/Nilo-Hamites et les Hutu/Bantous) structurant les hiérarchies coloniales9. Filip Reyntjens n’a de toute évidence pas su tirer parti non plus de la lecture de Jean-Luc Galabert étudiant « les modalités de définition de soi antérieures à l’épisode colonial10 ». Jean-Luc Galabert met en évidence l’importance des identificateurs lignagers et claniques, et la promotion tardive et conjoncturelle par les propriétaires de grands troupeaux d’une distinction Hutu/Tutsi, d’ailleurs rapidement supplantée par le couple imfura (noble, distingué) /rubanda (peuple, gens du commun). En tous les cas, la tripartition tutsi/hutu/twa n’est jamais présentée comme une représentation ethnique avant que les colonisateurs ne viennent imposer leur lecture raciale.

8 De simplifications en lectures biaisées, Filip Reyntjens aboutit à limiter l’impact de la colonisation à une « racialisation des catégories ethniques » (p. 14) là où la contribution des Allemands puis des Belges à l’histoire du Rwanda (comme du Burundi) devrait se situer dans l’ethnicisation et la racialisation simultanées des rapports sociaux, du fait d’une transformation radicale de la place comme de la nature des différenciations identitaires. D’une manière générale, dans les processus qui conduisent à l’enracinement de l’antagonisme racial, la responsabilité imputable à l’administration belge est souvent réduite au minimum, comme lorsque Filip Reyntjens néglige de souligner le rôle du résident général Guy Logiest au moment de la « révolution sous tutelle » qui installe le groupe majoritaire hutu au pouvoir à la veille des indépendances, mais aussi le soutien sans faille que les autorités belges et notamment la démocratie chrétienne, à travers ses relais dans l’Église catholique, a apporté aux dictatures de Grégoire Kayibanda puis du général Juvénal Habyarimana. La relative mansuétude dont ce dernier, parvenu au sommet de l’État par un putsch en 1973, bénéficie dans l’ouvrage de Filip Reyntjens est également surprenante (p. 25). Certes, la violence ethnique reflue considérablement, ce qui permet au Rwanda d’apparaître plus présentable aux yeux des bailleurs de fonds internationaux, séduits par le programme de « développement rural intégré » du nouveau président12. Mais c’est pour mieux laisser la place à ce que Jean-Pierre Chrétien appelle « l’ethnisme au quotidien13 », qui voit le « peuple majoritaire » hutu entretenir sa suprématie à travers une politique de discrimination scolaire et administrative rigoureuse frappant la minorité tutsi14. Un autre historien des Grands Lacs, Gérard Prunier, fait la même analyse des années Habyarimana que Jean-Pierre Chrétien lorsqu’il remarque qu’à cette époque :

« des fondements idéologiques extrêmement dangereux sous-tendaient cette façade souriante. La mythologie culturelle rwandaise révisée par les Hutu, cause des violences de 1959 à 1964, était encore bien vivante et la paix ne se maintenait qu’au prix de l’enrichissement copieux de l’élite. Tout l’édifice reposait sur une hypocrisie soigneusement contrôlée et l’Église jouait le rôle de chef d’orchestre. Des remous inquiétants perçaient les apparences si on savait regarder. »


9 Mais Filip Reyntjens, s’il ne dissimule pas la mise en place des quotas, s’en tient pourtant aux apparences et préfère mettre en avant la politique d’apaisement du régime, qui semble rendre possible une solution négociée, notamment sur la question sensible du retour des réfugiés. Dans son interprétation, il apparaît assez clairement que la responsabilité de la rupture incombe à certains jeunes Tutsi de la diaspora prêts à engager la lutte armée pour arriver à leurs fins (p. 27).

10 L’attentat du 6 avril 1994, qui ouvre le chapitre III consacré au génocide, aurait mérité également un tout autre traitement. Cette question est, en effet, centrale dans la controverse qui oppose les différentes écoles de pensée sur le génocide des Tutsi puisque, en l’absence d’un procès qui aurait pu clore le débat, toutes les possibilités ont été envisagées : attentat perpétré par le clan hutu extrémiste, avec ou sans soutien, direct ou indirect, de la part des militaires français ; ou attaque menée par le FPR dans le but d’accéder au pouvoir. Sous la plume de l’auteur, la responsabilité du FPR est cependant une affaire entendue :

« En mars 1998, une information judiciaire est ouverte pour assassinat en relation avec une entreprise terroriste. Le dossier est confié au juge d’instruction Jean-Louis Bruguière qui, en novembre 2006, désigne le FPR comme auteur de l’attentat et décerne des mandats d’arrêt internationaux contre neuf officiels rwandais. Le président Kagame bénéficie de l’immunité accordée en France aux chefs d’État en exercice et ne peut être poursuivi. Bruguière suggère que le TPIR soit saisi de son cas. Bruguière partant à la retraite en 2008, les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux procèdent à de nouvelles enquêtes. Cependant, même si un faisceau d’indications désigne le FPR comme auteur de l’attentat [nous soulignons], rien de décisif ne semble en sortir, et au moment où sont écrites ces lignes, aucune décision – non-lieu ou renvoi devant la cour d’assises de Paris – n’a été prise » (p. 45-46).


11 Tout lecteur à la recherche d’une première information comprendra à ces lignes que le juge Bruguière a conclu à la culpabilité du FPR, que le dossier a été repris après son départ à la retraite par les juges Trévidic et Poux, mais que l’instruction n’a débouché sur « rien de décisif ». Le problème est que cette dernière information est fausseOn pourrait ajouter également que le juge Bruguière n’est pas, à proprement parler, « parti à la re (...). Filip Reyntjens réussit ainsi le tour de force de reprendre les conclusions de l’enquête à charge conduite par le juge Bruguière contre le FPR et de les attribuer à ses successeurs qui en ont, au contraire, démontré l’impossibilité ! En se rendant sur le terrain et en menant une enquête sérieuse, étude balistique à l’appui, Marc Trévidic et Nathalie Poux ont, en effet, prouvé que les missiles qui ont fauché l’avion du président Habyarimana furent tirés de la colline de Kanombe, inaccessible aux hommes du FPR. Dès lors, et en l’état des investigations, le « faisceau d’indications » ne désigne pas le FPR, comme le prétend Filip Reyntjens, mais les extrémistes hutu, avec une zone d’ombre sur les complicités éventuelles dont ils auraient pu bénéficier17. Non seulement l’auteur omet donc d’évoquer la remise en cause du travail de Jean-Louis Bruguière par les juges Trévidic et Poux, mais – plus grave encore – l’organisation de son texte laisse penser que « le faisceau d’indications » qui accuserait le FPR émane tant de l’enquête des seconds que de celle du premier. Un tel procédé, ayant pour but manifeste de manipuler les informations afin d’induire en erreur le lecteur, suffit objectivement à disqualifier l’auteur pour parler de ce sujet. On aurait compris que les éléments des différentes instructions fassent l’objet d’une analyse contradictoire, mais pas que les résultats des « nouvelles enquêtes » des juges Trévidic et Poux soient passés sous silence, encore moins que l’auteur leur fasse dire l’inverse de leur propos par une figure argumentative particulièrement insidieuse.

12 Il est impossible, en outre, d’adhérer à la thèse, explicitement défendue par Filip Reyntjens, d’un génocide non planifié et organisé dans l’urgence. Précisons bien d’emblée que l’auteur ne remet ici nullement en question l’existence du génocide des Tutsi. À ce stade, toutefois, Filip Reyntjens relève non seulement que la planification du génocide n’est pas prouvée (p. 58), mais aussi que « la confusion et l’improvisation » régnant le soir de l’attentat rendent peu probable une décision « préparée collectivement ». Considérant que « la présence d’un dispositif avant le 6 avril n’était même pas nécessaire pour déclencher le génocide », Filip Reyntjens fait sienne l’assertion de Claudine Vidal selon laquelle la date du 12 avril « marque sans ambiguïté le début du génocide en intention et en acte » (p. 59). Cette position, assénée sans preuve et sans argumentation, est, d’une certaine manière, cohérente avec le parti pris de l’auteur sur l’identité des auteurs de l’attentat : elle lui permet de suggérer que ce sont ces derniers qui allument l’étincelle du brasier génocidaire. L’argument du génocide « non planifié » est d’ailleurs une thèse régulièrement promue par tout un courant désireux de réviser dans un sens défavorable au FPR l’histoire en train de s’écrire. Sa version la plus caricaturale et la plus médiatique est défendue par le journaliste Pierre Péan, qui considère que Paul Kagame « a planifié l’attentat [du 6 avril], donc planifié aussi sa conséquence directe : le génocide des Tutsi perpétré en représailles [nous soulignons] »18. Le problème pour ces auteurs est que cette thèse n’est pas crédible. L’historien Jean-Pierre Chrétien a déjà eu l’occasion de démontrer comment l’akazu (la maisonnée présidentielle) et l’aile dure du Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement (MRND) avaient depuis la fin de l’année 1990 instrumentalisé les médias pour entretenir une culture de la haine et de la violence raciales dans le but de déstabiliser le processus de paix (les négociations d’Arusha) et de préparer les esprits au déchaînement meurtrier19. À ce moment-là de sa synthèse, Filip Reyntjens ne fait pas non plus référence au témoignage – pourtant accablant – du chef de la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), le général canadien Roméo Dallaire, évoquant les nombreuses informations restées sans réponse qu’il envoyait aux diplomates sur les caches d’armes disséminées dans le pays20. Il n’est pas question non plus des révélations de l’ancien espion au service des Forces Armées Rwandaises (FAR), Richard Mugenzi, témoin le 21 novembre 1992 d’une réunion secrète – que Jean-François Dupaquier compare à un « Wannsee rwandais » – au cours de laquelle est détaillé « l’agenda de l’extermination21 ». Pas plus que n’est prise en considération la monumentale enquête d’Alison Des Forges dans laquelle est précisée la chronologie des signes annonciateurs prouvant, depuis au moins 1993, les intentions génocidaires des extrémistes hutuAlison Des Forges (dir.), Aucun témoin ne doit survivre…, op. cit., p. 218. Pour Alison Des Forges, (...).

13Comme il a déjà été dit, les investigations des juges Trévidic et Poux ont permis de reconstituer un nouveau scénario, dans lequel l’attentat pourrait s’intégrer à la « stratégie par étapes23 » élaborée par les extrémistes du Hutu Power. Dans un tel schéma, la mort d’Habyarimana est à la fois le préalable nécessaire à la prise du pouvoir par ceux qui ont programmé le génocide et le signal de la mobilisation de soldats et de miliciens, entraînés à « l’autodéfense civile » et stimulés par la désignation d’un coupable idéal, les rebelles tutsi du FPR. Enclenchée par l’appel à la vengeance, la machine se met immédiatement et méthodiquement en route à l’annonce de la mort du président, tout simplement parce qu’elle était prête (au moins à Kigali et dans le nord du pays) à entrer en action. Filip Reyntjens, qui ne peut ignorer ces faits largement connus et analysés, n’y fait même pas allusion.

24 Benoît Collombat et David Servenay, Au nom de la France…, op. cit., p. 23-33.
25 Voir le témoignage de Thierry Prungnaud, sous-officier au sein du COS (Commandement des opérations (...)
14Une logique argumentative commence à se dessiner, qui n’échappera pas au lecteur averti mais qui risque d’induire en erreur le néophyte auquel s’adresse la collection. Des conclusions retenues sur l’attentat du 6 avril au récit des massacres génocidaires, il est impossible de ne pas voir la volonté de l’auteur d’inverser les responsabilités, en minimisant autant que possible celle des dirigeants hutu et en chargeant jusqu’à l’absurde celle du FPR. C’est en suivant cette logique que l’on comprend le quasi-silence qui plane au fil des lignes sur le rôle joué par la France dans l’histoire du Rwanda entre 1990 et le génocide. La logique génocidaire du Hutu Power s’est mise en place sous la protection de l’armée française qui, dans le cadre – parfois outrepassé – d’accords de coopération militaire, a sauvé le régime Habyarimana en 1990 de l’attaque du FPR, seul fait rappelé par l’auteur concernant le rôle de la France à ce moment-là (p. 35), mais sans aucune mise en perspective. Pas de mention non plus du fait que si aucune enquête n’a pu être menée à son terme sur l’attentat du 6 avril, c’est que les preuves ont disparu, alors que les premières autorités arrivées sur le lieu du crime furent les militaires français24. Pas plus de développement sur le soutien constant de Paris au gouvernement intérimaire organisateur du génocide, entre avril et juillet 1994, Filip Reyntjens se contentant de signaler que la France a été le seul pays à le reconnaître (p. 86). Silence sur le bilan réel de l’opération Turquoise, qui a permis l’exfiltration des génocidaires vers le Zaïre voisin sans réussir à protéger de manière systématique et efficace les populations tutsi qui continuaient à subir des massacres, y compris dans la zone contrôlée par l’armée française, comme en atteste l’épisode tristement célèbre de Bisesero (très prudemment évoqué par l’auteur page 77)25. Filip Reyntjens pose la question d’un génocide perpétré par les forces tutsi sur les populations hutu du Zaïre mais omet d’expliquer que la poursuite des violences en territoire congolais est le résultat de cette fuite des forces génocidaires, de l’autre côté de la frontière, permise par l’opération Turquoise. On le mesure à ces simples exemples, il est impossible de comprendre le génocide tutsi sans dénouer l’écheveau des responsabilités internationales, au premier chef celle de la France. Mais souligner la complicité des autorités françaises de l’époque avec le pouvoir génocidaire reviendrait à mesurer dans sa plénitude celle, première, du Hutu Power sous le régime Habyarimana dans la préparation du génocide. Or, l’auteur, tout à son entreprise de relativisation de la responsabilité des autorités hutu au détriment du FPR, ne peut que passer sous silence la complicité, pourtant essentielle, dont elles ont bénéficié de la part de l’État français.

15L’analyse que Filip Reyntjens propose des motivations de la violence génocidaire (p. 69-74) nous paraît, en outre, très réductrice. Pour l’auteur, reprenant des travaux de Lee Ann Fujii et de Scott Straus, les thèses « privilégiant l’explication par un ancien antagonisme ethnique » s’avèrent aujourd’hui moins convaincantes que celles qui mettent en avant « des facteurs situationnels et des motifs personnels, tels que la convoitise et la jalousie » (p. 70). Filip Reyntjens ajoute que la dynamique de la violence a été permise par le contexte de guerre avec le FPR et accentuée par l’assassinat du président Habyarimana, qui donne « une force nouvelle à la propagande liée à la guerre ». « Dès ce moment, ajoute-t-il, les voisins tutsi deviennent une menace réelle et ils sont vus comme des alliés du FPR, dont le but ultime serait d’exterminer les Hutu. La combinaison de sentiments de peur, de rage, de vengeance, d’autodéfense et de sécurité fait le reste » (p. 71).

26 Bernard Bruneteau, « Génocide. Origines, enjeux et usages d’un concept », dans Barbara Lefebvre et (...)
27 Alison Des Forges, Aucun témoin ne doit survivre…, op. cit., p. 82.
28 Hélène Dumas, Le génocide au village. Le massacre des Tutsi au Rwanda, Paris, Seuil, 2014, p. 117.
16Évacuer, comme le fait Filip Reyntjens, le poids d’un conditionnement des esprits par le biais d’une propagande raciste, relayée durant plusieurs décennies par l’institution scolaire, les radicaux du parti présidentiel, les médias, avant qu’elle ne soit amplifiée dans les mois précédant le génocide par la radio privée RTLM (Radio Télévision libre des Mille Collines, créée dans l’été 1993), c’est évidemment se priver d’une clé de compréhension essentielle du massacre, et tout spécialement de son caractère « participatif » ou « populaire ». Bernard Bruneteau a ainsi souligné que l’implication du voisinage dans le génocide, au Rwanda comme d’ailleurs dans l’Anatolie de 1915, pousse au contraire « à mettre l’accent sur les imprégnations idéologiques de longue durée » et « peut-être, de façon plus décisive, sur les mythes et représentations régissant les structures culturelles d’une société26 ». Au Rwanda, ces représentations hostiles aux Tutsi – communément perçus comme les héritiers « revanchards » de la caste « féodale » et « étrangère » qui opprimait les Hutu avant la « révolution sociale » de 1959 – sont intensément mobilisées depuis 1990 et le début de la guerre entre l’APR (Armée patriotique rwandaise, la branche armée du FPR) et les FAR. Une « propagande en miroir27 » s’emploie à prophétiser un massacre de Hutu par les Tutsi pour mieux justifier l’extermination préventive de ces derniers. Dans cette rhétorique, l’histoire nationale mythifiée, telle qu’elle est enseignée aux petits Rwandais, est abondamment convoquée. Hélène Dumas l’a rappelé avec force dans le livre issu de sa thèse : « L’inscription d’un conflit contemporain dans le schéma d’une lutte séculaire permet de placer les Tutsi dans une hérédité implacable charriant toutes les tares de leurs ancêtres ». Sur le thème de cet atavisme va prospérer « une série de clichés racistes28 ».

29 Ibidem, p. 118.
17Filip Reyntjens a donc raison de considérer que la guerre joue un rôle essentiel, ne serait-ce qu’en militarisant la société ou en accentuant la peur qui facilite l’assimilation du message meurtrier délivré par le pouvoir. Il omet toutefois de souligner ce fait décisif, relevé encore par Hélène Dumas, qui est que la guerre a rendu perméables les frontières entre le monde civil et le monde militaire, en revitalisant le fantasme ancien de l’ennemi intérieur. « En effet, si les soldats de l’APR représentent les premières cibles des journalistes et des caricaturistes, les fantasmes de cruauté dont ils font l’objet vont peu à peu contaminer les représentations des Tutsi en général29 ». Depuis au moins 1990, donc bien avant l’attentat du 6 avril, la diabolisation et l’animalisation de l’ensemble de la population tutsi se sont propagées dans la société rwandaise jusqu’à devenir des lieux communs de l’imaginaire collectif hutu. La fécondité de ces idées délirantes n’aurait évidemment pas été si forte si le terrain n’avait pas été ensemencé par quatre décennies de haine et de discrimination raciales anti-tutsi.

30 Pierre-Antoine Braud, « Lien social, passage au crime de masse et reconstruction », communication a (...)
31 Bernard Bruneteau, « Génocide. Origines, enjeux et usages d’un concept », dans Barbara Lefebvre et (...)
18Si la guerre, la peur, la convoitise tiennent bien un rôle important dans le témoignage des acteurs de la violence, elles ne sauraient suffire à comprendre le génocide des Tutsi de 1994. Ces trois éléments combinés sont en effet communs à de très nombreux épisodes historiques violents qui n’ont pas pour autant engendré un massacre génocidaire. Si d’autres facteurs que les identités ethniques entrent évidemment en compte pour expliquer la violence des acteurs du génocide, ce sont bien ces mêmes identités qui autorisent le meurtre : pour Pierre-Antoine Braud, les paysans hutu ne « tuent pas un voisin ou un inconnu parce que Tutsi, mais il est possible de le tuer car Tutsi30 ». Plus globalement, comme le dit Bernard Bruneteau, le génocide est la rencontre « d’un contexte et d’une intention politico-idéologique31 » qui, au Rwanda, prend la forme d’un racisme d’État. La minimisation par Filip Reyntjens de cette dimension de « haine ethnique », associée à la thèse d’un massacre non planifié, aboutit in fine à vider l’épisode de certaines de ses caractéristiques génocidaires.

Vernis universitaire et procédés manipulatoires
32 Pierre Péan, Noires fureurs, blancs menteurs, Paris, Fayard, 2005. Sur l’ethnisme des tenants de la (...)
33 Soulignons le travail indispensable mené par l’association Survie, passé sous silence par Filip Rey (...)
34 Raphaël Doridant parle d’un « évidement du concept de génocide », dans « Quand Filip Reyntjens perv (...)
35 « Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du d (...)

19 Si l’ouvrage de Filip Reyntjens est discutable sur le fond, il l’est davantage encore sur la forme et les procédés argumentatifs utilisés. Car loin des outrances verbales d’un Pierre Péan, dont la publication de Noires fureurs, blancs menteurs fut révélatrice de l’ethnisme, le plus souvent caché, des défenseurs de la version officielle du rôle de la France32, Filip Reyntjens avance avec beaucoup de prudence, et pour tout dire, comme masqué, usant du ton universitaire qui sied à la collection qui l’honore de sa commande. Ainsi prend-il grand soin de s’éloigner de thèses qui ne sont plus défendables, alors même qu’elles pourraient servir son propos. Parmi ces thèses, dont une abondante bibliographie33 a pu venir à bout, soulignons l’écran de fumée du « double génocide », qui renvoyait dos à dos les génocidaires hutu et les partisans du FPR, ou le génocide « spontané » qui n’aurait pas été impulsé depuis Kigali. Ces thèses, inacceptables parce que contraires aux faits tels qu’ils ont pu être établis, notamment par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), pourraient valoir le qualificatif de « négationniste » à toute personne qui les défendrait aujourd’hui. On voit mal un auteur prendre un tel risque, surtout sous la couverture des PUF et de la collection « Que sais-je ? ». Mais toute l’argumentation de Filip Reyntjens semble une tentative de glissement de ces anciennes thèses indéfendables vers un nouveau paradigme relativiste du génocide tutsi34. Ainsi, la thèse du double génocide sur le sol rwandais fait-elle place à celle d’un double génocide mettant en balance le génocide tutsi au Rwanda et celui, non démontré, des populations hutu en République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre). La rapidité avec laquelle Filip Reyntjens conclut à un génocide en RDC, sur la base d’un rapport qui ne dit rien de si formel35, sonne comme l’aveu d’une manœuvre qui a pour but de remplacer une thèse intenable par une autre, semant un nouveau trouble légitime chez le lecteur peu rompu à de telles controverses intellectuelles. Ce glissement peut s’observer également sur le mode opératoire du génocide. Si Filip Reyntjens prend soin de réfuter dans un premier temps la thèse scandaleuse d’un génocide spontané (p. 47-48 et 58), c’est pour mieux soutenir dans un second temps, comme il a déjà été dit, celle d’un génocide de réaction organisé dans l’urgence de l’attentat, sans planification préalable, qui permet de faire porter la faute autant sur le FPR que sur les génocidaires. Dès lors, les massacres n’auraient pas été le fruit d’une longue propagande raciste, mais le résultat d’un réflexe d’autodéfense.

20Derrière une façade d’apparente pondération, il apparaît en outre rapidement que l’auteur fait la part belle aux publications qui vont dans le sens des thèses qu’il défend. Les travaux qu’il cite le plus souvent en notes infrapaginales sont, outre les siens, ceux du sociologue André Guichaoua (quatorze mentions), en particulier son livre Rwanda, de la guerre au génocide. Les politiques criminelles au Rwanda (1990-1994), publié en 2010 aux éditions La Découverte36. Cet ouvrage consacre notamment un long passage à l’attentat du 6 avril et met en évidence ce que son auteur appelle « un faisceau d’hypothèses concordantes sur les responsables de l’attaque » : présent à Kigali au moment des événements et témoin-expert du bureau du procureur du TPIR, André Guichaoua explique comment sa présomption d’une responsabilité du FPR dans l’assassinat du président a fini par acquérir à ses yeux « une solidité certaine37 ». Une autre parenté avec le « Que sais-je ? » du juriste belge se situe dans la négation de toute planification génocidaire, le sociologue insistant, comme Filip Reyntjens, sur l’improvisation, voire « les comportements d’affolement et de débandade » dont auraient fait preuve les leaders civils et militaires hutus dans les heures qui suivirent l’attentat38.

39 Rony Brauman, Stephen Smith et Claudine Vidal, « Politique de terreur et privilège d’impunité au Rw (...)
40 Abdul Joshua Ruzibiza, Rwanda, l’histoire secrète, Paris, Éditions du Panama, 2005.
41 Jean Lingstein, « Rwanda : éloge de la neutralité par André Guichaoua », Mediapart, 21 juillet 2014 (...)
42 Nicolas Couri et Patricia Tourancheau, « Le juge déjugé », Libération, 12 juillet 2011.
21Une telle convergence se retrouve avec une autre des sources favorites de l’auteur (quatre citations), la sociologue Claudine Vidal, connue depuis longtemps pour son hostilité au FPR et à Paul Kagame39, partisane, elle aussi, nous dit Filip Reyntjens, de la thèse d’un génocide commencé cinq ou six jours après l’attentat et surtout préfacière imprudente du livre d’Abdul Ruzibiza, principal témoin – aujourd’hui disqualifié – du juge Bruguière40. Le même livre avait d’ailleurs été postfacé par André Guichaoua, qui aurait présenté Ruzibiza à Jean-Louis Bruguière et l’aurait ensuite convaincu d’écrire un récit autobiographique pour diffuser ses prétendues révélations sur la responsabilité de Paul Kagame41. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces deux universitaires, largement accrédités par l’auteur du « Que sais-je ? » (et dont l’une a, on l’a vu, fougueusement défendu Filip Reyntjens), n’ont au minimum pas brillé par leur clairvoyance dans cette affaire. Au pire, ils auront été les cautions intellectuelles volontaires d’une de ces procédures bâclées et partiales dont le juge Bruguière (contraint depuis de quitter la magistrature) était coutumier42.

22Si Jean-Pierre Chrétien est évoqué à huit reprises, c’est surtout pour l’histoire antérieure à la colonisation ou en référence à l’ouvrage collectif qu’il a dirigé sur les médias du génocide. En réalité, comme on a pu s’en rendre compte, Filip Reyntjens n’exploite les travaux de ce spécialiste des Grands Lacs que lorsque cela l’arrange. Quant à l’étude majeure supervisée par l’historienne étatsunienne Alison Des Forges, dont Filip Reyntjens reconnaît le caractère « pionnier » (p. 49), elle n’est citée qu’à deux reprises et on le comprend, tant ses conclusions paraissent contradictoires avec les positions adoptées par le juriste belge. Il faudrait aussi pointer l’omission par l’auteur de la brillante recherche doctorale d’Hélène Dumas, déjà évoquée, comme le silence total sur les résultats des auditions menées par la Commission d’enquête citoyenne (CEC) qui, en mars 2004, s’est employée à recueillir des éléments factuels sur l’implication de la France au Rwanda43. Sur cette dernière thématique, l’auteur ignore en outre (ou feint d’ignorer) les travaux de l’association Survie, dont on peut critiquer la tonalité parfois délibérément polémique et ouvertement militante, mais qui constituent tout de même un point de vue très solidement étayé et argumenté, à tel point d’ailleurs que l’essentiel de ses premières accusations s’est trouvé confirmé par des investigations ou témoignages ultérieurs44. Issues le plus souvent d’enquêtes approfondies conduites par des journalistes ou des grands reporters, ces récentes révélations ont abouti à mettre en évidence les failles béantes de la version officielle française sur les conditions et les raisons de son engagement au Rwanda à cette période. Elles sont, elles aussi, absentes de la bibliographie de Filip Reyntjens45. Le traitement minimaliste du thème brûlant de la responsabilité française est évidemment la conséquence de ces énormes lacunes documentaires : c’est toute une littérature, dont la méthodologie n’a souvent rien à envier aux travaux universitaires les plus pointus, qui se retrouve ainsi escamotée alors qu’elle aurait permis à l’auteur une salutaire mise à l’épreuve de son unique source affichée, l’étude frileuse et aujourd’hui dépassée du politologue belge Olivier Lanotte46. En bref, un examen rapide des références choisies par Filip Reyntjens vient à l’appui de la démonstration de son sens tout relatif de l’équité : l’auteur privilégie très nettement un camp (celui des contempteurs acharnés du FPR) au détriment d’un autre (les dénonciateurs de la complicité française).

23Pour étayer l’élaboration de son nouveau paradigme relativiste, Filip Reyntjens utilise des procédés qui discréditent définitivement son travail. On a déjà eu l’occasion de signaler sa manœuvre pour faire endosser aux juges Trévidic et Poux les conclusions du juge Bruguière, alors même qu’ils en avaient démontré le caractère faux et orienté (cf. plus haut). Un autre abus, peut-être plus sidérant encore, car plus aisément démontrable, est l’usage qu’il fait des citations. Ainsi n’hésite-t-il pas à faire dire aux auteurs cités le contraire de leur propos. Les truquages sont parfois quasiment imperceptibles, comme lorsqu’il utilise Jean-Pierre Chrétien pour étayer sa thèse d’une division ethnique antérieure à la colonisation. Les mots que Filip Reyntjens reprend de sa source sont, en effet, identiques au texte original à une parenthèse près : « Un autre historien de la région, Jean-Pierre Chrétien, observe “l’ancienneté de ce clivage (ethnique)” et soulève l’importance de l’extension du royaume nyiginya pour la définition ethnique » (p. 12). Le terme « ethnique » n’apparaît pas dans cet extrait du livre de Jean-Pierre Chrétien et a donc été rajouté par Filip Reyntjens ; il n’éclaire pas non plus le passage cité dans la mesure où Jean-Pierre Chrétien ne parle à ce moment-là que de l’ancienneté du clivage Hutu-Tutsi (dont on a vu la dimension originellement sociale) et absolument pas de l’ancienneté de sa racialisation, qu’il fait remonter, comme on l’a dit, aux premières observations des philologues et ethnologues européens47. Il s’agit donc d’une manipulation de plus, détournant les propos d’un auteur réputé pour les faire coller à une théorie douteuse. L’usage malhonnête des citations trouve une illustration tout aussi choquante lorsque Filip Reyntjens déforme les paroles de Paul Kagame (p. 84-85), chef du FPR et actuel président du Rwanda, à partir du témoignage de Roméo Dallaire, alors commandant des casques bleus48. Sortant la phrase de son contexte et omettant les éléments qui pourraient en donner la meilleure compréhension, Filip Reyntjens fait avouer à Paul Kagame le fait qu’il aurait cyniquement sacrifié les Tutsi de l’intérieur dans le but de conquérir le pouvoir. Or, la phrase remise dans son contexte révèle un chef de guerre qui hiérarchise les objectifs : risquer la perte d’un nombre limité d’otages – tutsi et hutu modérés – objet d’un chantage odieux, afin d’accélérer la prise du pouvoir, seule façon d’arrêter le génocide sur l’ensemble du territoire49.

50 Rapport Mapping, cité plus haut, p. 283-293, sur le problème de qualification des crimes commis à l (...)
24Autre procédé pour le moins discutable : mettre en balance un génocide reconnu par la communauté internationale, avéré dans toutes les acceptions du terme, avec les conclusions très prudentes du rapport Mapping sur les crimes commis contre les Hutu en RDC50. Déviant de son sujet, le génocide tutsi au Rwanda en 1994, le livre devient un réquisitoire contre le FPR et ses alliés au Congo. Il aurait été une faute de ne pas faire le lien, au moins dans une conclusion étoffée, mais y consacrer une grande partie du développement relève, encore une fois, du détournement.

25Enfin, un dernier exemple, moins crucial mais assez symptomatique, peut laisser songeur le lecteur averti. Filip Reyntjens soutient en effet que le mot inyenzi (« cafard » ou « cancrelat » dans la langue rwandaise, le kinyarwanda), sans cesse utilisé dans la propagande de haine des médias du génocide pour désigner les Tutsi, serait à l’origine une appellation que les premiers combattants rebelles, recrutés dans les rangs des réfugiés tutsi, utilisaient pour se nommer eux-mêmes (p. 20-21)51. Cette affirmation, qui n’est appuyée sur aucune référence, semble toutefois exacte, du moins si l’on en croit les travaux d’Aaron Segal ou d’Antoine Lema, repris par Linda Melvern52. Le malaise provient du fait que Filip Reyntjens ne revient pas dans la suite de son texte sur l’usage que les Hutu ont fait de cette terminologie, récupérée à l’envi par les propagandistes racistes, à partir de 1990. À cette époque, le FPR n’utilise plus un tel vocable mais nomme ses troupes les Inkotanyi (« ceux qui se battent vaillamment » en kinyarwanda). Dans ses discours, l’idéologue hutu Léon Mugesera insiste cependant pour que les soldats de l’APR soient appelés inyenzi et non Inkotanyi, un terme jugé « trop respectueux53 ». Le mot inyenzi revêt dès lors une autre signification, en lien évidemment avec l’insecte et sa réputation, non plus de combattant nocturne, mais d’envahisseur sournois et répugnant, premier acte d’une déshumanisation propre à nombre d’idéologies génocidaires. Surtout, il finit par s’appliquer à l’ensemble des Tutsi, civils et habitants du Rwanda compris, essentialisant et enfermant cette catégorie de la population dans une fatalité biologique subalterne et menaçante. Un article de la revue extrémiste Kangura, de mars 1993, intitulé « Un cancrelat ne peut donner naissance à un papillon », en atteste :

54 Ibidem, p. 92-93.
« Nous avons commencé en disant qu’un cancrelat ne peut donner naissance à un papillon. Et c’est vrai. Un cancrelat donne naissance à un autre cancrelat. […] Qui peut faire la différence entre les inyenzi qui ont attaqué en octobre 1990 et ceux des années 1960 ? Ils sont tous liés, […] leur méchanceté est la même. »54

26En omettant de préciser ce glissement sémantique fondamental, Filip Reyntjens s’épargne une référence à la propagande pré-génocidaire, qui contrarierait sa thèse du « génocide non planifié », tout en laissant s’insinuer l’idée que les Tutsi sont, d’une certaine manière, responsables des insultes et des traitements infamants qu’ils ont subis.

Une « bavure » éditoriale ?



27 Le moment est venu d’en savoir un peu plus sur l’auteur de ce livre si peu recommandable. La notice que lui consacre l’éditeur en quatrième de couverture nous apprend que ce « constitutionnaliste belge », « professeur émérite à l’université d’Anvers », a été « expert auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda ». Il ne s’agit pas d’un inconnu dans le domaine des études rwandaises et il a déjà écrit des ouvrages consacrés au génocide de 1994 ou à son environnement contextuel (le plus souvent cité étant sans doute Rwanda : trois jours qui ont fait basculer l'histoire55). Les connaisseurs de l’Afrique des Grands Lacs n’auront sans doute pas été surpris par les positions qu’il défend dans son « Que sais-je ? », tant elles sont conformes à ce que Filip Reyntjens a l’habitude de faire valoir dans ses publications ou ses interventions dans les médias. La première constante – et la plus évidente – est son hostilité au FPR et à Paul Kagame. Dès 1995, Claudine Vidal pointait dans un compte rendu critique de son ouvrage L’Afrique des Grands Lacs en crise. Rwanda-Burundi, 1988-199456, « le parti pris qui domine en filigrane dans le livre et culmine de façon explicite dans les dernières pages ». « Ce parti, ajoute-t-elle, tient à suggérer que l’attaque du FPR, en octobre 1990, a cristallisé la spirale des massacres ethniques et politiques, alors que le régime Habyarimana commençait à s’engager (…) dans la voie de la démocratisation57 ». De la même manière, Filip Reyntjens est connu depuis longtemps pour ses efforts visant à faire reconnaître et condamner les crimes commis par l’APR lors de la guerre qui l’oppose aux FAR et, après sa victoire, durant la campagne dirigée contre les milices hutu réfugiées au Zaïre (1996-1997). Il s’était fait remarquer dès 1995 en lançant la rumeur – démentie ensuite par le HCR (l’agence des Nations unies pour les réfugiés – de « camps de concentration » tenus par le FPR dans le parc de l’Akagera, au nord-est du Rwanda58. Son ouvrage précédent, publié en 2014, est d’ailleurs un nouveau réquisitoire contre le pouvoir mis en place à Kigali après le génocide. Il s’y emploie à dénoncer le « projet hégémonique » d’un régime qui « a massacré ses propres citoyens à grande échelle », « s’est arrogé le monopole de la vérité sur le passé, le présent, et l’avenir du pays, ce qui lui a permis d’affronter le monde avec arrogance et d’imposer la tolérance pour ses propres crimes59 ». On pourrait multiplier les exemples : en caricaturant à peine, l’essentiel de l’activité d’écriture et de communication médiatique de Filip Reyntjens consiste en un activisme anti-FPR, y compris, et c’est bien sûr le plus inquiétant, lorsqu’il s’agit d’étudier le génocide des Tutsi perpétré par les ennemis de ce même FPR...

28Cette obsession se retrouve logiquement présente dans la recherche des responsables de l’attentat du 6 avril, une quête qui, pour Filip Reyntjens, va au-delà de la simple tâche de confrontation et d’analyse critiques des informations communiquées par la justice et les différents témoins. Auteur en 1995 d’une étude documentée sur cet épisode, il la conclut, à rebours des nombreux indices accusant les extrémistes hutu, en soulignant que « plusieurs indications tendent à mettre en cause le FPR comme auteur de l’attentat60 ». C’est fort de cette conviction d’expert qu’il intervient dans l’enquête du juge Bruguière en lui fournissant le témoignage de Sixbert Musangamfura, à charge contre le FPR, et en lui assurant que « les missiles sol-air utilisés pour l’attentat avaient été remis par l’Ouganda au FPR61 ». Nulle surprise donc à constater que Filip Reyntjens partage avec Claudine Vidal et André Guichaoua son enthousiasme pour le témoin-clé du juge Bruguière, Abdul Ruzibiza. Dans la foulée de ces « révélations », il écrit que « l’attentat serait alors le couronnement de la stratégie de la tension menée par le FPR, qui aurait sacrifié des centaines de milliers de Tutsi sur l’autel de la victoire militaire et de la prise du pouvoir62 ».

63 29Nous ne nous aventurerons pas dans la quête d’informations concernant les liens privés ou, au contraire, les inimitiés supposées de Filip Reyntjens. Même si ces données peuvent aider à comprendre le point de vue du personnage, elles n’ont pas, selon nous, le statut de matériaux scientifiques et ne nous intéresseront donc pas. En revanche, il est absolument essentiel de savoir que Filip Reyntjens a participé, à la demande du président Habyarimana, à l’élaboration de la constitution de la deuxième République rwandaise, entre 1976 et 1978. Cette information figure en toutes lettres dans la notice Wikipedia du juriste belge et est corroborée par le curriculum vitae qu’il a fourni au TPIR63. En découvrant cet aspect de la biographie de l’auteur, facilement accessible en deux clics, on croit rêver : comment se fait-il que ni Filip Reyntjens, ni son éditeur n’aient eu l’honnêteté de porter ce point problématique à la connaissance des lecteurs ? Compte tenu de ses états de service auprès d’un gouvernement dictatorial et raciste, en aucun cas, Filip Reyntjens ne peut être considéré comme un chercheur neutre et digne de foi. Ce n’est pas qu’on lui dénie le droit d’écrire ce qu’il pense ou ce qu’il croit. Mais, à la lueur de ce qui s’apparente à un conflit d’intérêts, son livre devient toute autre chose qu’une synthèse de vulgarisation historique. C’est un (mauvais) essai polémique, qui défend des thèses particulièrement contestables et amplement contestées et devrait donc s’assumer comme tel. Dès lors, il n’a pas sa place dans une collection qui prétend « mettre à la portée de tous le savoir des meilleurs spécialistes ».

30Quoi qu’il en soit, le projet sous-jacent de Filip Reyntjens apparaît maintenant avec netteté. On comprend que l’homme qui a eu l’oreille du président Habyarimana fasse preuve de complaisance à l’égard d’un pouvoir qu’il a servi. Dès lors, pour exonérer ce dernier de toute responsabilité dans le processus qui conduit au génocide, il met en avant la thèse d’une mécanique de la violence dont les rouages sont entraînés et huilés, non par l’idéologie ethniste installée au cœur des institutions rwandaises, mais par l’agression des ennemis du régime, en l’occurrence du FPR. Celui-ci est ainsi présenté comme l’élément déclencheur d’une réaction en chaîne qui conduit au génocide. C’est d’abord l’attaque d’octobre 1990, qui provoque du jour au lendemain la radicalisation d’une partie de la classe dirigeante et de l’état-major hutu ainsi que l’irruption de la haine raciale et de l’appel au meurtre dans les médias ; c’est ensuite l’attentat du 6 avril, imputé au FPR, qui conduit la frange hutu extrémiste à envisager la prise du pouvoir et à mobiliser la population pour anéantir les Tutsi, en jouant sur la peur que suscite « l’envahisseur ». Non seulement, en effet, le FPR a, aux yeux de Filip Reyntjens, une responsabilité « historique et politique » (p. 84) dans l’extermination des Tutsi du Rwanda, mais il est aussi probablement coupable d’un autre génocide, perpétré deux ans plus tard, sur les réfugiés hutu du Zaïre. Dans ce schéma, la complicité française avec les génocidaires hutu doit forcément être minimisée pour focaliser toute la pression accusatrice sur leur adversaire commun, les « inyenzi » du FPR. Cette théorie a, en outre, besoin pour exister de tireurs de missiles FPR sur le Falcon 50 présidentiel, comme de l’absence de toute programmation des massacres avant le 6 avril. Or, depuis longtemps (au moins depuis Alison Des Forges), une foule d’études probantes et étayées ont fait un sort à la deuxième hypothèse, tandis qu’une série convaincante d’investigations judiciaires et journalistiques sont en passe d’invalider la première. Filip Reyntjens écrit donc une histoire désormais démentie par les faits, dans un sursaut désespéré de révisionnisme.

64 (page consultée le 12 septembre 2018).
65 Dirigée par Stéphane Audoin-Rouzeau, cette thèse a fait l’objet d’une publication partielle en 201 (...)
66 Florent Piton, Le génocide des Tutsi du Rwanda…, op. cit.
31Pour conclure, il faut se demander comment une maison d’édition renommée, les Presses universitaires de France, a pu accueillir un tel texte, partial et malhonnête, qui plus est dans la populaire collection « Que sais-je ? », prenant ainsi le risque d’offrir à nombre de lecteurs et de lectrices néophytes une version tronquée et en partie falsifiée de l’histoire d’une tragédie majeure. On peut certes supposer que les responsables de la collection ont été les premières victimes de l’intoxication orchestrée par Filip Reyntjens. Mais dans ce cas, ils auront singulièrement manqué de circonspection puisque, comme nous l’avons vu, une simple consultation de la notice Wikipedia de l’auteur suffit pour comprendre à quel point ce professeur de droit n’a absolument pas le profil requis pour un traitement sérieux et serein d’une question aussi grave et aussi controversée64. Des choix bien plus judicieux auraient été possibles : sans même parler de Jean-Pierre Chrétien, historien et spécialiste reconnu de l’Afrique des Grands Lacs, on aurait aimé lire le point-de-vue autrement plus consistant de jeunes chercheurs ou chercheuses comme Hélène Dumas, dont la thèse sur les procès gacaca au Rwanda a été soutenue en 2013 à l’EHESS65, ou Florent Piton, doctorant de l’université Paris-Diderot. Ce dernier vient de faire paraître aux éditions La Découverte une solide synthèse qui s’impose déjà comme un bon antidote à la vénéneuse potion du professeur Reyntjens66.

32Connivence ou négligence, le résultat est là : le « Que sais-je ? » sur le génocide des Tutsi est, d’un point de vue scientifique, un échec, et d’un point de vue déontologique, une faute. Il instrumentalise et détourne les écrits ou les propos de certains auteurs ou acteurs des événements, allant même jusqu’à travestir les conclusions d’une enquête judiciaire. Il fait injure à la masse des lecteurs, confiants et mal informés sur cette histoire méconnue, en les orientant à leur insu vers des théories bancales et équivoques. Il outrage la mémoire des victimes du « dernier génocide du XXe siècle » en brouillant la frontière qui les sépare de leurs bourreaux. Quant à ceux, prétendument « neutres », qui ont pris la défense de cet ouvrage avec autant d’énergie que de hargne, ils auront sans doute désormais bien plus de mal à faire croire qu’ils n’ont pas choisi leur camp.

Haut de page
Notes
1 Note critique sur : Filip Reyntjens, Le génocide des Tutsi au Rwanda, Paris, PUF, Coll. « Que sais-je ? », 2017, 128 p.

2 « Rwanda : le “Que sais-je ? ” qui fait basculer l’Histoire ».

3 Marc Le Pape, Claudine Vidal, .

4 Marc Le Pape, .

5 Marc Le Pape, Claudine Vidal, « Rwanda. Dans quel camp sommes-nous ? », Le Monde, 28 février 2012.

6 Alain Gabet, Sébastien Jahan, « Les faits sont têtus : vingt ans de déni sur le rôle de la France au Rwanda (1994-2014) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, première partie : « Des faits qui accablent », n° 128, juillet-septembre 2015, p. 163-186 ; deuxième partie : « Lâchetés politiques et complicités médiatiques », n° 129, octobre-décembre 2015, p. 153-173.

7 Stéphane Audoin-Rouzeau, Une initiation. Rwanda (1994-2016), Paris, Seuil, 2017.

8 Alain Gabet, Sébastien Jahan, « “Les faits sont têtus” : vingt ans de déni sur le rôle de la France au Rwanda (1994-2014) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, Première partie, n° 128, juillet-septembre 2015, p. 163-186, Deuxième partie, n° 129, octobre-décembre 2015, p. 153-173.

9 Jean-Pierre Chrétien, L’Afrique des Grands Lacs. Deux mille ans d’histoire, Aubier, 2000, p. 245-248.

10 Jean-Luc Galabert, Les Enfants d’Imana. Histoire sociale et culturelle du Rwanda ancien, Izuba éditions, 2011, p. 157.

11 Ibidem, p. 234.

12 Il s’agissait d’un programme de développement « par le bas » qui consistait à couvrir le territoire de projets, encadrés par des « experts » et des fonctionnaires locaux, visant à améliorer, sur une zone donnée, les conditions de vie des petits paysans. Dans un pays où l’immense majorité de la population vivait à la campagne, ce ruralisme est devenu « autant une idéologie d’État qu’une façon commode d’encadrer les populations et d’éviter les contestations ». Voir Florent Piton, Le génocide des Tutsi du Rwanda, Paris, La Découverte, 2018.

13 Jean-Pierre Chrétien, L’Afrique des Grands Lacs…, op. cit.

14 Voir également Alison Des Forges, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Paris, Karthala, 1999, p. 61.

15 Gérard Prunier, Rwanda : le génocide, Dagorno, 1997, p. 105.

16 On pourrait ajouter également que le juge Bruguière n’est pas, à proprement parler, « parti à la retraite » comme le dit Filip Reyntjens, mais qu’il a dû démissionner sous la pression du Conseil supérieur de la magistrature en raison de l’incompatibilité de ses fonctions avec sa candidature (sous l’étiquette UMP-PRV) aux élections législatives de 2007.

17 Pour un point plus complet et honnête sur l’état des connaissances s’agissant de l’attentat et des enquêtes menées, voir Benoît Collombat et David Servenay, Au nom de la France. Guerres secrètes au Rwanda, Paris, La Découverte, 2014.

18 Pierre Péan, Noires fureurs, blancs menteurs, Rwanda 1990-1994, Paris, Mille et une nuits, 2005, p. 19.

19 Jean-Pierre Chrétien (dir.), Rwanda. Les médias du génocide, Paris, Karthala, 1996.

20 Sur ce thème voir Linda Melvern, Complicités de génocide. Comment le monde a trahi le Rwanda, Paris, Karthala, 2010, p. 164-170.

21 Jean-François Dupaquier, L’Agenda du génocide. Le témoignage de Richard Mugenzi, ex-espion rwandais, Paris, Karthala, 2010, p. 181-206.

22 Alison Des Forges (dir.), Aucun témoin ne doit survivre…, op. cit., p. 218. Pour Alison Des Forges, la responsabilité de la mort d’Habyarimana est d’ailleurs à dissocier de la responsabilité du génocide, dans la mesure où, si l’on sait peu de choses sur les auteurs de l’attentat, on en sait en revanche « davantage sur ceux qui ont pu utiliser cet assassinat comme prétexte pour déclencher des massacres préparés depuis des mois ». Le sociologue André Guichaoua (dont le point de vue est pourtant souvent très proche de celui de Filip Reyntjens) souligne également que « si l’attentat contre l’avion présidentiel est bien un moment déterminant dans l’enchaînement des événements de l’année 1994, il n’en est en aucune façon l’alpha et l’oméga de la guerre et du génocide. L’attentat ne peut être considéré comme la cause du génocide et ne l’explique pas » (André Guichaoua, Rwanda, de la guerre au génocide. Les politiques criminelles au Rwanda, Paris, La Découverte, 2010, p. 246).

23 Jean-Pierre Chrétien, Jean-Damascène Gasanabo, « Le génocide des Tutsi du Rwanda » dans Barbara Lefebvre et Sophie Ferhadjian, Comprendre les génocides du XXe siècle. Comparer-enseigner, Paris, Bréal, 2007, p. 140.

24 Benoît Collombat et David Servenay, Au nom de la France…, op. cit., p. 23-33.

25 Voir le témoignage de Thierry Prungnaud, sous-officier au sein du COS (Commandement des opérations spéciales) lors de l’opération Turquoise, dans Laure De Vulpian et Thierry Prungnaud, Silence Turquoise, Rwanda 1992-1994. Responsabilités de l’État français dans le génocide des Tutsi, Paris, Don Quichotte, 2012.

26 Bernard Bruneteau, « Génocide. Origines, enjeux et usages d’un concept », dans Barbara Lefebvre et Sophie Ferhadjian (dir.), Comprendre les génocides…, op. cit., p. 29-30.

27 Alison Des Forges, Aucun témoin ne doit survivre…, op. cit., p. 82.

28 Hélène Dumas, Le génocide au village. Le massacre des Tutsi au Rwanda, Paris, Seuil, 2014, p. 117.

29 Ibidem, p. 118.

30 Pierre-Antoine Braud, « Lien social, passage au crime de masse et reconstruction », communication au CERI, 20 juin 2001, p. 13.

31 Bernard Bruneteau, « Génocide. Origines, enjeux et usages d’un concept », dans Barbara Lefebvre et Sophie Ferhadjian (dir.), Comprendre les génocides…, op. cit., p. 30.

32 Pierre Péan, Noires fureurs, blancs menteurs, Paris, Fayard, 2005. Sur l’ethnisme des tenants de la version officielle du rôle de la France, voir Laure De Vulpian et Thierry Prungnaud, Silence Turquoise…, op. cit., notamment les pages 43 et 44 où Laure De Vulpian témoigne du double langage – policé au micro, raciste en off – du général Quesnot, chef d’état-major particulier de François Mitterrand lors de l’opération Turquoise. Sur l’imaginaire postcolonial des officiers de l’armée française, voir François Graner, Le sabre et la machette. Officiers français et génocide tutsi, Mons, Tribord, 2014.

33 Soulignons le travail indispensable mené par l’association Survie, passé sous silence par Filip Reytjens (cf. infra).

34 Raphaël Doridant parle d’un « évidement du concept de génocide », dans « Quand Filip Reyntjens pervertit l’histoire », Billets d’Afrique (bulletin d’informations de l’association Survie), n° 270, septembre 2017, p. 6.

35 « Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo », août 2010. Consultable en ligne : .

36 André Guichaoua, Rwanda, de la guerre au génocide. Les politiques criminelles au Rwanda (1990-1994), Paris, La Découverte, 2010.

37 André Guichaoua, op. cit., p. 243.

38 Ibidem, p. 449.

39 Rony Brauman, Stephen Smith et Claudine Vidal, « Politique de terreur et privilège d’impunité au Rwanda », Esprit, Paris, août-sept. 2000, p. 147-162.

40 Abdul Joshua Ruzibiza, Rwanda, l’histoire secrète, Paris, Éditions du Panama, 2005.

41 Jean Lingstein, « Rwanda : éloge de la neutralité par André Guichaoua », Mediapart, 21 juillet 2014 : .

42 Nicolas Couri et Patricia Tourancheau, « Le juge déjugé », Libération, 12 juillet 2011.

43 Laure Coret, François Xavier Verschave, L’Horreur qui nous prend au visage. L’État français et le génocide au Rwanda, Paris, Karthala, 2005.

44 Longtemps présidée par François-Xavier Verschave, l’association Survie a pour objectif majeur de dénoncer toutes les formes d’intervention néocoloniale de la France en Afrique. Elle a grandement contribué à faire connaître l’étendue de la responsabilité de l’État français dans le génocide des Tutsi du Rwanda. Elle demande aujourd’hui que cette complicité soit officiellement reconnue et que les hommes politiques ou les militaires français qui ont soutenu les criminels soient traduits en justice. Voir son site : .

45 Pour un regard sur ces travaux, nous renvoyons à notre article Alain Gabet, Sébastien Jahan, « Les faits sont têtus... », art. cit., Première partie, p. 163-186.

46 Olivier Lanotte, La France au Rwanda (1990-1994). Entre abstention impossible et engagement ambivalent, Bruxelles, Peter Lang, 2007.

47 Il suffit de lire la page 246 de Jean-Pierre Chrétien, L’Afrique des Grands Lacs…, op. cit., d’où la citation est extraite, pour s’en convaincre. On notera que la question de l’importance de « l’extension du royaume nyiginya pour la définition ethnique », que Reyntjens attribue à Chrétien, n’apparaît pas à la page indiquée.

48 Roméo Dallaire, J’ai serré la main du diable : la faillite de l’humanité au Rwanda, Montréal, Libre Expression, 2003, p. 451.

49 Pour une approche détaillée de cette citation et de sa manipulation, voir le communiqué de Survie cité plus haut.

50 Rapport Mapping, cité plus haut, p. 283-293, sur le problème de qualification des crimes commis à l’encontre des populations hutu en RDC.

51 Voir la note du bas de la page 20 : « C’est-à-dire “cancrelats”, parce qu’ils attaquent généralement de nuit. Les groupes armés tutsi se sont donné eux-mêmes cette appellation ».

52 Linda Melvern, Complicités de génocide…, op. cit., p. 36.

53 Alison Des Forges, Aucun témoin ne doit survivre…, op. cit., p. 104.

54 Ibidem, p. 92-93.

55 Paris, L’Harmattan, 1995, « Cahiers africains », n° 16.

56 Paris, Karthala, 1994.

57 Compte rendu de Claudine Vidal dans Politique étrangère, 60-1, 1995, p. 281-285.

58 « L’an un du “nouveau Rwanda” », Le Soir, 20 juillet 1995, Carte blanche à Filip Reyntjens. Voir Billets d’Afrique, octobre 1995.

59 Filip Reyntjens, Rwanda. Gouverner après le génocide, Paris, Les Belles lettres, 2014. Texte de présentation.

60 Filip Reyntjens, Rwanda, trois jours qui ont fait basculer l’histoire…, op. cit., p. 46.

61 Jean-Louis Bruguière : Délivrance de mandats d’arrêts internationaux et ordonnance de soit-communiqué du 17 novembre 2006, p. 22 et 38, cités par Jacques Morel, « Le professeur Reyntjens, expert du Tribunal international sur le Rwanda et ami de génocidaires », 25 avril 2017, p. 14. En ligne : . Pour un point technique détaillé sur le type de missiles utilisés (très probablement des SA-16) pour abattre l’avion du président Habyarimana, lire le billet de Laurent Touchard, « Une histoire du génocide rwandais (5) : quel type de missile a abattu l’avion d’Habyarimana ? », Jeune Afrique, 20 avril 2014. En ligne : . Son analyse conclut à un maniement de l’arme par des « mercenaires étrangers » et exonère l’APR de toute responsabilité dans l’attentat. Lire également l’entretien avec Guillaume Ancel dans Billets d’Afrique, septembre 2014, n° 238.

62 Filip Reyntjens, « Les transitions politiques au Rwanda et au Burundi », dans L’Afrique des Grands Lacs, dix ans de transition conflictuelle, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 7, cité dans Ibidem, p. 14.

63 : la notice précise que Filip Reyntjens est « considéré comme le “père constitutionnel” de la politique des quotas ethniques au Rwanda » ; Jacques Morel, « Le professeur Reyntjens... », op. cit., p. 2 : . Voir aussi la liste des publications de Filip Reyntjens sur le site de l’université d’Anvers : .

64 (page consultée le 12 septembre 2018).

65 Dirigée par Stéphane Audoin-Rouzeau, cette thèse a fait l’objet d’une publication partielle en 2014 : Hélène Dumas, Le Génocide au village…, op. cit.

66 Florent Piton, Le génocide des Tutsi du Rwanda…, op. cit.


Pour citer cet article
Référence papier

Alain Gabet et Sébastien Jahan, « Quand la boussole perd le nord », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 139 | 2018, 171-193.

Référence électronique

Alain Gabet et Sébastien Jahan, « Quand la boussole perd le nord », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 139 | 2018, mis en ligne le 01 septembre 2018, consulté le 16 octobre 2018. URL : http://journals.openedition.org/chrhc/7463
Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024