Fiche du document numéro 22880

Num
22880
Date
Vendredi 28 septembre 2018
Amj
Auteur
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Fichier
Taille
176367
Pages
3
Titre
Les dossiers mémoriels ressurgissent en Afrique
Sous titre
Après le geste de l’Elysée envers Maurice Audin, des proches des victimes attendent une reconnaissance
Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Alain et Dafroza Gauthier nourrissent un secret espoir. Ce couple qui consacre sa vie à faire juger les auteurs présumés du génocide des Tutsi au Rwanda a suivi avec un intérêt particulier la reconnaissance, le 13 septembre, par Emmanuel Macron de la responsabilité de l’Etat français dans la disparition de Maurice Audin en pleine guerre d’Algérie.

« J’espère que lors des 25es commémorations du génocide [en avril 2019], le président Macron reconnaîtra quel a été le vrai rôle de la France. Pas seulement des excuses mais la reconnaissance que le gouvernement français a choisi le mauvais camp : celui des génocidaires », dit Alain Gauthier.

A l’image des fondateurs du Collectif des parties civiles pour le Rwanda, nombreux sont les militants, chercheurs ou familles qui ont vu dans l’acte posé par M. Macron l’opportunité de faire avancer leur exigence de vérité. Qu’il s’agisse d’épisodes sanglants de l’histoire coloniale, des morts de responsables africains jamais élucidées, de liens troubles avec des régimes violents, tous se heurtent au même secret d’Etat entourant les relations entre la France et son ex- « pré carré ».

Pour Elisabeth Borrel, la veuve du juge Bernard Borrel, assassiné dans des circonstances non élucidées en 1995 à Djibouti, la reconnaissance d’Emmanuel Macron fut d’abord un moment de satisfaction et d’espoir. Satisfaction pour Josette Audin, la veuve de Maurice Audin, qui attendait ce geste depuis soixante et un ans. Espoir que ce devoir de vérité s’applique aussi à son histoire et à celles portées par le collectif Secret-défense, un enjeu démocratique – dont Mme Borrel est membre – créé pour obtenir une réforme de l’accès aux archives tenues secrètes au nom de la raison d’Etat.

Mais l’espoir a vite laissé place au doute. Le 19 septembre, Mme Borrel recevait une lettre de la chef de cabinet d’Edouard Philippe, l’informant que leur demande d’entretien était rejetée. « Vous avez fait part (…) de votre souhait de le rencontrer afin d’évoquer l’évolution du dispositif juridique régissant la levée du secret-défense, au regard, en particulier, des circonstances de la mort de Thomas Sankara. Votre démarche a retenu l’attention d’Edouard Philippe. Cependant, le chef du gouvernement n’est pas en mesure de donner une suite favorable à votre demande d’entretien », lit-on dans la lettre dont Le Monde a pris connaissance. Alors président du Burkina Faso, Thomas Sankara fut tué en 1987 dans un coup d’Etat organisé par Blaise Compaoré, qui pendant près de trente ans fut l’un des meilleurs alliés de la France en Afrique.

« Cette lettre est dramatique, réagit Elisabeth Borrel. Comment ne pas être réservé sur les nouvelles proclamations d’Emmanuel Macron en faveur des familles des disparus d’Algérie ? Nos familles ont vécu les pires infractions qu’un Etat puisse commettre et on nous ferme la porte au nez. » Le collectif avait dans un premier temps interpellé le président après qu’il a annoncé, lors de son déplacement à Ouagadougou en novembre 2017, une déclassification totale des archives détenues par la France sur l’assassinat du président burkinabé. Leur demande avait alors été renvoyée vers Edouard Philippe.

Secret d’Etat



« Jusqu’à présent, les promesses de déclassification faites par les gouvernements successifs n’ont jamais permis d’accéder aux documents pertinents attendus par les juges ou les historiens pour faire progresser la vérité. Il faut que la levée du secret-défense cesse d’être le fait du prince », plaide Mme Borrel, elle aussi magistrate. Le collectif regroupe quelques-unes des histoires les plus emblématiques de ces zones d’ombre qui encombrent la mémoire de l’histoire coloniale et postcoloniale française.

Avec le Sénégal, c’est le sort des tirailleurs exécutés dans le camp de Thiaroye, en banlieue de Dakar, le 1er décembre 1944, qui anime depuis plusieurs années les démarches de l’historienne Armelle Mabon aux côtés de quelques descendants de victimes. « Ces hommes n’ont pas commis de rébellion armée comme l’affirme l’histoire officielle. Ils ont été exécutés parce qu’ils réclamaient le paiement de leur solde de captivité après avoir défendu la France contre l’Allemagne nazie », affirme la chercheuse.

« En 2012, François Hollande avait promis le transfert de l’intégralité des archives numérisées au Sénégal. Or, le ministère des armées refuse toujours de rendre consultables les documents conservés par les forces françaises au Sénégal jusqu’à leur dissolution en 2011. Elles auraient pu être détruites, me dit-on aujourd’hui », explique Mme Mabon, dont l’opiniâtreté a récemment inspiré à Patrice Perna et Nicolas Otero la bande dessinée Morts par la France. Thiaroye 1944 (Les Arènes, 146 p., 20 euros).

L’historienne ajoute : « Parmi les descendants, Biram Senghor, aujourd’hui âgé de 80 ans, qui réclame pour son père la mention “Mort pour la France”, a commencé dans les années 1970 à se battre pour que les faits soient rétablis. On ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec Josette Audin. »

L’affaire Ben Barka, du nom de cet opposant marocain enlevé en octobre 1965 sur le boulevard Saint-Germain, et dont on ne retrouva jamais la trace, est un autre dossier emblématique de secret d’Etat entre la France et l’une de ses ex-colonies. « Pour nous sa famille, pour ma mère qui attend depuis cinquante-trois ans cette vérité interdite par la raison d’Etat, le geste du président Macron sur l’affaire Audin ouvre un nouvel espoir », explique Bachir Ben Barka, fils du disparu et acteur central de ce combat pour la vérité.

Les proches de l’opposant n’ont jamais élucidé les circonstances de sa mort. Eliminé sur ordre du roi du Maroc de l’époque, Hassan II ? Avec la couverture des autorités françaises ? En 2010, une perquisition au siège de la direction générale de la sécurité extérieure aurait dû permettre l’accès à 400 pages de documents. Dans les faits, seule une centaine a pu être consultée. « Depuis huit ans, nous cherchons à lever le secret-défense sur les 300 autres pages, en vain, regrette Bachir Ben Barka, qui ne comprend pas pourquoi la vérité d’Etat serait possible dans l’affaire Audin et pas dans celle de son père. Macron et son gouvernement sont suffisamment éloignés de cette histoire, liée au pouvoir gaulliste, pour pouvoir faire preuve de courage politique. »

« Désintérêt »



Le 13 septembre aurait aussi pu permettre de sortir du douloureux déni qui entoure les agissements de la France au Cameroun au tournant de l’indépendance. L’intellectuel camerounais Célestin Monga l’a rappelé en postant ce message sur Twitter : « Une grande nation reconnaît ses fautes, s’en excuse et en paie le prix symbolique. Um Nyobe, père de l’indépendance camerounaise, fut assassiné le 13 septembre 1958. »

Thomas Deltombe, auteur avec Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa de Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (2011, La Découverte), voit dans ce rendez-vous manqué le « signe du désintérêt qui continue de prévaloir pour ce qui s’est passé en Afrique au sud du Sahara ». Pourtant, les historiens ont documenté cette guerre cachée qui a fait, selon les sources, entre plusieurs milliers et plusieurs dizaines de milliers de morts.

En qualifiant la colonisation de « crime contre l’humanité » lors d’un déplacement à Alger, en 2016, « M. Macron a montré qu’il avait compris la nécessité de répondre à la demande de mémoire. Il doit maintenant aller plus loin. Il y a urgence. La France est tellement en retard dans la reconnaissance des crimes coloniaux ».
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024