Fiche du document numéro 22835

Num
22835
Date
Vendredi 14 septembre 2018
Amj
Auteur
Fichier
Taille
119913
Pages
2
Sur titre
Chronique
Titre
Le président et le poison de la guerre d’Algérie
Nom cité
Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Qui se souvient de l’affaire Maurice Audin ? De la disparition de ce jeune mathématicien communiste arrêté le 11 juin 1957 à l’âge de 25 ans à Alger parce qu’il militait pour l’indépendance de l’Algérie ? A vrai dire, peu de monde hormis sa famille, l’armée, le parti communiste, des historiens, des militants de gauche et plus récemment le mathématicien Cédric Villani qui, devenu député macroniste, n’a pas hésité, en février, à tenir une conférence de presse pour réclamer « une parole forte au niveau de l’Etat ».

L’affaire Maurice Audin n’aura jamais la portée symbolique de la rafle du Vél’ d’Hiv, ces 13 152 juifs arrêtés les 16 et 17 juillet 1942 par 9 000 fonctionnaires français pour être parqués au Vélodrome d’Hiver de Paris avant d’être déportés vers les camps d’extermination nazis. Et pourtant la décision d’Emmanuel Macron de reconnaître, au nom de la République française, que Maurice Audin est mort après avoir été torturé, les mots usités par le président pour affirmer que cette mort résulte « d’un système légalement institué » lors du vote, en 1956, des pouvoirs spéciaux donnant carte blanche au gouvernement et finalement à l’armée pour rétablir l’ordre en Algérie, sa volonté d’ouvrir toutes les archives sur les disparus de la guerre d’Algérie, son appel à témoins pour que la parole se libère sont faits pour frapper l’opinion.

Exactement comme avait frappé le discours de Jacques Chirac reconnaissant pour la première fois, en 1995, la responsabilité de la France dans la déportation et l’extermination des juifs pendant la seconde guerre mondiale. « Reconnaître les fautes du passé, ne rien occulter des heures sombres de notre Histoire, c’est défendre une idée de l’Homme, de sa liberté et de sa dignité », avait plaidé l’ancien patron du RPR. C’était cinquante-trois ans après les faits, Jacques Chirac, qui n’avait pas été un acteur de la guerre, estimait que le pays avait suffisamment mûri pour accepter de mettre un terme à cette fiction, entretenue par le général de Gaulle puis par François Mitterrand, selon laquelle la République française n’était pas comptable des actes de Vichy.

M. Macron fait le même pari avec la guerre d’Algérie. Soixante et un ans ont passé depuis la mort de Maurice Audin, lui-même est né quinze ans après la fin de la guerre. S’il connaît son histoire par cœur, le chef de l’Etat n’est en rien comptable des heures sombres qui ont marqué la fin de la IVe République et l’avènement de la Ve. Il est suffisamment vierge pour ouvrir l’inventaire. Et il estime devoir le faire non seulement parce que la guerre d’Algérie a profondément fracturé les deux sociétés mais parce que la chape de plomb mise sur les scènes de torture impliquant l’armée française et, in fine l’Etat français, nourrit le ressentiment et empêche l’intégration des populations issues des anciennes colonies.

Avant d’être élu président, Emmanuel Macron avait poussé très loin la repentance en qualifiant, depuis Alger, la colonisation française de « crime contre l’humanité ». Il lève un second tabou en faisant le pari que l’indignation prévisible de l’extrême droite et d’une partie de la droite n’occultera en rien sa volonté de favoriser l’apaisement par une relecture vigoureuse de l’histoire.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024