Fiche du document numéro 22586

Num
22586
Date
Avril 1998
Amj
Fichier
Taille
91362
Pages
10
Titre
Billets d'Afrique No. 57
Nom cité
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Source
Type
Publication périodique
Langue
FR
Citation
BILLETS D’AFRIQUE N° 57 - AVRIL 1998

BRECHES
Une nostalgie forcenée de la grandeur de la France et la solidarité dans le partage des cassettes africaines ont enfermé une part
dominante de la classe politique française dans une sorte de fort Chabrol. Consignée dans cette citadelle, la France y trouverait
plus sûrement le déshonneur que la grandeur. Mais au moins trois crises, dont certaines gravissimes, ébrèchent simultanément ce
fantasme obsidional. L’on se reprend à espérer de lui faire échec.
En se rangeant jusqu’à présent dans le camp des rares pays qui veulent vider de toute consistance le projet de Cour criminelle
internationale (CCI), à l’encontre de tous ses partenaires de l’Union européenne, la France apparaît à leurs yeux, et aux yeux du
monde entier, comme l’adversaire résolu des droits de l’homme les plus élémentaires. L’année où l’on célèbre le cinquantenaire
de la Déclaration universelle des droits de l’homme, promue par le Français René Cassin, il serait insupportable que la France
figure à la Conférence de Rome, en juin, comme le chef saboteur du projet de CCI - seul instrument juridique de prévention et de
sanction du génocide et des crimes contre l’humanité. De quoi gâcher la Coupe du monde de football !
S’ils persistaient dans ce sabotage, MM. Chirac et Jospin se feraient bonnement complices de tous les génocides
éventuels du XXIe siècle. On s’en rend mieux compte avec le procès Papon, le génocide, crime d’État, commence dans les salons
du pouvoir.
On le sait, cette hostilité à la CCI est principalement liée au refus de reconnaître la part de responsabilité de la France dans le
génocide rwandais, en 1994. Le seul moyen d’éviter que cette tragédie n’affecte d’un discrédit interminable la diplomatie
française est de regarder la réalité en face, d’assumer les responsabilités au niveau où elles se révèleront, et d’en tirer les
conséquences politiques.
La presse, les ONG, un nombre croissant de personnalités, plusieurs partis politiques (le PC et les Verts) ont réclamé une
commission d’enquête parlementaire sur ce sujet. Une mission d’information a été créée par la Commission de la Défense de
l’Assemblée. Pour certains commissaires, il s’agissait clairement d’un contre-feu - un commando d’autodéfense. Mais la pression
s’accentue (avec un certain succès jusqu’ici) pour transformer cette mission en une véritable commission d’enquête, ou son
équivalent. Une investigation sans concessions est le seul moyen d’éviter le soupçon perpétuel qui, sinon, amalgamera ce que la
France fait de meilleur avec les crimes qu’elle a commis.
Nos lecteurs le savent aussi, les égarements de la France au Rwanda sont la conséquence de la décomposition de sa politique
africaine. Livrée à l’arbitraire, au bon plaisir, aux réseaux et aux lobbies, c’est devenu un canard sans tête, miné par la
corruption et les trafics inavouables. Ce qu’on appelle « l’affaire Elf » est une illustration de cette posture décérébrée de la
France en Afrique.
Comment, par exemple, parler d’aide au développement quand le richissime Gabon en est le premier bénéficiaire par tête
d’habitant ? Elf ne doit plus faire la loi en Afrique. Le Parlement doit contribuer à proposer aux peuples de ce continent un mode
de relations qui tourne définitivement la page des mœurs néocoloniales.
Ou bien le sabotage de la CCI, l’enfouissement du Rwandagate et les rebondissements de l’affaire Elf 1 continueront à pourrir la
vie politique et à défigurer le visage de la France, ou bien des élus courageux, profitant de ces brèches ouvertes dans une
forteresse indéfendable, en profiteront pour ouvrir la France à une grandeur moins insolente, où le meilleur de ses traditions et de
ses initiatives pourra de nouveau se faire entendre. Il n’est pas interdit aux citoyens d’inviter leurs élus à témoigner d’un tel
courage.
1. Sur chacun de ces trois sujets, Survie contribue à faire circuler des appels ou pétitions.

SALVES
Rome, juin 1998
1

Articulé à une coalition mondiale d’ONG, un collectif d’organisations accentue en France sa pression sur l’exécutif pour obtenir
qu’il se rallie, lors de la conférence internationale de Rome, à un projet de Cour criminelle internationale (CCI) indépendante et
efficace. Il a adressé un dossier précis à tous les parlementaires, démontrant le caractère indéfendable des positions actuelles de la
France - qui multiplie les verrouillages (cf. Billets précédents).
Sous des dehors plus souples, le ministère de la Justice ne se démarque pas vraiment des positions de blocage soutenues par
l’Élysée et le ministère de la Défense. Lionel Jospin hésite à s’en distinguer. Marc Perrin de Brichambaut, qui conduira la
délégation française, prétend que les demandes du collectif sont irréalistes. Elles étaient pourtant défendues par 13 membres sur 15
de l’Union européenne. Un quatorzième, la Grande-Bretagne, vient d’accepter le « compromis de Singapour », qui rend beaucoup
plus difficile une obstruction par le Conseil de sécurité de l’ONU.
Comme chacun sait, les Britanniques sont les champions du monde de l’« irréalisme ». C’est d’ailleurs pour cela qu’ils ont, sans
faillir, combattu Hitler...
À voir les complaisances d’une partie de la classe politique française envers un parti raciste, refuge des collaborateurs, dirigé par
un éditeur de chants nazis qui traite la Shoah de « point de détail », l’Hexagone aurait bien besoin de respirer un peu de cet
« irréalisme ».
M. Perrin de Brichambaut est très content des positions françaises, qu’il juge mûrement réfléchies. Principal argument, sans cesse
évoqué par Hubert Védrine : la France est la principale contributrice aux opérations de maintien de la paix ; une CCI indépendante
et efficace découragerait ses militaires...
Remarquons d’abord que cette contribution de la France (cf. Turquoise, mais aussi « Recamp » [voir À fleur de presse]) répond
beaucoup plus souvent à des intérêts clairement identifiables qu’à une soudaine philanthropie. Parfois, il en va de la grandeur ou
du rang de la France. Mais ce rang justifierait-il par avance des bavures si énormes qu’il faille priver tous les habitants de la
planète d’une prévention et d’une sanction des crimes contre l’humanité ?

Billets d’Afrique

N° 57 – Avril 1998

M. Perrin etc., la « mûre réflexion » de la diplomatie française est une paponade. Il arrive parfois aux trop zélés serviteurs de la
raison d’État d’entrer dans l’Histoire. Mais par la mauvaise porte.
1. ACAT, Agir ensemble pour les droits de l’homme, Agir ici, Amnesty International (section française), AVRE, Cimade, Communauté internationale Baha’ie
France, FEN, FIACAT, FIDH, Fédération nationale des Unions de jeunes avocats, Fondation Terre des hommes, Juristes sans frontières, Ligue des droits de
l’homme, Médecins du monde, Médecins sans frontières, Reporters sans frontières, Solidarité avec les Mères de la place de Mai, Survie. Coordonnatrice Karine
Bonneau, c/o Amnesty. Tél. 01 49 23 11 11. Fax 01 43 38 26 15.

(O)mission ?
Fin février, la demande d’une commission d’enquête parlementaire sur le rôle de la France au Rwanda se faisait pressante. Pour y
couper court, le président de la Commission de la Défense de l’Assemblée, Paul Quilès, a suscité le 3 mars, à la va-vite, une
mission d’information sur le sujet. D’où quelques incidents diplomatiques avec la Commission des Affaires étrangères... La
pression des ONG 1, de personnalités, et d’une partie des députés 2 ne cessant pas pour autant, Paul Quilès a dû composer.
Il a élargi la composition de la mission et son champ d’investigation, il a accepté, sauf exception, des auditions publiques. Il met
tout son crédit dans l’affaire : « Je me suis engagé. Je suis moi, Paul Quilès, même si cela paraît immodeste, la caution politique
de ce travail ». Prenons-le donc au mot, nous souvenant qu’il milite depuis plusieurs mois pour un contrôle renforcé du Parlement
sur les interventions militaires extérieures de la France (cf. Billets n° 54). Il est par ailleurs toujours possible de transformer la mission
d’information en une commission d’enquête, qui disposerait de pouvoirs élargis. Ce fut le cas en Belgique.
Les auditions (experts et responsables, français et étrangers) commencent le 24 mars. Elles auront lieu chaque mardi. Le travail
durera plusieurs mois, probablement un semestre. Si Paul Quilès est à la hauteur de ses engagements, la Françafrique ne devrait
pas en sortir indemne.
Si l’on suit plutôt la pente d’un autre « missionnaire », Jacques Baumel, on n’est pas sorti de l’auberge : mené « en toute
objectivité », le travail de la mission devrait, selon le député RPR, permettre de résister à « une campagne étrangère, en grande
partie anglo-saxonne », dirigée contre la France (Le Monde, 13/03/1998).
Une extrême vigilance s’impose : contre toute omission ou camouflage de faits dérangeants ; contre la tentation de se blanchir en
faisant le procès d’autrui. Ce que nous voulons, c’est la « Vérité sur le Rwanda 3». Si la mission d’information cherche à la faire,
bravo ! Sinon, elle sera débordée.
1. Dénonçant une « manœuvre de diversion ».
2. Le Groupe communiste, dans une proposition de résolution en faveur d’une commission d’enquête déposée le 3 mars, écrit par exemple : « Si nous nous
dérobions une nouvelle fois à ce devoir impérieux [de vérité], nous aurions tout à redouter du jugement de l’Histoire et de la perte de crédibilité qui
l’accompagnerait dans l’opinion publique internationale ».
3. Titre d’un appel signé, à ce jour, par une soixantaine de personnalités et responsables associatifs. Disponible à Survie.

Caviardage
Un petit exemple des problèmes qui attendent cette mission. Lors de l’opération Turquoise, l’armée française a collecté un certain
nombre de documents, destinés en principe à devenir des pièces à conviction au service du Tribunal pénal international d’Arusha
(TPIR). Selon le Premier ministre Alain Juppé, la France voulait ainsi apporter « sa contribution aux instances internationales
chargées d’établir la vérité ». Eh bien, selon un responsable du TPIR, le Tribunal a « reçu des documents dont des paragraphes
entiers ont simplement été barrés à l’encre noire » (La Libre Belgique, 02/03/1998).
La loi d’Elf
On s’en aperçoit chaque jour un peu plus : Elf s’est placée délibérément hors des lois de la République. Mais Elf a fait et continue
de faire la loi dans un certain nombre de pays d’Afrique : de manière hégémonique (au Gabon, au Congo-Brazza, au Cameroun)
ou en association (au Tchad, au Nigeria, en Angola, etc.). Surtout, elle surdétermine la politique africaine de la France : on l’a
encore vérifié lors de la guerre civile congolaise ou du scrutin présidentiel camerounais.
Création foccartienne, Elf a tellement arrosé la classe politique française qu’elle y a noyé toute velléité de rompre les liens
néocoloniaux. Elle a contribué à dissoudre dans la corruption le rapport droite-gauche (voir À fleur de presse), ce qui ne fait le jeu que
du Front national.
Alors, des députés, des syndicats, des associations ont lancé le mot d’ordre : Elf ne doit plus faire la loi en Afrique 1. Ajoutons : ni
dans les hautes sphères de la vie politique française. Un beau programme, qu’alimentent heureusement quelques juges intègres. Et
un menu vitaminé, détaillé dans une édifiante plaquette 2. Le tout débouchant évidemment sur une demande de commission
d’enquête parlementaire - puisqu’en principe c’est le Parlement qui fait la loi, et non pas Elf...
1. C/o Cédétim, 21 ter rue Voltaire, 75011-Paris. Tél. 01 40 63 83 52. Fax 01 40 63 98 81.
2. 20 p. Disponible à l’adresse du Collectif, de même que des affiches.

Monsieur Propre
La corruption d’un régime va souvent de pair avec sa tolérance aux exactions, l’irrespect du bien public avec celui des
personnes. Le FPR au pouvoir à Kigali résistait mal à ces dérives. Conscient du danger, il a porté un incorruptible à son secrétariat
général : Charles Murigande, ancien recteur de l’Université nationale.
Les sanctions dans l’armée se font plus fréquentes. L’urgence est reconnue d’un changement de vitesse du processus judiciaire
(plus de 120 000 personnes emprisonnées pour participation au génocide). La nécessité d’un traitement politique des maux de la
société rwandaise est davantage prise en compte - comme en écho à la lettre ouverte de l’ancien procureur Nsanzuwera (Billets n°
56).
À Kigali, l’autocritique aurait-elle porté ses fruits ? Les corrompus et les têtes brûlées se laisseront-ils bordurer ?
Paris-Déby (suite)
L’enlèvement de quatre Français par la rébellion du docteur Nahor (Billets n° 56), puis leur libération, conservent une large part de
mystère. Chaperonnés lors de leur retour en Alsace, ces Français ont été privés de contacts avec la presse régionale. « Ont-ils vu ce

Billets d’Afrique

N° 57 – Avril 1998

qu’ils ne devaient pas voir et qui gênerait les Affaires étrangères ? », s’est interrogée L’Alsace (12/02/1998).
D’autre part, l’attaché militaire français à N’Djaména, le très actif Yannick Guillou (cf. Billets n° 52), a été déclaré persona non
grata. Idriss Déby l’accuse quasiment de collusion avec Mahamout Nahor. Lequel connaissait bien Guillou, et avait noué
d’étroites relations avec des personnalités du Parti socialiste français. L’Observateur de N’Djaména (18/02/1998) signale quelques
autres étrangetés.
Bref, il y a de la friture sur la ligne Paris-Déby, mais celui-ci continue d’être soutenu par une présence militaire française de plus
en plus massive. Cinq Mirage F1 et leurs hangars, démontés, ont été transférés de Centrafrique à N’Djamena (Libération, 07/03/1998).
La DGSE a mis sur écoutes tous les téléphones et fax sensibles. Ainsi conforté, le régime Déby peut laisser ses forces tribales
massacrer, piller et violer à travers le Sud du pays, au prétexte de pourchasser les rebelles ou simplement de s’emparer des revenus
de la campagne cotonnière.
La région habitée par les Ngambaye (notamment les Logone oriental et occidental) est particulièrement visée. Des chefs de
village sont tués. L’évêque de Moundou, la capitale du Logone occidental, est tabassé. Cinq mille « Gardes républicains »
répandent la terreur. Semant la haine ethnico-religieuse dans ce Sud chrétien et animiste, le régime pousse la « logique » jusqu’à
fournir des armes de guerre aux commerçants musulmans de Moundou...
Échos de la Coface
La région du Tchad ainsi harcelée est aussi, comme par hasard, celle où doit commencer l’exploitation pétrolière (Billets n° 50, 51,
- objet d’une formidable bataille d’image. D’un côté, instruite par l’exemple nigérian (oppression des Ogoni, saccage
écologique), une coalition mondiale d’ONG s’attache au respect de l’environnement et exige que les revenus du projet, cofinancé
par la Banque mondiale, servent à lutter contre la pauvreté. De l’autre, le régime Déby engage des lobbyistes pour faire croire que
tout ira pour le mieux dans la plus belle des Républiques. Bien entendu, les recettes publiques jusqu’ici détournées serviraient
désormais à éduquer et soigner les Tchadiens...
Au vu de ce qui précède, il faut pourtant convenir que l’État tchadien reste bien mal barré, par un multirécidiviste du racket et de
l’ethnisme - installé en 1990 par la DGSE. Le projet pétrolier (20 milliards de FF) est donc à haut risque politique.
L’on comprend soudain, au détour d’un article des Échos (04/03/1998) 1, la raison de l’insistance française pour un cofinancement
par la Banque mondiale : il ne s’agit pas seulement d’augmenter, par des emprunts à taux réduit, les profits de toutes les parties
(depuis les compagnies pétrolières jusqu’à Idriss Déby) ; ce cofinancement conditionne l’octroi de la garantie Coface, l’assurance
publique aux exportations françaises.
Ainsi, Bouygues et consorts pourraient réaliser en toute sérénité une part des énormes travaux du pipeline Doba-Kribi : si le
Tchad explose ou fait banqueroute, le contribuable français paiera... Et nous qui croyions qu’après les pertes abyssales de la
Coface (plus de 100 milliards de FF), on avait mis une croix sur de telles spéculations !
55)

1. Un article qui occulte jusqu’à l’indécence la tragédie de la région pétrolifère.

Black star
En évitant le bombardement massif de l’Irak, le secrétaire général de l’ONU Kofi Annan a fait coup double : il a revalorisé une
institution discréditée, mais indispensable ; il a illustré le talent politique africain, dans le sillage d’un Mandela. Contre les
stéréotypes méprisants, ce n’est pas un mince succès.
Kofi Annan partait pourtant avec un lourd handicap : il était l’adjoint de Boutros-Ghali et le chef des opérations militaires des
Nations unies lors du génocide rwandais. Il a donc partagé l’impuissance et les dérobades de l’ONU au premier semestre de 1994.
Il s’en explique assez franchement, ce qui ne manque pas de courage : « la volonté d’agir n’existait pas » - à commencer par celle
des principaux « actionnaires », les membres permanents du Conseil de sécurité. Où la France était juge et partie...
Contre ce genre d’inertie ou de calculs, il en appelle aux citoyens, aux organisations civiques du monde entier. Dans la charte de
l’ONU, rappelle-t-il, « nous, les peuples des nations unies » précédons les États. Manifestement, il compte plus sur la pression des
opinions publiques que sur les raisons étatiques pour faire aboutir à Rome le projet de CCI. « Il faut en finir avec ce paradoxe : si
vous tuez une personne, vous avez plus de chance d’être jugé et puni que si vous en tuez cent mille... » (Libération, 18/03/1998).
Encore un effort, Mister Annan : laissez le général Dallaire se livrer davantage au Tribunal d’Arusha. Vous aurez d’autres
occasions de réparer ce que vous avez omis de faire en 1994...
Mines et mômes
Quand il veut montrer la capacité d’intervention des citoyens sur la « communauté internationale », Kofi Annan se réfère à la
formidable mobilisation contre les mines anti-personnel, qui a abouti fin 1997 au Traité d’Ottawa. Comme chacun le devine, ce
n’est qu’un début...
Très actives sur ce dossier, Handicap International (01 43 14 87 00) et Agir ici (01 40 35 07 00) signalent que la France tarde à
transposer ce traité en droit interne et s’en tient à une définition trop étroite des mines antipersonnel. Elles invitent ONG et
citoyens à renouveler leur pression sur les décideurs.
Chaîne mercenaire
Ahurissant spectacle le 3 mars sur France 2, en seconde partie de soirée. Le gentil animateur Jean-Luc Delarue consacrait son
émission Ça se discute aux espions et mercenaires. Invité-vedette : Christian Tavernier. Cet ami de Bob Denard fut mercenaire au
Congo-Zaïre dès 1961. Il commanda la « légion blanche » recrutée pour Mobutu fin 1996 : une bande de soudards composée, pour
l’essentiel, d’épurateurs ethniques serbes ou bosno-serbes, impliqués pour certains dans le massacre de Srebrenica, et d’un
ramassis de sbires d’extrême droite.
On se souvient qu’une bonne partie de la Françafrique, jusqu’à l’Élysée, trempa dans ce recrutement - nonobstant une
interdiction des Nations unies jamais ratifiée par la France. L’ONU n’avait pas vraiment tort quand elle constatait, dans un rapport,
que les mercenaires sont le plus souvent des criminels aux idéologies fasciste et raciste... 1
Acquis à cette noble cause, un plateau de spectateurs choisis a chaleureusement applaudi la prestation télévisée de Tavernier. Un
acolyte de Denard comparait l’arme du mercenaire au balai du balayeur. Tavernier de renchérir : « On nettoie aussi ».
Question : ce type d’émission est-il digne d’une chaîne publique d’un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations
unies ? À moins que ce pays préfère afficher son indignité, et la faire applaudir de la rue...

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1. Cf. le Dossier noir n° 9, France-Zaïre-Congo, 1960-1997. Échec aux mercenaires, L’Harmattan, 1997. Disponible à Survie (60 F).

Canal X
Le juge Frédéric N’Guyen mène une enquête très gênante sur un réseau de prostitution « de luxe ». Il y croise les noms de gros
clients proche-orientaux de l’industrie française d’armement (cf. Billets n° 48), de l’omniprésent Paul Barril, et de personnalités du
showbusiness (Robert De Niro, le producteur Alain Sarde). On accable du coup le « petit juge ». On dénonce sa « justicespectacle » - comme chaque fois que l’on touche aux happy few. On daube son intolérance aux pratiques mondaines.
L’ennui, c’est qu’au cœur de ces mondanités abondent les recrutements sordides et les plaintes pour viols. Quand Canal +,
sponsor d’Alain Sarde, conduit la meute des matraqueurs médiatiques du juge N’Guyen, cela relève de la pornographie politique.
On ne s’étonne pas trop de retrouver en guest star de ce mauvais film l’ex-ministre mitterrandien de la Justice Georges Kiejman,
avocat de Sarde et De Niro (Libération, 02/03/1998).
En allant rencontrer De Niro au domicile de Guillaume Durand, de Canal +, l’actuelle Garde des Sceaux Élizabeth Guigou en a
déjà trop fait. Elle a tout à gagner à faire ce qu’elle promet - en rupture avec la doctrine mitterrando-chiraquienne : laisser agir la
justice, quoi qu’il en coûte aux « amis ».
Kamel extra
Un autre « petit juge » deviendra grand s’il continue, sans se laisser démonter, à démonter les circuits franco-français et francoafricains de financement du RPR. Il a fini par obtenir (bon point pour le gouvernement, mais accroc à la cohabitation) deux des
fameuses notes blanches de la commissaire des Renseignements généraux Brigitte Henri.
S’y dessine le carrefour des valises du RPR : l’Arab Bank, de Genève et Zurich, un établissement libano-syrien « choisi pour son
hermétisme ». Émerge aussi un personnage clé, André Kamel - déjà épinglé à propos de l’affaire Noir-Botton, à Lyon (Journal du
Dimanche, 15/03/1998). Président de Dumez-Nigeria, proche de Jérôme Monod 1, cet homme d’affaires franco-libanais a une
réputation d’intermédiaire incontournable sur nombre de marchés africains et proche-orientaux : une sorte de Tarallo du génie
civil, qui doit en savoir long sur les tenants et aboutissants de la « dette » africaine !
1. Ex-patron de la Lyonnaise des Eaux, maison-mère de Dumez, et ex-secrétaire général du RPR.

Bons points
* La France autorise ses militaires à témoigner devant les Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda.
Espérons que cette autorisation, obtenue par le procureur Louise Arbour, ne l’a pas été au prix de concessions trop lourdes.
* Le Parlement européen ne s’est pas montré très gentil envers l’ami de Chirac Denis Sassou Nguesso, ancien et nouveau Président
du Congo-Brazza. Le 12 mars, il a demandé la suspension de toute aide non-humanitaire au Congo qui n’est « plus un État de
droit ».
Fausses notes
* Paul Biya persiste à garder en prison le journaliste Pius Njawe, directeur du Messager - qui n’a pas accès aux soins que nécessite
son état de santé. Il n’est pas inutile de signifier au despote notre indignation, ni notre mécontentement au Premier ministre Lionel
Jospin, trop complaisant envers ce régime installé par Elf.
* Paris a réussi à entraîner l’Union européenne dans la voie d’une absolution de la Chine à la session annuelle de la Commission
des droits de l’homme des Nations unies, à Genève. Le plus célèbre des dissidents, Wei Jingsheng, dénonce la « collusion entre le
Parti communiste chinois et nombre d’hommes politiques occidentaux, qui a pour effet d’abuser l’opinion publique » (Libération,
19/3).
Carnet
* Tradition oblige, le nouveau chef d’état-major des armées françaises, le général Jean-Pierre Kelche, a fait une bonne partie de sa
carrière en Afrique (Djibouti, Côte d’Ivoire). Plus précisément dans l’infanterie de marine (les ex-troupes coloniales). Voilà qui ne
prédispose pas à réduire l’influence du lobby militaro-africaniste...
* Le 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage ne mobilise guère un pays qui fut jadis aux premières loges. Si une ville
comme Nantes accomplit depuis plusieurs années un remarquable travail de mémoire, le port du Havre préfère oublier son fâcheux
passé. Surtout lorsque son maire Antoine Rufenacht flirte avec le Front national.
(Achevé le 22/03/1998)

ILS ONT DIT
Rwanda
« [Le 7 avril 1994, après l’attentat contre l’avion du général Habyarimana] , la garde présidentielle a carrément refusé [à la force des Nations unies, la
Minuar, d’accéder aux lieux pour initier une enquête] ». (Général Roméo DALLAIRE, commandant de la Minuar. Témoignage au Tribunal pénal
international d’Arusha (TPIR), 25/02/1998. Cité par Ubutabera, 02/03/1998).

[Une indication précieuse dans une affaire encore non éclaircie].

« Question : Est-ce qu’une force équipée, mandatée avec l’objectif d’intervenir contre les forces qui attaquaient à l’arme blanche les civils
[pouvait stopper les massacres] ?
- Absolument. [...] [Une telle intervention aurait offert aux Rwandais]

une troisième option entre celle de tuer et de se faire tuer. [...] Tous les
pays membres de l’ONU ont du sang rwandais sur les mains. [...] Les Nations unies, c’est nous. Tous. Et si nous ne sommes pas
intervenus, par extension, nous tous avons une part de responsabilité dans la continuité du génocide rwandais pendant presque

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N° 57 – Avril 1998

quatre mois ». (Général Roméo DALLAIRE, ibidem).
« [L’opération] Turquoise était perçue [par le camp du génocide] comme : "Les renforts sont arrivés". Il y avait des drapeaux français à
Kigali. À ce moment-là, le chef des FAR [l’armée d’Habyarimana] était moins disposé aux négociations de cessez-le-feu ». (Roméo
DALLAIRE, ibidem).
« Question : Selon vous, les massacres étaient-ils organisés et dirigés ?
- Tuer un million de gens et être capable d’en déplacer trois à quatre millions en l’espace de trois mois et demi, sans toute la
technologie qu’on a vu dans d’autres pays du monde, c’est tout de même une mission significative. Il fallait qu’il y ait une
méthodologie. Cela prend des données, des ordres ou au moins une coordination ». (Roméo DALLAIRE, ibidem).
« J’ai supplié la communauté internationale qu’il fallait à tout prix neutraliser la Radio Télévision Libres des Mille Collines
(RTLM), qui incitait les gens à tuer. Je n’ai eu aucune aide ». (Roméo DALLAIRE à Arusha. Cité par La Libre Belgique du 26/02/1998).
« Est-ce que c’est un péché de tuer un Tutsi ? Non. Exterminons-les, exterminons-les, tuons-les et enterrons-les dans les forêts,
faisons-les sortir des forêts, ensevelissons-les dans les grottes, faisons-les sortir des grottes et massacrons-les. [...] N’épargnez
même pas les bébés, n’épargnez pas les vieillards et n’épargnez pas non plus les femmes, car même Kagame était un bébé quand il
est parti [en exil en Ouganda] ». (Chant des assaillants de la colline de Bisesero, le 13/05/1994, retranscrit par un survivant. Témoignage au
Tribunal d’Arusha, Ubutabera, 02/03/1998).

« Monsieur le président, il n’y a pas eu de génocide. Il y a eu la guerre. Je plaide non coupable ». (Général Gratien KABILIGI,
ancien haut responsable des FAR, le 17/02/1998 à Arusha. AFP).

« En février 1993 [14 mois avant le génocide] [...], sur les barrages près de Kigali, il y avait le drapeau français et le drapeau rwandais.
Les militaires français contrôlaient les papiers, regardaient l’ethnie. [...] Sur la barrière de Nyacyonga, à Kabuye, c’était
scandaleux, parfois ils étaient plus d’une dizaine, en train de boire des bières. Ils étaient saouls tout le temps. Il y avait des filles
qui étaient violées par des militaires français. [...]
À côté de l’aéroport de Kigali, à Kanombe, à un endroit qui s’appelle Nyarugunga, il y avait un camp d’entraînement des
extrémistes hutus. [...] C’était ouvert, comme un grand terrain de foot, on voyait que c’était les Français qui entraînaient les
miliciens. Ils avaient des uniformes kaki avec des bérets rouges ». (Yvonne GALINIER-MUTIMURA, Rwandaise rescapée, mariée à
un ancien coopérant français. Libération du 26/02/1998).

« [Les armées défaites cette dernière décennie en Ouganda, au Rwanda, dans l’ex-Zaïre ou en Angola constituent] un problème gigantesque. Il faut un
moyen d’en sortir parce qu’on risque d’ici quelques mois une explosion totale [de la région] . N’importe qui désireux d’investir un
peu d’argent dans une opération de déstabilisation trouverait de la main d’œuvre nécessaire. Quant aux armes, il en trouverait
autant qu’il en voudrait. [Les chefs d’État de la région devraient se réunir pour] travailler sur un plan de démobilisation ». (Aldo AJELLO,
envoyé spécial de l’Union européenne dans la région des Grands Lacs, déclaration du 25/02/1998, citée par L’Humanité du 27/02/1998).

« Les pays d’Afrique centrale [...] sont un coin de la planète qui a désespérément besoin de la défense des droits de l’homme. Mais
[...] c’est une région où les militants des droits de l’homme sont en train de jouer un rôle potentiellement nuisible. Dans la
communauté des droits de l’homme, nous sommes si occupés à produire des rapports accablants et à frapper d’ostracisme les
nouveaux gouvernements que nous risquons d’attirer plus d’instabilité et de bains de sang. Rien de moins.
Prenons le cas des 120 000 personnes suspectées de génocide actuellement emprisonnées au Rwanda. Beaucoup n’ont jamais été
formellement inculpées, ce que la plupart de mes collègues considèrent comme une insigne violation des droits de l’homme et la
preuve que les leaders rwandais ne respectent pas les règles élémentaires de la justice.
Je vois cela différemment. Je regarde l’emprisonnement de ces gens comme une victoire des droits de l’homme. La plupart des
juges, procureurs et enquêteurs ont été tués durant le génocide ou se sont enfuis du pays, ne laissant aucun moyen de juger ces
120 000 prisonniers. Mais ils sont encore en vie et attendent leur jugement. Ils n’ont pas été fusillés ou abattus à la sauvette, dans
la frénésie de venger un génocide que la plupart d’entre eux ont commis. Bien plutôt, ils ont été maintenus en prison tandis que le
gouvernement rwandais essaie de rebâtir son système judiciaire. [...].
Condamner des gouvernements - ce que nous faisons bien - n’est pas suffisant. Il faut aussi quelquefois adopter une attitude plus
constructive, intervenir directement pour renforcer les conditions de mise en œuvre des droits de l’homme.
Au Rwanda, nous pourrions offrir de la formation, de la documentation et d’autres formes d’assistance qui aideraient à
reconstruire le système judiciaire détruit. Nous pourrions, par exemple, utiliser nos savoir-faire en matière d’enquête pour
rassembler des éléments de preuve, ce qui permettrait de poursuivre ou relâcher les prisonniers suspectés. [...]
La communauté des droits de l’homme a montré de sérieuses insuffisances [...]. Après le génocide [de 1994] , nous n’avons pas été
capables d’exiger assez fermement que les génocidaires soient expulsés des camps de réfugiés. Nous avons fui cette vérité : il
valait la peine de risquer une effusion de sang pour séparer les assassins et les réfugiés légitimes. À la tête d’une agence impliquée
dans la politique en faveur des réfugiés, je ressens cette défaillance de manière aiguë. Rétrospectivement, je pense que mon agence
aurait dû expliquer clairement aux décideurs politiques qu’une action militaire valait la peine si l’on voulait résoudre le problème.
[...]

Ceux d’entre nous qui s’attachent à documenter les violations des droits de l’homme ont souvent considéré les gouvernements
comme agressant volontairement leur propre peuple. [...] Mais nous devons comprendre qu’"assumer le pouvoir" dans ces pays est
très différent d’"exercer le contrôle". L’État de droit est le socle des droits de l’homme, mais, après des décennies de dictature, de
chaos et d’impunité, il peut falloir des années pour le mettre en place. [...].
Un moment peut venir où il est préférable de réduire ou de supprimer l’aide à un régime incorrigible, mais c’est une politique
irresponsable que de couper les vivres à de nouveaux gouvernements au moment où ils ont le plus besoin d’assistance et de

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N° 57 – Avril 1998

conseil. [...] Couper l’aide à un gouvernement récent en lutte équivaut à précipiter son effondrement - ce qui peut conduire
exactement au genre de chaos que les organisations de droits de l’homme veulent éviter. [...]
Les génocidaires sont encore actifs au Rwanda et dans l’Est du Congo. Ils méritent d’être défaits, mais seule la force des armes
fera le travail. Trop de militants des droits de l’homme estiment à tort que toutes les guerres sont injustes et assimilent tous les
combattants à des gueux méprisables assoiffés de sang et de pouvoir. Certains ennemis valent qu’on prenne les armes contre eux,
même si des innocents mourront dans l’histoire ». (Roger WINTER, directeur de l’US Committee for Refugees, in The Washington Post du
22/02/1998).

[Une prise de position provocante, en ce sens qu’elle oblige à un débat éthique et politique souvent escamoté - parce qu’effectivement risqué. Un
manque de contrôle est-il temporaire, inévitable ou volontaire ? À partir de quand un gouvernement peut-il et doit-il être considéré comme
« incorrigible » - abandonné à lui-même, voire combattu, au lieu d’être encouragé ? Quelle serait la situation et la perspective des droits de
l’homme s’il devait chuter ? Certains diront que les organisations des droits de l’homme n’ont pas à répondre à de telles questions.
Mais cet argument-là ressemble à l’« apolitisme » : le choix implicite de l’irresponsabilité. En réalité, le travail de ces organisations est
éminemment politique - ce qui, de notre part, n’est évidemment pas un reproche. Il vaut mieux le savoir et, dans les zones à haut risque de
massacre, mesurer chaque fois si telle ou telle « campagne » aura ou non plus d’effets positifs que négatifs. Un « mandat » de principe n’est pas
une assurance tous risques, ni la répétition systématique des mêmes recommandations face à des situations inédites.
Revenons brièvement à Roger Winter : même s’il est illusoire de réduire par le dialogue les noyaux endurcis des milices génocidaires, l’enjeu
crucial de la région reste, comme le souligne Aldo Ajello, la désescalade de la violence].

Ailleurs
« Qui a géré ce pays [le Centrafrique] pendant tant d’années ? C’est la France qui l’a cogéré. [...] Notre échec, c’est donc aussi
l’échec de la France ». (Ange-Félix PATASSE, Président centrafricain, interview à Libération du 10/03/1998).
« L’aide entraîne la dépendance, et la dépendance, c’est l’esclavage. [Le bilan de trois décennies d’aide occidentale] [...] est la preuve que la
politique d’aide est mauvaise pour l’Afrique ». (Yoweri MUSEVENI, Président ougandais, discours à Addis Abeba le 08/03/1998).
« Ce qui apparaît clairement, c’est qu’il existe une forme d’accointance entre certains élus du monde politique et une forme de
mafia locale. Le dire pour la dixième fois ne sert à rien. Il faudrait agir ». (Xavier de ROUX, député UDF, Libération, 05/03/1998).
« Ce qui est à l’œuvre est connu : c’est une économie de pompage, avec pompe aspirante et refoulante ». (Jacques OUDIN, ibidem.
Les deux parlementaires commentaient la création d’une commission d’enquête sur l’utilisation des fonds publics en Corse).

[Le mal que l’Hexagone ne se donne pas à assainir ses relations avec la Corse illustre la difficulté du chantier franco-africain].

Elf, etc.
« Il n’y a pas longtemps, j’assistais à un débat en présence du président de GIAT Industrie, une société française de vente d’armes.
Il racontait, tranquillement, que les commissions s’étalaient entre 5 % et 15 % du montant total de la vente. Tout le monde sait que
ces commissions sont versées lors de ce type de vente. La liste des bénéficiaires est connue, à la grâce du gouvernement. Il s’agit
d’affairistes et de politiques qui reçoivent après signature de ces contrats des "retours sur commissions" qui vont directement sur
des comptes en Suisse ». (Thierry JEAN-PIERRE, député européen, ancien juge d’instruction, interview à France-Soir du 13/03/1998).
[Dans l’affaire des frégates de Taiwan, Roland Dumas a cherché à se couvrir en révélant que le montant total des commissions et rétrocommissions s’élevait à 2,5 milliards de FF. Sur l’air de : « Je ne coulerais pas tout seul ». S’agissant des quelque 60 millions rétrocédés à
Christine Deviers-Joncour, « l’affaire des frégates pourrait, selon Le Monde (10/03/1998), n’être qu’un habillage pour masquer un simple
détournement de fonds des caisses d’Elf ». Voir À fleur de presse].

« Elf a l’intelligence d’arroser large pour faire plaisir à tout le monde. À chaque fois, il y a dans ses mouvements de fonds un volet
politique, un volet financier et un volet personnel. [...]
Les réseaux africains ont ainsi servi à gratifier une clientèle politique française. En fait, Elf "subventionne" partout. [...] Le "petit
coup de pouce" devient le système lui-même. Les commissions n’ont plus aucun rapport avec l’objet poursuivi et dépassent 30 %
du total de la transaction. On crée à côté de l’État des structures plus puissantes que l’État ».
(Antoine GLASER, directeur de La Lettre du Continent, ibidem).
« Les banques suisses font une grande partie de leur chiffre d’affaires sur ces commissions. Elles prélèvent une taxe de gestion. Ce
type de pratique est, de plus, facilité par les nouveaux moyens de communication et la mondialisation des marchés. Les
gouvernements ferment les yeux pour ne pas perdre certains marchés. Tout cela, bien sûr, est justifié par la raison d’État ». (Jean
ZIEGLER, député du canton de Genève, ibid.).
« On a toujours du mal à croire que, chez nous, le niveau de la corruption peut atteindre celui de l’Italie. C’est une illusion de
l’exception française. Il faut aujourd’hui un effort de remise en ordre éthique dans la gestion de l’État, dans celle des entreprises
nationalisées et récemment privatisées ». (François d’AUBERT, député UDF, interview au Monde du 08/03/1998).
« La coopération décentralisée repose sur des liens solides et étroits entre partenaires. Elle s’inscrit dans la durée. [...] Dans certains
domaines, les collectivités locales se révèlent plus compétentes que l’État pour initier des projets de coopération. Les départements
dans l’action sociale ou les villes dans le secteur de la gestion urbaine, par exemple. La coopération décentralisée, c’est la mise en
mouvement d’une somme incroyable de compétences, de gens capables d’apporter la bonne réponse à des problèmes - pas
forcément considérables - qui se posent à un moment donné. [...]

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N° 57 – Avril 1998

J’en suis convaincu : la coopération décentralisée contribue à enraciner la démocratie, en favorisant l’apparition de nouvelles
élites dans les pays en développement. Elle ne peut voir le jour sans interlocuteurs locaux ayant une marge de manœuvre. Elle ne
peut prospérer que dans des pays ayant entrepris leur propre décentralisation ». (Charles JOSSELIN, ministre de la Coopération, in Les
Échos du 06/03/1998).

[Sur un terrain dont il est un pratiquant émérite, le ministre parle d’or. C’est pour cela qu’à peine un cinq-centième de l’aide publique au
développement bilatérale abonde cette forme de coopération... Se vérifie ainsi la maxime de Sylvie Brunel : « l’argent de l’aide publique est trop
utile à la Realpolitik pour servir à lutter contre la pauvreté »].

À FLEUR DE PRESSE
Recamp
La Croix, Paris forme d’autres soldats pour l’Afrique, 05/03/1998 (Mathieu CASTAGNET) : « L’exercice Gudimakha qui s’est tenu
au Sénégal [fin février] [...] se veut [...] la répétition générale des interventions futures. Basé sur le "concept Recamp" (pour
Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix), il a mis en scène des bataillons africains séparant deux ennemis et
assurant des missions humanitaires. Avec un indispensable appui technique - et surtout financier - de la France. [...]
Malgré son désengagement annoncé, la France voudrait pourtant rester maître en son "pré carré". "À l’avenir, l’influence se
mesurera davantage à la capacité de faire travailler les autres qu’au fait d’être en première ligne sur le terrain", souligne un
militaire habitué des opérations extérieures. La sourde lutte qui a opposé durant des mois Paris et Washington sur la façon de
constituer cette future force d’interposition africaine montre bien qu’il ne s’agit pas seulement d’une action désintéressée ».
[Le « seulement » paraît bien superflu. De même, le rituel habillage humanitaire ne cache pas l’objectif stratégique : faire semblant de partir
pour mieux rester, grâce aux nouveaux liens de dépendance militaire ainsi tressés. « Recamp » est le contraire de « Décampe !». De Gaulle, lui,
ne voulait plus des bases de l’OTAN... ].

Le Monde, Paris patronne un exercice militaire interafricain au Sénégal, 03/03/1998 (Thomas SOTINEL) : « [Dans] la manœuvre
"Gudimakha 98" [...], la disparité entre les moyens logistiques fournis par la France et les forces déployées sur le terrain tourne à la
caricature. [...] Un officier d’un pays non francophone invité observe [...] : "Les Français disent qu’ils veulent que les Africains
prennent en charge le maintien de la paix, mais ce n’est pas ce que je vois. Ici, rien ne peut se faire sans eux". [...]
Le Sénégal, la Mauritanie et le Mali ont constitué un bataillon multinational de maintien de la paix. Ils ont reçu le concours de
pays lusophones (Guinée-Bissau, Cap-Vert) et anglophones (Ghana, Gambie) qui ont envoyé chacun une section. Cette unité [...]
est soutenue par une force logistique fournie essentiellement par la France, avec la participation symbolique des États-Unis et de la
Grande-Bretagne. [...] Au terme de l’exercice, le matériel nécessaire à la constitution du bataillon restera à Dakar, aux bons soins...
du bataillon français d’infanterie de marine qui y est stationné. [...]
La France, qui vient de consacrer 35 millions de francs à l’opération [...], aura-t-elle les moyens de porter à bout de bras de vraies
interventions, dont la finalité politique ne correspondra pas toujours aux objectifs français en Afrique ? Le ministre français de la
Défense, Alain Richard, [...] a lancé un appel aux autres pays occidentaux, souhaitant que ceux-ci aient "la volonté et le cran" de
mettre en jeu la vie de leurs soldats sur le sol africain à l’exemple de la France ».
[« L’exemple de la France » n’est pas très engageant. Quarante ans de présence militaire sur le sol africain ont provoqué infiniment plus de
morts de civils africains, du Cameroun au Rwanda, que de soldats français. Tant qu’elles ne seront pas parties d’Afrique, des troupe telles que
l’infanterie de marine resteront « coloniales ». La France pourrait s’inspirer de la Belgique, qui a décidé de ne plus envoyer ses troupes dans ses
anciennes colonies.
On peut s’étonner d’autre part que le leadership de l’unité Recamp ait été confié à une armée sénégalaise qui applique en ce moment en
Casamance « des méthodes dignes des heures les plus sombres des ex-dictatures salvadorienne ou argentine » (Témoignage chrétien, 27/2). L’armée
mauritanienne, elle, a massacré en son sein plusieurs centaines de ses officiers et soldats noirs. Drôles de « soldats de la paix » !].

Rwanda
Le Soir (Bruxelles), Grands Lacs : les rebelles ont-ils fait leur jonction ?, 10/03/1998 (Colette BRAECKMAN) : « [Dans] la région des
Grands Lacs [...], plusieurs groupes militaires vaincus errent [...] dans de vastes régions peu contrôlées. Ils menacent la sécurité des
pouvoirs en place à Kinshasa, à Kigali et à Bujumbura, mais plus encore les populations locales qui sont parfois prises en otages,
obligées de ravitailler les groupes rebelles, de les suivre et de participer à leurs opérations.
[Au Rwanda] , dans les préfectures de Gisenyi et de Ruhengeri, [...] ces rebelles [...] opèrent par très larges groupes, dépassant souvent
le millier de personnes, hommes en armes mélangés aux civils qu’ils poussent devant eux [...]. [Ils] visent plutôt les cibles civiles,
camps de réfugiés tutsis, bâtiments communaux où ils assassinent les "traîtres qui collaborent avec Kigali", les témoins et les
survivants du génocide. [...] Ces infiltrés sont mobiles et se replient volontiers au-delà de la frontière congolaise, emmenant avec
eux des civils qui ont participé aux opérations, qui ont été contraints de les suivre ou qui fuient l’armée. Les infiltrés sont soit des
miliciens Interahamwe, soit des membres de l’ancienne armée d’Habyarimana, soit encore des jeunes qui avaient été formés dans
les camps de réfugiés, l’ensemble de ces rebelles représentant des dizaines de milliers d’hommes, imprégnés de l’idéologie et des
méthodes du génocide. [...]
[Au Congo-Kinshasa,] la région du Kivu est plus explosive que jamais : les Maï-Maï (rebelles issus des ethnies Hunde et Nyanga)
sont actifs dans le Masisi ; au Sud-Kivu, du côté d’Uvira, des Babembe sont en lutte avec les Tutsis Banyamulenge, et ces derniers
s’opposent fréquemment aux soldats katangais de l’AFDL au pouvoir [l’Alliance de Kabila] . À Kigali comme à Kinshasa, les autorités
soupçonnent les anciens militaires de Mobutu de s’être alliés avec les [rebelles] rwandais et les opposants locaux [...].
La rébellion hutue du Burundi, chassée du Kivu en 1996, a tenté de se réinstaller en Tanzanie, aux abords des camps de réfugiés
où règne aujourd’hui une situation comparable à celle qui prévalait au Kivu en 1996, lorsque les camps de réfugiés constituaient
une menace militaire directe pour Kigali. [...] La guérilla burundaise est cependant divisée. [...]
Une lettre adressée en novembre 1997 au lieutenant-colonel Nkundiye, chef d’état-major de l’Alir (Armée pour la libération du
Rwanda [groupe armé opérant au nord-ouest du Rwanda, diffusant des tracts clairement génocidaires]), par un intermédiaire l’abbé Athanase-

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N° 57 – Avril 1998

Robert Nyandwi, fait état d’une collaboration croissante entre les FNL [une des guérillas] burundaises et les [...] [rebelles] rwandais,
afin de "combattre l’oppression tutsie". [...]
Il ne semble pas que ces divers mouvements, se réclamant tous de l’"identité bantoue" et d’une idéologie marquée par la haine
ethniste, aient déjà réussi totalement à coordonner leurs actions, malgré le grand nombre de combattants dont ils disposent.
Toutefois, ils ont déjà été aidés par les mobutistes : c’est ainsi que le colonel Boluka, qui était le commandant de l’équipe spéciale
de renseignement du président Mobutu, et qui est aujourd’hui cofondateur du RCD (Rassemblement des Congolais pour la
démocratie) [...], a reçu en Afrique du Sud la visite de deux délégués venus de la région des Grands Lacs, un certain Gahala
représentant les rebelles hutus, et un certain Ferudji, envoyé des rebelles Maï-Maï. Selon nos informations, il leur a remis une
somme équivalent à 800 millions de FB [130 millions de FF] . Ce montant devait permettre d’armer 22 000 rebelles hutus en œuvre
dans la sous-région ».
[Tout ceci ne fournissant qu’un aperçu partiel et très résumé d’un cocktail hyperexplosif, financé entre autres par les fortunes mobutistes restées bien sûr connectées à la Françafrique].

Congo-Kinshasa
Libération, Kabila tente de renouer avec Paris, 25/02/1998 (Stephen SMITH) : « L’homme qui, le 2 décembre, pousse la porte de
l’Élysée est aussi peu ordinaire que les relations entre Paris et Kinshasa [...]. Dominique Sakombi peut se prévaloir de qualités
étonnantes. Non seulement l’émissaire de Kabila a été pendant vingt-cinq ans le meilleur propagandiste de Mobutu, mais, touché
par la grâce en 1989, il est également prédicateur et, autre conversion, depuis novembre conseiller en communication de [Kabila]
[...].
Le 2 décembre, [...] Michel Dupuch, le conseiller de Jacques Chirac pour les Affaires africaines, reçoit [...] des mains de Sakombi
une lettre de Kabila, datée du 26 novembre [...]. Il demande [...] que son émissaire soit reçu par Jacques Chirac en personne et
justifie cette requête en rappelant que Sakombi [...] était ambassadeur à Paris dans les années 80, sous Mobutu, et qu’il était
"proche de Jacques Foccart, votre conseiller des Affaires africaines". À l’Élysée, on s’étonne : qui eût cru que le "rebelle" Kabila
[...] se réclamerait un jour du monsieur Afrique du gaullisme, du père des réseaux franco-africains, du partisan indéfectible de
Mobutu [...] ?
Dans son rapport de mission de six pages, [...] Dominique Sakombi [...] informe Kabila des entretiens qu’il a eus, aussi, avec le
conseiller officieux de Jacques Chirac [...] Fernand Wibaux, ainsi qu’avec [...] Charles Josselin et [...] Hubert Védrine. [...]
L’émissaire de Kabila demande à la France un prêt de 5 milliards de francs, "quitte à le gager sur les richesses minières de notre
sous-sol". [...] Au Congo-Kabila, pour qui la France est à la fois la meilleure ennemie et la meilleure alliée potentielle, on y attend,
pour se décider, l’argent ».
[Un article à tiroirs (-caisse) et à double ou triple fond(s). Les documents évoqués sont effectivement étonnants. Leur divulgation est bien sûr
calculée. Dans un poker à gros enjeu, et lourdes conséquences].

Africa Confidential, Centrafrique/Congo-K. Encore des "Contras", 23/02/1998 : « Plusieurs centaines de soldats de l’ancienne
division spéciale présidentielle du président Mobutu [...] ont rejoint les forces de l’ex-président [centrafricain] [...] André Kolingba.
Celui-ci veut reprendre le pouvoir qu’il a perdu en 1993.
Les hommes de l’ex-DSP sont basés [...] dans l’est du Centrafrique, et se préparent à envahir de nouveau la province voisine de
l’Équateur [Congo-K] , dont Mobutu était originaire. Ils sont dirigés par le colonel Grekongbo Nzloté et par le colonel Molibé [...].
En novembre, ce groupe a été rejoint par plusieurs officiers qui furent proches de Mobutu et qui avaient auparavant fui au Tchad.
L’ancien conseiller de Mobutu [...], le général Jeannou Lacaze, est intervenu en leur nom [...] auprès de son protégé le général
Idriss Déby. Africa Confidential croit savoir qu’au plus fort de la guerre menée contre Mobutu, le président Déby, avec les
encouragements de l’Élysée, a fait parvenir des armes de fabrication chinoise fournies par la Libye et le Soudan aux mobutistes ».
[Encore une illustration du propos alarmiste d’Aldo Ajello. Le très à droite général Lacaze, ami des Mobutu, Eyadema, Déby, etc., s’intéresse
beaucoup aux noyaux de déstabilisation de l’Afrique centrale. Avec un tel mentor, Idriss Déby ne risque pas de s’amender. Par delà les dégâts
internes qu’il continue de causer, il se confirme qu’il relaye les trafics d’armes françafricains, de même que la Libye et le Soudan. M. Jospin, estce bien raisonnable ?].

Burundi
L’Événement du Jeudi, Burundi, Comment sortir de la barbarie, 05/03/1998 (Jean-François DUPAQUIER) : « [Après les massacres de
les crocodiles de l’intégrisme ethnique imposent "la race pure" sur les collines et dans les villes. Plus encore que les crimes
massifs - entre 100 000 et 200 000 morts [depuis l’assassinat du président Ndadaye] - leur terrible succès est alors sémantique : petit à
petit, le mot "modéré" devient une injure. [...]
Si les pays voisins, soucieux de légitimité démocratique, ont sanctionné le putsch par un embargo toujours en vigueur, le travail
de pacification des esprits mené depuis deux ans par le président Buyoya a porté ses fruits. Un peu partout au Burundi, des
individus se battent contre l’intégrisme ethnique à visage découvert, au péril de leur vie. Dire d’un Burundais qu’il est modéré
redevient un terme élogieux ».
1993] ,

[Nous n’évoquons pas souvent la situation au Burundi, d’une rare complexité, et d’où nous manquent certaines informations clés. Il semble
cependant qu’une partie de la société burundaise a eu assez envie d’échapper au suicide annoncé de son pays pour engrener les cercles vertueux
du civisme et de la politique - au lieu et place de la routine des massacres].

Elf
Le Canard enchaîné, La cohabitation dans le pétrole, 11/03/1998 (Nicolas BEAU) : « À propos des commissions versées en Suisse
pendant les années 90, l’ancien patron [d’Elf] Loïk Le Floch confiait [début mars] à des proches : "Je crois me souvenir que c’est
Mitterrand qui m’avait demandé à l’époque d’autoriser le versement de ces fonds. Il s’agissait de régler quelques affaires en Irak

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N° 57 – Avril 1998

et en Iran". [...]
Dès 1988, Le Floch avait rencontré Chirac chez l’industriel Maurice Bidermann. Parallèlement, Alfred Sirven, fidèle second de
Le Floch, est très lié à André Magnus, un publicitaire qui a financé après guerre les campagnes de Mitterrand [...].
Nommé patron d’Elf, Le Floch se rend à l’Élysée. Traditionnellement, le groupe pétrolier entretient des liens privilégiés avec la
mouvance gaulliste, et le premier septennat de Mitterrand n’y a pas changé grand-chose. Ainsi Le Floch s’interroge sur les
intentions de l’Élysée : "Monsieur le Président, le groupe Elf a toujours attribué certaines facilités aux hommes politiques. Que
dois-je faire ?".
Réponse de Mitterrand, selon l’entourage de Le Floch : "Continuez, mais veillez à ce que personne ne soit lésé. Et pour les
socialistes, passez par mon entourage". Dès lors le président d’Elf se flatte d’avoir les numéros des lignes directes de l’Élysée,
déjeune régulièrement avec Mitterrand et s’en va dîner à son domicile privé [...]. Jean-Christophe Mitterrand est salarié par une
filiale d’Elf pour diverses missions en Afrique. D’autres proches de l’Élysée [...] sont aidés par Elf, et l’hebdomadaire "Globe",
inconditionnel de la Mitterrandie [...].
Si les grandes orientations sont définies lors des rencontres entre Le Floch et Mitterrand, la mise en musique revient à Alfred
Sirven. C’est lui le grand distributeur des prébendes - soit une partie significative des 800 millions de francs de commissions
distribués chaque année [...].
Ouvert et chaleureux, Sirven est au cœur des réseaux politiques du groupe. Avec deux interlocuteurs privilégiés : Roland Dumas
à gauche, Charles Pasqua à droite. [...]
Dès 1989, Elf embauche Christine Joncour [l’amie de Roland Dumas] et lui attribue une carte de crédit. Mieux, un appartement est
mis à sa disposition [...] dans le même immeuble que Sirven. [...] À partir de cette date, à en croire trois anciens dirigeants du
groupe, des rencontres régulières ont lieu dans [ce] discret appartement [...]. Alfred Sirven en est l’organisateur. Oenologue averti,
il met ces jours-là un soin particulier à choisir de bons crus. Deux invités de marque participent parfois à ces dîners : Roland
Dumas, alors ministre des Affaires étrangères, et Charles Pasqua, qui à l’époque est encore le fidèle second de Chirac. Mais
Dumas dément aujourd’hui ces agapes trop conviviales [...].
Sous l’ère Le Floch, les proches de Pasqua sont au mieux avec Elf. Ainsi André Guelfi, dit Dédé la sardine, un des hommes clés
de la distribution des commissions. [...] Guelfi connaît Pasqua depuis le début des années 50, quand Charlie travaillait chez
Ricard ».
[Nous avons cité longuement cet article qui éclaire un certain nombre de points importants (et quelques autres dans les passages non
reproduits). Le propos sur l’Iran est une confirmation supplémentaire des tractations sur le nucléaire évoquées dans le livre Une guerre (Billets n°
49 à 53). Surtout, on s’aperçoit que la très grande majorité des électeurs français, qui croyaient qu’il y avait une différence entre Mitterrand et
Pasqua, ont été faits cocus en Françafrique... ].

Le Monde, Le droit, la morale, 10/03/1998 (Pierre GEORGES) : « Le président de la République, recevant Roland Dumas, vendredi
soir [06/03/1998] , fait savoir au président du conseil constitutionnel qu’il est évidemment présumé innocent. Le gardien de la
Constitution apaise le garant de la Constitution ! C’est tout simplement une situation inouïe, inédite et touchant au cœur même de
l’État de droit ».
[Le gardien et le garant de la Constitution se sont, autant l’un que l’autre, branchés sur les rentes de la compagnie pétrolière nationalisée et sur
sa Pomp’A’fric’. Ils se tiennent par la barbichette. Ne manquait plus que Charles Pasqua pour dénoncer « le pré-procès médiatique » de son ami
Dumas, « une sorte de lynchage » (12/03/1998, sur France 2)].

LIRE
Jean Ziegler, Les seigneurs du crime. Les nouvelles mafias contre la démocratie, Seuil, 1998, 284 p.
Un ouvrage indispensable pour prendre la mesure de la situation et des enjeux que recouvre le terme pittoresque et souvent galvaudé de
« mafia ». Le risque est réel de l’avènement, au niveau mondial, d’une loi mafieuse de type clanique, autoritaire, sanglante, et raciste - balayant
les systèmes et les principes démocratiques. Les pays du Sud sont au cœur du cyclone, et notamment l’Afrique : trafics d’armes et de drogues, de
femmes et d’enfants, casinos et complexes touristiques recyclant l’argent sale, etc.
Les vraies mafias pratiquent en grand la corruption politique, elles ne rechignent pas à l’achat ou à l’assassinat de policiers, de juges ou de
journalistes. Elles en ont les moyens : le chiffre d’affaires de la Cosa nostra sicilienne est estimé à 300 milliards de francs : au moins 70 % des
banques de l’ex-URSS sont contrôlées directement par l’un ou l’autre des 5 700 cartels mafieux recensés par le FBI ; en 1995, la Banque de
France a répertorié 55 milliards de transferts financiers de l’ex-URSS vers la France, la plupart d’origine douteuse ou effectivement criminelle.
Ce qui menace aujourd’hui, prévient Jean Ziegler, c’est une rupture de civilisation. Il suffit qu’un trop grand nombre de victimes potentielles
acceptent passivement l’anomie (la dérégulation, la loi de la jungle) sur laquelle les mafias prospèrent. L’auteur appelle à une reconstruction
urgente : l’insurrection de la conscience collective, exigeant une mobilisation sérieuse des autorités publiques. En Europe, « le crime organisé ne
sera vaincu que le jour où la société démocratique occidentale retrouvera ses valeurs fondatrices, le sens d’un destin collectif et des conduites
communes faites de solidarité et de justice » (p. 280).
CRID, Départements, Régions... Et le Sud ?, 8 p. Supplément à Peuples en marche (03/1998), 10 rue Lanterne, 69001-Lyon.
Une initiation stimulante à la coopération décentralisée. Pour ceux qui veulent ouvrir les fenêtres.
Comment en est-on arrivé là ? François-Xavier Verschave publie chez Stock, le 15 avril

La Françafrique
Le plus long scandale de la République
Du massacre des indépendantistes camerounais à la guerre civile à Brazzaville, en passant par les assassinats de Sylvanus Olympio, Outel Bono,
Thomas Sankara, Dulcie September, par les guerres mercenaires au Biafra, aux Comores, au Zaïre, par l’incendie du Liberia et le génocide du
Rwanda, ce livre raconte quarante ans de folies. Il décrit les ressorts et les réseaux d’une énorme confusion financière, géopolitique et
imaginaire : la Françafrique. Dans l’espoir d’augmenter le nombre de ceux qui n’en veulent plus.
Peut être commandé à Survie (130 F, port inclus).
SURVIE, 57 AVENUE DU MAINE, 75014-PARIS - TEL.: (0)1 43 27 03 25 ; FAX: (0)1 43 20 55 58 - IMPRIME PAR NOS SOINS - COMMISSION PARITAIRE N° 76019

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