Fiche du document numéro 22085

Attention : ce document exprime l'idéologie des auteurs du génocide contre les Tutsi ou se montre tolérant à son égard.
Num
22085
Date
Samedi 23 juin 2018
Amj
Auteur
Fichier
Taille
432990
Pages
18
Titre
Témoignages authentiques de Rwandais sur l'Opération Turquoise [Transcription d'une vidéo]
Nom cité
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Type
Transcription d'une émission de télévision
Langue
FR
Citation
Justine Uwanyuze [fille d’Octavien Ngenzi] : « moi, j’aimerais bien, en fait, que ce genre d’évènements puisse se reproduire souvent pour que nous apprenions la vérité. Parce que, évidemment, lorsque nous sommes à la recherche de la vérité, nous pouvons lire des livres comme ceux de Pierre Péan, Judi Rever »

Transcription de la vidéo intitulée : « Témoignages authentiques de Rwandais sur l’Opération Turquoise, le 23 juin 2018 ».

Lien vers la vidéo :
https://www.youtube.com/watch?v=6EA_-j2NNKc

Date de sa mise en ligne : 29 juin 2018.

*

JEAN-MARIE VIANNEY NDAGIJIMANA, LE 23 JUIN 2018.

[La vidéo commence avec la diffusion du logo suivant : « LECPINFO ». Puis, sur fond de musique militaire, une succession de messages ainsi que des cartes du monde, du Rwanda et de la zone d’intervention de l’opération Turquoise s’affichent à l’écran. Voici la teneur de ces messages : « Echanges et témoignages sur l’Opération Turquoise » / « Du 22 juin au 22 août 1994 au Rwanda » / « La parole est donnée aux témoins et à ceux qui ont survécu au génocide grâce aux soldats Français et Africains de l’Opération Turquoise » / « Ces militaires ont été envoyés au titre de la Résolution 929 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies le 22 juin 1994 ». On entend alors une voix off prononcer l’introduction suivante, toujours sur fond de musique militaire, mais aussi sur fond de photos d’archives montrant Alain Juppé, le Conseil de sécurité, des soldats français en mission au Rwanda durant l’opération Turquoise, Edouard Balladur en visite au Rwanda pendant l’opération Turquoise ainsi que plusieurs images de la façade de l’école de droit « HEAD » où se déroule la journée de témoignages du 23 juin 2018 : « Quand le génocide débute au Rwanda, seule la France, parmi les grandes puissances de ce monde, demande que la solidarité du monde entier se manifeste pour aller arrêter la tragédie. Curieusement, c’est la France qui subira des reproches d’avoir participé au génocide. Face aux critiques et aux accusations mensongères portées par le gouvernement rwandais actuel et son réseau associatif en France, les témoins directs et les rescapés rwandais présents dans la zone humanitaire sûre ont décidé de prendre les affaires en main pour rétablir la vérité historique et le bilan humanitaire de cette opération, telle qu’ils l’ont vécue pendant deux mois au cours desquels ils sont passés de la mort à la vie grâce au courage de ces hommes venus de loin »].

NB. – Les principaux bégaiements ont été supprimés.

NdT = note du transcripteur.

[A noter que, tout au long de cette vidéo, des plans montrant les personnes en train de témoigner de la scène alternent avec des plans ou photos du public. En plus des différents intervenants qui sont assis dans l’assistance, on y reconnaît le journaliste Pierre Péan].

[01’ 55’’]

Jean-Marie Vianney Ndagijimana [NdT : ancien ambassadeur du Rwanda en France, Jean-Marie Vianney Ndagijimana est notamment l’auteur du livre Paul Kagame a sacrifié les Tutsi (éd. La Pagaie, 2009). Il est également proche de l’association « France-Turquoise »] : Pourquoi donc avons-nous voulu parler de « Vérité Turquoise » ? Parce qu’autour de ce nom, autour de ce mot de « Turquoise », il y a eu tellement de mensonges, tellement de mythes créés de toutes pièces, tellement de diffamations. Et nous pensons que l’honneur a un sens. En tant que Rwandais, parce que c’est une journée imaginée et organisée par des Rwandais de France, de Belgique, des Etats-Unis – qui n’ont pas pu venir mais qui ont envoyé des témoignages –, de la Grande-Bretagne, du Canada et d’ailleurs. Pourquoi ? Parce que Turquoise, c’est notre affaire ! Personne ne saura mieux raconter Turquoise que les Rwandais eux-mêmes. C’est-à-dire les bénéficiaires de cette opération qui comprenait plusieurs pays, notamment la France, l’armée française, et puis sept pays africains : le Sénégal, l’Egypte, la Guinée-Bissau…, j’en oublierai certainement. Ces militaires étaient envoyés au Rwanda au plus fort du génocide de 94, comme tout le monde le sait. Malheureusement, un peu tard. Pas trop tard, parce qu’il y a eu des gens sauvés par ces courageux soldats. Cette mission était basée dans le sud-ouest et dans le nord-ouest. En fait, toute la côte ouest plus la préfecture de Gikongoro, qui est plus à l’est et au sud aussi [des cartes du Rwanda et de la zone d’intervention de l’opération Turquoise sont projetées à l’écran]. Et elle a été décidée par la résolution 929 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui a été adoptée le 22 juin 1994. Pour les jeunes qui n’étaient pas encore nés, c’est une date à retenir parce que beaucoup de vos parents ont été sauvés grâce à cette résolution, qui a été par ailleurs combattue par des puissances qui ne voulaient pas que des pays volontaires – comme la France, comme le Sénégal, comme l’Egypte, comme la Guinée-Bissau, comme la Centrafrique et d’autres – viennent sauver ou tentent de sauver les Rwandais, tentent d’arrêter les massacres alors en cours. Certains diront que le génocide était déjà accompli. Non ! Ils étaient [sic] bien sûr en cours. Il restait encore des vies humaines. Même si cette opération n’avait sauvé que cinq Rwandais, j’aurais applaudi personnellement. Donc, les grands mensonges qui entourent cette opération, qui disent notamment que la France voulait, à travers cette opération, aider le gouvernement alors en faillite et une armée en débandade, ce n’est pas vrai ! Sinon, pourquoi la France ne l’aurait-elle pas fait ? Est-ce par manque de moyens ? Il y avait après tout 2 500 militaires français de la légion étrangère et autres ! Ces 2 500, s’ils avaient voulu arrêter le FPR, croyez-moi, ça aurait pu se faire. Mais ce n’était pas dans leur intention. Moi qui vous parle, j’ai rencontré les responsables au plus haut point, au plus haut niveau de la France, avant l’opération Turquoise. J’ai rencontré plusieurs ministres de la République d’alors. Vous vous rappelez que le gouvernement, c’était à l’époque de la cohabitation « Balladur ». J’ai rencontré plusieurs de ses ministres. Et je n’y allais pas seul. J’y allais avec celui qui sera, un mois plus tard, le premier ministre du Rwanda, Faustin Twagiramungu [sa photo apparaît à l’écran], qui était réfugié en Europe, à l’époque. Nous, au départ, on demandait, effectivement, non pas que le FPR soit arrêté. Non ! Mais on demandait que la France nous aide à arrêter les combats. Arrêter les combats, ça veut dire s’interposer, en tant que France ! Mais le gouvernement français nous a répondu que cela était impossible, que la France s’était retirée définitivement du Rwanda en décembre 93 et qu’il n’était plus question qu’elle aille encore se mêler de l’affaire rwandaise. Ça, on l’a fait depuis que le Premier ministre Faustin Twagiramungu est arrivé en Europe, c’est-à-dire fin avril. Le problème, c’est que, chaque fois qu’on essayait de convaincre la France, ou d’autres pays, puisque nous sommes allés même aux Etats-Unis, au Congrès américain, au Canada. On a été aux Nations unies, où le secrétaire général d’alors, Boutros-Ghali, avec son secrétaire général adjoint, Kofi Annan, nous ont reçus. Et eux nous ont dit le désarroi qui était le leur. Ils nous ont dit qu’ils étaient effectivement désireux d’aider les Rwandais, d’envoyer des troupes étrangères, mais que des pays – en citant nommément les Etats-Unis –, ne voulaient pas de cette opération ! Parce que, pour eux, il n’y avait pas de génocide. Lorsqu’on a rencontré Boutros-Ghali, c’était quelques jours avant l’adoption de la résolution 929. Donc, ce n’est pas une histoire que j’invente. C’est de l’Histoire, avec [un] grand « H ». Il y a même des vidéos où l’on voit Boutros-Ghali raconter très simplement en disant que les Etats-Unis lui avaient intimé l’ordre de ne plus prononcer le mot « génocide », s’agissant du Rwanda, pour ne pas les obliger à appuyer une résolution allant dans le sens d’une assistance militaire. Donc, vous comprenez. Et, parmi ceux qui bloquaient nos initiatives – et les initiatives françaises et d’autres pays – pour déclencher une opération, il y avait des Rwandais. Des Rwandais du FPR ! Nous, on l’a constaté à Washington, lorsqu’on est allé au secrétariat d’Etat, lorsqu’on a été au Conseil de la sécurité des Etats-Unis ou au Congrès [un communiqué du FPR s’affiche à l’écran avec la mention “Statement by the RPF on 24th day Genocide in Rwanda”. Le paragraphe suivant du communiqué est encadré en rouge : “The time for U.N. intervention is long past. The genocide is almost completed. Most of the potential victims of the regime have either been killed or have since fled”. Un autre paragraphe du communiqué est entouré, également en rouge : “Consequently, the Rwandese Patriotic Front hereby declares that it is categorically opposed to the proposed U.N. intervention force and will not under any circumstances cooperate in its setting up and operation”. NdT : ce communiqué date du 30 avril 1994]. Il y avait une délégation du FPR aussi, conduite à l’époque par Murigande, qui deviendra plus tard le ministre des Affaires étrangères du FPR. Il y avait aussi Monsieur Gahima, qui était Procureur quelques années plus tard. Et Dusaïdi. Ces trois-là, ils nous marchaient pratiquement dans le dos, chaque fois pour dire : « Non, non, non ! N’acceptez pas la proposition de ces gens-là ! Ce n’est pas la vraie opposition ! La vraie opposition, c’est nous, le FPR ». Et donc, ça a retardé vraiment la décision de l’intervention au Rwanda. Ce n’est pas une accusation que je porte, mais c’est l’Histoire ! L’Histoire doit noter cela. L’Histoire doit savoir que pendant que nos parents se faisaient charcuter, découper en morceaux, tuer à la kalachnikov, il y a quand même des Rwandais qui ne voulaient pas que la communauté internationale nous vienne en aide ! Il y a des Rwandais qui ne voulaient pas que la communauté internationale vienne arrêter les massacres ! C’est de l’Histoire, ce [ne sont] pas des histoires. Si je dis cela, ce n’est pas pour que vous parliez de ces éléments pendant le débat d’ici [s’affichent alors à l’écran une photo de militaires français accueillis par des enfants rwandais avec des fleurs ainsi que des photos montrant les militaires français en train de secourir des rescapés du génocide ou de protéger le camp de Nyarushishi]. Non, on ne va parler que de Turquoise !

[10’ 03’’]

[Sur fond de musique militaire, les messages suivants s’affichent : « Témoignage d’Anicet Karege » / « Journée “Vérité Turquoise” Paris le 23 juin 2018 Témoignage : Anicet Karege »].

[10’ 16’’]

Anicet Karege [il s’agit d’un témoignage audio pré-enregistré. NdT : Anicet Karege a notamment été journaliste à Radio Rwanda de 1995 à 2001] : Mesdames et Messieurs, permettez-moi tout d’abord de vous présenter mes salutations cordiales et fraternelles [la première page de couverture du livre d’Anicet Karege, Sous le déluge rwandais, publié en 2005 aux éditions L’Harmattan, apparaît à l’écran durant tout son témoignage]. Je m’appelle Anicet Karege. Franco-rwandais, je vis dans la région lyonnaise depuis 17 ans, mais je suis originaire de la préfecture de Gitarama – l’ancienne préfecture de Gitarama –, c’est dans le sud du Rwanda. Il se trouve qu’au moment de l’attentat contre l’avion du Président Habyarimana, je vivais à Butare. J’ai quitté cette ville dans la matinée du 4 juillet, lorsque les éléments du FPR venaient de prendre militairement l’agglomération. Avec mes compagnons, nous nous sommes enfuis vers le sud. Nous sommes passés par l’ancienne commune de Gishamvu, nous sommes arrivés à Nyakizu. On pensait alors qu’il était possible de traverser vers le Burundi, mais comme la frontière était très gardée, nous nous sommes finalement dirigés vers l’ouest. Nous sommes passés par [inaudible]. Nous sommes allés vers Uwingugu, où nous sommes restés quelques jours. Et puis finalement, vers le 12 juillet, nous sommes arrivés à Gasarenda. Ceux qui connaissent l’ancienne préfecture de Gikongoro doivent bien connaître le centre de Gasarenda en question. C’est à Gasarenda que j’ai eu l’habitude de discuter avec les militaires français de l’opération Turquoise. Je les voyais passer. J’ai admiré leur comportement digne, humble. Ils voulaient discuter avec tout le monde. Le comportement dont il est question, que beaucoup mettent en cause, moi je l’ai admiré. Je peux le dire. Mais avant tout, je dois dire que l’arrivée des militaires français a sauvé – je veux dire…, utiliser ce verbe « sauver » – des milliers de personnes qui étaient en déplacement à cette époque. Vous savez, quand on fuit, on ne sait pas où on va. On sait qu’on fuit. On avance, sans savoir la destination. Dans notre cas, nous étions pris, en quelque sorte, entre le marteau et l’enclume. Bon. Il se disait beaucoup de choses sur le FPR, que les militaires commettaient beaucoup de massacres. Il n’était donc pas question de retourner en arrière. Mais dans le même temps, on savait que, parmi nous, parmi les gens qui fuyaient, il y avait nos compatriotes – certains de nos compatriotes – qui étaient responsables, qui portaient une lourde responsabilité dans la tragédie que nous étions en train de vivre, notamment dans le génocide contre les Tutsi. Il était donc difficile de cheminer avec ces gens-là, surtout qu’on ne savait pas s’ils ne pouvaient pas non plus s’en prendre à nous. Voilà. L’arrivée de l’opération Turquoise a permis de se poser et de réfléchir calmement, tranquillement, à la décision qu’il fallait prendre. Mais on a réfléchi, on a eu du temps grâce à cette opération Turquoise. Parce que justement, il n’y avait pas de combats comme les régions que nous avions quittées. Nous avons réfléchi et chacun a pu prendre la décision qui lui convenait. Pour ce qui me concerne par exemple, j’ai pu retourner dans les zones conquises par le FPR. Je suis retourné chez moi et puis je suis allé dans la capitale et j’ai demandé du travail. Mais il y en a d’autres qui ont préféré continuer vers le Zaïre. Voilà. Mais ça, c’est grâce à cette opération Turquoise qui a fait que chacun puisse réfléchir tranquillement, posément, et prendre la décision qui lui convenait. Ça, c’est le premier élément que je voulais souligner. Le deuxième élément, c’est que les militaires français ont mis fin aux massacres qui étaient encore en cours dans les trois préfectures en question. Parce qu’ils ne toléraient pas qu’il y ait des gens qui exercent, ne fût-ce que des violences – je ne vais pas parler des tueries –, ne fût-ce que des violences à l’encontre d’autres personnes. J’ai été personnellement témoin d’une scène un peu surréaliste : j’ai vu… C’était juste avant que je ne franchisse la frontière de Gikongoro, j’étais encore à Nyakizu. C’était le 5…, le 4 ou le 5 juillet. J’ai vu le préfet d’alors, de Butare – un officier de l’armée rwandaise qui s’appelait Alphonse Nteziryayo –, entrer dans une colère noire contre les militaires français. Pourquoi ? Parce qu’il y avait un garçon qui était venu se plaindre auprès du bourgmestre de Nyakizu d’alors [NdT : il s’agit de Ladislas Ntaganzwa], au moment même où le préfet [inaudible] était en déplacement [dans] cette commune-là. Il était venu se plaindre du traitement dont il avait fait l’objet de la part des militaires français. Qu’est-ce qu’il s’était passé ? Les militaires français voyaient les éléments de la milice Interahamwe qui voulaient s’en prendre aux autres personnes. Ils leur demandaient la région d’origine. Ils les mettaient dans les hélicoptères et ils les amenaient chez eux. Ce garçon-là, on l’avait embarqué justement à bord d’un hélicoptère de l’armée française. On l’avait amené vers… Cyahinda pour ceux qui connaissent la région. On avait fait comme si l’hélicoptère allait se poser et puis, au moment de toucher le sol, on avait poussé ce garçon vers le sol. Donc, c’est ce traitement-là dont il n’avait pas été content. Il était venu en parler au bourgmestre qui, comme par hasard, en a référé au préfet qui était-là. Et j’ai vu le préfet – personnellement, j’étais-là – qui était entré dans une colère noire en affirmant que les militaires français étaient en train de trahir la confiance du peuple rwandais. Voilà. Affirmer que les militaires français ont pu participer à quelques massacres que ce soit, ont pu comploter contre une partie de la population rwandaise, c’est un mensonge absolu. Ça, je peux le dire. Du moins dans la partie de la zone Turquoise où je me trouvais. Je vais dire aussi que… Parce que j’étais à Gasarenda, mais je me déplaçais aussi vers le centre de Gikongoro où vivait l’une de mes sœurs. Et j’ai vu comment ces militaires-là étaient appréciés par une partie de la population mais honnis par une autre partie de la population qui était de la mouvance de la milice Interahamwe en question. On disait alors que les militaires français n’avaient pas voulu aider les miliciens Interahamwe parce qu’ils avaient été séduits, soi-disant, par les jeunes filles qui étaient hébergées dans le centre de Murambi. Voilà. Ça, je peux le dire parce que j’en ai été témoin. On en parlait souvent à l’époque. Donc, pour résumer, je vais dire… Moi, personnellement, je vais rendre hommage à tous ces militaires français qui ont participé à l’opération Turquoise en disant qu’ils nous ont rendu un peu de dignité que nous avions en quelque sorte perdue et qu’ils nous ont permis de réfléchir à notre avenir, à prendre les décisions qui étaient les plus adéquates. Et, finalement, à nous permettre de retrouver, doucement, l’humanité que d’aucuns de nos compatriotes nous avaient enlevée. Je vous remercie Mesdames et Messieurs.

[19’ 29’’]

[Le message suivant apparaît à l’écran, toujours sur fond de musique militaire : « Journée “Vérité Turquoise” Paris le 23 juin 2018 Témoignage : Alice Mutimukeye Lu par Justine Uwanyuze ». NdT : Justine Uwanyuze est la fille d’Octavien Ngenzi].

Justine Uwanyuze [elle lit avec difficulté un témoignage projeté sur écran. Le début de son intervention a visiblement été coupé au montage] : Le 8/04/1994, les Interahamwe brûlèrent notre maison à Nyakabanda, Kigali. Dès lors, nous avons été obligés de vivre cachés, notamment chez un voisin congolais. Je ne souhaite pas entrer dans les détails pour ne pas faire un récit long. Tous les jours, les Interahamwe venaient nous compter et faire un compte à rebours sur le moment où ils allaient nous tuer. Un oncle et un ami de la famille organisèrent notre départ de Kigali pour nous mettre en sécurité à Gitarama. Une fois à Gitarama, il y a eu quelques moments de répit mais de temps à autre, les Interahamwe avaient encore des massacres à Gitarama [sic]. [Les] Interahamwe débarquaient avec des armes. A savoir que vers mi-mai et juin, il y avait encore des massacres à Gitarama. Mes parents décidèrent d’aller vers Nyange où on avait entendu à la radio que les militaires de la zone Turquoise étaient sur place. Durant notre déplacement de Kigali, Gitarama, à Kibuye, chaque passage de barrière était un supplice. Quand nous sommes arrivés à Nyange, [ce fût] un grand soulagement : plus aucun Interahamwe ne pouvait nous menacer. [Il y a un plan de coupe]. Je me souviens que, quand on avait un [sic], on lui disait qu’on allait appeler les Français et ils déguerpissaient. L’aide humanitaire. La deuxième aide fut humanitaire. Nous avons fini par quitter Kibuye pour Cyangugu car l’ami qui hébergeait la famille partait. Une fois à Cyangugu, nous n’avons pas voulu suivre cet ami à Bukavu, pour rester dans la zone Turquoise. Nous nous sentions plus qu’en sécurité avec les militaires français. Durant notre fuite, ma petite sœur avait une plaie sur sa jambe et, par manque de soin, sa plaie était aggravée. Une fois à Cyangugu, tous les jours, je l’emmenais au petit dispensaire qui était tenu par les militaires de l’opération Turquoise.

[22’ 24’’]

[Le message suivant apparaît à l’écran, toujours sur fond de musique militaire : « Témoignage d’Evariste Ndungutse ». NdT : ancien collaborateur d’Agathe Uwilingiyimana, Evariste Ndungutse constitua avec le major Cyiza et l’ancien sous-préfet de Cyangugu, Théodore Munyangabe, le comité de pacification dans la zone humanitaire sûre].

Evariste Ndungutse [le début de son intervention semble avoir été coupé au montage] : A Turquoise, à la rwandaise, dès son début jusqu’à la fin, quand nous avons accompagné. Et ça me fait plaisir parce que, souvent, avec mon ami, le colonel Cyiza, et mon ami, le sous-préfet Théodore... Le premier, que Dieu ait son âme. Le second est en prison. Mais ces deux Messieurs, j’ai toujours et j’aurai [toujours] un grand respect. J’ai admiré des personnes qui aiment leur pays, qui aiment leur peuple. Je vais y arriver. Bon. Grâce à… En 94, je travaillais à Kigali. Je suis originaire de Cyangugu, effectivement, commune de Rwabuye. Mais, au moment des faits, je travaillais à la primature, donc à Kigali. Déjà, dès le 10 avril, j’ai débarqué ma famille parce que la menace était très grande. Et à la fin, en transit, bon, je vais [inaudible] juste après. Et en transit à Butare, et après [inaudible], il fallait continuer sur Cyangugu. Alors, s’il faut se conformer aux textes, en fait, j’ai un peu donné le…, un petit aperçu. L’ambassadeur, lui-même, y est revenu. [Inaudible] le pays qu’il avait oublié, c’était l’Egypte, parmi les sept qui ont participé à la mission Turquoise et autorisée par les Nations unies. Et si l’on va fouiller un peu dans certains écrits, on verra que, vraiment, il a fallu du courage pour que, le 14 juin, le gouvernement français en place – présidé par feu le Président Mitterrand –, [prenne] une décision. Moi, je trouve que c’est une décision de grands hommes ! Là où, au niveau des Nations unies, là où [les] grandes puissances, les Américains et autres, disent : « Oh, là…, ce sont les affaires des Rwandais, on s’en fout ! ». [Inaudible]. Mais, le gouvernement français a décidé de mettre en place une mission humanitaire, militaro-humanitaire. C’est vraiment déjà une chose exceptionnelle à ce moment-là. Cela m’est en soi…, même la décision en soi, pour moi, mérite beaucoup d’éloges [applaudissement du public]. Et [inaudible], je vais peut-être y revenir. Moi, j’avais quitté Kigali aussi, au mois de mai. Sur les menaces…, il ne faut pas y revenir, ce n’est pas nécessaire. J’avais déjà vu la marée humaine depuis Kigali, Butare, Gitarama, Butare, Gikongoro jusqu’à Cyangugu. En fait, imaginez une marée humaine – ceux qui n’ont pas [inaudible] jusqu’à Cyangugu – de Kigali ! Hommes, [inaudible], femmes, d’un côté, enfants, chiens, vaches, à pieds, de Kigali à Cyangugu ! C’est vraiment, il faut… Quand je vois ça, j’ai…, ça fait peur ! Et c’est pourquoi, justement, il faut dire [un] grand merci à Turquoise. Alors, moi, pour, déjà, pour regagner Cyangugu, il a fallu faire des détours parce que, déjà, la route de Kigali-Butare était coupée. Le FPR, déjà, occupait la zone de Mayaga et la route était coupée [inaudible] le contournement, peut-être, à Gitarama. Il a fallu donc passer par…, comment on appelle ça [inaudible] et longer le…, là, dans la brousse, là. Et puis aller jusqu’à Gikongoro. Et là, on rejoignait notre marée humaine. On voyait qu’on avait heureusement un camion où on avait mis des cordes de partout [inaudible]. Et on a continué jusqu’à Cyangugu et là, c’était barrière après barrière. [Inaudible] ces gens étaient, comme vraiment une véritable marée humaine ! C’est comme si vous pouviez faire couler de l’eau, des fuites d’eau, et qui descendent ici, comme ça, en vrac. C’était ça ! Tu vois, là… Arrivés à Cyangugu. Bon, il y avait des chemins. Ça, c’était dur, mais ce n’était pas un problème. J’ai fait une semaine. Et déjà, les informations passaient mal. Même si, au niveau [des] Nations unies, au niveau des gouvernements et des discussions, au niveau des populations, de nous tous [plusieurs photos de soldats français en mission pendant l’opération Turquoise sont projetées à l’écran]. On avait des radios, on avait…, bon. Il y avait RTLM. Il y avait… Muhabura. La radio nationale était au [inaudible] parce qu’elle devait quelque fois bouger [inaudible] le gouvernement. Et ses programmes, c’était… pfou ! Donc, on vivait comme ça. Donc, l’opération Turquoise, en fait, elle est arrivée. Nous, on n’était pas tout à fait informé. Parce que, [inaudible] en allant à Bukavu au Congo, il y a deux ponts [inaudible]. Il y a Rusizi 1, et [d’autre] part Rusizi 2. Donc, les militaires français ont traversé par le Rusizi 1. Bon, je ne me rappelle pas – mais c’est dans mon texte [il montre l’écran] – s’il y a eu un accueil officiel, puisque nous connaissons les militaires, et puis l’autorité civile, militaire, je ne me rappelle plus. Mais, moi, j’étais sur la route où les gens…, les uns applaudissaient pour une raison, d’autres pour une autre. Les uns croyaient que c’était…, les militaires venaient assister les FAR pour récupérer la puissance. D’autres disaient peut-être qu’ils viennent nous aider, nous sauver. Donc, chacun applaudissait à sa manière. Ils avaient pensé : « Mais, ces [inaudible], pourquoi ils continuent ? ». Nous [inaudible] la mission ! C’est après, le soir, on nous a dit : « Non, en fait, ils sont partis, direct sur Nyarushishi ». Et, en passant, je voudrais dire juste pourquoi : Nyarushishi, en fait, c’était un centre qui accueille les réfugiés burundais. C’est dans ma commune [inaudible] aussi, et il y avait des réfugiés burundais. Alors, les premiers, c’est un peu comme on a tout regroupé, on les amène à Nyarushishi [sic]. En second lieu, il y avait aussi le stade de Cyangugu qui avait aussi accueilli certaines personnes rescapées, que les prêtres, tout ce qu’ils pouvaient, les gendarmes, mais qui à…, au stade [sic]. Mais, malheureusement, les Interahamwe venaient exfiltrer ces personnes pour aller les tuer. Après on a décidé : « Non, il fallait les regrouper à Nyarushishi ». Je m’étais posé une question : « Qu’est-ce qui a décidé ? ». Après, je me suis informé. J’ai su que c’est en accord…, un accord du préfet, de l’évêque et du commandant de la gendarmerie, feu colonel Bavugamenshi – qui d’ailleurs, lui aussi, était pratiquement, comme nous, un réfugié, alors, quand il était en fonction. Bon, entre parenthèses. Alors, quand ils avaient décidé qu’il fallait emmener ces gens à Nyarushishi parce que c’était sous contrôle et sous responsabilité, donc, du CICR et du HCR et qu’il avait des [inaudible] encore deux corps de gendarmes, qui jusque-là bien sûr [sic]. Et [inaudible] ces jours-là, la semaine où ils sont arrivés – et le colonel Hogard et ses hommes –, les escadrons de la mort, je dirais, les Interahamwe de la région [inaudible], ils étaient identifiés, avaient [inaudible] de les éliminer la semaine même. Heureusement, c’est le beau-frère de…, d’un certain du colonel Bavugamenshi [sic], qui est venu dire : « C’est fini Nyarushishi. Dans, quoi, une semaine, ce sera fini ». Donc, il a fallu négocier. Le colonel est parti les voir, a dit : « Monsieur, s’il vous plaît ! ». Il les a suppliés. Bien qu’autorité mais [inaudible]. La situation était difficile. [Inaudible] : « Nous allons recevoir nos amis Français. Est-ce qu’on va les présenter en amenant des cadavres ? Donc, pour vous, c’est vraiment une fierté ? ». Donc, enfin, il a usé de tous les moyens pour les convaincre de dire : « Ecoutez, attendez un peu ». Tout cela. Et c’est pourquoi, justement, quand je disais [inaudible] les militaires : « Vous passez ». On disait : « OK ». Ils ont [sic], premier arrêt à Nyarushishi. Et, le même jour, ils se sont installés. Le jour où j’avais bougé. Ce qui fait qu’on a… Nyarushishi avait deux contrôles de garde : là où les Français [sic] et puis derrière, les gendarmes. Et je le dis parce que j’ai été là au moins deux fois, trois fois. Et pour le témoignage qui va passer avec une histoire [inaudible mais il semblerait qu’il y ait eu une coupure au montage] distinction qu’ils ont menée [inaudible] à Cyangugu. Et parce qu’à Cyangugu, mine de rien, les gens avaient fui les secours et on avait [inaudible] immense d’autres gens du pays, de Kigali, Butare, Gikongoro, tout cela. Et Cyangugu était remplie de gens. Donc, à Ndare, à Bugarama, de…, partout il y avait des gens. Et tout ce monde – c’est ce que Karege a souligné – ils ont été sécurisés, ils se sont reposés, ils ont réfléchi à leur avenir. [Inaudible] avec le gouvernement, parce qu’ils avaient peur du FPR derrière. Ils se sont assis, ils se sont reposés, ils ont réfléchi. Ils ont décidé. Tout ça, moi, je le mets au compte, non pas du petit comité que nous avions, [mais] de la mission Turquoise.

[32’ 42’’]

[Le message suivant apparaît à l’écran, toujours sur fond de musique militaire : « Journée “Vérité Turquoise” Paris le 23 juin 2018 Témoignage : Aloys Simpunga ». NdT : il s’agit de l’ancien sous-préfet de Kigali. Il aurait été emprisonné puis libéré à plusieurs reprises au Rwanda entre 1994 et 1996].

Aloys Simpunga [il s’agit d’un témoignage audio pré-enregistré. La photo du témoin est affichée à l’écran] : Je m’appelle Aloys Simpunga. Je suis Rwandais d’origine de la préfecture de Cyangugu, l’une des préfectures qui étaient dans la zone sûre qui a été créée et protégée par la mission Turquoise pour arrêter notamment les massacres des Tutsi qui y étaient [deux cartes du Rwanda apparaissent longuement à l’écran, dont la première a pour titre : « Rwanda : zone d’action de Turquoise »]. Je n’ai pas exercé mes fonctions seulement à Cyangugu. J’ai été professeur là-bas mais, plus tard, je suis allé à Kigali. Précisément en juin 1991, où j’ai été nommé comme sous-préfet de la préfecture de la ville de Kigali chargé des affaires sociales. Donc en 1991, j’ai exercé à Kigali dans un moment où la guerre sévissait au nord du pays. Et, malheureusement, lorsqu’on a abattu l’avion du Président Habyarimana en 1994, j’étais toujours en fonction à Kigali. Et j’ai dû gérer les problèmes de génocide qui sévissaient comme partout ailleurs dans la ville de Kigali, partout aussi au Rwanda [une photo d’un enfant assis sur une colline surplombant un camp de rescapés apparaît longuement à l’écran]. A partir d’avril 1994 jusque, d’ailleurs, à la prise de la ville de Kigali, je suis resté en fonction mais j’ai fait deux déplacements vers ma préfecture d’origine pour des raisons différentes. Le premier déplacement, c’était fin avril 1994 où je me rendais dans ma préfecture d’origine. J’y apportais mon fils et une partie de la population de Kigali qui était dans mon véhicule [sic], parce que j’avais un pick-up. Je les ai mis dedans. Ils étaient originaires de Cyangugu, qu’ils voulaient aussi regagner chez eux parce qu’ils n’étaient pas en sécurité dans la ville de Kigali. Début mai, je suis retourné à Kigali où j’ai continué mes fonctions. Et je suis retourné à Cyangugu début juin, où d’ailleurs j’ai assisté personnellement à la frontière du Congo – ex-Zaïre – et du Rwanda, à la traversée de la mission Turquoise. J’étais sous-préfet chargé des affaires sociales et culturelles. J’étais donc l’adjoint du préfet. Et lorsque l’avion du Président a été abattu, le pays était sans gouvernants, si je puis dire. Parce qu’à la préfecture, il n’y avait que le préfet [NdT : il s’agit de Tharcisse Renzaho] et moi pour gérer toute cette crise qui a commencé [l’une des cartes du Rwanda exposée précédemment ainsi que la photo de l’enfant assis sur une colline surplombant un camp de rescapés apparaissent de nouveau longuement à l’écran]. Donc, le génocide a éclaté depuis qu’on a abattu l’avion. Et nous étions pratiquement à deux à gérer toute cette crise et sans moyens et sans ressources, notamment humaines. J’ai exercé, donc, mes fonctions comme quelqu’un qui était chargé des problèmes de la population. C’est comme ça que j’ai contribué à créer des centres pour les réfugiés tutsi. Donc les gens qui étaient pourchassés, qui étaient menacés. J’ai créé des camps, non seulement [pour les] adultes. Mais aussi j’ai protégé et créé les camps des orphelins. C’est comme cela que j’ai créé le camp – avec l’aide de l’abbé Wenceslas –, le camp de Sainte-Famille. C’est comme cela que j’ai aidé Paul Rusesabagina à l’hôtel des Mille Collines, notamment en faisant contact avec la MINUAR et la gendarmerie pour qu’ils protègent Paul Rusesabagina et les gens qui s’étaient réfugiés chez lui. C’est comme cela que j’ai protégé les gens qui s’étaient réfugiés à la paroisse Saint-Charles Lwanga, d’ailleurs l’endroit où on m’a tiré dessus. Les Interahamwe m’ont tiré dessus parce que, selon eux, je voulais prendre ces Tutsi pour les amener dans le camp du FPR [la photo du témoin est à nouveau diffusée jusqu’à la fin de son intervention]. Et donc, j’étais l’homme à abattre. Alors, ils m’ont tiré dessus et un journaliste français a eu une balle dans la hanche [il s’agit de Jean-Christophe Klotz]. Qui était avec…, qui m’accompagnait, donc. Je crois que le monde entier a eu vent de ça. Donc, sous cette menace, j’ai essayé de protéger, avec le peu de moyens que j’avais, la population tutsi de la capitale de la ville de Kigali. Une fois à Kigali au mois de mai, j’ai exercé mes fonctions mais j’ai dû retourner à Cyangugu aussi pour voir la situation là-bas. Et surtout voir les membres de ma famille qui avaient été rescapés, parce que ma famille avait été aussi décimée pendant qu’on tuait les Tutsi. C’est une longue histoire parce que ma famille a une histoire comme étant une famille qui a des principes, qui refuse que les gens soient…, donc qui respecte la vie humaine contre les gens qui maltraitent ou tuent les autres. Et cela nous a valu [d’]être pris comme complices des Tutsi. Et toute ma famille, donc, a été décimée – une famille de plus de 100 personnes – et j’en ai trouvé une quinzaine seulement qui restaient. Donc, au mois de juin, je suis retourné pour voir où ils étaient et comment ils étaient. C’est justement au mois de juin que je suis arrivé à Cyangugu pour voir la situation d’une quinzaine de personnes de ma famille qui étaient rescapées des tueries, parmi les Tutsi. Et c’est là où j’ai assisté à l’arrivée, à la traversée de la mission Turquoise, le 23 juin, qui traversait. Et j’ai assisté à leur déploiement à Cyangugu et partout où ils devaient se rendre. Après, je suis retourné à Kigali où [durant] deux petites semaines, j’ai essayé aussi de continuer à protéger les populations que j’avais regroupées à Kigali. Et j’ai… Après, lorsque le FPR a pris la capitale, j’ai toujours…, je suis toujours parti avec…, je suis parti avec la population vers Ruhengeri, Gisenyi, pour essayer de les encadrer et de les protéger. De Gisenyi, j’ai rejoint Cyangugu parce que, pour moi, c’était le seul endroit où je devais me rendre. Parce que j’avais assisté à la sécurisation de la zone Turquoise. J’avais assisté aux actions, donc, à la volonté de l’armée française de protéger les gens et les biens. Parce que je les ai vus chasser les gens qui voulaient vandaliser les biens, que ce soient les biens publics ou privés. J’avais assisté aux arrestations des criminels. J’avais assisté au désarmement, par les forces de la mission Turquoise, de ces criminels. Je me sentais… Donc, ma décision a été tout de suite d’aller dans une zone sécurisée de la mission Turquoise au lieu d’aller…, de traverser vers Goma comme les autres l’ont fait. Après que Kigali a été pris, donc, je suis allé dans ma préfecture d’origine parce que je savais la mission Turquoise capable de me protéger. J’avais assisté aux actions de protection des populations par la mission Turquoise. Même les membres de ma famille qui étaient réfugiés dans la paroisse de Shangi – qui étaient rescapés des massacres de cette paroisse – ont été évacués par la mission Turquoise et les comités de pacification qui avaient été créés, aidés par la gendarmerie, aussi, rwandaise. Et ils ne l’ont pas fait aussi qu’à Shangi parce que je les ai vus faire la même chose à Bushenge, à l’hôpital de Bushenge. Et les informations sûres et de premières mains me disaient…, me parlaient des actions, des mêmes actions qu’ils faisaient partout. J’ai même appris qu’à Gikongoro, ils faisaient la même chose. J’ai même appris qu’à Kibuye, ils faisaient la même chose. Que même, j’ai eu même des célèbres…, des noms, des personnalités célèbres – et qui vivent toujours –, que la mission Turquoise a [l’enregistrement est coupé]. Avant l’arrivée de la mission Turquoise, et depuis que l’avion du Président Habyarimana a été abattu, comme dans tout le pays, l’autorité administrative était débordée et les criminels qui se disaient Hutu, qui voulaient tuer des Tutsi, [les] taxant de complices du FPR, se sont déchaînés. Comme à…, partout ailleurs dans le pays. A Cyangugu aussi, c’était la même chose. Et ils ont tué, vraiment, un nombre de Tutsi sans que quelqu’un les en empêche, sans que quelqu’un soit là pour dire : « Voilà ». Mais depuis que les comités qui se sont organisés, notamment pour pacifier le pays, c’est vraiment à Cyangugu seulement que j’ai trouvé le phénomène dans tout le pays [sic]. Peut-être que ça s’est passé ailleurs mais à Cyangugu, c’était spécial. Il y a eu un comité au niveau de la préfecture qui a ramené – essayé de ramener – l’ordre, qui disait que l’ennemi n’était pas les Tutsi, que les Tutsi n’avaient rien fait. Donc, le mouvement a essayé de diminuer mais sans s’éteindre complètement. C’est que, lorsque la mission Turquoise est arrivée et qu’elle a appuyé le travail de ces comités de volontaires, qui étaient bien organisés, et avec les forces armées de la mission Turquoise, c’est là vraiment que les massacres étaient terminés. Donc, j’étais là, j’ai assisté à tout ça. Il n’y avait plus de tueries. Et il n’y avait même plus de vandalisme ni de vols là – sauf par ci, par là – mais la mission Turquoise, vraiment, avait stoppé tout cela. Ma famille personnelle : il y a eu une quinzaine de rescapés sur une famille de plus d’une centaine de personnes. Ils étaient à Shangi mais ils ont été ramenés – par l’action de ces comités de pacification et la mission Turquoise –, ils ont été ramenés à Nyarushishi où ils ont été protégés jusqu’à la fin. Ma famille, donc, a été…, le reste de ma famille a été sauvée grâce à l’action de la mission Turquoise et, vraiment, j’en suis reconnaissant. Et je ne suis pas le seul à leur être reconnaissant parce que toutes les familles des rescapés de Cyangugu leur en sont [reconnaissantes]. Oui, en guise de conclusion : je dirais que la mission Turquoise a été vraiment salutaire pour les Rwandais, surtout pour les Tutsi qui étaient dans la région dans laquelle la mission Turquoise était déployée. J’en suis de ceux-là. Je suis victime…, donc, ma famille a été victime de ces tueries, de ces massacres. Et donc, je sais de quoi je parle. Parce que je dirais pour conclure que notre sentiment est un sentiment de reconnaissance. Parce qu’au moment où le monde entier – certains pays avaient même retiré même les gens qui étaient dans notre pays pour assurer la sécurité des gens – et au moment où les pays, les grandes puissances ne voulaient pas envoyer des gens pour secourir les Rwandais, la France a osé envoyer ses militaires. Je pense que la France, vraiment, elle devait être remerciée pour ça. Mais, justement, en guise de conclusion…, mais j’ai aussi le sentiment où je suis plein de stupéfaction quand je lis ou que j’entends certains critiques, certaines critiques qui disent que la France a contribué au génocide au Rwanda, que la mission Turquoise n’a pas fait quoi que ce soit, ou qu’elle était là pour, disons, aider les génocidaires de s’enfuir. Alors que moi, j’étais là. Alors que, je vous parlais des chiffres et des faits que la mission Turquoise a fait. Moi, je suis vraiment choqué et je suis vraiment dans un état de stupéfaction de voir ces gens-là de mauvaise volonté. Et je n’ose même pas imaginer le sentiment qui les anime lorsqu’ils profèrent des jugements comme cela. Moi, personnellement, comme victime de ces crimes et comme appartenant à une famille qui a été aidée et sauvée par la mission Turquoise – et Rwandais en plus –, je dis que, nous, les Rwandais, on devrait être reconnaissants. Non seulement envers les militaires qui ont été là-bas. Je les voyais sous le soleil et vraiment sous la fatigue. Je m’imaginais que certains ne dormaient pas. Donc, nous leur devons toute notre reconnaissance. Et chaque Rwandais, qu’il soit du FPR ou pas du FPR, devaient leur reconnaître cette audace et cette bonne œuvre qu’ils ont fait en faveur des Rwandais. La France devrait être fière de ces militaires, vraiment, qui… L’Afrique aussi, parce qu’il y avait aussi des militaires africains qui se sont joints – très peu, bien sûr – mais qui se sont joints à l’armée française. Et donc, la France et les pays qui ont envoyé les militaires dans la mission Turquoise devraient être aussi reconnaissants envers les militaires qui étaient dans le contingent [sic] parce que c’était dans des conditions difficiles. Je ne sais pas les conditions plus difficiles que celles dans lesquelles cette mission a travaillé. Mais cette reconnaissance devait non seulement venir de la France mais aussi du monde entier.

[50’ 26’’]

[Sur fond de musique rwandaise, le message suivant apparaît à l’écran : « Journée “Vérité Turquoise” Paris le 23 juin 2018 Témoignage : Masabo Nyangezi ». NdT : artiste rwandais, Masabo Nyangezi a notamment été fait chevalier des arts et des lettres en France en avril 1991].

Masabo Nyangezi [un homme lit le témoignage de Masabo Nyangezi projeté sur écran. Le début de son intervention a visiblement été coupé au montage] : Peu après le 20 juin, les militaires français patrouillaient dans notre région dans le cadre de l’opération Turquoise [des photos de l’artiste s’affichent à l’écran]. Je les ai personnellement rencontrés vers le 20 juillet. Ils demandaient des renseignements sur les enfants rescapés qui se cachaient dans la région dans le but de les transférer [dans] la zone occupée par le FPR. Le FPR était à environ seulement 35 kilomètres seulement de chez nous, de l’autre côté de la rivière Mwogo. Des enfants ont ainsi été convoyés vers la zone du FPR. D’autre part, les militaires français réquisitionnaient systématiquement toutes les armes, légales ou illégales, qu’ils trouvaient via leur système de renseignements. Ils disaient qu’ils avaient pour mandat de sécuriser la zone. Je n’ai pas pu savoir, après 25 ans après [sic], ce qu’il est advenu des armes individuelles illégalement détenues et qui ont été ramassées lors de cette opération. J’ai quitté le pays depuis 12 ans, mais je sais qu’il y a sur place encore des personnes qui peuvent confirmer ce témoignage sur la sécurisation des enfants rescapés et sur la réquisition des armes. Nyangezi Masabo.

[51’ 48’’]

[Une page de transition s’affiche avec le logo suivant : « LECPINFO »].

Théobald Rutihunza [NdT : Théobald Rutihunza fut notamment ancien bourgmestre de Karengera, chef du personnel à la Cimerwa et secrétaire du comité préfectoral du MDR. Il préside actuellement le Réseau international de promotion de défense des droits de l’homme au Rwanda. Le début de son témoignage a visiblement été coupé au montage] : Alors je reviens sur, justement, les critiques, comme [inaudible], des médias, d’anciens militaires, [inaudible] des livres [le bandeau suivant s’affiche à l’écran : « Théobald Rutihunza ancien Préfet de Cyangugu ». NdT : il a été nommé préfet le 28 octobre 1994 et limogé le 7 juin 1996]. Certains parlent tout le temps d’une attaque aérienne de Nyungwe sur Kigali. Bon. Toute personne qui connaît Nyungwe et Kigali, sans être un militaire, savait qu’on ne peut pas organiser une attaque de Nyungwe sur Kigali ! Ce n’est pas… Je ne suis pas militaire mais je vois la configuration, je vois la carte [des cartes du Rwanda et de la zone d’intervention de l’opération Turquoise sont projetées à l’écran], je vois Nyungwe, c’est… Nyungwe-Kigali… Une attaque de Nyungwe quand vous arrivez sur Kigali, ça ne cause rien ! Donc, ça, ce sont… C’était pour illustrer le mensonge que les gens véhiculent, peut-être pour gagner encore du pognon, comme [inaudible]. Mais, pour moi, c’est scandaleux qu’un militaire français qui [a] participé à la [inaudible] de la Turquoise, bon, écrive des choses de ce genre. Moi, je me permets de le dénoncer tout haut et j’ai très honte de lui [NdT : c’est manifestement Guillaume Ancel qui est ici visé]. Malheureusement, son pays ne fait rien pour ramener à… Parce que c’est… Il y a des… On peut… Je me [dit] que les militaires, que les anciens militaires ne sont pas des hors-la-loi ! On peut exiger d’eux, bon, qu’ils expliquent ce qu’ils ont vu, qu’ils nous disent clairement, qu’ils témoignent avec nous que, justement, on pouvait atteindre de Nyungwe en survolant tout le Rwanda sur Kigali [sic] ! Comment cela est possible ? Je ne vais pas m’étendre sur tout ce que les autres ont dit. Mais je dis que la France devrait rendre hommage à cette mission. Cette une mission qui s’est évertuée de manière très professionnelle : ils ont secouru, ils ont sécurisé, ils ont protégé ! Et dans des conditions [ô] combien difficiles. Là, tout le monde sait ce qui s’est passé, justement, pendant les deux mois à partir du 6 avril. Il y avait un chaos inimaginable ! Et ils ont permis de remettre de l’ordre dans tout : en mettant en place l’administration, en mettant en place une petite armée pour protéger, pour rassurer la population, et en commençant à assurer, justement, le fonctionnement de l’administration. Enfin, à remettre un peu de loi, un peu d’ordre dans tout ce chaos.

[55’ 17’’]

Maxime Gilishya [NdT : il s’agit du fils d’Octavien Ngenzi] : Moi, ça fait… 25 ans que je me pose toujours autant de questions : pourquoi la France ne communique pas sur cette opération ? Quel a été le bilan ? Combien de personnes ont été sauvées ? Et je pense que la France était très bien renseignée, était dans la zone. Pourquoi vous ne communiquez pas et qu’on soit ici à se poser autant de questions ? Voilà.

[55’ 35’’]

Jean-Marie Vianney Ndagijimana : Le nombre, je ne pense pas. Même le colonel Hogard ne peut pas en donner le chiffre. Il peut peut-être donner le chiffre de ceux qui étaient à Nyarushishi ou dans d’autres centres organisés. Mais de dire… Peut-être deux millions de gens qui traversaient le pays ? Voilà. Colonel, est-ce que vous avez un chiffre ?

[55’ 55’’]

Jacques Hogard [NdT : ancien commandant du groupement sud de l’opération Turquoise. Il est actuellement membre de l’association « France-Turquoise »] : Je ne sais honnêtement pas.

[55’ 57’’]

Jean-Marie Vianney Ndagijimana : Non. Voilà.

[55’ 58’’]

Jacques Hogard : Je ne sais honnêtement pas, [ce sont] des centaines de milliers de personnes que nous avons sauvées. Combien exactement ? Voilà. Nous, on était… Turquoise… Pourquoi vous avez posé cette question ? Turquoise est arrivée très tard, pratiquement à la fin du génocide. Pourquoi ? Il faut que vous posiez la question à l’ONU et à la communauté internationale, qui étaient derrière. Parce qu’il faut dire les choses comme elles sont.

[56’ 19’’]

Maxime Gilishya : Oui. Forcément.

[56’ 20’’]

[Le message suivant apparaît à l’écran, sur fond de musique militaire : « Journée “Vérité Turquoise” Paris le 23 juin 2018 Témoignage : Denise Ntamwera (Epouse du Col Augustin Cyiza) ». NdT : le colonel Augustin Cyiza fut notamment membre de la commission mise en place en 1991 par le Président Habyarimana et chargée de répondre à la question suivante : « Que faut-il faire pour vaincre l’ennemi sur le plan militaire, médiatique et politique ? »].

Denise Ntamwera [elle lit un texte, avec une certaine difficulté. Le début de son témoignage a visiblement été coupé au montage] : Les soldats français ont assuré la sécurité et ainsi permis aux blessés du génocide et d’autres blessés de se faire soigner au camp [de] Cyangugu. Ils ont également assuré la sécurité des rescapés tutsi du camp de réfugiés de Nyarushishi mis en place le 14 mai 94 par le préfet de Cyangugu, Emmanuel Bagambiki, et le colonel Innocent Bavugamenshi. Ces rescapés ont pu avoir la nourriture et l’accès aux soins grâce à ces militaires français et quelques autorités qui les protégeaient, dont ceux qui sont cités ci-dessus. Les militaires de l’opération Turquoise sont arrivés à Nyarushishi le 23 juin 94, ont commencé le travail de sécurité…, de sécuriser la population. Ce que je peux dire, c’est que depuis l’arrivée des militaires de l’opération Turquoise, les barrières au loin ont été démantelées et les gens pouvaient circuler librement. Ils ont déplacé plusieurs rescapés du génocide d’où ils se cachaient pour les mettre à l’abri au camp de Nyarushishi, par exemple à Bushenge près de l’hôpital où nous logions. Nous avons hébergé Aloys Simpunga, qui était sous-préfet – vous avez écouté son message, son témoignage –, il était sous-préfet avant… le 6 juillet…, le 6 avril 1994. Et il avait été blessé à Kigali pendant qu’il s’occupait des orphelins à la ville. Il nous est arrivé avec d’autres personnes. Augustin l’a mené se faire soigner au stade de Cyangugu, un dispositif médical dont les militaires français assuraient la sécurité et le fonctionnement. L’hôpital [de] Bushenge était fermé car le matériel avait été pillé, le personnel était en exil et certains d’entre eux restaient chez eux. Sans la zone Turquoise, plusieurs personnes allaient mourir. Le travail des militaires français de l’opération Turquoise a été d’une grande utilité, en [ce sens] qu’ils ont arrêté les massacres, les pillages. Ils ont désarmé les milices et les civils résistants et sauvé des vies des rescapés du génocide et des Hutu modérés qui étaient dans la zone Turquoise et qui n’avaient pas voulu s’exiler au Zaïre. Ma famille restait 30 et élargie [sic], ainsi que moi-même, avons été sauvés par la présence et l’action des militaires français dans la zone Turquoise. Nous en sommes vraiment reconnaissants. Une telle action humanitaire est à soutenir et encourager par qui que ce soit chaque fois que de besoin et surtout, réagir à temps pour sauver des vies [sic]. La communauté internationale ne doit pas attendre des catastrophes un certain temps, à compter le nombre de morts pour intervenir. Il faut plutôt, dans la mesure du possible, anticiper les évènements comme le génocide. Chaque vie humaine a sa dignité. La communauté internationale avait été bien informée du génocide des Rwandais, tutsi et hutu, mais la réaction a été très tardive. Par exemple, le journaliste Kabiligi, Augustin Cyiza et François Nkezabera, dans l’hôtel des Mille Collines, ont alerté. Ils ont averti la communauté internationale des massacres qui se commettaient. Jusqu’aujourd’hui et encore, je parlerai des rapports des enquêteurs spéciaux des Nations unies et le rapport « Mapping » ont mis en exergue [sic] des massacres commis contre des populations hutu qui pourraient aussi être qualifiés de génocide. Mais il n’y a pas eu…, aucune réaction. Des rapports des organisations internationales et des journalistes indépendants dénoncent des arrestations arbitraires, des assassinats et des disparitions forcées. La communauté internationale ne réagit pas. C’est regrettable. Evidemment, les Rwandais sont les premiers concernés par la solution à apporter aux problèmes de leur pays. La communauté internationale ne viendra qu’en aide [sic]. Dans tout ce qu’on fait, il faut réfléchir [inaudible] aux conséquences de ses actes parce que, tôt ou tard, on devra y répondre. C’est pourquoi certains chefs d’Etat africains refusent de lâcher le pouvoir. La prudence et le respect des droits de l’homme sont nécessaires pour la gestion des choses du pays. Si je vous parle, je vous parle aussi en tant que vice-présidente de l’association « Cyiza », qui a été créée après son enlèvement et son assassinat. L’association « Cyiza » estime que, pour garantir l’égalité, la paix, la justice entre les personnes, l’indépendance de la magistrature est un principe fondamental, protégé par les instruments internationaux. Notamment, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en son article 14, doit être respecté par des institutions gouvernementales ou autres. La justice française est indépendante, la justice rwandaise doit l’être également. Donc, nous attendons des magistrats français ainsi que ceux des autres pays qu’ils règlent impartialement les affaires dont ils ont été saisis d’après les faits et conformément à la loi en vigueur, sans restriction et sans être l’objet de violence. Dans tous les procès, les associations doivent user de leurs droits, conformément à la loi, les chercheurs exercer librement leur travail et selon la méthodologie de chacun. De même que pour le ministère public [sic]. En contribuant tous à la jouissance des droits au procès équitable par le justiciable et à la manifestation de la vérité. Aucun intérêt ne devrait primer sur le principe fondamental de l’indépendance de la magistrature. Je vous remercie.

[01 h 03’ 25’’]

Innocent Biruka [NdT : Innocent Biruka est notamment l’auteur de l’ouvrage La protection de la femme et de l’enfant dans les conflits armés en Afrique (éd. L’Harmattan, 2006)] : Je m’appelle Innocent Biruka. J’étais chef du personnel à l’arrivée [inaudible] du Rwanda. Et pendant les évènements, moi, j’avais deux services : j’étais coordinateur des banques Butare/Gikongoro, et basé à Gikongoro. Et mon travail consistait à aller dans les communes pour chercher, donc, une banque pour [inaudible] existe toujours pour évacuer sur Gikongoro [inaudible] le génocide, etc. Donc [inaudible]. Moi j’ai été muté là le 25 mai. Mais je vous dis, vers la mi-juin, fin juin – en tout cas une semaine après l’arrivée de la mission Turquoise –, tout Gikongoro était plein, toutes les familles étaient montées chez moi. Moi-même, j’ai [inaudible] à l’ancienne commune de Goma. Tout le monde était monté et ils étaient… Ma famille était là, mes frères étaient là, tout le monde était là. Et on a pu rester là en sécurité jusqu’à notre départ vers la frontière du Congo, le 17 juillet, pour traverser dans la nuit du 18 juillet. Et, alors, j’ai vu beaucoup de scènes où le passage est [inaudible] sur Turquoise [inaudible]. Par exemple, les Interahamwe qui avaient attrapé un groupe de personnes devaient les relâcher et devaient déguerpir. Et il y a eu plusieurs cas comme ça. Et on était en sécurité. Moi, je dis que si je vis toujours, c’est grâce à la mission Turquoise. [Inaudible] et on en parlait de l’éloquence de la [inaudible] du ministre Alain Juppé, devant le Conseil de sécurité de l’ONU. C’est lui qui défendait le génocide [sic]. La France était dans un contexte [inaudible], on l’a dit. Mais c’était des dossiers sur [lesquels] la gauche, la droite, l’extrême gauche, l’extrême droite se sont mis d’accord ! Ils étaient tous fermes dans le projet d’aller au Rwanda pour sauver ce qui pouvait être sauvé. Et la France devrait plutôt mettre à jour cette fierté et ne pas avoir honte de son histoire ! Et je suis scandalisé de voir certains décideurs passer sous silence cet aspect-là alors que ça montre l’humanité de la France. C’était…, c’est l’une des pages les plus glorieuses de l’histoire de la France. Je vous remercie.

[01 h 05’ 56’’]

Théoneste Habimana [NdT : membre fondateur de la Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits de l’homme et ancien président du Réseau international de promotion de défense des droits de l’homme au Rwanda, Théoneste Habimana a été condamné par contumace au Rwanda à la prison à perpétuité] : Moi, j’ai été…, j’étais magistrat et membre du Conseil supérieur de la magistrature au Rwanda au moment des faits. Donc, à Cyangugu, j’étais magistrat du Tribunal de première instance et puis président du Tribunal de canton. Et puis, donc, quand les faits se sont passés, j’étais en place, je n’étais pas à Kigali. J’ai vraiment vécu tout ce qui s’est passé. La mission Turquoise est arrivée. Je remercie le colonel [Hogard] parce que je me souviens de lui pour avoir exercé, moi, les… fonctions d’animateur [sic]. On disait des bourgmestres mais, moi, j’étais en charge de la commune de Karengera, qui est une commune très importante, après [inaudible], quand les gens sortent de la forêt de Nyungwe. Donc, on a eu à accueillir toute une population qui venait de [inaudible] la forêt, Butare, Gikongoro, etc. Voilà. Et, donc, je ne vais pas raconter tous les faits. Ce qui s’est passé, c’est qu’il y avait un vide institutionnel, il y avait un chaos administratif. Et j’ai participé à la conception. Comme moi j’étais assigné aussi à résidence [inaudible]. On était assigné à résidence. Parmi les témoignages, par rapport à ce qui se lit, dans ce que les écrivains qui sont [inaudible] à Paris qui écrivaient, des fois, des choses où les faits ne sont pas assez vérifiés, fouillés. Ce qu’on est en train de raconter, [ce sont] des faits réels. Donc les militaires sont venus. Il y a eu le comité de résistance – qu’on appelait le « comité de résistance » – avec tout le risque que ça comportait parce qu’on ne savait pas ce que va nous réserver le FPR ! On ne savait pas, non plus. On était de l’autre côté, qui était comme Ibyitso pendant le gouvernement de Kambanda. C’était un risque. On l’on a pris et on l’a assumé. Voilà. Et le résultat, c’est qu’il y a eu la stabilisation de la population, il y a eu des infrastructures pour protéger. Moi, dans la commune de Karengera où j’étais, qui est une grande commune, on a restauré les usines à thé de Gisakura – qui sont dans la commune de Karengera –, les usines à thé, le ciment, etc. Donc, les activités ont repris grâce à la mission Turquoise. Et ensuite, l’administration, comme l’a dit [inaudible] fonctionné. Il y avait des infrastructures de santé, il y avait des centres de santé. Surtout – il faut le souligner –, en matière de santé, toutes les populations en détresse du centre et d’autres qui étaient gérées par la mission Turquoise [sic]. C’est une preuve de solidarité, [ce sont] quelques faits réels. Et au niveau de la sécurité, moi ils m’ont aidé à désarmer. J’ai travaillé [inaudible] des gens qui étaient [inaudible]. Donc, on a désarmé les milices. Les armes, on les a [mises] à la commune. Et on avait une police. On a gardé les frontières. Après, il y avait quoi comme transition ? La mission Turquoise, ici, c’était d’apaiser les gens, de leur dire : « Si vous voulez aller au Congo, voilà, vous pouvez y aller. Vous êtes libres. Si vous voulez y rester, c’est le choix ». C’était ça, vraiment, la mission ! Donc, ça permettait aux gens, donc, de décider de partir ou de rester. Voilà, concrètement, on a stabilisé la population, la sécurité a été restaurée. Jusqu’à ce que Ndagijimana et Nkubito et Bihozagara viennent à Cyangugu. On était là avec Evariste [il le désigne dans le public] et Seth Sendashonga. Donc, j’ai tous les courriers ! Si vous voulez, on a toute une bibliothèque ! Si vous voulez, ceux de Turquoise, venez me voir plutôt que d’aller voir Survie [rires dans le public] et les autres qui racontent n’importe quoi ! Parce qu’on a encore des rescapés… Parce que toute l’équipe – on était une dizaine de maires –, tous sont en prison ! Nous, nous sommes des rescapés, ici [rires dans le public]. Les autres sont Cyiza et [inaudible]. On est en train de faire des poursuites. Donc, nous sommes parmi les rescapés de cette mission. Eh bien, les autres sont morts, les autres sont emprisonnés. Et voilà. Donc, bravo à la mission Turquoise ! Ce que je propose par la suite, à notre comité : il faut que ça ne reste pas dans cet hôtel. On dit qu’on continue à fouiller, qu’on travaille aussi l’anthropologie de la violence, qu’on [inaudible]. Et puis, sortir [inaudible]. Il faut faire des enquêtes. Il faut aller demander à la population, ce sont les premiers bénéficiaires ! Ce n’est pas les écrivains ou les autres. Il faut aller voir la population ! Juste une synthèse : vous allez à Cyangugu, à [inaudible], à Gikongoro. Vous parlez mal des Français, il y a des gens qui vont vous gifler. Bravo, vive Turquoise !

[01 h 10’ 09’’]

Jean-Baptiste Harelimana [NdT : Jean-Baptiste Harelimana est actuellement avocat au barreau des Hauts-de-Seine] : Je crois [inaudible] le témoignage de Bizimana [inaudible], qui a été mon enseignant de latin à [inaudible] où les Français ont amené des Tutsi à Bukavu [inaudible], dont le Monseigneur Jean-Baptiste Gahamanyi, mon [inaudible] Modeste [inaudible], et une tante [inaudible] qui sont arrivés à [inaudible]. Et ils étaient à l’intérieur. Comme ces personnes sont venues vers l’entrée, on dormait, on était à la rue et ils m’ont aperçu. J’étais le premier jeune rwandais qui entrait au collège. Et c’est comme ça qu’on a commencé à aider avec le Père [inaudible] et [inaudible] – qui était jésuite, qui est actuellement à Paris –, qu’on a commencé à aider les jeunes orphelins. Et après [inaudible] a appris que le Monseigneur Gahamanyi, il était au collège et ils ont commencé à menacer un acteur important, Médecins Sans Frontières, qui commençait à donner des médicaments. On dit : « Ils sont venus avec des Interha…, des…, du FPR ». Donc, il y avait une pagaille le premier jour. Je pense que l’opération Turquoise a joué un grand rôle pour nous sécuriser et pour temporiser. Même à Bukavu. Merci.

[01 h 11’ 23’’]

[Sur fond de musique rwandaise, le message suivant s’affiche : « La jeunesse rwandaise n’est pas indifférente à l’Histoire du Rwanda »] :

Justine Uwanyuze [le début de son intervention a visiblement été coupé au montage] : Tout ce qui s’est dit là, c’est énormément de témoignages qui relèvent des faits. Et donc, c’est l’histoire qui…, c’est l’histoire. Aujourd’hui, nous avons ouvert une nouvelle page et nous avons…, nous y avons mis dessus certaines vérités. Et donc, moi, j’aimerais bien, en fait, que ce genre d’évènements puisse se reproduire souvent pour que nous, nous essayons…, enfin, nous apprenions la vérité. Parce que, évidemment, lorsque nous sommes à la recherche de la vérité, nous pouvons lire des livres comme ceux de Pierre Péan, qui est aujourd’hui combattu par des associations qu’on ne sait pas réellement leur rôle [sic], leur réel rôle, parce qu’ils… Je n’ai pas l’impression que ces associations-là travaillent pour l’union de tous les Rwandais. Nous n’avons pas non plus l’impression que ces associations-là cherchent une justice et une paix. J’ai plutôt l’impression qu’elles sont divisionnistes. Et c’est pour ça que je voudrais qu’on soutienne des personnes comme Pierre Péan et d’autres – et d’autres d’ailleurs, Judi Rever et d’autres, d’autres professeurs ou chercheurs qui…, ou journalistes – qui travaillent sur la question du Rwanda pour pouvoir, comme aujourd’hui [sic]. Tous ceux qui ont fait leur témoignage ont en quelque sorte donné du courage et donné un goût de [sourire]…, de punch à ceux qui le font. Et donc, j’aimerais également aussi que ce qui est à César [sourire] soit…, le lui soit rendu. Donc, notre histoire, c’est notre histoire et elle doit être dite par nous. C’est nous qui devons dire notre histoire. Et, alors, j’aimerais bien également qu’il y ait des livres, enfin, qu’on écrive, que ceux qui ont vécu réellement l’histoire, qu’on les aide à écrire ces histoires-là pour que nous, la jeunesse, nous puissions effectivement les lire et comprendre l’histoire. Mais je voulais vraiment vous remercier et vous dire que, eh bien, la jeunesse est fatiguée en fait [rires et applaudissements du public]. Elle est fatiguée. Voilà. La jeunesse est fatiguée et elle voudrait que vous nous souteniez afin de comprendre, vous suivre [sic], pour que vous nous teniez la main et qu’on puisse nous aussi comprendre la vérité. Et c’est pour ça qu’aujourd’hui je suis très honorée. Et, donc, je remercie également l’opération Turquoise et tous ceux qui ont participé à essayer de faire changer quelque chose pendant cette époque-là. Bien que je ne l’aie pas vécue. Mais je remercie quand même. Je suis…, voilà, je, voilà… Merci beaucoup [applaudissements du public].

[01 h 14’ 43’’]

Oscar Nyangoga [NdT : Oscar Nyangoga est notamment détenteur d’un compte twitter particulièrement virulent contre le régime rwandais actuel, V. https://twitter.com/nyheros. Le début de son intervention a visiblement été coupé au montage] : Donc, franchement, s’il n’y avait pas eu l’opération Turquoise, tous ces milliers de [inaudible] auraient été massacrés. Les choses dont je me rappelle, puisque l’opération Turquoise, c’était deux mois seulement, les gens attendaient. Ils pensaient que ça allait être prolongé. Et quand ils ont dit qu’il n’y aura plus d’opération Turquoise, il y a des gens qui ont traversé en partie. Nous, on a traversé au Congo le 18 août 1994. Et il y avait du monde sur le pont de la Rusizi. Donc, pour finir, par rapport à ce qui est dit, je fais partie des gens qui sont choqués de ce qui est dit. On a parlé de la députée Sira Sylla, qui est présidente de la…, du groupe « France-Rwanda ». Et quand on voit cette personne qui dit : « Je suis sortie de l’audience avec l’ambassadeur. Il m’a dit ça, ça, ça et ça ». Et quand on sait que la France n’a pas d’ambassadeur au Rwanda depuis trois ans ! Tous les gens qui ont été nommés ont été refusés. Je suis vraiment choqué de voir que des députés, des ministres, les gens, ils se rendent. Et moi, c’est là où je dis c’est à nous aussi de témoigner. Parce que c’est…, ça fait… Il faut qu’on soit davantage beaucoup plus audibles parce que les soldats de Turquoise, ils se battent tout seuls. On les insulte, j’ai… Quand je regardais sur Twitter comment on insulte le colonel Hogard, alors que, vous venez, vous n’avez jamais vu ça. Vous allez penser que c’est un criminel ! Vu les insultes qu’il se prend. C’est à nous aussi qu’il incombe qui [inaudible] ces situations de le dire. Et pour terminer, on ne peut pas parler de l’opération Turquoise si [elle] n’est pas replacée dans son contexte. Le contexte, c’est l’échec des Nations unies ! Les tergiversations. Je vais être vraiment très rapide. [Inaudible], les Français étaient au Rwanda jusqu’en décembre 93. Ils ont amené la MINUAR pour assurer la sécurité de la transition. La transition devait durer deux mois. On a mis une mission qui était prolongée tous les trois mois. Je me rappelle quand on était jeune, en début d’avril 94, on ne savait pas si la MINUAR allait être prolongée. La décision a été prise le 5 avril puisqu’ils mettaient la pression pour qu’il y ait le gouvernement. Le 5 avril, c’est la résolution 909, la MINUAR est prolongée. Deux semaines après – donc, l’avion est abattu, le Premier ministre est assassiné, c’est le chaos général, les massacres commencent –, le 21 avril 1994, les Nations unies, puisqu’il y a eu 10 soldats belges qui ont été assassinés, ils décident de retirer les Nations unies [sic] : de 2 300, on passe à 270. Je passe au communiqué du FPR du 30 avril où ils ont décidé, où ils demandent qu’il n’y a plus de Tutsi à sauver au Rwanda. Ce qui était faux à l’époque. Et après, le 17 mai, les Nations unies changent [de fusil] d’épaule : ils décident de mettre – c’était la résolution, je pense, 918 –, de déployer 5 500 soldats. Et l’opération Turquoise est décidée parce qu’en fait, pendant un mois, il n’y a pas eu un seul soldat. Ils ne sont pas venus au Rwanda. Et c’est dans ce cadre que le 22 juin 1994, la résolution 922 du Conseil de sécurité décide de créer une opération multinationale. Si vous lisez la résolution du Conseil de sécurité, ça devait être une force multinationale qui serait…, qui devait se déployer pendant deux mois pour que le temps que les pays fournissent aux Nations unies les 5 500 soldats. Ça n’a pas été fait. C’est pour ça en fait [que] Turquoise n’a pas été prolongée. Et moi, en tout cas, je me rappelle : c’est que, quand on est parti, les [soldats de] Turquoise ont été remplacés par les soldats des Nations unies. Du moment où Turquoise était là, je ne sais pas s’il y a eu un massacre. D’après [sic], ils ont sauvé les Tutsi comme on l’a dit, que ce soit à Kibuye ou ailleurs. Mais ce que je sais, c’est que les Nations unies…, puisqu’il y a même une population qui est restée parce qu’il y avait les Nations unies ! Ils disaient : « Bon, comme il y a les soldats de l’ONU, on reste là-bas ». Mais quand ils sont en train de préparer quand même [sic], ils avaient des militaires du FPR qui étaient à côté. Et le massacre qui s’est passé à Kibeho après, le 22 avril 1995, c’était sous la responsabilité des réfugiés qui étaient protégés par l’ONU. Et ça, les gens ne veulent pas le dire. Pourquoi ils ne veulent pas le dire ? Parce que, si on dit que Turquoise a réussi, ils veulent cacher en fait l’échec de l’ONU. Ceux qui ont refusé, ceux qui ont tergiversé, ceux qui veulent salir l’opération Turquoise. Donc, c’est à nous aussi… Ce n’est pas une honte de venir ici. Bien sûr que ça fait peur ! On menace les gens, on fait croire… Quand écrit sur Twitter, les gens vous insultent ! Même quand vous dites les décisions judiciaires. Hier, c’était le père Munyeshyaka. Vous dites ça [inaudible] que vous insultez [inaudible] vous dites qu’il a bénéficié d’un non-lieu. C’est à nous aussi de le dire, de le marteler. Il n’y a pas de honte, ça a été décidé ! On sait ce qui s’est passé. Il n’y a pas besoin d’aller ouvrir des archives. De toute façon, même si on ouvre [toutes] les archives, les gens ils ne viennent pas entendre la vérité. Et moi, ce qui me fait mal, c’est de voir les députés. Je sais que la majorité d’entre nous sont des citoyens français. C’est à nous aussi d’interpeller les députés, les députés de nos circonscriptions. On peut les contacter. C’est ce qu’ils font ! Eux aussi, en face, c’est ce qu’ils font ! C’est à nous aussi de leur écrire en disant : « Nous sommes des citoyens français. Nous sommes des électeurs ». Moi, personnellement, j’ai voté « La République En Marche ! ». Moi, je leur ai dit maintenant : « Moi, j’ai voté pour vous. Je ne voterai plus pour vous ». Même des autres vont le faire ! Si vous êtes député… Madame Sylla, elle a été élue dans le quartier difficile de la circonscription à moi. Elle n’était pas connue avant. Elle a été élue avec la voix de Macron. Donc, voilà, si des gens comme ça continuent à ne pas entendre la vérité et aller diffuser des mensonges, vraiment, c’est à nous vraiment de continuer, de faire ce travail. En tout cas, merci beaucoup [applaudissements du public]. Et je voudrais vous demander de [inaudible].

[01 h 21’ 03’’]

[Le message suivant s’affiche sur fond de musique rwandaise : « Certains témoins ont préféré l’anonymat, et d’autres l’ont fait par écrits »].

Jean-Marie Vianney Ndagijimana [il lit un témoignage sur son smartphone. Le début de son intervention a visiblement été coupé au montage] : Et je ne vais pas donner son nom. Même s’il m’a dit que je pouvais le donner, je préfère ne pas citer le nom ou les noms de sa famille qui sont en France et qui elles, par contre, ne veulent peut-être pas donner un tel témoignage. Alors il me dit en kinyarwanda : un moniteur – parce qu’on les appelait « moniteur », [inaudible] – du nom d’Alphonse, qui habitait [inaudible], [inaudible] c’est précisément en commune [inaudible], je pense. C’est lui qui est venu avec deux militaires français à Nyakabuye, là où Clarisse s’était cachée. Clarisse, c’est sa sœur. La sœur du Monsieur qui témoigne. Un des militaires est resté dans la voiture au marché de Nyakabuye. Je traduis, je traduis…, même si je ne suis pas un interprète-traducteur. Et l’autre est monté avec Alphonse, là où était cachée Clarisse. Et Clarisse avait été secourue par un commerçant qui s’appelait Philippe. Il donne les noms de famille aussi mais, moi, je préfère les garder pour moi jusqu’à ce que j’aie l’autorisation de donner tous les éléments. Et Philippe était le mari de ma grande sœur, donc la grande sœur de Clarisse. Philippe les cachait dans un buisson qui était à côté de chez lui et il donnait de l’argent aux Interahamwe qui venaient fouiller chez lui, afin de les calmer. Il leur donnait de l’argent parce qu’il ne voulait pas que les Interahamwe [viennent] chercher les Inyenzi et lui, ils leur donnaient de l’argent en leur disant : « Vous voyez bien que je ne peux pas cacher des Inyenzi, moi ! Je suis un citoyen honnête ». Philippe leur donnait donc de l’argent. Et quand les Français sont arrivés, il a poussé un « ouf » de soulagement. Et les Français ont pris toutes les sœurs et les frères de la famille qu’ils ont conduits à Nyarushishi, sauvant ainsi la vie à mon beau-frère et aux restes de ma famille. Il signale que toutes ses sœurs, sauf l’aînée, vivent en France. Effectivement, j’ai essayé de savoir de qui il s’agit. Et ce sont des personnes qui sont très actives dans la diaspora rwandaise. Et on comprend tout à fait qu’ils soient…, que ces femmes et ces fils soient aussi actifs dans l’association « Ibuka », mémoire des victimes des Tutsi. Parce qu’ils ont effectivement perdu pas mal de membres tutsi de leur famille. Mais, elles, se sentant mal à l’aise pour raconter un tel témoignage, j’imagine qu’elles ont demandé à leurs frères de le faire à leur place. [Ce ne sont] pas les seuls cas, [ce ne sont pas] les seuls cas de personnes qui auraient aimé témoigner. Il y en a même deux ! Une dame qui se trouve aux Etats-Unis, qui avait déjà préparé son témoignage, qui me l’a communiqué, puis à la dernière minute, elle m’a dit : « Ecoute, je préfère que tu ne parles pas de moi parce que mon mari n’est pas d’accord ». Voilà. Et son mari, lui, c’était un Hutu qui ne veut pas que sa femme soit mêlée à ce genre de témoignages. Donc, de tout côté on a peur. Et puis, plus près de nous, il y a quelqu’un que tout le monde connaît – je ne dirai pas son nom –, qui devait même venir ce matin. Cette personne, elle est originaire de Bisesero. Bisesero, c’est le lieudit de Kibuye où les militaires de l’opération Turquoise n’ont pas pu secourir, dès qu’ils sont arrivés dans la région, les Tutsi qui étaient menacés par les Interahamwe. Et donc, les militaires de l’opération Turquoise sont partis d’abord se ravitailler, se renseigner avant de revenir pour offrir leurs services et sauver les vies humaines. En fait, il y a eu des morts entre temps, entre les deux, [le] premier passage et l’arrivée. Je pense que c’était le 27 ? Mon colonel, c’était ? Le premier passage des militaires à Bisesero, c’était le 27 ?

[01 h 26’ 08’’]

Jacques Hogard : C’était le 27.

[01 h 26’ 09’’]

Jean-Marie Vianney Ndagijimana : Voilà. Et puis trois jours après, ils sont revenus. Malheureusement, il y avait déjà des morts. Mais ils ont sauvé des milliers d’autres. Et cette personne, donc, qui devait venir aujourd’hui donner son témoignage me disait : « Moi, j’ai perdu une partie de ma famille dans le premier groupe – parce que c’était entre le 27 et le retour – mais j’ai eu beaucoup de membres de ma famille aussi sauvés par Turquoise pendant ce laps de temps ». Et il m’a même confié qu’après, après le départ de Turquoise, les Basesero – c’est-à-dire les habitants de Bisesero – avaient composé une chanson en hommage, à l’honneur de Turquoise qu’ils chantaient chaque année, lors ou pendant la période de mémoire. Le gouvernement les a laissés faire pendant quelques années. Comme à Cyangugu, d’ailleurs : Daniel et son équipe de rescapés de Nyarushishi avaient aussi composé des chansons où ils célébraient Turquoise chaque année. Et puis, lorsque l’enquête sur l’assassinat du Président Habyarimana a été annoncée, quelques années plus tard, le gouvernement a envoyé des délégués membres du FPR à très haut niveau, dont notamment l’ami qui devait venir témoigner aujourd’hui. Il m’a lui-même raconté ce qui s’est passé. On lui a tout simplement d’aller à Bisesero, chez les siens, de demander aux rescapés de ne plus jamais parler de France et de ne plus chanter ces chansons-là ! Ça, c’est un témoignage de première main. Il m’a dit : « Tu ne donnes pas mon nom aujourd’hui mais j’écrirai quand même un article sur cette affaire-là, dès que la pression sera passée ». La pression, elle vient de partout. La pression, elle peut venir de la famille qui est au Rwanda. Je l’ai dit tout à l’heure pour ma cousine [inaudible]. Il y a des gens de ma famille qui disent : « Ne donne jamais le nom de notre fille. Sinon, tu l’auras sacrifiée. Comme tu dis que Paul Kagame a sacrifié les Tutsi. Toi aussi, tu auras sacrifié les Tutsi [sourire de Jean-Marie Vianney Ndagijimana et dans le public], pour la vérité ». Donc, cette pression existe. La pression familiale. Mais il y a aussi la pression gouvernementale ! A travers les ambassades. Parce qu’ils ont été informés de cette journée. J’ai reçu des messages, jamais vraiment méchants, mais quand même, des petites menaces. Il y [en] a d’autres qui [en] ont reçus de semblables et qui n’ont plus voulu témoigner à cause de ça. Nous devons le savoir. Nous devons savoir et être fiers de nous, d’ailleurs, pour…, je parle pour ceux qui sont là aujourd’hui. Pour ce que nous faisons aujourd’hui et ce que vous faites aujourd’hui, à venir, à témoigner, à écouter, à… Tout à l’heure, s’il nous reste encore quelques minutes, on va échanger nos commentaires. C’est un acte de vérité et de résistance au mensonge. Joseph Matata qui a envoyé un témoignage, mais qui est assez long quand même – que je ne me permettrais pas de résumer –, il dit : « C’est un acte de vérité. C’est notre façon de dire “non” au mensonge ». Et il a raison !

[01 h 26’ 08’’]

[Sur fond de musique militaire le message suivant s’affiche à l’écran : « Le message du Col. Jacques Hogard Commandant du groupement de Légion Etrangère lors de l’opération Turquoise au Rwanda, en 1994 »].

Jacques Hogard [le début de son intervention a visiblement été coupé au montage] : Je sais ce qu’ils ont fait pour le succès de l’opération Turquoise. Bien modeste : il y a eu des trous dans la raquette, évidemment. On a fait tout ce qu’on a pu, ça, je peux vous le garantir. Et c’est pour ça que c’est insupportable, insupportable de voir aujourd’hui un ancien officier en rupture de ban [NdT : c’est Guillaume Ancel qui est ici visé] mentir par mégalomanie, par mythomanie, par besoin de paraître ou d’exister. C’est insupportable de voir l’Etat français s’incliner devant Paul Kagame. De voir l’Etat français confier la francophonie à Louise Mushikiwabo. C’est…, c’est…, tout ça est insupportable. En tout cas, ce soir, cet après-midi, grâce à vous, j’ai eu beaucoup de réconfort – personnellement beaucoup de réconfort – dans le combat que nous menons tous ensemble pour la vérité. Je peux vous dire que l’armée française est une armée avec des vraies valeurs humanistes. Tout ce qu’on essaye de lui mettre sur le dos est absolument dégueulasse [s’affichent alors assez longuement à l’écran, d’une part, des photos montrant les militaires français en train de secourir des rescapés du génocide et, d’autre part, des cartes du Rwanda et de la zone d’intervention de l’opération Turquoise]. Et vous le savez, et vous le dites mieux que moi, avec les mots des témoins qui ont vécu des choses que moi-même je n’ai pas vu sur le terrain, que je n’ai pas vécu. [L’enregistrement semble avoir été coupé]. Sur le crime de guerre commis par Ancel – ou qu’il revendique avoir commis –, je le laisse à sa conscience et face à la justice de Dieu, si ce n’est à la justice des hommes. Il aura des comptes à rendre un jour, ça, j’en suis certain. Et si tant est que ce crime existe vraiment, parce qu’on a affaire à un malade, à un malade mental qui mériterait une vraie expertise psychiatrique. J’en suis convaincu dans le fond de mon cœur. Voilà, ce que je voulais vous dire pour vous remercier de m’avoir invité. Et puis, je voulais rester discret mais vous m’obligez à prendre la parole. J’espère que les Rwandais – mes amis rwandais que vous êtes tous –, donc, ne seront pas fâchés. Voilà. Merci beaucoup [applaudissements du public].

[01 h 31’ 55’’]

[Sur fond de musique rwandaise, le message suivant s’affiche à l’écran et est lu par une voix off : « Les témoignages sur l’Opération Turquoise au Rwanda sont inépuisables. Il y en aura encore, et encore… L’objectif est de faire la lumière, d’établir la vérité et écrire l’Histoire selon le faits [sic] ». Enfin, la vidéo se termine avec l’apparition du logo « LECPINFO »].

[Fin de la vidéo à 01 h 32’ 30’’]
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