Fiche du document numéro 21598

Num
21598
Date
Mercredi 23 mai 2018
Amj
Auteur
Fichier
Taille
165290
Pages
3
Urlorg
Sur titre
Analyse
Titre
France-Rwanda : le grand réchauffement diplomatique
Sous titre
La « visite de travail » du président rwandais Paul Kagame à Paris consacre le réchauffement des relations franco-rwandaises particulièrement tumultueuses depuis le génocide de 1994 au Rwanda.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation

C’est donc officiel : la France soutient la candidature de
Louise Mushikiwabo, actuelle ministre des Affaires étrangères au
Rwanda, pour remplacer Michaëlle Jean à la tête de
l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), lors de
l’élection qui aura lieu en octobre à Erevan en Arménie. «Elle
a toutes les compétences et les titres pour assurer cette
fonction
», a déclaré sans détour Emmanuel Macron à
l’issue de sa rencontre ce mercredi avec le président rwandais,
Paul Kagame. L’annonce n’a rien d’anodin et la conférence de
presse commune des deux chefs d’Etats ne l’était guère plus.


On se frottait parfois les yeux en observant les leaders de
deux pays aux relations si conflictuelles depuis un quart de
siècle, réunis côte à côte dans cette salle de l’Elysée, où
Kagame n’était pas revenu depuis 2011, lors d’une brève embellie
sous Sarkozy. On tendait également une oreille guère habituée à
entendre de tels échanges d’amabilités entre les représentants
officiels de la France et du Rwanda. Kagame se félicitant d’un «nouveau
partenariat
», Macron renchérissant sur «le rôle
essentiel du Rwanda
» notamment dans la gestion des crises
du continent et sur «les priorités partagées» avec le
chef de l’Etat rwandais qui est également depuis janvier le
Président en exercice de l’Union Africaine (UA). Visiblement les
deux hommes s’apprécient et ils l’ont encore manifesté lors de
cette troisième rencontre en tête à tête depuis un an.


Réactions passionnelles


Pourtant une partie de la classe politique française, et
surtout la vieille garde mitterrandienne, mais aussi une partie
de l’armée, voue à Kagame une haine tenace. Et aucun pays
africain ne suscite en France, encore aujourd’hui, autant de
réactions passionnelles, voire hystériques, que le Rwanda.


Pourquoi un tel déchaînement, et en particulier contre Paul
Kagame ? Le malaise remonte à 1994, l’année du génocide des
Tutsis du Rwanda. Un million de morts en trois mois. Un massacre
orchestré sous les yeux de la communauté internationale, par les
alliés de Paris, qui aura bien du mal à prendre ses distances.


A la tête d’un mouvement rebelle crée dans l’Ouganda voisin,
pays anglophone de surcroît, où de nombreux Tutsis s’étaient
réfugiés lors des premiers pogroms après l’indépendance du
Rwanda, Kagame va alors reprendre le contrôle du pays et faire
fuir les forces génocidaires. Mettant également en déroute, les
manœuvres de ceux qui à Paris ont jusqu’au bout espéré préserver
l’influence de la France dans ce petit pays de l’Afrique des
Grands Lacs. Depuis, Kagame a plusieurs fois rappelé la
complicité de Paris dans la préparation et le déroulement du
génocide. Provoquant à chaque fois des réactions indignées chez
ceux qui refusent toute évocation d’une complicité française
dans les évènements de 1994. Et n’ont eu de cesse d’attribuer à
Kagame la responsabilité de l’événement déclencheur du
génocide : l’assassinat du président Juvénal Habyarimana. Une
accusation formulée par le juge Jean-Louis Bruguière qui
provoquera la rupture des relations diplomatiques avec le Rwanda
en 2006 puis sera largement démentie par le successeur de
Bruguière, le juge Marc Trévidic. L’instruction désormais
achevée après de multiples rebondissements, devrait être en
principe clôturée par un non-lieu prochainement. Il y a donc
bien des fantômes dans les placards des relations
franco-rwandaises.


Déclassification des archives


Ce mercredi cependant, on était très loin de ces polémiques. «Il
faut avancer de manière pragmatique sans rien enlever à la
complexité des histoires du passé
», a déclaré Emmanuel
Macron qui a refusé cependant de se prononcer sur le retour d’un
ambassadeur français à Kigali, poste vacant depuis 2015. «L’essentiel
c’est de reprendre notre coopération
», a martelé le
président français qui a promis de poursuivre la
déclassification des archives françaises sur le génocide. Alors
que Kagame, lui, singulièrement évasif, s’est refusé à
s’exprimer sur ce passé qui hante toujours les relations entre
les deux pays.


Certains se réjouiront de ce réchauffement évident des
relations franco-rwandaises : après tout, le Rwanda est
aujourd’hui un pays qui s’est miraculeusement redressé et fait
même figure de pôle de stabilité dans une région tourmentée.
Certains déploreront qu’on tende ainsi la main à un homme qui a
certes réussi à faire renaître son pays de ses cendres, mais ne
donne pour l’instant aucun signe de vouloir quitter le pouvoir,
après avoir modifié la Constitution pour se représenter aux
élections. La France est-elle cependant la mieux placée pour
donner de leçons ?


En invitant le président rwandais à l’inauguration d’un salon
consacré aux start-up, Viva Technology, qui ouvre ses portes ce
jeudi avec pour la première fois un coup de projecteur porté aux
entreprises africaines, Emmanuel Macron impose un nouveau virage
aux relations franco-rwandaises.


Il est encore trop tôt pour savoir s’il sera définitif. Et s’il
se fera, en réalité, en enterrant le passé, comme le craint
l’association Survie qui déclarait ce mercredi soir : «Comme
avec Nicolas Sarkozy, on assiste à un rapprochement
stratégique entre Paris et Kigali dont pourrait pâtir la
vérité sur le soutien de l’Etat français au camp génocidaire.
[…] C’est le "en même temps" macronien : il évoque la place du
génocide des Tutsis dans notre mémoire collective pour
suggérer une forme de reconnaissance de la tragédie, mais
laisse aussitôt entendre qu’on manquerait d’informations sur
le rôle des uns et des autres. C’est oublier que l’implication
française est déjà documentée, et qu’il a la clé de la plupart
des secrets restants !
»

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