Fiche du document numéro 20439

Attention : ce document exprime l'idéologie des auteurs du génocide contre les Tutsi ou se montre tolérant à son égard.
Num
20439
Date
Jeudi 19 octobre 1995
Amj
Auteur
Fichier
Taille
115111
Pages
1
Surtitre
Témoignage
Titre
Rwanda : rétablir la vérité
Tres
Avant 1959, les membres d'une ethnie ou race, les Tutsi en l'occurrence, détenaient tous les pouvoirs.
Nom cité
Nom cité
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Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
RWANDA : RÉTABLIR LA VÉRITÉ

MGR ANDRÉ PERRAUDIN *

Abonné fidèle de La Croix depuis de longues années,
je me permets de réagir à l'article de M. Claude Guillet,
paru dans la rubrique Forum à la page 23 du numéro du 6 octobre,
et intitulé : « Rwanda, responsabilité de l'Église », car mon nom figure
dans cet article.

J'ignore où M. Claude Guillet a puisé ses renseignements relatifs
à l'origine de l'ethnie tutsie au Rwanda et je passerais outre à ses
considérations s'il n'y mettait en cause les Pères Blancs qui furent, dès 1900,
les premiers évangélisateurs de ce pays : leur chef, un Français, Mgr Hirth,
est encore vénéré comme un sint au Rwanda, surtout pour avoir promu,
dès le début, la formation du clergé rwandais.

M. Guillet dépasse la mesure, on pourrait même qualifier ses affirmations
de grotesques lorsq'il accuse les Pères Blancs d'avoir « inculqué aux élites
hutues » l'idée que les Tutsis étaient des envahisseurs.

Les Pères Blancs, comme tous les Européens de cette époque, n'ont fait que constater la réalité de la diversité des ethnies - ou si l'on veut, des races - au Rwanda, et le fait indéniable que les membres de l'une de ces ethnies, les Tutsis en l'occurrence, détenaient tout le pouvoir dans tous les domaines et à tous les échelons. Les premiers colonisateurs d'ailleurs, les Allemands, et ensuite les Belges auxquels la Société des Nations, après la défaite des armées allemandes en 1917-1918, confia la « tutelle » du Rwanda, ont respecté cette structure politique et pratiqué ce qu'on a appelé alors l'« administration indirecte ».

C'est dans ce cadre, considéré comme légitime et jamais mis en cause par les Pères Blancs, que ceux-ci ont évangélisé le Rwanda. Ils accordèrent même assez longtemps un intérêt particulier à la classe dirigeante, suivant en cela les consignes du cardinal Lavigerie demandant à ses missionnaires des Grands Lacs de tout faire pour gagner les chefs à l'Evangile, ce qui encouragerait la masse à suivre le mouvement. Les idées « démocratiques » n'ont surgi au Rwanda qu'autour de l'année 1950 ; elles furent véhiculées non seulement par des Hutus mais aussi par des chefs de haute lignée en rupture de ban avec le mwami (roi) d'alors. Encore une fois, accuser les Pères Blancs d'avoir « inculqué aux élites hutues » l'idée que les Tutsis étaient des envahisseurs, relève de la plus grossière fantaisie et d'une malveillance caractérisée. Laisser supposer que les Pères Blancs auraient avalisé la déclaration d'un extrémiste hutu de 1990 prônant le renvoi des Tutsis dans leur pays d'origine, même « sous forme de cadavres », constitue une affreuse ignominie, une allusion inqualifiable. D'ailleurs, en amalgamant les périodes anciennes de l'histoire avec les récents événements d'après 1990, M. Guillet manifeste une mauvaise foi et malhonnête.

Quant à l'affirmation que M. Kayibanda a été mon « secrétaire particulier », elle est absoluemnt fausse et calomnieuse. M. Kayibanda n'a jamais été à aucun moment mon secrétaire particulier. Il a été, il est vrai, à un moment donné, rédacteur au journal catholique du Rwanda, le Kinyamateka (par analogie, on pourrait dire La Croix du Rwanda). Il est ecat aussi que, dans ce journal, il a développé des idées démocratiques en même temps que d'autres journaux de l'époque - je pense à Presse africaine de Bukavu et à Temps nouveau d'Afrique à Bujumbura ; mais je défie quiconque de trouver dans ses écrits des incitations à la révolte, et surtout à la violence. D'ailleurs, lorsque Kayibanda prit la direction de son parti politique, à ma demande, il abandonna complètement la rédaction du Kinyamateka.

Il est faux d'affirmer qu'au moment de la révolution de 1959 il y eut le massacre de « dizaines de milliers de Tutsis » ; en 1959 il n'y en eut que quelques centaines ; si on additionne toutes les victimes de la révolution qui va de 1959 à 1963, on atteint au maximum le chiffre de 5 000... On est loin des dizaines de milliers où même des centaines de mille dont certains écrits font état. Il faut souligner d'ailleurs que que les affrontements qui provoquèrent ces victimes résultaient des attaques venant de Tutsis réfugiés à l'extérieur du pays.

C'est une injure grave et un manque d'honnêteté de dire que l'Église a béni « la mise en place d'un régime ethnique ». Ce serait trop long de l'expliquer dans un billet comme celui-ci, mais le régime républicain, et non pas ethnique, fut mis en place sous la surveillance de l'ONU suite à un référendum populaire. L'Église n'y fut pour rien.

L'Église, à ces moments troublés, et plus précisément les Pères Blancs, ont tout fait pour condamner les massacres et les injustices ; ils se sont dépensés sans compter pour accueillir et soulager les milliers de réfugiés qu'ils hébergeaient dans les locaux de la mission.

Vraiment, en ma qualité d'évêque, responsable avec Mgr Bigirumwami de l'Église du Rwanda à ce moment-là, je tiens à rendre hommage aux Pères Blancs, à leur courage et à leur dévouement envers tous les habitants du pays, à quelque ethnie qu'ils appartiennent. Les Pères Blancs se sont dépensés de mille manières pour protéger les innocents et limiter les dégâts d'une révolution qui les dépassait.… Est-ce que les évêques et le clergé de France ont pu empêcher la Révolution française et ses milliers de victimes innocentes ?

Je n'étais plus en fonction lorsque éclata la guerre d'invasion du 1er octobre 1990, soutenue par l'Ouganda, dont on peut dire qu'elle a assassiné le pays. Mais je sais que les Pères Blancs, leur supérieur religieux en tête, qui occupaient la plupart des postes de mission à la frontière de l'Ouganda, se sont comportés en héros, protégeant toutes les victimes au péril de leur vie. Ils ont écrit à ce moment-là avec d'autres missionnaires, religieux et religieuses, une lettre poignante au secrétaire général de l'ONU Boutros Boutros-Ghali, suppliant la communauté internationale d'intervenir pour empêcher le désastre qu'ils prévoyaient, qui était d'ailleurs déjà en cours, et pour secourir les centaines de milliers de réfugiés que la guerre chassait de chez eux ; ils qualifiaient ce qui se passait de « crimes contre l'humanité ». La communauté internationale aurait pu à peu de frais arrêter la guerre, et par le fait même, empêcher le carnage qui s'ensuivit. Mais la communauté internationale comme telle n'a rien fait ou presque rien. Les quelques soldats de l'ONU envoyés à Kigali furent parmi les premiers à fuir le danger. Par contre, on doit rendre hommage aux organisations non gouvernementales, la Croix-Rouge, la Caritas et les autres, qui ont déployé et déploient encore une aide humanitaire admirable

Oui, il faut prier, demander pardon et travailler à la réconciliation ; et le Rwanda, l'Église qui est au Rwanda le font actuellement dans les larmes et, hélas ! encore dans le sang, Les Pères Blancs participent à ce mouvement.

Mais la proposition de M. Guillet, dans les termes où elle est faite, ne mérite pas la moindre considération ; elle constitue même en quelque sorte une injustice et une injure aux missionnaires Pères Blancs, comme si ces derniers avaient été les auteurs des massacres de la région de Nyamata et des environs ; l'un d'eux, un Français, y a même laissé sa vie. Un peu de pudeur s'il vous plaît M. Guillet.



* Archevêque, évêque émérite de Kabgayi
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024