Fiche du document numéro 20299

Num
20299
Date
Lundi 13 décembre 2010
Amj
Auteur
Fichier
Taille
164390
Pages
7
Titre
France Inter, émission « Là-bas si j’y suis », invité André Guichaoua
Nom cité
Nom cité
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Source
Type
Transcription d'une émission de radio
Langue
FR
Citation
France Inter, émission « Là-bas si j’y suis », invité André
Guichaoua
Daniel Mermet
13 décembre 2010
Transcription faite par Jean-François Dupaquier à partir du site http://www.la-bas.org/article.
php3?id_article=2059&var_recherche=katanga%2F

Daniel Mermet : - « André Guichaoua, vous êtes un observateur méticuleux et déjà ancien de l’Afrique
des Grands Lacs, notamment du Rwanda, du Burundi, et de la zone qui nous intéresse c’est-à-dire de la
République démocratique du Congo, de la région est, du Nord Kivu notamment (...) Vous êtes l’auteur
d’un énorme bouquin « Rwanda de la guerre au génocide » qui couvre la période 1990-1994, c’est-à-dire
avant le génocide du Rwanda. Ce qui nous intéresse c’est ce qu’on appelle le « mapping », c’est-à-dire ce
rapport des Nations unies publiées il y a très peu de temps faisant état de crimes, de massacres, de crimes
de guerre et d’actes de génocide qui ont été perpétrés dans la période 1993-2003, (...) mais notamment
1996-1998 et le terme entrevu, suggéré, pourrait être “actes génocidaires”.(...) C’est un sujet très sensible
en France (...) Celui-là nous fixe tout particulièrement. (...) Il y a une difficulté à reconnaître les atrocités
dont les Hutu, à leur tour, ont été les victimes.(...) Pourquoi selon vous les Français sont si sensibles à ce
problème ?
André Guichaoua : - Parce que la France participe d’une manière ou d’une autre, et en tout cas au
travers certaines de ses institutions ou composantes, qu’elles soient militaires, politiques, ou les médias,
etc., participe aux événements de 1994 mais aussi avant, par le soutien qui a été apporté de manière
explicite, de 1990 à 1994, au régime du président Juvénal Habyarimana. Ce soutien s’est fait dans le
cadre d’accords militaires comme il y en avait à l’époque 25 ou 26 avec les pays africains, sauf que, en
1994, on s’est trouvé dans une situation où, du soutien militaire à un régime légitime face à une rébellion,
le basculement s’est opéré au travers d’un attentat majeur qui a causé la mort du président rwandais et du
président burundais et qui a été d’une certaine façon le signe, l’élément qui a contribué au déclenchement
de ce qui est devenu le génocide des Rwandais tutsi de 1994.
Daniel Mermet : - En quelques mots, selon vous, qui avez longuement travaillé sur sa [la] question,
quelle est la responsabilité de la France dans le génocide du Rwanda ?
André Guichaoua : - Je ne pense pas qu’on puisse utiliser les termes de manière jumelée de façon
aussi claire. Le problème tourne à l’heure actuelle sur la notion de ce que les juristes appellent la théorie
du complot, c’est-à-dire : y a-t-il eu une préparation, une anticipation du génocide ou bien le génocide
s’est-il enclenché suite à une série d’événements à partir du 6 avril, c’est-à-dire à partir d’un conflit
civil, d’une guerre civile qui dérape et se transforme en véritable projet génocidaire d’une ethnie c’està-dire de la prise en otage de la population tutsi de l’intérieur et de leur massacre systématique. La
France a certainement contribué et su ce qu’il en était de la vie politique, des risques, de l’existence
des groupes extrémistes, d’attentats, d’assassinats, commis d’ailleurs autant par la rébellion que par les
forces au pouvoir. La question demeure pendante : le génocide a-t-il été, entre guillemets, planifié au
sens où : existait-il un projet génocidaire assumé par les autorités en place ? La réponse sur ce point a
été extrêmement précise, extrêmement claire par le tribunal pénal d’Arusha : ce n’est pas le cas. Les
juges ont refusé systématiquement de reconnaître, parmi les détenus, la notion de complot, c’est-à-dire
de préméditation du génocide proprement dit. Par contre les deux jugements qui ont intégré la notion de
conspiration dans le cadre du génocide concernent les ministres du gouvernement intérimaire qui a été mis
en place pendant la période du génocide et qui eux ont effectivement planifié, organisé méthodiquement
le génocide.

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Daniel Mermet : - On va revenir sur le déroulement du génocide mais je voudrais que vous soyez plus
précis sur les responsabilités, c’est un débat, une controverse, une véritable polémique en France sur ses
responsabilités. En tant qu’expert...
André Guichaoua : - En tant qu’expert, disons que les forces françaises peuvent rétroactivement être
mises en cause pour ne pas avoir vu, anticipé, pour avoir soutenu, côtoyé, promu des forces qui se sont
retrouvées à l’œuvre au cours de la période du génocide. Voilà.
Daniel Mermet : - Est-ce que les autorités françaises étaient au courant à ce moment-là, sur place ou
à Paris, de ce qui était en train de se passer, c’est-à-dire les meurtres des membres du gouvernement ?
André Guichaoua : - Ah, ils ne pouvaient pas ignorer, ne serait-ce que par ce que les premières réunions
qui se sont tenues le 7 avril à l’instigation du gouvernement qui s’est réfugié à l’ambassade de France
Daniel Mermet : - Donc l’ambassade de France protège les génocidaires à ce moment-là ?
André Guichaoua : - Si on dit que le génocide a commencé le 7 avril. Or ce qui est qualifié de génocide
à l’heure actuelle, en tout cas par l’ensemble des jugements du Tribunal pénal, ce sont les actes qui y
sont pris en charge par les membres du gouvernement intérimaire à partir du 9 avril. Que l’ambassade
de France soit parfaitement informée que la composante qu’elle héberge est la même que celle dont une
fraction prend des ordres pour assassiner l’autre composante, ça c’est vrai. Je pense que l’ambassade de
France a choisi son camp en réceptionnant une partie de la nomenklatura proche du régime. Qu’ils aient
imaginé ou pas que les mêmes allaient être quelques jours après, je dirai les organisateurs, les planificateurs
d’une politique génocidaire assumée, ça, je ne nous [me] prononcerai pas d’une manière massive, mais je
crois que les choix qui ont été faits, notamment le 7 avril, sont des choix pour le moins malencontreux.
Daniel Mermet : - Malencontreux mais politiques. Qu’est-ce qui sous-tend ces choix politiques selon
vous ?
André Guichaoua : - Il y a une tradition légitimiste. Bon, il y a une tradition légitimiste. C’est-à-dire
que le choix c’est le maintien d’un certain ordre et les autorités qui étaient en place... La France a toujours
travaillé sans se poser de questions sur la nature du pouvoir, sur la réalité de pratiques démocratiques ou
non démocratiques. Que ce soit une armée hutu ou une armée tutsi...
Daniel Mermet : - Vous voulez dire que si les Tutsi avaient été au pouvoir, le gouvernement français
les aurait soutenus ?
André Guichaoua : - Exactement. C’étaient les fonctions qui en étaient attendues. Pourtant le régime
était aussi autoritaire en 1987 qu’en 1990.
Daniel Mermet : - Il faut pas mal de temps pour que retombe la poussière de l’émotion, de la sidération
ce qui s’est passé au Rwanda en 1994, cent jours pendant lesquels le monde entier regarde des hommes,
des femmes et des enfants se faire couper en morceaux, et puis une sidération extraordinaire, finalement
une énigme qui restera probablement une énigme. Mais peu à peu malgré tout, la poussière retombe
et on voit un peu les choses se dessiner. On voit même les choses se préciser : elles n’apparaissent pas
d’elle-même il faut, ben voilà, que les historiens fassent leur boulot, que les chercheurs fassent leur travail,
que les uns et les autres peu à peu avancent, se confient et parfois même se taisent, mais quelque chose
indéniablement avance sur la connaissance que nous avons, que nous pouvons avoir de ce qui s’est passé
là bas, vous l’avez compris, est crucial pour nous tous, pour cette humanité de laquelle nous sommes en
ce moment parce qu’après tout, comme disait Becket, en ce moment qu’on le veuille ou non, l’humanité
c’est nous mais aussi pour cette région de l’Afrique des Grands Lacs, pas seulement le Rwanda ni même le
Burundi mais toute cette région. Et donc André Guichaoua est sans doute, de tous les chercheurs, il y en
a beaucoup, et beaucoup plus, je pense, de polémistes, de militants plus ou moins bien intentionnés que
de chercheurs méthodiques dans cette histoire, et André Guichard [Guichaoua] en fait partie. Je voudrais
que nous revenions maintenant en arrière sur le 6 avril 1994, le tir sur l’avion. Je sais bien que ça me
fait sourire parce que c’est le grand débat depuis 16 ans. Quelle est votre version à vous, quelle est votre
interprétation de cet attentat ?
André Guichaoua : - À partir du moment où j’ai publié un certain nombre d’éléments d’information
de mon ouvrage en ayant attendu 15 ans, je pense que les mots “éléments d’interprétation”, de conviction, etc., ces termes-là ne conviennent pas. J’estime qu’en tant qu’universitaire on n’a pas à avoir des
intimes convictions sur ces faits-là. J’ai pu disposer d’éléments qui m’ont été remis par des officiers de
l’armée rwandaise au cours de l’année 2001, qui indiquaient un certain nombre de personnes comme étant
impliquées dans l’organisation de l’attentat du 6 avril. Qui était mis en cause ? C’était la rébellion du
FPR.

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Daniel Mermet : - En clair, selon vous, selon vos documents, Paul Kagamé serait l’instigateur de cet
attentats ?
André Guichaoua : - Disons qu’on dispose depuis cette date de deux sources d’information qui arrivent
à la même liste. Mais surtout, et c’est ça qui après, en ce qui me concerne, a donné un crédit à cette thèse,
c’est que effectivement la quasi-totalité des personnes qui avaient été concernées pour la rédaction de ce
rapport, pour l’un a été assassiné, or c’était une personnalité éminente du régime, et pour les autres, ont
dû fuir le pays très rapidement. Voilà. Vous avez bien pris le soin de dire moi je suis un universitaire, je
ne marche pas sur des sentiments ou des impressions, je fais un travail précis et scientifique.
Daniel Mermet : - Donc vos conclusions c’est que l’instigateur ou les instigateurs de cet attentat sont
la direction du FPR de l’époque et l’actuel président du Rwanda ?
André Guichaoua : - Disons que ma démarche a été, je dirais, bien particulière puisque avant de publier
cet ouvrage puisque c’est la première fois que je m’exprime explicitement avec un chapitre consacré à ce
sujet, j’ai souhaité, comme je l’ai fait pour tous mes écrits, que ces écrits soient déposés en preuve dans
un cadre judiciaire. Donc dans la quinzaine qui a précédé la publication de l’ouvrage j’ai été déposé ces
éléments devant le juge français Trévidic qui est désormais en charge de ce dossier.
(diffusion d’un extrait de France 2 du 7 avril sur l’annonce de deux attentats où des chefs d’État ont
perdu la vie)
Daniel Mermet : - Alors dites-moi, est-ce que vous pensez que l’instigateur ou les instigateurs de cet
attentat savaient, pensaient, que l’attentat allait déclencher les massacres et le génocide ?
André Guichaoua : - Non. Ma réponse là va être catégorique. Un, je n’en sais rien...
Daniel Mermet : - Ça, c’est une bonne réponse
André Guichaoua : - Deux, on ne peut pas l’anticiper. On ne peut mélanger à la fois des faits et
des supputations. Que le président Kagamé ait anticipé et je dirais jouer à un jeu de Go à long terme,
machiavélique etc., on peut éventuellement l’imaginer. Mais en tout cas cela n’est pas, à l’heure actuelle,
démontré. Cela n’est pas prouvé dans l’ordonnance du juge Bruguière et à mon sens cela ne doit pas
figurer dans un document judiciaire...
Daniel Mermet : - Quel est le sens de cet attentat ? Si l’attentat n’avait pas pour but de déclencher
les massacres ?
André Guichaoua : - Le but de cet attentat à mon sens...
Daniel Mermet : - Le but politique... ?
André Guichaoua : - La raison essentielle est qu’il n’y avait pas d’issue à proprement [parler] politique
pour le FPR. C’était trop tard. La possibilité de contrôler le pouvoir avec l’opposition intérieure n’était
plus de rigueur et d’autre part, rentrer dans un système, une période de transition avec des élections au
terme pour le FPR... Enfin, il n’avait pas de base politique lui permettant de remporter les élections. Donc
le FPR, sa force, c’était l’armée. Et à mon sens il l’a jouée car de toute façon il n’avait plus d’autre issue.
Alors c’est ça à mon sens la question centrale du début du génocide et des jeux des uns et des autres,
c’est que dans la région on a une tendance à programmer et à anticiper de manière souvent machiavélique
certes, mais que les meilleurs calculateurs finissent eux-mêmes, je dirais, à se prendre un peu les pieds
dans le tapis et à se retrouver face à des situations inédites. Ces situations inédites, on les a vues, et je
crois que ç’a été la décision absolument exceptionnelle de ce colonel, Bagosora, qui est l’élément central à
mon avis, du contre-coup d’État, si l’on veut, et du génocide dans un deuxième temps, c’est que, il a pris
tout le monde de vitesse au nom du clan présidentiel en assassinant la Premier ministre, en assassinant
les forces qui étaient susceptibles de négocier avec le FPR. Et ça il l’a fait à mon sens par ce qu’il a
été pendant toute sa carrière un rival du président Juvénal Habyarimana, il était minoritaire au sein du
comité militaire de crise qui a tenté de gérer les choses le soir, il a vu que ces gens étaient, je dirais entre
guillemets, des démocrates, et attendaient des Nations unies des accords, etc., et lui a pris tout le monde
de vitesse et avec les éléments radicaux, a commencé à nettoyer le terrain pour faire le vide contre le FPR
et les massacres ont commencé. Ils ont commencé pour une partie immédiatement, et là ce sont des ordres
qui ont été donnés, ces milices de l’ex parti unique avaient quand même pour fonction le maintien de
l’ordre dans les quartiers, et les massacres ne deviennent véritablement “génocidaires”, avec cette notion
de programmation massive des massacres qu’à partir du 9, c’est-à-dire lorsque le nouveau gouvernement
a été mis en place et quand ce gouvernement perçoit qu’il va devoir rendre des comptes. Rendre des
comptes parce que des Casques bleus belges ont été assassinés, parce que des ministres du gouvernement
ont été assassinés, et là ce gouvernement décide d’entraîner tout le monde dans une politique suicidaire,

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en sachant que pour eux la guerre était perdue, ça en tout cas ils l’ont bien perçu, mais qu’ils allaient faire
une table rase et éliminer l’adversaire en imaginant, et c’est là que l’on revient maintenant à la question
de la France, en imaginant que, si ils sont acculés, les puissances étrangères dont la France empêcheront
que le FPR s’empare de la totalité du pays
(Extrait du premier reportage de Jean Hélène qui vient d’arriver au Rwanda le 9 avril et qui rend
compte « des massacres », mais sans parler de victimes spécifiquement tutsi)
Daniel Mermet : - Ces massacres se pratiquent avec des machettes, et pourquoi est-ce qu’on n’intervient
pas ? Pourquoi est-ce qu’on n’intervient pas de l’extérieur, et ça dure pendant 100 jours, on est au courant,
il y a peu de journalistes qui sont à l’intérieur, il y en a quand même, on sait très bien ce qui se passe.
Première question : pourquoi est-ce qu’on n’intervient pas de l’extérieur, pendant 100 jours, et aussi
pourquoi le FPR n’enraye pas ces massacres ? Parce que le FPR était réputé une armée entraînée, on
parlait des “Khmers noirs”, je me souviens, donc pourquoi est-ce qu’on laisse ces massacres se dérouler
aussi longtemps de l’intérieur comme de l’extérieur ?
André Guichaoua : - Bon, dans les premiers jours, ça s’est la question qui n’est pas réglée, mais qui
angoisse, bon, il y a quand même eu des forces qui étaient présentes, des milliers de militaires de l’armée
française, près de 3 000, autant de Belges, 800 Américains qui étaient à proximité, il y avait les 2 000 et
quelques militaires de la MINUAR, ça fait quand même une capacité d’intervention forte. Et sur place, si
la décision avait été prise d’intervenir, je ne suis pas militaire mais je pense qu’il était possible de prendre
le contrôle effectif de la situation. Mais cela aurait supposé que ces forces veuillent travailler ensemble.
Ce qui n’était pas le cas. Entre les troupes françaises et les troupes belges qui étaient sur place pendant
la première semaine, les contacts étaient pour le moins froids. En tout cas on ne pouvait imaginer que
les uns qui venaient, entre guillemets, au nom d’un camp et les autres qui étaient présumées être là pour
un autre camp ne pouvait pas en tout cas conjuguer leurs forces pour empêcher les massacres. Et cette
solidarité a fait que les deux ont fui et ont rapatrié les troupes des Nations unies. Ça je crois que c’est le
premier élément fort. Le 11 avril ça a été la débandade complète. L’ensemble des forces étrangères s’est
retiré et on a laissé les belligérants face à face en sachant que un des deux camps était sûr de l’emporter.
Daniel Mermet : - Mais pas face à face ? Le FPR à tout moment, il suffit d’un AK47, face un groupe de
paysans, à une milice interahamwe avec des machettes... avec une kalachnikov on les arrête. Donc pourquoi
le FPR n’a pas enrayé ces massacres qui avançaient à travers le pays d’une manière méthodique ?
André Guichaoua : - Ça c’est une question que se pose un grand nombre de militants ou de cadres du
FPR encore aujourd’hui. Là, vous avez deux thèses qui sont mises en avant régulièrement par le FPR.
La première consiste à dire que c’était une volonté d’économiser les forces. C’est-à-dire que, bon, vu les
effectifs de la population tutsi et de leurs propres forces venant de l’extérieur, en termes démographiques
pour le dire simplement, il fallait minorer des pertes. Au niveau des troupes. Donc ne pas aller à l’affrontement, ça, c’est une tactique. De l’autre côté, l’analyse machiavélique qui prévaut, à savoir que ça a été
délibéré pour que les forces de l’intérieur, qui n’était pas acquise au FPR, la population tutsi à l’intérieur
Daniel Mermet : - La population tutsi de l’intérieur qui n’était pas acquise au FPR, dites-vous ?
André Guichaoua : - Ah non, là, c’était les partis tutsi de l’opposition qui avaient une assise extrêmement forte et qui ont toujours montré vis-à-vis du FPR, à chaque fois qu’il y a eu des débats, par
exemple sur la validité d’un processus électoral qui prévaudrait à la fin de la période de transition, eux
avaient un système qui n’intégrait pas le FPR. Dans les débats sur les circonscriptions électorales, sur le
mode électoral, à l’intérieur...
(Extrait d’un reportage de France 2, 15 juillet 1994 sur les camps au Zaïre)
Daniel Mermet : - André Guichaoua, on continue avec toutes ces questions. Venons-en à un sujet qui
n’est pas dans votre livre, c’est ce fameux rapport publié par les Nations unies, par la commission des
Droits de l’homme des Nations unies sur ce qui s’est passé après ce dont nous parlons, c’est-à-dire après
1994, après que entre euh... un et 2 millions de Hutu du Rwanda se retrouvent dans les camps de réfugiés
des deux côtés de la frontière, donc pour l’essentiel au Kivu, dans ces camps, rapidement ce qu’on appelle
les génocidaires, pour simplifier, prennent le contrôle de ces camps malgré la présence du H. C. R., les
grandes organisations humanitaires, et préparent, semble-t-il, la réplique, la revanche, entraînent leurs
hommes et leurs troupes pour la revanche. C’est au moins l’interprétation que donne le pouvoir de Paul
Kagamé qui a pris le pouvoir en juillet 1994 et qui se dit menacé par cette présence derrière la frontière,
ce qui va lui donner un prétexte pour envahir ce qui était le Zaïre à l’époque. Mais ce qui va se passer
c’est que cette invasion du Zaïre va entraîner toute une série de massacres dans les camps de réfugiés

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et hors des camps de réfugiés sur ces populations hutu, pourchassées massacrées, persécutées, jusqu’à
Kinshasa au cours de cette longue marche de Laurent Désiré Kabila jusqu’à Kinshasa. Au cours de cet
événement, de nombreux massacres de Hutu qui figurent dans ce qu’on appelle le “mapping”, ce rapport.
Ce rapport n’est pas une surprise. Au fur et à mesure il y a eu des rapports, il y en a eu d’autres. On a eu
des reportages, on a eu des missions diplomatiques diverses et variées pour signaler, témoigner, s’indigner
de ces massacres. Sauf qu’aujourd’hui, ce rapport a un retentissement particulier. Pourquoi ?
André Guichaoua : - Ça a un retentissement particulier parce que c’est le premier rapport qui finit
par voir le jour. Comme vous venez de le dire, ces éléments ont été pour l’essentiel connus, en tout cas
des milieux diplomatiques, des milieux militaires etc., plusieurs rapports avaient été commandés par les
Nations unies depuis 1994, et là c’est la première fois qu’un rapport débouche. Mais je tiens quand même
à préciser qu’avant qu’il ne débouche par le biais des Nations unies c’est-à-dire le Haut-Commissariat
des Droits de l’Homme, et il a d’abord été publié par un journal qui est Le Monde, dans une version qui
n’était pas définitive, mais tout laisse penser que si ce rapport n’avait pas été rendu public par Le Monde,
il avait toutes les chances de ne pas voir le jour définitivement. Donc voilà, ça, c’est un élément. C’est la
première fois depuis 1994 qu’une mise en cause explicite de l’actuel régime arrive à son terme. Jusqu’ici
les tentatives ont été nombreuses de la part du H. C. R., de différents organismes, de pays qui ont eu
des personnalités assassinées ou des ressortissants, etc., mais jamais une procédure n’a pu aller jusqu’au
bout parce que le Rwanda s’est très vigoureusement, fermement, systématiquement opposé à toute mise
en cause de ces exactions, de ce que l’on a appelé les crimes de guerre et crime contre l’humanité dont la
charge de les instruire avait été confiée au Tribunal pénal d’Arusha des Nations unies, ce que le tribunal
s’est bien gardé d’entreprendre.
(Reportage France2, 15 novembre 1996 camp de Mugunga au Zaïre. On n’y précise pas par qui les
massacres « à la machette » ont été commis)
Daniel Mermet : - Il y a le terme de génocide qui intervient rapidement. Est-ce que pour vous on peut
parler de génocide, d’actes de génocide, je sais bien que c’est un peu obscène ces subtilités, mais on sait
toute la portée politique de ce mot. Quelle est votre analyse ?
André Guichaoua : - Il y à un tout petit préambule mais qui a son importance, le problème que
pose ce rapport, avec cette qualification d’actes génocidaires, a été très systématiquement utilisé par
certains responsables de la diaspora hutu à l’étranger pour faire l’amalgame si j’ose dire ou, pour faire
un décompte d’équilibre, ou une annulation d’équilibre, entre les crimes commis par les uns et les crimes
commis par les autres. C’est un point qu’il faut toujours mettre en avant maintenant que ce rapport a
été rendu public, le génocide des Rwandais tutsi est une réalité incontournable et les crimes que l’armée
patriotique rwandaise a pu commettre ne met[tent] absolument pas en cause la reconnaissance du caractère
dramatique et tragique du génocide
Daniel Mermet : - Du génocide des Tutsi...
André Guichaoua : - Du génocide de 1994. Et ça doit être dit. Alors maintenant, la qualification
d’actes génocidaires...
Daniel Mermet : - C’est important. Là, je vous coupe, c’est important de le rappeler, parce que ce
qui s’est dit, ce qui se disait aussitôt en 1994 du côté des Hutu, on rencontrait des gens qui vous disaient
« mais ce n’est pas un génocide. Pourquoi est-ce qu’on nous accuse de génocide ? C’est la guerre. Oui,
il y a eu des massacres, c’est à regretter, mais après tout c’est la guerre, ça entraîne des massacres, que
voulez-vous ? » Et c’est un peu ça qu’on risque de voir revenir, c’est cet argument-là que seize ans après
on risque de voir revenir, c’est : « Il y a eu des massacres de Hutu par les Tutsi du Rwanda, tout comme il
y a eu auparavant des massacres de Tutsi par les Hutu ». C’est-à-dire de ramener tout à « c’est la guerre,
ce seront les conséquences terribles de la guerre ».
André Guichaoua : - Ça, je pense que c’est un vrai problème. Parce que l’histoire est toujours écrite
par un camp vainqueur. Aujourd’hui lorsque vous entendez, enfin un mois [ ?], moi, on me l’a dit à
plusieurs reprises, dans la prison d’Arusha, lorsque vous entendez dire « si on avait finalement gagné ou
si l’on avait perdu dans d’autres conditions, on nous appellerait des résistants ». Donc pour beaucoup, la
légitimité de leur combat, ces massacres qui ont été qualifiés de génocide et qui sont bien un génocide, fait
encore question. Ça, je pense qu’on ne peut pas revenir là-dessus. Mais où il y a effectivement problème,
c’est par ce que, moi je dirais que la responsabilité incombe à la seule instance qui avait obligation de
dire ces choses. Et qui ne pouvait pas être taxée d’être coupable d’avoir à assumer des antécédents, etc.,
c’était le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Il ne devait rien à personne, il avait un procureur

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indépendant, sauf que aucun de ses procureurs successifs n’a osé accomplir et mettre en oeuvre la totalité
de son mandat, c’est-à-dire les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et des crimes de génocide,
et d’aller au bout. Aller au bout...
Daniel Mermet : - Et à ce moment-là... Aller au bout, ça voudrait dire de prendre en compte ce qui
nous préoccupe là, c’est-à-dire les crimes commis par le FPR ou l’APR aussi bien au Zaïre ?
André Guichaoua : - Non, le tribunal pénal n’avait pas cette compétence-là.
Daniel Mermet : - Le tribunal n’avait pas cette compétence-là ?
André Guichaoua : - Non il ne pouvait pas se prononcer sur ce qui s’était passé au Zaïre. Mais il
pouvait aussi bien dire ce qui s’était passé en 1994 puisque le mandat a dépassé le 17 juillet. C’est-à-dire
le jour de la fin de la guerre. Son mandat allait jusqu’au 31 décembre, intégrant les crimes de guerre et
les crimes contre l’humanité qui ont été commis au Rwanda par l’armée vainqueur. Donc si ce travail-là
avait déjà été fait et s’il avait été possible pour les enquêtes mises en place par les Nations unies d’être
publiées et de pouvoir être opérationnelles, on n’en serait pas là aujourd’hui.
Daniel Mermet : - Revenez là-dessus. Je voudrais bien comprendre pourquoi le tribunal pénal international a été bloqué et entravé comme ça ? Entravé lui-même ? Il s’est bloqué lui-même ? Il s’est lui-même
limité ? Ou bien il y a des forces qui sont intervenues et lesquelles ?
André Guichaoua : - Disons qu’au début il y a eu des raisons pratiques qui étaient le fait que cette
juridiction n’avait pas de tradition, il a fallu la constituer à partir de recrutements hétéroclites de gens qui
ne connaissaient pas, enfin etc., et qu’on le veuille ou non, la priorité était quand même de juger les crimes
de génocide. C’est au nom de cette priorité que dans un premier temps il n’y a pas eu de poursuites contre
l’Armée patriotique rwandaise. Puis dans un deuxième temps c’est surtout parce que l’Armée patriotique
rwandaise n’aurait jamais toléré que des investigations la concernent, et il a été possible ensuite de faire
de ce qui était au début un système de pression sur les procureurs, un mode de gouvernement ou de
gestion tutélaire de ce tribunal pénal. Chaque fois que les procureurs ont tenté de s’émanciper ils ont été
rappelés à l’ordre par le Conseil de sécurité à la demande des autorités rwandaises.
Daniel Mermet : - Quelle influence, quelle force quand même !
André Guichaoua : - Oui, mais la communauté internationale depuis 1994 assume sa culpabilité
Daniel Mermet : - C’est ça, voilà...
André Guichaoua : - Vis-à-vis d’un génocide qu’elle a vu, qu’elle ne pouvait pas forcément anticiper
sous la forme qu’il a pris, en tout cas qui n’était pas à exclure en termes de scénario et vis-à-vis duquel
elle n’a jamais bougé...
Daniel Mermet : - C’est-à-dire que la justice paye un certain tribut à la lâcheté de la communauté
internationale ?
André Guichaoua : - Oui, et quand elle a tenté de s’en émanciper et de faire son travail de justice
intégralement, cela lui a été rappelé parce que le camp vainqueur était dans une stratégie de réécriture
de l’histoire.
Daniel Mermet : - Est-ce que les choses maintenant changent à la suite de ce rapport ou risquent de
changer ? Parce que ce que l’on est en train d’évoquer, actes génocidaires ou pas, c’est un tribunal qui
peut en décider ?
André Guichaoua : - Bon alors, c’est bien ça la limite de la qualification. Ça a été la même chose en
1994. Un premier rapport avait parlé d’actes génocidaires, avait dit que la réalité d’un génocide pouvait
être avancée. Il n’empêche que le terme de génocide ne peut être utilisé qu’à partir du moment où il est
reconnu juridiquement. C’est-à-dire que [des] instances saisissent... Et le débat justement sur ce rapport,
et c’est ça qui est à mon sens le plus important est que [on] a en fait deux versions. La première version,
celle qui était prête à la fin du mois d’août, disait explicitement que l’intention génocidaire était avérée,
et qu’il fallait passer au stade juridique, et recourir à une instance judiciaire pour l’entériner. Dans la
deuxième version qui a été durement négociée par les autorités rwandaises, il est dit que les enquêtes
complémentaires doivent être organisées, et il est surtout dit que ces enquêtes doivent concerner des gens
qui sont actuellement au Rwanda, les rescapés, ceux qui n’ont pas été tués par l’armée rwandaise au
Congo, et que dans un deuxième temps il devra y avoir réexamen. Donc on n’est plus dans la formule
affirmative, on est dans l’interro-négatif. Et ça, c’est ce qui s’est passé entre la publication par la presse et
la version finale. Moi je voudrais simplement dire une chose, parce que ça permet de comprendre vite. Dès
que ce rapport a été rendu public, on a pu s’imaginer, de la part du Conseil de sécurité, et en tout cas de
son Secrétaire général, des Nations unies, que la première décision à prendre aurait été de se recueillir sur

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les victimes. Parce que ce rapport parle quand même de 4 millions de morts. Un événement majeur depuis
la seconde guerre mondiale. Et au lieu d’aller à Kinshasa se recueillir, et de dire ce que représentaient ces
victimes, à la limite quels que soient les auteurs, puisque ce rapport cite sept pays comme ayant participé
à ces massacres, et ces massacres ne concernent pas que les Hutu, ils concerne surtout les populations
civiles congolaises, au lieu d’aller se recueillir sur les victimes, la première démarche du Secrétaire général
des Nations unies a été d’aller à Kigali négocier la réécriture des passages les plus litigieux. Et ça, excusezmoi, je pense que c’est une double défaite ou une double honte de la part à la fois du régime qui l’impose
puisque les lettres qui auraient été publiées de la part des autorités rwandaises adressées au Secrétaire
général disaient que s’il n’empêchait pas la publication, ils retireraient leurs troupes du Darfour.
(Reportage France Info 1er octobre 2010)
Daniel Mermet : - Combien de temps faudra-t-il pour que l’opinion mondiale comprenne ce que veut
dire 4 millions de morts dans cette période ?
André Guichaoua : - Ça, c’est une question permanente, elle est quasiment insurmontable. Il y a des
conflits qui n’arrivent pas à la surface, qui ne sont pas audibles, pas tangibles, comme si ces victimes
n’existent pas, comme si les crimes commis ne sont pas atroces. Ce qui est justement paradoxal, c’est
que la justice pénale internationale, la fameuse cour pénale qui est installée à La Haye, les cinq premiers
inculpés sont liés à cette guerre. Ce sont les gens qui ont massacré. Ce qui d’ailleurs fait problème, parce
que avoir cinq Congolais comme les premiers, et, on pourrait penser que les plus grands assassins de la
planète sont au Congo. Cinq d’un coup.
Daniel Mermet : - C’est ce que disent les Congolais quand on est en RDC ?
André Guichaoua : - Oui, ça, c’est une infamie d’une certaine façon. Le deuxième élément, comment
dire, on n’arrive pas à reconnaître le statut de victime à ces populations civiles qui ont été massacrées.
Effectivement, il y a eu les Hutu, mais ceux-la ont été, si l’on peut dire, passés à la trappe avec bonne
conscience. Les rapports américains comme la quasi totalité du système des Nations unies ont considéré
que c’était une sorte d’opération chirurgicale (...). Voilà qu’à Kisangani après plus de 100 000 personnes
massacrées dans les camps des Nations unies, du H. C. R., les autres ont été rapatriés en avion par
le H. C. R. dans le pays bourreau... C’est quand même extraordinaire eu égard au statut du H. C. R.
Donc, au cours de cette période, on a quand même innové en matière de droit humanitaire ou de la
non reconnaissance d’un certain nombre de droits. Mais après, il y a les victimes civiles congolaises qui,
celles-là, sont au passif sans même avoir d’identité. C’est ça qui fait aujourd’hui véritablement problème
avec ce “mapping”. D’un côté, on en est à des arguties juridiques qui sont légitimes, je comprends que les
pays mis en cause recourent à différents artifices, parce que c’est quand même tellement énorme, ce qui est
écrit dans ces rapports, mais au lieu de l’assumer cette facile pour de bon [ ?], au niveau du système des
Nations unies, on tergiverse. Par contre, au niveau congolais, la population ne sait comment prendre cela
pour une raison simple : c’est que leur président actuel est en négociation pour rétablir un certain nombre
de relations pacifiées avec les autorités rwandaises, et on a bien l’impression que les deux personnes les
plus intéressées à ce que ce “mapping” n’ait pas de résultats sont en fait les deux présidents, c’est-à-dire
le principal, celui qui était, en gros, responsable des massacres directement ou indirectement...
Daniel Mermet : - ...et le président du pays victime ?
André Guichaoua : - ... et le président du pays victime. Et les populations sont, je dirai, les victimes à
un double niveau, c’est qu’en plus on leur interdit d’affirmer et de reconnaître la réalité de ces massacres.
Daniel Mermet : - Merci, André Guichaoua, je rappelle le titre de son bouquin « Rwanda, de la guerre
au génocide, les politiques criminelles »...
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024