Fiche du document numéro 1964

Num
1964
Date
Lundi 12 septembre 2011
Amj
Auteur
Auteur
Fichier
Taille
128259
Pages
2
Titre
La vérité doit être enfin faite sur l'engagement français au Rwanda
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
La visite du président rwandais Paul Kagame en France ne manquera pas
de réveiller les polémiques récurrentes liées à l'histoire du génocide
des Tutsi de 1994. Entre positions dogmatiques et logiques
accusatrices, le rôle de l'armée française au Rwanda fait débat depuis
dix-sept ans.

Dans le concert des controverses, les plaidoyers de certains officiers
français, dont celui du général Didier Tauzin, ancien chef de
corps du 3e RPIMa, envoyé au Rwanda à deux reprises entre 1993 et 1994,
s'arrogeant le monopole de la défense de l'honneur de la France,
éclipsent des récits d'expériences militaires bien différents.
Au Rwanda aussi, certains témoignages nuancent une vision trop souvent
inquisitoriale de l'engagement français entre 1990 et 1994. C'est en
partant de ces voix que nous souhaiterions poser à nouveaux frais le
débat.

Jeune parachutiste du 3e RPIMa, Michael D. venait de fêter ses 18 ans
lorsqu'il fut envoyé au Rwanda dans le cadre de l'opération
Amaryllis en avril 1994. Il ne s'en est jamais remis. Des images
traumatiques et des remords le hantent depuis : « Le gars - je pense
que c'était un Tutsi - il vous regarde et, putain, vous l'avez laissé
se faire massacrer. (...) On les a laissé crever ! C'est tout ce
sentiment de culpabilité, de pas avoir fait... Ça me bouffe, ça me
tue, ça me ronge de l'intérieur et ça me suit tout le temps.
 » Ayant
survécu à quatre tentatives de suicide, il vit avec le Rwanda tous les
jours et « ce ne sera jamais fini » , ajoute-t-il. On est donc loin,
très loin, du témoignage du général Didier Tauzin. Alors que le jeune
soldat regrette de les « avoir laissé crever » , le récit du général
Tauzin, saturé de bonne conscience, n'exprime jamais de compassion
pour les victimes du génocide.

Au contraire, lui qui a pris les rênes de l'armée rwandaise en mars
1993 rend même un hommage appuyé à ses frères d'armes rwandais dont
certains ont pourtant été condamnés pour génocide devant la justice
pénale internationale. Son seul regret : avoir perdu sa guerre.

L'histoire de Yann S. est un autre témoignage de l'étendue de ce
traumatisme. En juillet, ce jeune homme a été l'acteur principal d'un
fait divers dans la banlieue de Caen. En état d'ébriété, ayant revêtu
son uniforme de parachutiste et muni d'une serpette, il s'est jeté sur
une voisine, menaçant de la tuer, puis en a assailli une seconde en
criant : « Je vais vous égorger comme au Rwanda ! » Dans sa
plaidoirie, son avocat a invoqué les séquelles du Rwanda, « avec des
scènes de guerre traumatisantes. Sa vie est fracassée
 ».

Ces quelques fragments de vies brisées ont peine à se faire entendre
dans le contentieux franco-rwandais. Ils rappellent que, au bout de la
chaîne de commandement française, des hommes ont été confrontés à une
violence inouïe, celle d'un génocide.

Au-delà de cette souffrance, ces récits témoignent de réalités plus
complexes que les lectures manichéennes des défenseurs à tout prix de
l'armée française ou des jusqu'au-boutistes de l'accusation de
complicité de la France dans le génocide. Au Rwanda aussi, certaines
paroles contredisent ces logiques binaires. Charles, témoin de
l'arrivée des militaires français en juin 1994, livre par exemple un
récit circonstancié de la façon dont ces derniers se sont fait
manipuler par les autorités locales responsables du génocide.
Le bourgmestre de la localité a envoyé ses miliciens tirer des coups
de feu sur la colline où se trouvaient des rescapés, tout en
prétendant aux militaires français qu'il s'agissait de tirs du Front
patriotique rwandais (partisans de Paul Kagame). Pris entre des
instructions de neutralité impossible et les manipulations sur le
terrain de leurs interlocuteurs rwandais organisant le génocide,
beaucoup de militaires du rang ont malgré tout sauvé des Tutsi.
Cette conduite honorable, rapportée par des témoins hutu comme tutsi,
et qui mérite d'être connue en France comme au Rwanda, n'exclut pas
des comportements criminels dénoncés dans d'autres
témoignages. Marie-Jeanne M., rescapée du génocide à Nyarushishi,
témoigne de ses viols à répétition par des militaires français de
l'opération Turquoise, tant à l'intérieur qu'aux alentours du camp.
Son récit indique un mode opératoire récurrent et des pratiques
fréquentes. Là encore, on est loin, très loin du témoignage du général
Didier Tauzin à propos de Nyarushishi : « Dix sept-ans après, je vois
toujours cette foule de gosses affamés, guenilleux aux pieds nus et
puant de saleté, se ruer en riant à l'assaut de la colline. (...) Un
bain de foule, de chaleur humaine, de rires d'enfants sautillants, de
mains qui se serrent... Que du bonheur ! (...) A cet instant-là, je
suis heureux, immensément heureux !
 »

Entre le lyrisme satisfait du général Tauzin et la souffrance d'un
simple soldat, Michael D., les voix de l'armée française sont multiples.
Beaucoup d'entre nous connaissons dans notre entourage des « anciens du
Rwanda
 » qui n'ont, à ce jour, pas encore témoigné. La mission
d'information parlementaire française de 1998, malgré ses qualités, n'a
pas entendu les récits de ces hommes du rang.

Espérons que les historiens sauront y prêter attention. Espérons aussi
qu'un jour, au Rwanda, d'anciens militaires français qui ont
véritablement défendu l'honneur de la France seront invités à une
commémoration du génocide aux côtés des rescapés. Une véritable
réconciliation franco-rwandaise passera par la reconnaissance du
courage des anonymes, aux antipodes du bellicisme et de la hargne de
certains haut-gradés ou de la lâcheté des politiques responsables des
ambiguïtés françaises au Rwanda.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024