Fiche du document numéro 1885

Num
1885
Date
Mardi 19 août 2008
Amj
Auteur
Fichier
Taille
25699
Pages
2
Titre
Génocide, un discutable rapport rwandais
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Source
Commentaire
Jacques Semelin remains grateful to the French army for granting him a research contract about non-violent civil defense during the time of Defense Minister Charles Hernu, which led to the writing of the book La défense civile which he co-signed with Jean-Marie Muller and Christian Mellon. This leads him to refuse to see the massacres of Tutsi committed since 1990 by the Habyarimana regime. That the French soldiers continued to train Rwandan soldiers during these massacres does not constitute for him an aid to the preparation of new crimes. The aptitude of the Rwandan soldiers or gendarmes to massacre was known before 1994. Otherwise why would the military attaché René Galinié, who was certainly not a choirboy, have resigned from his post? Semelin reaches the height of the claim of the French intellectual by refuting the testimonies on the rapes committed by French soldiers "which no research work has come to confirm".
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
En septembre 2004, le Quai d'Orsay (Centre d'analyses et de prévisions) m'a demandé de préparer une note de réflexions et de propositions en vue d'un travail de mémoire entre la France et le Rwanda. Après y avoir effectué une mission, j'ai remis mon rapport en janvier 2005, lequel préconisait entre autres que la France reconnaisse ouvertement ses erreurs graves dans la gestion de cette crise extrême.

Convaincu donc de la nécessité d'un regard de vérité sur la politique française de cette époque, il m'apparaît pourtant que le rapport récemment publié par la commission rwandaise, dite « indépendante », soutient certaines thèses excessives. La violence de ses accusations ne peut guère surprendre, tant est lourd le passif entre deux Etats qui ont cessé officiellement toute relation diplomatique. Si cette commission avait été réellement indépendante, elle aurait auditionné des acteurs ou des chercheurs qui n'allaient pas nécessairement dans son sens, ce qu'elle n'a pas fait.

Plus que d'un « rapport scientifique », il s'agit d'un réquisitoire politique sans nuance. Au début, le texte semble prometteur, brossant une bonne synthèse de la présence occidentale au Rwanda, spécifiquement de la France. Reprenant les travaux de la commission Quilès, il cite des archives intéressantes du régime Habyarimana. Mais, plus on avance dans la lecture, plus on est saisi par un sentiment de malaise.

L'emploi du mot « génocide » reste assez flou par rapport à celui de « massacre ». En effet, tout massacre ne constitue pas nécessairement un génocide. Le texte considère cependant que des « actes de génocide » ont eu lieu bien avant 1994, notamment en 1963 et 1992. Cette incrimination aurait mérité d'être plus étayée. Comme les militaires français arrivent au Rwanda fin 1990, Paris serait donc déjà impliqué en 1992.

Le rapport présente le défaut majeur de la reconstruction interprétative : sachant comment la situation a tourné, on est toujours tenté de croire que tout avait été pensé et planifié. Ainsi le texte affirme-t-il avec insistance que les militaires français ont entraîné dès 1992 les milices Interahamwe qui, en 1994, joueront un rôle actif dans l'extermination des Tutsi. Voici donc une preuve de l'implication de la France dans le génocide. Mais, les instructeurs français qui auraient formé ces jeunes au combat armé savaient-ils déjà à quoi ils allaient être destinés en 1994 ? Le rapport ne semble pas en douter, sauf... au détour d'un paragraphe : « Il n'y a pas, à cette heure, d'éléments de preuve directe qui permettraient d'affirmer que les militaires français savaient que la formation qu'ils donnaient aux Interahamwe [...] était destinée à commettre le génocide ».

Le texte souligne ensuite à juste titre l'incapacité de Paris à prendre en compte les signes de la détérioration de 1991 à 1993. Le dossier est ici accablant pour la France ; et on y découvre des éléments nouveaux. En revanche, l'opération « Turquoise » est présentée de manière trop simpliste sinon outrancière, les militaires français étant accusés de viols systématiques contre les femmes tutsi ; ce qu'aucun travail de chercheur n'est venu confirmer.

Poser la question de la responsabilité, c'est assurément s'interroger sur le rôle de la France, mais pas de manière aussi tranchée que ce texte. Paris n'a pas participé directement aux faits en 1994. La finalité de ce rapport est politique, donner au Rwanda la base d'une attaque juridique contre les dirigeants français de l'époque, pour contrecarrer l'action du juge Bruguière envers les dirigeants du Front patriotique rwandais. Il vient très sérieusement gêner les efforts de Bernard Kouchner pour renouer avec Kigali. En réalité, la guerre entre la France et le FPR n'a jamais cessé : ce rapport en constitue un nouveau développement.

Jacques Semelin, directeur de recherches au CERI/CNRS.
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