Fiche du document numéro 18300

Num
18300
Date
Mercredi 1er mars 2006
Amj
Auteur
Fichier
Taille
51776
Pages
2
Titre
Vérité et mensonges
Sous titre
Le livre d’Adbul Ruzibiza, ex-officier de l’armée rwandaise, apporte un témoignage essentiel sur la culpabilité du Front Patriotique Rwandais dans la mort de l’ex-président Habyarimana, qui a déclenché le génocide de 1994.
Type
Note
Langue
FR
Citation
La Chronique de Rony BraumanVérité et mensonges

La Lettre d’Alternatives Internationales numéro 2 - mars 2006

Le livre d’Adbul Ruzibiza, ex-officier de l’armée rwandaise,
apporte un témoignage essentiel sur la culpabilité du Front
Patriotique Rwandais dans la mort de l’ex-président Habyarimana, qui
a déclenché le génocide de 1994.

Parmi les nombreux ouvrages parus ces derniers temps sur la tragédie
rwandaise, un témoignage et une enquête ressortent. Le premier a été
écrit par un ex officier de l’Armée patriotique rwandaise, Abdul
Ruzibiza, le second par un journaliste-enquêteur, Pierre Péan [1].
Très différents l’un de l’autre, voire opposés dans leurs
analyses du régime Habyarimana, ils se rejoignent sur un point :
contrairement à ce qui a été souvent affirmé, ce ne sont ni des
extrémistes hutus, ni des mercenaires à la solde de la France qui ont
assassiné Habyarimana. Le Falcon 50 qui transportait les chefs
d’Etats rwandais et burundais le 6 avril 1994 a été abattu par un
commando du FPR (le Front patriotique rwandais) sur ordre de Paul
Kagamé, devenu entre temps président du Rwanda. Celui-ci, insiste
Ruzibiza, savait quelles en seraient les conséquences pour les
populations tutsies puisque toutes les attaques du FPR contre des
objectifs gouvernementaux avaient déclenché de sanglantes
représailles à leur encontre depuis le début du conflit ouvert, en
1990. Mais cela ne gênait pas Kagamé, qui y voyait une occasion de se
gagner la sympathie de l’opinion internationale et un chemin plus
rapide vers le pouvoir.

Abdul Ruzibiza avait 20 ans en 1990, quand il s’est engagé dans la
lutte armée, après avoir fui son pays où il était interdit
d’études pour cause de discrimination anti-tutsie. Devenu officier de
renseignements, il était membre du commando qui tira les deux missiles
sur l’avion présidentiel et décrit précisément dans son livre les
préparatifs de l’attentat. Le lieutenant Ruzibiza, qui a perdu toute
sa famille dans le génocide et a fui à nouveau son pays en 2001,
révolté par la terreur qu’y fait régner Kagamé, est le principal
témoin du juge Bruguière dans le cadre de l’instruction ouverte pour
l’assassinat des deux pilotes français qui étaient aux commandes du
Falcon. Son livre, préfacé par une des meilleures spécialistes
françaises du Rwanda, est un document de première importance pour qui
veut comprendre de l’intérieur le processus de construction et de
mise en place d’un régime fondé sur le mensonge et la violence. On
ne peut en dire autant du livre de Pierre Péan qui a récemment
défrayé la chronique. Certes, celui-ci nous informe sur les nombreuses
allégations mensongères qui ont permis au FPR de se présenter comme
la voix et le bras de victimes innocentes, persécutées et tuées pour
le seul crime d’être tutsies. Faux témoins et fabrications
propagandistes, enquêtes internationales tronquées et faits manipulés
y sont épinglés, parfois à juste titre mais par ailleurs de manière
tout aussi manichéenne que ceux qu’il dénonce et avec des méthodes
comparables. Entre autres énormités, outre la négation de massacres
attestés, on y apprendque les Tutsis sont élevés dans « la culture
du mensonge et de la dissimulation » ou que les quotas ethniques -
dont Ruzibiza fut lui-même victime - n’ont jamais existé. De ces
deux livres ressort toutefois une confirmation : les méthodes de
guerre et de pouvoir de Paul Kagamé font de ce chef d’Etat l’un des
plus éminents criminels contemporains. Mais seul celui de Ruzibiza
montre que les tueries de civils étaient considérées par les deux
camps - du moins par une partie importante de ceux-ci - comme une
technique de pouvoir. La lecture de « Noires fureurs », au
contraire, nous laisse penser que le régime d’Habyarimana était sur
la défensive, réagissant parfois maladroitement mais légitimement aux
forcenés du FPR. Le génocide de 1994 se ramène, dans cette
perspective, à une éruption de colère consécutive à l’assassinat
du président rwandais, et le soutien de la France à ce dernier y
apparaît comme une politique de sagesse. Ce n’est pas l’histoire du
Rwanda mais la mémoire de la politique de Mitterrand, que Pierre Péan
a voulu honorer. Ces outrances ne la grandissent pas. Le récit
rigoureux de Ruzibiza est au contraire un hommage aux victimes, toutes
les victimes et un appel au jugement des criminels dans les deux camps.
Il faut soutenir le soldat Ruzibiza.

Rony Brauman

[1]Rwanda. L’histoire secrète, éd. Panama, Paris, 2005, et Noires
fureurs, blancs menteurs, éd. Mille et une nuits, Paris, 2005.
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