Fiche du document numéro 18298

Num
18298
Date
Lundi 16 mai 1994
Amj
Hms
20:00:00
Auteur
Auteur
Fichier
Taille
33713
Pages
5
Surtitre
Journal de 20 heures
Titre
Jean-Hervé Bradol : - « C'est une politique planifiée d'extermination. […] Les responsabilités de la France sont particulièrement écrasantes. […] Les gens qui massacrent aujourd'hui sont financés, entraînés et armés par la France ». Patrick Poivre d'Arvor : - « C'est le génocide absolu »
Soustitre
Hutu en territoire rebelle, Tutsi dans les zones gouvernementales : les responsables des massacres appartiennent aux deux ethnies.
Nom cité
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MSF
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Résumé
- The horrors of the war in Rwanda. The Red Cross attempted to deliver food to thousands of civilians trapped near Kigali. The refugee camps are packed. And the UN is still slow to deploy its peacekeepers.

- In the shadow of the bishopric of Kabgayi, in the south of Rwanda, all the human distress. Survivors of massacres or displaced by war, there are 25,000 of them trying to survive in more than precarious conditions.

- Hutu in rebel territory, Tutsi in government areas: those responsible for the massacres belong to both ethnic groups. 200,000, first digit advanced. More than double according to some humanitarian organizations. Will we ever know?

- The emergency now concerns the displaced. Across the country and neighboring countries, nearly a million refugees in total. A situation undoubtedly explosive in this region of the Great Lakes, which could well be on fire by the fall, if no agreement is found.

- A document brought back by Bernard Kouchner on the spot to open a humanitarian corridor without result: the attack, without seriousness, and the former French Minister for Humanitarian Action will only keep a good fear.

- In Kigali the capital, this evening, the noose is tightening a little more on the government forces. In the streets of the city, the militias are still reigning terror.

- The United Nations Security Council is due to vote tomorrow on a proposal authorizing the dispatch of 5,500 troops to Rwanda.

- Patrick Poivre d'Arvor interviews Jean-Hervé Bradol: - "Most of the victims are not victims of war. They are people who are victims of massacres for the moment. For a month, the city of Kigali has been completely The houses are searched one by one to extract all the part of the population which is suspected to be hostile to the most extremist current of the army. And there, the people who are suspected of this hostility are executed with all their families . That is to say, execution means babies, women, the elderly, absolutely everyone. It is a deliberate, systematic, planned policy of extermination". - Patrick Poivre d'Arvor: "Is it absolute genocide?". - Jean-Hervé Bradol: "Yes. It is really a planned massacre of very, very, very large scale."- Patrick Poivre d'Arvor: "We tend to try to say: 'It is the Hutus against the Tutsi'. So to say that it was ultimately only ethnic wars". - Jean-Hervé Bradol: "This is what they are trying to make us believe to perhaps justify the passivity of each other. They try to describe the Rwandans to us as tribes massacring each other. And I think this is really the last affront to the victims to give this description. Stop describing Rwanda to us as tribes in the process of massacring each other. I think this presentation is not entirely trivial. France's role in this country and particularly France's responsibilities are particularly overwhelming. The people who massacre today, who implement this planned, systematic policy of extermination are financed, trained and armed by France. And that is something that is absolutely not showing up at the moment. We have not yet heard any French official clearly condemn the perpetrators of these massacres. And yet these people are well known to the French State since they are equipped by them! By the French State". - Patrick Poivre d'Arvor: "And that is why you decided to write an open letter to President Mitterrand". - Jean-Hervé Bradol: "Yes. Absolutely. Today for us, it is almost almost impossible to be able to work properly in Rwanda and to cover the needs that you described in your report. And if there is not a vigorous intervention of the international community, and particularly of France, which knows the assassins well, who arms them, who equips them, we will consider that it is a real policy of inciting the murder and the massacres to continue. And for the moment, these declarations of the French State, we have not heard them. These positions, inciting the executioners of Kigali and Butare to moderate themselves, we have not heard from the French state. And we must stress that we are extremely shocked by this aspect of things". - Patrick Poivre d'Arvor: "For the moment how much would you estimate the number of dead?". - Jean-Hervé Bradol: "I think that we can speak of more than 100,000 dead in Rwanda. It should be noted that Rwanda is a country of seven million inhabitants. When we cite such figures, when we describes the capital of the country as completely crisscrossed, searched house by house to exterminate people… I don't know, it is as if today we were talking in France of four million deaths in a month, at the following a political conflict. It is a tragedy of an unprecedented scale. And yet, the war, the wounded, the death, the revolt that it causes, we are nevertheless used to it for 20 years in our association". - Patrick Poivre d'Arvor: "Thank you very much, Jean-Hervé Bradol, because I believe that we really had to testify, and testify very, very strongly. Because what is happening there is indeed a real genocide".
Source
TF1
Fonds d'archives
INA
Type
Transcription d'une émission de télévision
Langue
FR
Citation
[Patrick Poivre d'Arvor :] Mesdames, Messieurs, bonsoir. Dans ce journal un nouveau cri de colère pour dénoncer les atrocités du Rwanda. Nous aurons avec nous un représentant de Médecins sans frontières.

[…]

Sans plus attendre, donc, les horreurs de la guerre au Rwanda. La Croix-Rouge a tenté de faire parvenir des vivres à des milliers de civils pris au piège près de Kigali. Les camps de réfugiés sont plein à craquer. Et l'ONU tarde toujours à déployer ses Casques bleus.

Comme à l'habitude, je tiens à vous présenter…, euh…, à vous préciser d'ores et déjà que les images sont parfois difficiles à soutenir, malgré toutes les coupes que nous y avons introduites. Marine Jacquemin.

[Marine Jacquemin :] Le petit garçon qui vient de naître dans ce camp [une incrustation indique : "Évêché de Kabgayi"] ouvre les yeux sur un drôle de monde. Ici, la plupart sont blessés, de toute façon malades. Les enfants surtout, tuberculeux souvent [gros plan sur un bébé très malade]. L'eau potable commence à faire défaut et le choléra menace.

À l'ombre de l'évêché de Kabgayi, au sud du Rwanda, toute la détresse humaine [on voit un camp de réfugiés en contrebas de l'évêché]. Rescapés des massacres ou déplacés de guerre, ils sont à cet endroit 25 000 à tenter de survivre, dans des conditions plus que précaires.

Parmi ceux qui les aident, ces Sœurs, qui pour certaines -- parce qu'elles sont de l'ethnie tutsi -- risquent d'être massacrées à tout moment, comme Bernadette [gros plan sur Bernadette qui tient un bébé dans ses bras].

[Sœur Bernadette : "On ne durera pas une éternité sur cette…, cette terre. S'il faut mourir, on mourr..., on va mourir. Mais, pour le moment…, en tout cas pour moi, je dois dire que je n'ai pas peur de mourir. Parce que je suis allée aider les autres".

Une Sœur blanche : "D'un certain côté on se dit que les gens qui sont morts pendant cette guerre, c'est eux qui ont la plus belle vie maintenant. Quand on voit toutes les souffrances de ceux qui restent encore maintenant".

Un humanitaire : "L'hôpital est occupé à peu près avec nonante pour cent des blessés de guerre…, des victimes de guerre, avec des blessures de machettes, de…, de…, de débris de grenade et des balles".]

Hutu en territoire rebelle, Tutsi dans les zones gouvernementales : les responsables des massacres appartiennent aux deux ethnies. Il n'y a plus de mots pour décrire le pays des mille collines devenu en cinq semaines le pays des milliers de morts [gros plans sur des cadavres gisant dans l'herbe]. 200 000, premier chiffre avancé. Plus du double selon certaines organisations humanitaires. Saura-t-on jamais ?

L'urgence à présent concerne donc les déplacés. Aux quatre coins du pays et des pays voisins, comme l'indique cette carte [une carte du Rwanda indique 500 000 déplacés au sud-est du pays en direction de la Tanzanie ; 10 000 et 260 000 au sud en direction du Burundi ; 90 000 au sud-ouest et 10 000 au nord-ouest, en direction du Zaïre ; 8 000 en direction de l'Ouganda], près d'un million de réfugiés au total. Une situation sans nul doute explosive dans cette région des Grands lacs, en pleine saison des pluies. Et qui pourrait bien être à feu et à sang d'ici à l'automne, si aucun accord n'est trouvé [diffusion d'images d'un camp de réfugiés].

Pour réaliser le danger qui domine dans le pays, un document rapporté par Bernard Kouchner, sur place, pour ouvrir un couloir humanitaire sans résultat [on voit un convoi de véhicules de l'ONU pris dans une fusillade]. Sur le chemin du retour, l'attaque, sans gravité, et l'ancien ministre français à l'Action humanitaire n'en gardera par chance qu'une bonne frayeur [on voit Bernard Kouchner muni d'un gilet pare-balles descendre d'un véhicule blindé de l'ONU].

À Kigali la capitale, ce soir, l'étau se resserre un peu plus sur les forces gouvernementales. Dans les rues de la ville, les milices font toujours régner la terreur [on voit d'abord à l'image un soldat des FAR puis des miliciens]. Le Conseil de sécurité des Nations unies devrait se prononcer demain sur une proposition autorisant l'envoi de 5 500 hommes au Rwanda.

[Patrick Poivre d'Arvor interviewe à présent en plateau Jean-Hervé Bradol.]

Patrick Poivre d'Arvor : Avec nous un…, un médecin qui a ouvert, euh…, l'antenne chirurgicale, euh, de MSF, donc de Médecins sans frontières, à Kigali le 13 avril. Euh…, vous pouvez témoigner de ce que vous avez vécu… Pour vous c'est…, c'est une guerre d'une sauvagerie atroce ?

Jean-Hervé Bradol : Oui, la…, la plupart des victimes que nous…, nous traitons… D'ailleurs ne sont pas des victimes de guerre [une incrustation "Jean-Hervé Bradol, Médecin, Responsable de Programmes MSF" s'affiche en bas de l'écran]. Ce sont des gens qu'on…, qui sont victimes de massacres ! La plupart des blessures sont…, sont dues à des coups de machettes. Ils sont a…, achevés sauvagement après à la…, à…, au fusil automatique. Mais, euh, on ne peut même pas parler de victimes de guerre. C'est uniquement des victimes de massacres pour l'instant.

Patrick Poivre d'Arvor : Et achevées parfois même sous vos yeux alors que vous les transportez dans les ambulances…

Jean-Hervé Bradol : Oui, tout à fait. C'est extrêmement dur de…, de…, de prendre en charge des blessés, de les ramener dans l'hôpital pour pouvoir les traiter. Puisque les miliciens les extraient, les…, les arrachent des ambulances pour les achever, euh, dans la rue, quoi. Ça c'est vraiment la…, c'est…

Patrick Poivre d'Arvor : Et ça se passe de manière systématique à Kigali, puisque ça…, ça vous l'avez vu ?

Jean-Hervé Bradol : Oui, les… Vraiment, depuis un mois, la ville de Kigali a été complètement quadrillée. Les…, les maisons sont fouillées une par une pour en extraire toute la partie de la population qui est suspectée être hostile à…, au courant le plus extrémiste de l'armée. Et là, euh, les…, les gens qui sont suspects de cette hostilité sont…, sont exécutés avec toute leur famille. C'est-à-dire que l'exécution, euh, ça veut dire les bébés, les femmes, les vieillards, absolument tout le monde. Y'a…, y'a pas un survivant. Et quand on retournait dans les quartiers pour essayer de ramasser des blessés, euh…, euh, les miliciens se vantaient en disant : "Y'a plus personne à ramasser. On a tué tout le monde !". Euh, et, euh, c'est effectivement ce qu'ils font. Et cette politique, c'est vraiment, euh… On peut parler d'une politique, hein. C'est une politique délibérée, systématique, planifiée d'extermination. Et…

Patrick Poivre d'Arvor : C'est le génocide absolu ?

Jean-Hervé Bradol : Oui. C'est vraiment, euh…, c'est vraiment un…, un massacre planifié de très, très, très grande ampleur, oui.

Patrick Poivre d'Arvor : Alors on a tendance ou on a eu un petit peu tendance au début à essayer de dire : "Ce sont les… Hutu contre les Tutsi". Donc de dire que ce n'était finalement que… des guerres ethniques. Or en fait c'est beaucoup plus compliqué que ça.

Jean-Hervé Bradol : Bah, c'est ce qu'on essaye de nous faire croire pour peut-être justifier la…, la…, la…, la passivité des uns et des autres. On essaye de nous décrire les Rwandais comme, euh, des tribus en train de se massacrer entre elles. Et, euh, je pense que c'est vraiment le dernier affront fait aux victimes, hein, de…, de…, de donner cette description. Y'a un conflit politique en…, au Rwanda. Il y a une lutte féroce pour le pouvoir. Et, euh, les victimes sont dues à…, à ce conflit politique. Et qu'on arrête de nous décrire le Rwanda comme des tribus en train de se massacrer. Et, euh…, je pense que cette présentation n'est pas tout à fait anodine. Euh, le rôle de la France dans ce pays et particulièrement les responsabilités de la France sont particulièrement écrasantes. Les gens qui massacrent aujourd'hui, qui mettent en œuvre cette politique planifiée, systématique d'extermination sont financés, entraînés et armés par la France. Et ça, euh, c'est quelque chose qui, euh, ne transparaît absolument pas en ce moment. On n'a pas entendu pour l'instant aucun responsable français condamner, euh…, clairement les auteurs de ces massacres. Et pourtant ces gens sont bien connus de l'État français puisqu'ils sont équipés par eux ! Par l'État français.

Patrick Poivre d'Arvor : Et c'est la raison pour laquelle vous avez décidé de…, d'écrire une lettre ouverte au Président Mitterrand…

Jean-Hervé Bradol : Oui, euh…, tout à fait. C'est pour, euh…, c'est pour cette raison que, euh…, nous avons décidé de…, d'écrire une lettre ouverte au président de la République, puisque, euh, le travail des organisations humanitaires ne peut bien sûr pas tout compenser quand il y a une telle horreur ! De plus, aujourd'hui pour nous, c'est quasiment presque, euh, impossible de pouvoir travailler correctement au Rwanda et de couvrir les besoins que vous avez décrits dans votre reportage. Et s'il n'y a pas une intervention vigoureuse de la communauté internationale, et particulièrement de la France ! -- qui connaît bien les assassins, hein, qui les arme, qui les équipe --, nous, nous considérerons que c'est une véritable politique d'incitation à ce que le meurtre et les massacres continuent. Et pour l'instant, euh, ces déclarations de l'État français, nous ne les avons pas entendues. Ces prises de position, incitant, euh, les bourreaux de Kigali et de Butare à se modérer, nous ne les avons pas entendues de la part de l'État français. Et nous devons souligner que nous sommes extrêmement choqués, euh…, de cet aspect des choses.

Patrick Poivre d'Arvor : Et pour l'instant vous ne pouvez pas, euh, évidemment comptabiliser le nombre de morts parce que… les sources sont extrêmement, euh…, éloignées les unes des autres, d'une part. Et…, et il y a très peu de journalistes qui peuvent… voir ce qui se passe. Vous chiffreriez à combien ?

Jean-Hervé Bradol : Je pense que de parler de plus de 100 000 morts au Rwanda… Il faut souligner que le Rwanda c'est un pays de sept millions d'habitants. Quand on…, on cite de tels chiffres, quand on décrit la capitale du pays comme complètement quadrillée, fouillée maison par maison pour exterminer les gens… Euh, je ne sais pas, c'est comme si aujourd'hui on était en train de parler en France de quatre millions de morts en un mois, à la suite d'un conflit politique. C'est, euh, nous, on a jamais assisté à ça, hein…, on… Le compte qu'on fait des…, des morts qu'on a eus à…, des employés rwandais travaillant pour Médecins sans frontières aujourd'hui, c'est… On en est à dire il y a certainement plus d'une centaine d'employés rwandais de Médecins sans frontières qui ont été assassinés, euh…, par, euh, les forces armées gouvernementales au Rwanda aujourd'hui. Euh, ça nous est jamais arrivé dans notre histoire, hein ! C'est un drame de…, de…, d'une ampleur sans précédent. Et…, et pourtant, euh…, la guerre, euh, les blessés, euh, la mort, euh…, la révolte que ça…, euh…, occasionne, nous…, nous y sommes quand même habitués depuis 20 ans dans notre association.

Patrick Poivre d'Arvor : Je vous remercie beaucoup, Jean-Hervé Bradol, parce que je…, je crois qu'il fallait vraiment témoigner…, et témoigner très, très fort. Parce que ce qui se passe là-bas est…, est en effet un véritable génocide.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024