Fiche du document numéro 16951

Num
16951
Date
Vendredi 2 décembre 2016
Amj
Auteur
Fichier
Taille
296626
Pages
5
Titre
L'abbé Marcel Hitayezu, complice des miliciens à Mubuga
Mot-clé
Type
Rapport
Langue
FR
Citation
L’abbé Marcel Hitayezu, complice des miliciens à
Mubuga
Jacques Morel
2 décembre 2016, v1.5

Son rôle lors du massacre des Tutsi à l’église de
Mubuga
Après l’attentat contre le président Habyarimana, le 7 avril, de 4 000 à 5 500
Tutsi pourchassés se regroupent à l’église de Mubuga en préfecture de Kibuye.
Ils y sont massacrés du 11 au 17 avril 1994, mais le grand massacre commence le
15 et se poursuit le 16. Le préfet Kayishema est présent sur les lieux les 15 et 16
avril. Pascal, qui perdit son épouse et ses 5 enfants dans ce massacre, rapporte
que le père Marcel était avec les miliciens :
Father Marcel who was at the parish knew all the plots of the
militia because he used to go to their meeting. Still, he did not make
a single gesture to help save the refugees. He was more of a politician
than a man of religion. 1
Un autre rescapé, Claver Munyandinda, déclare :
On Tuesday [12th], when he saw there was a real hunger and
some were even fainting, Father Marcel gave us a little bit of rice,
but very little. When the militia found out that Father Marcel had
given us something to eat, they obliged him to stop giving food to
Tutsis. They told him to reserve the food for the militia who were
doing “the work”. Father Marcel who supported the militia accepted.
After that, we saw the militia transport food, I don’t know where
to. 2
1. African Rights,Rwanda : Death, Despair and Defiance, p.442. Traduction de l’auteur :
Le père Marcel qui était à la paroisse connaissait tous les plans des miliciens car il allait
toujours à leurs réunions. Il ne fit pas un geste pour sauver les réfugiés. Il était plus un
politicien qu’un homme de religion.
2. Ibidem, p.443. Traduction de l’auteur : Le mardi 12, quand il vit qu’on avait réellement
faim et que certains même s’évanouissaient, le père Marcel nous a donné un peu de riz, mais
très peu. Quand les miliciens virent que le père Marcel nous avait donné un peu à manger,
ils l’obligèrent d’arrêter de donner à manger aux Tutsi. Ils lui dirent de réserver la nourriture
pour les miliciens qui faisaient “le travail”. Le père Marcel, qui soutenait les miliciens, accepta.
Après quoi nous vîmes les miliciens transporter de la nourriture je ne sais où.

1

2

En effet, aux environs du 13 avril, les miliciens commandés par Ryandikayo,
Vincent Rutaganira et Charles Sikubwabo volèrent des sacs de riz qui avaient
été donnés par Caritas pour nourrir les Tutsi réfugiés dans l’église catholique de
Mubuga. 3
Pour le rescapé Tite Khouyira, le père Marcel aurait voulu protéger les Tutsi,
mais il reste surtout soucieux que les massacres ne salissent pas son église :
Terrible et exemplaire aventure que celle qu’a vécue Tite Khouyira,
quarante ans, instituteur à Gyshita [Gishyita]. [...] Son malheur l’a
comme pétrifié. Il raconte : « C’était le vendredi 9 avril. Nous allions
dîner, il était huit heures. Une grenade a explosé chez Léonard, un
commerçant tutsi. Il a été tué. C’était le signal du carnage. Nous
nous sommes réfugiés à l’église de Mobuga [Mubuga]. L’abbé Marcel
[Hitayezu], un Hutu, nous a accueillis. Il nous a donné du riz et de
l’eau. A l’extérieur de l’église, les Hutus étaient déchaînés et criaient
“Tregomba kubika...” (Vous allez mourir, il faut tous les tuer). L’abbé
a téléphoné au préfet de Kibuye. Il est arrivé avec le bourgmestre.
Tandis que la foule hutue criait toujours, le père a dit : « Vous n’allez
pas faire couler le sang de ces catholiques dans une église ! » Le préfet
et le maire ont répondu que c’était un ordre du gouvernement. Ils
ont contraint le père Marcel à monter dans un camion. Il pleurait. »
Tite Khouyira poursuit : « Alors le massacre a commencé. J’ai
sauté par une fenêtre avec deux de mes frères. Pendant plus de deux
mois, nous nous sommes cachés comme des bêtes traquées. [...] » 4
Bernard Kayumba, rescapé des massacres de Mubuga et Bisesero, a une
autre opinion du prêtre : « Pendant le génocide il était à Mubuga dans ma paroisse natale. Quand je me suis réfugié avec les autres tutsi dans la paroisse de
Mubuga, il ne voulait pas me donner la main. Pourtant j’étais grand séminariste. Non seulement il ne s’est pas opposé au massacre mais il a contribué à
son organisation. Il a participé à une réunion avec le préfet Kayishema, le bourgmestre Sikubwabo et d’autres génocidaires comme Ryandikayo. 5 C’est lui qui a
livré ces gens. Je lui ai dit que les gens avaient faim. C’est lui qui a coupé l’eau.
C’est lui le responsable des tueries de la paroisse ! Le témoignage de Khouyira
n’est pas exact. » 6
3. Hassan Bubacar Jallow, The Prosecutor v. Ryandikayo 2nd Amended Indictment, TPIR,
2 mai 2012, section 29, p. 7.
http://www.francegenocidetutsi.org/Ryandikayo2ndAmendedIndictment2May2012.pdf
4. François Luizet, Patrick de Saint-Exupéry, Rwanda : Les miraculés de Bisesero, Le
Figaro, 2 juillet 1994.
5. Ryandikayo du MDR-Power, tenait un restaurant à Mubuga. Dès le 7 avril, de concert
avec le conseiller Vincent Rutaganira, il fait massacrer des Tutsi par les Interahamwe. Il est
un des organisateurs du massacre à la paroisse. Il a aussi participé aux massacres des Tutsi
sur les collines de Bisesero. Recherché par le TPIR, il n’a jamais été arrêté.
6. Courriel et conversation téléphonique avec l’auteur, 19, 28 décembre 2015.

3

Son rôle durant l’opération Turquoise
Marcel Hitayezu est signataire de la lettre des prêtres du diocèse de Nyundo
au cardinal Etchegaray, lors de sa visite à Kibuye le 25 juin. Tout en regrettant
les massacres, ils ne cachent pas leur animosité vis-à-vis du FPR. Ils reprennent
à leur compte les fausses accusations contre des religieux tutsi et expriment
de la compréhension pour les tueurs : « Après l’assassinat du Président de la
République Rwandaise Juvénal HABYALIMANA, les batutsis menacés par les
bahutus se sont réfugiés dans les églises. Malheureusement certains prêtres et religieux (ses) étaient des complices du F.P.R. Des documents découverts, même
des armes, en font foi. Cela explique l’agressivité des bahutus qui se sont attaqués à tout ce qui était tutsi même des religieux – sans discernement et sans
se préoccuper de leur culpabilité ou de leur innocence. Les prêtres ont été attaqués pour leur appartenance ethnique surtout s’ils avaient donné asile à des
réfugiés batutsis dans leur paroisse. Le massacre n’a épargné personne, protégés
et protecteurs. » 7
L’abbé Athanase Seromba, condamné pour génocide par le TPIR pour avoir
fait détruire au bulldozer son église sur la tête de ses paroissiens tutsi, est parmi
les signataires.
Le prêtre Marcel Hitayezu, curé de Mubuga, est accusé par Valentine M.
d’avoir tué ou fait tuer deux enfants d’Agathe, fille de Birara Thomas : Kabibi, petite fille âgée de 7 ans et Ajida, un garçon de 4 ans. Ils ont été tués à
la grenade à l’église de Mubuga le 29 juin 1994. 8 Elle en accuse aussi un certain Ryandikayo. Celui-ci est probablement Ryandikayo Charles qui tenait un
restaurant à Mubuga. Il est recherché par le TPIR pour sa participation aux
massacres, notamment à la paroisse de Mubuga. 9
Le capitaine de frégate Marin Gillier, qui stationne à Gishyita du 27 juin au
1er juillet 1994, constate le massacre à l’église de Mubuga et s’entretient avec
ce prêtre. Il ne demande pas d’explications au bourgmestre Charles Sikubwabo
qui attribue tous les massacres au FPR alors que ce dernier n’est pas venu dans
la région.
7. Lettre des prêtres du diocèse de Nyundo au cardinal Etchegaray pour sa visite à Kibuye le 25 juin 1994, in Jean Ndorimana, Rwanda, l’Église catholique
dans le malaise, Vivere In, 2001, pp. 168-169 . http://www.francegenocidetutsi.org/
LettrePretresKibuyeEtchegaray25juin1994.pdf
8. Vénuste Kayimahe, Jacques Morel, Enquête sur les personnes tuées dans la région
de Bisesero pendant l’opération Turquoise, juillet 2013. http://jacques.morel67.free.fr/
BiseseroEnquete2013Analyse.pdf
9. Hassan
Bubacar
Jallow,
The
Prosecutor
v.
Ryandikayo
2nd
Amended Indictment , TPIR, 2 mai 2012. http://www.francegenocidetutsi.org/
Ryandikayo2ndAmendedIndictment2May2012.pdf ; Theodor Meron, The Prosecutor v.
Ryandikayo Prosecutor’s request for a warrant of arrest and an order for transfer , 26 mars
2014.
http://www.unmict.org/sites/default/files/casedocuments/mict-12-22/
warrants-and-subpoenas/en/140326-4.pdf.

4

La fuite au Congo
Marcel Hitayezu s’enfuit au Congo en 1994. En 1997, lors de l’évacuation
forcée des camps au Zaïre par l’AFDL, selon un bulletin des Pères blancs, « Hitayezu Marcel (Nyundo) a pu atteindre Tingi-Tingi après une marche de plus
de 400 km à pieds. » Il a pu s’en évader et gagner Nairobi. 10

Réfugié en France
Marcel Hitayezu est réfugié en France. Le statut de réfugié lui est accordé le
26 janvier 2011. 11 Il est prêtre à Pons en Charentes, 12 puis à Saintes.

Il défend des génocidaires
Dans le bulletin de Madeleine Raffin, 13 il défend l’abbé Edouard Ntuliye,
recteur du petit séminaire de Nyundo en 1994, qui est mis en cause par un
tribunal gacaca.
Cet Edouard Ntuliye, alias Simba, a été condamné à perpétuité puis acquitté
en 2000. Selon un grand séminariste, il serait allé à Nyange et aurait dit au
curé Seromba : « Qu’attendez-vous, nous à Nyundo, nous avons déjà fait le
nettoyage ». Il est de nouveau condamné à perpétuité par un tribunal gacaca en
2009.

Un mandat d’arrêt du Rwanda
Le 30 juin 2015, le procureur général du Rwanda a émis à l’encontre de
Marcel Hitayezu un mandat d’arrêt international pour participation au génocide
et a demandé son extradition. La Cour d’appel de Poitiers rendra sa décision le
26 janvier 2016. 14
La Cour d’appel de Poitiers rend un avis favorable à l’extradition vers le
Rwanda de Marcel Hitayezu le 29 juin 2016. 15
Le 27 octobre 2016, la Cour de cassation a donc cassé cet arrêt et émis un avis
défavorable à l’extradition de Marcel Hitayezu au motif que « l’absence d’une
définition précise et accessible des éléments constitutifs [du crime de génocide
10. Second Cri d’Alarme, ANB-BIA, 7 mars 1997.
11. Conseil d’État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 26/01/2011, 312833,
Publié au recueil Lebon , 26 janvier 2011. http://www.francegenocidetutsi.org/
FileItem-257680-CE26janvier2011.pdf
12. Une équipe paroissiale nommée par l’évêque, Sud-Ouest, 7 janvier 2014.
http://www.sudouest.fr/2010/10/15/une-equipe-paroissiale-nommee-par-l-eveque-212673-1273.
php
13. Le Tambour de la fraternité, no 20, avril 2009. http://www.francegenocidetutsi.org/
TambourDeLaFraterniteAvril2009.pdf
14. Vincent Buche, Un prêtre saintais réclamé par la justice rwandaise, La
Nouvelle République, 18 décembre 2015. http://www.francegenocidetutsi.org/
PretreSaintaisReclameParJusticeLNR18decembre2015.pdf
15. Vincent Buche, Extradition du prêtre saintais : avis favorable, Sud-Ouest, 29 juin 2016.
http://www.francegenocidetutsi.org/HitayezuBuche29juin2016.png

5

dans le Code pénal rwandais en vigueur en 1994] fait obstacle à ce que les faits
soient considérés comme punis par la loi rwandaise » 16

16. Vincent Buche, Génocide au Rwanda
mais jugé, Sud-Ouest, 27 octobre 2016.
PretreSaintoisJamaisJugeSO27octobre2016.pdf

: le prêtre saintais ne sera jahttp://www.francegenocidetutsi.org/

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