Fiche du document numéro 15846

Num
15846
Date
Jeudi 26 mai 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
1328773
Pages
1
Titre
Burundi. La France accusée d'encourager un second génocide
Soustitre
De faux pas en tentatives de manipulation, la France ne sort pas grandie des atrocités qui se déroulent au Rwanda et qui menacent déjà le Burundi. Une situation dont les Français et les organisations humanitaires sur place risquent de faire les frais…
Nom cité
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Lieu cité
Source
EdJ
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
La France accusée d’encourager un second génocide

De faux pas en tentatives de manipulation, la France ne sort pas grandie des atrocités qui se déroulent au Rwanda et qui menacent déjà le Burundi. Une situation dont les Français et les organisations humanitaires sur place risquent de faire les frais...

Depuis l‘arrivée «illégale» de trois officiers et sous-officiers français à Bujumbura. capitale du Burundi, le 14 avril dernier. le torchon brûle entre l‘ambassade de France et le ministre de la Défense burundais. Gédéon Pyroko. Porte-parole de l‘état-major. le colonel Jean-Bosco Daradangwa accuse les représentants de la France de souffler sur les braises du conflit ethnique latent au Burundi, au risque de provoquer un génocide comme au Rwanda. Des accusations avivées par les responsabilités de Paris dans l‘extermination des Tutsis rwandais (l‘Edj du 21 avril et Libération du 18 mai dernier). Le désaccord ne date pas d‘hier. Depuis longtemps, l‘armée burundaise, presque totalement tutsie, accuse Paris de jouer la carte de l'ethnie majoritaire hutue. au Burundi comme au Rwanda. Ingratitude ou fruit de l'expérience. les militaires burundais savent de quoi la coopération militaire française est capable. En 1972. nos conseillers auprès de l’armée burundaise aidèrent celle-ci à exterminer environ 150 000 membres de l’ethnie hutue ainsi que quelque 700 soldats hutus qui servaient encore dans ses rangs. Jacques Foccart, responsable des affaires africaines, dépêcha même par avion, à Bujumbura, des tonnes de cartouches pour appuyer une armée à court de munitions! On avait peu parlé à l'époque des responsabilités de Paris dans l‘extermination des élites hutues du Burundi.


Volonté de rachat ou changement de politique? Après la tentative de coup d'Etat et l‘assassinat du président Ndadaye par des officiers tutsis le 21 octobre dernier à Bujumbura, l‘ambassade de France a courageusement recueilli les ministres ayant échappé aux tueurs et assuré leur protection par des policiers du Raid. Mais la suite est moins honorable. « L'ambassade n'a rien fait pour que le gouvenement appelle la population au calme, alors que dans tout le pays des administrateurs civils se vengeaient de la mort du président Ndadaye en massacrant des dizaines de milliers de Tutsis et de Hutus membres de partis d’opposition. accuse le colonel jean-Bosco Daradangwa. Pis, elle a offert aux extrémistes hutus son réseau de transmissions, afin qu'ils communiquent avec la Radio des Mille Collines au Rwanda ( 1 ), qui a appelé les Hutus vivant au Burundi à tuer tous les Tutsis. » Le 14 avril dernier, l'ambassade de France annonçait au gouvernement burundais l‘arrivée. le jour même, de trois visiteurs sans visas «dans le cadre d’un renfort du poste d‘attaché de défense près de l‘ambassade». Les Burundais ont aussitôt voulu en savoir plus : il s‘agissait du lieutenant—colonel Michel-Jean-Pierre Pouly, du capitaine Alain Consigney et de l‘adjudant Patrice Chauvin, venant de Bangui par avion militaire français C 160. Pourquoi cette précipitation ? Au Rwanda, Paris venait d'« exfiltrer » ses diplomates et ses militaires après le début du génocide des Tutsis. et voulait créer un nouveau bureau d‘information dans une zone « à risque ». Officiers de troupes de marine appelés à intervenir sur tous les pays sensibles en Afrique. le lieutenant-colonel Pouly est directeur du renseignement militaire et le capitaine Consigney spécialiste du « renseignement en profondeur ».

Les militaires burundais ont d'autant moins apprécié leur arrivée que, au même moment pour des raisons budgétaires, Paris a rappelé deux conseillers militaires affectés à l‘Unité de sécurité des institutions, qui avaient pour tâche d‘aider les responsables burundais à défendre leur Etat contre les tentatives de déstabilisation! La presse burundaise a pris prétexte de cette affaire pour lancer une campagne antifrançaise. « Des barbouzes chargées de semer la subversion. Parmi eux se trouve un tireur d’élite », accuse l'hebdomadaire l’Indépendant, tandis que l'Etoile n‘hésite pas à inviter les Burundais a prendre en otage les Français résidant au Burundi, estimant que ces derniers sont collectivement responsables des positions de leur gouvernement. Selon le colonel jean-Bosco Daradangwa, l'ex-capitaine de gendarmerie Paul Barril serait arrivé au Burundi pour une mission indéterminée le 12 octobre dernier, sous son nom, par le vol Sabena. «Il a séjourné dans le pays jusqu'au 14 octobre, mais nous avons perdu sa trace car il a été vraisemblablement hébergé par les militaires français», ajoute le colonel Daradangwa, qui note encore: « Barril est reparti le 14, toujours par Sabena. Ce qui est curieux, c‘est que ce voyage soit intervenu quelques jours avant l’assassinat du président Ndadaye, dont les commanditaires n’ont pas été clairement identifiés. » Nous n'avons pas pu joindre le capitaine Barril pour obtenir des éclaircissements. Et l‘attaché militaire français à Bujumbura a refusé de nous recevoir, malgré deux demandes écrites sur place.

Catherine Choquet, de la Fédération internationale des droits de l'homme, disait la semaine dernière : « On en vient à haïr la France en Afrique, à cause de toutes ces manipulations... Les Français risquent de passer de sales quarts d'heure. »

Ne serait-il pas temps, pour la France et ses militaires, de cesser de faire joujou avec les conflits ethnico-politiques en Afrique ?

Jean-François DUPAQUIER

(1) Radio qui a joué un rôle essentiel dans l‘actuel genocide des Tutsis au Rwanda.

26 MAI AU 1er JUIN 1994 — L'EVENEMENT DU JEUDI 29
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