Fiche du document numéro 1493

Num
1493
Date
Mercredi 8 juin 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
83101
Pages
2
Sur titre
Rwanda
Titre
Un orphelinat dans la tourmente
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Accrochée à un portail rouillé, au bord d'un chemin creux, une pancarte
de contre-plaqué annonce pompeusement en lettres noires tracées au
feutre : « Ambassade italienne-Consulat de Nyanza ». Un drapeau
tricolore officialise le tout. A défaut de pouvoir le faire évacuer, M.
Costa, le consul italien de Kigali, a tenté de protéger l'orphelinat des
Pères rogationnistes de la menace des miliciens en lui donnant un cachet
diplomatique.

L'établissement, à une centaine de kilomètres au sud de Kigali,
accueille près de 650 enfants, soit 500 de plus qu'au début des
troubles, il y a deux mois. « Au fur et à mesure des massacres, explique
le Père Giorgio Vito, on nous les amenait toujours plus nombreux, la
nuit, pour plus de prudence
 ». Il y avait ceux que les gens avaient
trouvés errant dans la vallée, échappés de la maison familiale où leurs
parents venaient de mourir. Ou encore ceux que des voisins hutus avaient
cachés chez eux et qu'ils confiaient au religieux italien juste avant de
fuir la ville, craignant l'avancée des Tutsis. « Même des militaires
sont venus déposer des orphelins.
 »

Chaque jour, des miliciens venaient s'agglutiner au portail, réclamant les prêtres tutsis ou les enfants. Par leur présence, les deux expatriés de l'orphelinat, le docteur Gian Luigi Mussi et le Père Giorgio, ont réussi à les tenir à distance : « Si nous partions, c'en était fini pour eux. » N'ayant pas obtenu une escorte de « casques bleus », ils n'ont pas voulu prendre le risque de les évacuer par leurs propres moyens. En face, les tueurs veillaient et auraient à coup sûr massacré les enfants. Les gendarmes, qui avaient accepté de garder les bâtiments la nuit (« l'argent protège », fait remarquer quelqu'un), sont venus un jour chercher trois prêtres rwandais qui n'étaient pas de l'orphelinat, pour les « amener en lieu sûr » ; mais à voir la foule vociférante, au-dehors, tous ont compris qu'ils ne reviendraient jamais.

S'attendant à une bataille à Nyanza, le Père Giorgio avait prévu
d'abriter les enfants sous la dalle de béton de l'entrepôt de vivres.
Mais les combats ont eu lieu, le 29 mai, à l'est de la route asphaltée
qui monte sur Kigali, et les soldats en retraite ne se sont pas
attardés, hormis un groupe de soudards qui ont dévalisé la caisse. « L'argent nous a encore tirés d'affaire... certains menaçaient déjà les
enfants.
 »

« Le lundi matin, alors que la ville était totalement silencieuse, trois
hommes en uniforme ont soudain fait irruption chez nous,
raconte enfin
le missionnaire italien, l'un d'eux a reconnu sa petite soeur ; il l'a
appelée : Espérance ! Espérance !, la fillette s'est approchée de lui
; quand il a appris que tous les siens étaient morts, il a eu un geste
d'impuissance, puis il a relevé la tête en disant : Nous sommes les
soldats du FPR
, et les petits ont battu des mains. En une seconde, ils
passaient de l'angoisse à la tranquillité et à la joie...
 » La voix du
Père Giorgio se brise d'émotion. Il détourne la tête. Toute cette
tension accumulée depuis des semaines... Mais « ses » enfants sont
sauvés.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024