Fiche du document numéro 14765

Num
14765
Date
Lundi 9 mars 1998
Amj
Auteur
Fichier
Taille
99885
Pages
3
Urlorg
Titre
Et le père Wenceslas ? Net ou pas net ?
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Notre cher père Wenceslas ! La Cour de cassation a jugé que le prêtre
rwandais Wenceslas Munyeshyaka, réfugié en France, pourrait y être
poursuivi et jugé à nouveau par les tribunaux français.

Le père Wenceslas est accusé de génocide au Rwanda, complicité de
génocide, torture, mauvais traitements, actes inhumains et dégradants.
Selon les plaignants qui se sont constitués parties civiles contre lui,
ici, en France, « ce prêtre aurait, courant avril et mai 1994, alors
qu'il exerçait son ministère dans une paroisse de Kigali, collaboré à
l'extermination de l'ethnie tutsie, entreprise par des miliciens hutus
et certains éléments des forces militaires rwandaises.

Armé et vêtu d'un gilet pare-balles, il aurait participé à la sélection
des réfugiés tutsis destinés aux massacres, les aurait laissés mourir
de faim et de soif, aurait livré aux autorités en place les personnes
qui tentaient de leur porter secours et commis des viols sur plusieurs
femmes en échange de leur vie sauve ».

La paroisse de Kigali en question était l'église de la Sainte-Famille
où des centaines de réfugiés tutsis et d'opposants hutus ont été
massacrés. Les témoignages des rescapés sont les suivants: « On m'avait
dit en arrivant qu'il ne fallait pas que je décline ma véritable
identité au père Wenceslas parce que le registre sur lequel il écrivait
les noms des réfugiés servait aux miliciens pour établir les listes de
leurs futures victimes. » (Libération, 20 juin 1995). Lui, le père, a
reconnu avoir ouvert la porte aux miliciens « comme d'habitude ». En
1994, le père Wenceslas a signé, avec 30 autres prêtres rwandais, une
lettre adressée au Vatican qui niait l'existence du génocide au Rwanda,
« les Hutus civils tués dépassant de loin les Tutsis victimes de
troubles ethniques ».

Depuis 1994, nous avons hérité de ce père Wenceslas en France. Il n'y a
pas été mal accueilli. Un visa lui a été délivré. Il a trouvé des
soutiens, des protections des défenseurs ecclésiastiques qui sont
intervenus en sa faveur pour qu'il puisse trouver un poste de vicaire.
Il a été ainsi curé en Ardèche. Il est, en ce moment, en région
parisienne, un peu au « placard » mais protégé par un ancien père blanc.

Il y a peu, il « baptisait les petits enfants »



Qui est ce père Wenceslas dans les crimes du Rwanda ? Un moyen poisson
? Un gros poisson ? En tout cas, jusqu'à présent, c'était un poisson
qu'on ne voulait pas ou que l'on ne pouvait pas ferrer.

Des rescapés rwandais ont déjà porté plainte deux fois en France contre
ce prêtre portant pistolet à la ceinture. Il a comparu en justice sous
l'accusation de génocide et de complicité de génocide lors de deux
procès, en 1995, à Privas, et en 1996, à Nîmes. En 1995, il a été
emprisonné puis libéré. En 1996, il a été rendu le jugement suivant: le
père Wenceslas Munyeshyaka pouvait être accusé de tortures, selon la
législation française - mais non de génocide -, la loi française ne
permettant pas à ce moment-là de poursuivre un étranger sur le sol
français pour des crimes contre l'humanité commis à l'étranger.
Comme disent les termes juridiques, de façon toujours un peu chinoise
pour nous, les profanes, « du génocide, les juges étaient incompétents à
en connaître ». Le dernier jugement de Nîmes, en 1996, c'était deux
mois, deux petits mois seulement, avant le vote de la loi du 22 mai
1996 venue mettre la loi française « en conformité avec les dispositions
du Conseil de sécurité des Nations unies ». A deux mois près, tout
changeait pour examiner le cas du vicaire puisque, selon la loi du 22
mai: « Les auteurs ou complices des actes qui ressortent des violations
des lois ou coutumes de guerre, du génocide ou des crimes contre
l'humanité peuvent être, s'ils sont trouvés en France, poursuivis par
les juridictions françaises, en application de la loi française. »
L'arrêt rendu par la Cour de cassation casse les deux jugements
précédents et exige que le père Wenceslas soit jugé à nouveau
conformément à la loi.

C'est quelque chose de tout nouveau en France, un arrêt de référence.
Pour la première fois, un étranger, accusé de crimes commis à
l'étranger sur des étrangers, pourra y être poursuivi et jugé par des
tribunaux français.

Ainsi soit-il



Avant d'arriver à cet arrêt de la Cour de cassation, les plaignants
rwandais ont été engagés dans une bataille juridique et des procédures
qui rappellent la lutte du pot de fer contre le pot de terre. Le pot de
fer étant le père Wenceslas, protégé et accueilli en France. Tandis
qu'eux étaient des anonymes rescapés de l'enfer rwandais.

« Si on n'avait pas été aidés par Juristes sans frontières, on n'y
serait pas arrivés », peuvent dire les pots de terre. Procès, appel
rejeté, parties civiles rejetées. Des 11 qui ont porté plainte contre
le père Wenceslas, trois demeurent en lice à l'heure actuelle. Ils
peuvent ajouter: « Les gens savent ou ne savent pas ce qui s'est passé
au Rwanda. Le Rwanda, c'est loin. Mais, après tout ce qu'il y a eu
comme témoignages, après que les rescapés de l'église de la
Sainte-Famille eurent témoigné, on pouvait s'attendre à ce que les
prêtres se posent des questions, qu'ils se demandent si le père
Wenceslas est net. »
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