Fiche du document numéro 14755

Num
14755
Date
Mercredi 20 novembre 1996
Amj
Auteur
Fichier
Taille
85571
Pages
2
Urlorg
Titre
Politique africaine
Page
48
Cote
n° 17276
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Ce qui se passe à la frontière du Rwanda et du Zaïre témoigne de
l'ambiguïté des relations entre l'humanitaire et le politique. Il est
assez évident que, lorsque plus d'un million de personnes sont menacées
de mourir, il est impossible d'assister passivement à leur agonie.
L'urgence est telle qu'il apparaît presque criminel de s'encombrer de
considérations politiques qui prennent l'allure de misérables alibis à
l'inaction. Mais la focalisation exclusive sur l'impératif humanitaire
peut avoir pour effet, en occultant la dimension politique, de laisser
en l'état les conditions structurelles qui engendreront demain les
mêmes horreurs qu'aujourd'hui. Les téléspectateurs à qui l'on n'a
montré que les cohortes de personnes déplacées et d'enfants affamés
auront sans doute éprouvé une émotion sincère. Mais auront-ils progressé
dans la prise de conscience de la nature du conflit politique africain
et de la nécessité d'en relever le défi ? Ils auront au moins l'excuse
de constater que les dirigeants des grandes nations occidentales, en
refusant de faire plus que de distribuer des vivres et des médicaments,
ont fait preuve du même aveuglement volontaire et du même refus d'agir
en profondeur.

Les Français devraient pourtant, plus que d'autres, être sensibles à
l'impossibilité de dissocier le politique de l'humanitaire. Il est
certes tout à l'honneur de leur gouvernement de s'être porté à
l'avant-garde de ceux qui appelaient à une intervention des « grandes
puissances », mais force leur est aujourd'hui de constater que la
présence des militaires français est, sur place, frappée d'ostracisme
et perçue comme un acte partisan. Nous payons ici le prix d'une
politique africaine qui donne de la France l'image d'un pays qui a
soutenu le gouvernement responsable du génocide tutsi de 1994, continué
à défendre ses protégés lors de l'opération Turquoise, armé les
miliciens hutus réfugiés au Zaïre et appuyé avec constance son ami
Mobutu. Il ne suffit plus aujourd'hui d'affirmer notre pureté
d'intention ou de renier notre politique antérieure. Encore faudrait-il
annoncer clairement quelle sera notre politique africaine de demain.
Il n'est pas davantage possible d'ignorer la présence de préoccupations
politiques dans l'attitude des Etats-Unis. On sait bien qu'ils sont
favorables au développement des régimes qui, de l'Afrique du Sud à
l'Ouganda, leur paraissent pouvoir constituer un pôle anglophone qui
sera plus ouvert à leur influence que le bloc des pays francophones de
l'Afrique occidentale. Il est dès lors inévitable que les
considérations géopolitiques viennent colorer les déclarations et les
pratiques humanitaires.

Les arrière-pensées des uns et des autres ne devraient pourtant pas
empêcher de prévoir que, si aucune politique d'ensemble n'est mise en
place, les conflits actuels dans la région des Grands Lacs ne seront
que l'amorce d'une série d'explosions qui risquent de se propager dans
toute l'Afrique centrale. Que cette tâche politique présente d'énormes
difficultés est évident. Mais ne pas s'y atteler reviendrait à avouer
que l'on préfère procéder, dans les années à venir, à des interventions
humanitaires à répétition.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024