Fiche du document numéro 14666

Num
14666
Date
Lundi 22 août 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
147863
Pages
3
Urlorg
Titre
L'opération « Turquoise » a pris fin hier, dimanche, à minuit
Sous titre
L'opération « Turquoise » a pris fin hier, dimanche, à minuit. La Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (MINUAR II) a pris la relève. Deux mille casques bleus ont déjà été déployés. Plusieurs milliers de réfugiés rwandais qui voulaient se rendre au Zaïre ont été refoulés par les militaires de Mobutu. Ceux-ci ont effectué des tirs de sommation et ont acheminé des mitrailleuses. Médecins sans frontières estime que les troupes françaises quittent le Rwanda en « laissant derrière elles un chaos » et constate qu'« aucun progrès » n'a été accompli depuis le début de l'intervention française. Selon MSF, l'opération « Turquoise » n'a été qu'« une simple gesticulation sans aucun effet sur l'avenir des populations rwandaises »
Page
2-3
Cote
no 15558
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
CONFORMEMENT au mandat confié par le Conseil de sécurité de l'ONU à la France, l'opération « Turquoise » a pris fin hier, dimanche, à minuit. Les unités françaises déployées au Rwanda, 550 hommes au total, ont été regroupées sur l'aéroport de Bukavu (Zaïre), d'où elles seront rapatriées en avion sur leurs bases en France et à Djibouti. Seuls quelque 500 soldats français resteront dans la ville zaïroise de Goma pour apporter un « appui logistique aux opérations humanitaires ».

Depuis aujourd'hui, le commandement dans la « Zone humanitaire sûre » (ZHS), créée par la France au début de son intervention, est assuré par la Mission des Nations unies d'assistance pour le Rwanda (MINUAR 2). Son « centre opérationnel » a été installé dans la deuxième ville du pays, Butare, qui servira de relais entre les bases « avancées » de la force onusienne et son quartier général à Kigali. Près de 2.000 casques bleus ont été déployés dans ce secteur dans la journée d'hier. A terme, le nombre des casques bleus devrait être deux fois supérieur à celui des soldats français présents dans cette zone, qui couvre un cinquième du territoire rwandais. Les casques bleus disposeront-ils de moyens suffisants pour remplir leur mandat ? Dans un village à l'ouest de Kibuye, aux confins de la ZHS, la relève congolaise ne disposait même pas, jusqu'à il y a peu de temps, d'un véhicule.

La crainte d'un nouvel exode



Le retrait des troupes françaises fait aussi craindre un nouvel exode. En créant une « Zone humanitaire sûre » quelques heures seulement après la prise de Kigali et de Butare par le FPR, la France a, dans un même mouvement, sauvé la vie de milliers de Tutsis et de démocrates hutus et offert un espace d'impunité aux « promoteurs » des massacres. Ceux-ci ont pu diffuser leur propagande raciste et semer la peur des « inyenzi » (littéralement les « cancrelats », surnom donné aux soldats FPR par l'ancien régime), sans pour autant être inquiétés. Résultat : les centaines de milliers de réfugiés présents dans la ZHS sont persuadés que le départ des Français est synonyme d'arrivée du FPR et de mort.

Les organisations humanitaires redoutent un nouveau mouvement massif de populations vers Bukavu, cette fois, où l'épuisement et les maladies ne manqueraient pas, comme à Goma, de décimer les populations réfugiées. Un tel phénomène n'a pas encore été constaté même si des dizaines de milliers de Rwandais sont déjà passés dans le pays voisin. Le régime de Mobutu n'a pas attendu plus longtemps pour fermer la frontière dans le sens Rwanda-Zaïre.

Le Zaïre refoule les réfugiés



Au poste frontière de Ruzizi 1, au sud du lac Kivu, ce sont des milliers de réfugiés qui ont ainsi été bloqués. La situation s'est tendue, hier, quand les militaires zaïrois ont effectué des tirs de sommation alors que des réfugiés tentaient de franchir de force le petit pont qui sépare les deux pays, afin de rejoindre leur famille se trouvant déjà au Zaïre. Les troupes de Mobutu ont fait acheminer plusieurs mitrailleuses lourdes vers la colline surplombant le pont.

Le point de passage de Ruzizi 2 a certes été rouvert hier, à 14 heures, mais s'y rendre nécessite de la part des réfugiés un détour de 30 kilomètres et donc des efforts supplémentaires, que le plus grand nombre d'entre eux sont incapables de supporter. Quelques heures après l'annonce par les autorités zaïroises de la fermeture des frontières, un porte-parole de l'armée française avait promis samedi que la France « fera en sorte » que les points de passage soient ouverts dimanche. Cela en dit long sur les divergences entre Paris et Kinshasa à propos de l'accueil de nouveaux réfugiés.

Pour empêcher une nouvelle catastrophe humaine dans le style de celle qui s'est abattue sur Goma, la MINUAR a largué et distribué des centaines de milliers de tracts, rédigés en français et en kinyarwanda, dans les camps de réfugiés situés au Zaïre et dans la ZHS, appelant les Rwandais à rentrer chez eux.

Les problèmes restent entiers



Le nouveau commandant de la MINUAR, le général Guy Tousignant, s'est rendu dimanche dans cette
zone, qui devient le « secteur 4 » de la mission de l'ONU dans le pays.

A plus long terme, quel avenir pour les réfugiés rwandais, ballottés de drame en drame, et
pour la partie du Rwanda qui était sous contrôle français ? Le général Lafourcade, commandant
en chef de l'opération « Turquoise », a estimé, samedi, qu'il serait sage que cette zone reste
« démilitarisée ». « Les autorités de Kigali ont dit que les forces du Front patriotique
rwandais n'entreraient pas dans la ZHS. Il va de leur crédibilité de ne pas le faire, sinon
cela va créer des désordres », a-t-il ajouté. Les propos du militaire français illustrent bien
l'attitude de Paris vis-à-vis du nouveau gouvernement rwandais. La France officielle ne
considère toujours pas celui-ci comme un interlocuteur « normal » mais plutôt comme
l'émanation d'un mouvement - le FPR - que Paris a combattu en soutenant jusqu'au dernier
souffle la dictature aujourd'hui déchue.

L'ONU adoptera-t-elle la même position ? Le nouveau pouvoir en place à Kigali sera-t-il
autorisé à exercer son autorité sur ce qui est, faut-il le rappeler, une partie du territoire
rwandais ? Le sud-ouest du pays, comme le Rwanda tout entier, a besoin qu'une nouvelle
administration se mette en place, que les réfugiés rentrent chez eux afin que la vie reprenne.
Malgré les affirmations des autorités françaises, l'opération « Turquoise » n'aura en rien
contribué à cela. Pas plus qu'elle n'aura réglé le sort des réfugiés dont les problèmes
restent entiers.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024