Fiche du document numéro 1457

Num
1457
Date
Jeudi 12 mai 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
135768
Pages
3
Sur titre
Rwanda
Titre
Les rebelles du FPR semblent s'imposer sur le terrain
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
La peur et la faim, les rescapés des massacres et des combats à Kigali
ne connaissent rien d'autre depuis un mois. Une peur qui augmente de
jour en jour et une faim qui les taraude malgré les efforts des « casques bleus » et de la Croix-Rouge. Dans la zone contrôlée par le
Front patriotique rwandais (FPR), la mission des Nations unies pour
l'assistance au Rwanda (Minuar) tente d'assurer la protection et
l'approvisionnement des 7 000 personnes déplacées du stade Amahoro et de
l'hôpital du Roi-Fayçal. Il y a aussi ceux de l'église de la
Sainte-Famille et de l'hôtel des Mille-Collines, en zone
gouvernementale, pris en charge par le Comité international de la
Croix-Rouge (CICR).

En tout, près de 20 000 déplacés qui n'espèrent qu'une chose : être
emmenés loin de la capitale, des combats et des bombardements. Côté FPR,
la majorité d'entre eux sont d'origine hutue, les Tutsis ayant déjà
quitté les camps pour la région nord, tenue par le FPR. Ici, chaque
phrase transpire la peur et la méfiance. « Si on refuse d'aller dans le
Nord, on risque de nous soupçonner d'être anti-FPR, mais qui sait ce qui
nous attend là-bas ?
 » « Le FPR vient parfois la nuit et enlève des
personnes qu'on ne revoit jamais, avance un autre. Il a ses indicateurs
dans le camp et les
 casques bleus qui nous protègent ne peuvent pas
toujours s'interposer.
 »

Au « Roi-Fayçal », les déplacés s'inquiètent. Ils racontent que, lundi 9
mai, plusieurs dizaines de personnes sont sorties de l'enceinte de
l'hôpital pour aller chercher du bois, de l'eau, ou quelque chose à
manger sans en avoir demandé l'autorisation au FPR. Des maquisards
auraient alors séparé les Tutsis des Hutus, puis les femmes des hommes
et auraient abattu ces derniers, au nombre de vingt-cinq.
« On a peur des bombes »

Un survivant, qui ne veut pas donner son nom, raconte comment il a
échappé à l'exécution, caché par le corps d'un autre. Une mère de
famille résume à voix basse, s'interrompant chaque fois que passe une
oreille indiscrète : « Ici, on a peur du FPR, de l'armée rwandaise et
des bombes.
 » Avec ses deux plus jeunes enfants, elle a quitté son
quartier de Kayciru lorsqu'il a été investi par le FPR le 13 avril, six
jours après le début des hostilités à Kigali, au lendemain de la mort du
président Habyarimana.

Les rebelles ont alors dirigé la population vers cet hôpital, non sans
avoir, d'après elle, fusillé quelques hommes après vérification de leur
carte d'identité qui, au Rwanda, précise l'ethnie de chacun. Elle ne
sait pas ce qu'il est advenu de son mari et de son fils aîné, absents du
foyer cette nuit-là.

Tous les couloirs, les chambres, les escaliers de l'hôpital du
Roi-Faycal sont encombrés de matelas et de sacs. Les familles ont élu
domicile jusque dans la salle d'opérations. Les cours intérieures, où
les ordures croupissent dans des flaques d'eau stagnante, sont devenues
de véritables cloaques. « Chaque jour, nous enterrons quelqu'un », dit
le pasteur Faustin Pashaka, président du comité d'organisation des
déplacés.

« Si vous sortez du camp, c'est à vos risques et périls », dit ce
vieillard qui, comme l'immense majorité de ses compagnons, voudrait être
évacué par la Minuar, à l'abri des miliciens et de la menace permanente
des bombes qui ont encore tué lundi soir au stade Amahoro (Paix, en
kinyarwanda) : un soldat ghanéen a été mortellement touché par un éclat
dans un couloir, malgré son gilet pare-balles.

Le petit marché du camp du Roi-Faycal a maintenant disparu. Il devient
de plus en plus difficile de se procurer de la nourriture en ville, même
pour les organisations humanitaires. Il y a encore près de 3 000 tonnes
de vivres dans les entrepôts du centre de Kigali, mais ils sont
inaccessibles en raison des combats. Les « casques bleus » ont
distribué, il y a deux jours, une part de leurs rations militaires aux
déplacés du stade Amahoro, mais pour les enfants seulement.

Les rares avions qui se posent ravitaillent en priorité les 450 hommes
de la Minuar et les soixante-douze observateurs onusiens encore
présents. Le C 130 canadien, qui a réussi à atterrir mardi après-midi,
n'a sans doute pu le faire que parce que les officiers onusiens ont
expressément demandé une trêve aux belligérants pour pouvoir évacuer le
corps du soldat ghanéen.

L'appareil est resté vingt minutes sur la piste, le temps pour les « 
casques bleus
 » de rendre les honneurs à leur camarade et d'embarquer
trois diplomates chinois, dont l'ambassadeur, qui se sont finalement
décidés à quitter le pays. Plus tard, on apprenait que l'avion avait
atterri alors que traînait sur la piste un obus de mortier tombé
quelques heures plut tôt mais qui n'avait pas explosé.

La violence des tirs d'artillerie a décuplé depuis jeudi dernier mais
sans que le FPR, dont les troupes dominent l'aéroport, ne progressent de
façon significative à Kigali. Depuis une semaine, le camp de Kanonbe, où
résistent près de 4 000 para-commandos, est lourdement bombardé. Le FPR
ne lancera vraisemblablement un assaut terrestre sur ce camp puissamment
défendu qu'après plusieurs jours de canonnades.

Kigali prête à tomber



Au sud de la capitale, les rebelles, qui occupent maintenant le Nord et
l'Est du pays, ont progressé jusqu'à la latitude de Kigali. Ils peuvent
soit remonter sur la ville pour la prendre en tenaille, soit poursuivre
vers l'ouest, vers Gitarama, siège du gouvernement intérimaire. Dans le
Nord-Ouest, les troupes du FPR resserrent leur étau autour de Ruhengeri
: il y a cinq jours, elles ont coupé la route qui reliait cette ville
frontalière du Zaïre à la capitale rwandaise.

Le FPR détient l'initiative des combats et, pour certains observateurs
de la Minuar, il peut entrer à Kigali quand il le veut. Ses combattants
ne sont qu'à quelques centaines de mètres du pont Kadhafi qui commande
la route de Byumba, vers le nord. Mais les forces gouvernementales
s'accrochent à ce pont stratégique situé à deux kilomètres du
centre-ville. Difficile de savoir si elles empêchent le FPR de le
prendre ou si ce dernier tient à laisser encore ouverte la dernière voie
d'évacuation pour les habitants de Kigali.

Le succès du FPR explique aussi son refus d'accepter un cessez-le-feu.
Il est vrai qu'il en a signé un autre au Zaïre, mais il s'agissait plus
de se rapprocher du président Mobutu, un ami de l'ancien chef de l'Etat
rwandais, que d'une réelle volonté de suspendre les combats. Quant à la
Minuar, elle ne cache pas son impuissance et essaie de se rendre utile
en se concentrant sur l'action humanitaire, en attendant que les
belligérants soient « prêts à coopérer pour un cessez-le-feu » et à
trouver une issue politique au conflit.

Le représentant spécial du secrétaire général de l'ONU au Rwanda,
l'ancien ministre camerounais, Jacques-Roger Booh-Booh, déplore la
décision du Conseil de sécurité de retirer près de 2 000 « casques bleus
 » et souhaite plutôt un renforcement. « Une force de 5 500 à 8 000
hommes serait l'idéal pour accomplir ce que nous pouvons faire ici pour
le moment.
 » Le Ghana qui, en une semaine, a eu un tué et trois blessés,
aurait l'intention de retirer ses 300 soldats si ce renforcement n'a pas
lieu.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024