Fiche du document numéro 14383

Num
14383
Date
Samedi 23 juillet 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
109704
Pages
2
Urlorg
Titre
Réfugiés rwandais : quand le choléra amplifie le génocide
Page
2-3
Cote
no 15533
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
LE langage médical est facilement terrifiant par sa froideur et son objectivité. D'après des membres de l'ONG Médecins sans frontières, l'épidémie de choléra devrait frapper au moins 50.000 personnes dans les jours à venir. Goma se transformerait ainsi en un gigantesque mouroir des réfugiés qui ont été poussés devant eux par les FAR (Forces armées rwandaises) en retraite.

Plusieurs milliers sont déjà morts de ce côté de la frontière zaïroise. D'épuisement, de faim et surtout de cette malédiction, jusqu'alors endémique dans cette partie de l'Afrique et que la tragédie rwandaise vient de tirer de la nuit des temps et de porter au rouge : une malédiction qui a nom choléra.

L'épidémie fait tache d'huile. Isabelle Pardieu, porte-parole de MSF, déclare que le choléra frappe non seulement Goma, mais aussi Munigi, à quelque distance de là. L'association y a relevé jeudi 300 cadavres. De même à Kibumba, l'un des plus vastes camps de réfugiés de la région. La population zaïroise commencerait elle aussi à être touchée.

Au choléra, il faut ajouter le paludisme, la dysenterie, la rougeole (qui fait des ravages chez les enfants de moins de cinq ans)… Les sources de mort se juxtaposent pour se démultiplier à l'infini.

Goma et les camps voisins se sont définitivement transformés en lieu d'horreur et de folie. Les camions de secours n'arrivent plus à passer, bloqués par une foule hallucinée ; les réfugiés se battent parfois entre eux pour s'emparer des miettes humanitaires ; pendant ce temps, des gosses s'affaissent dans l'herbe rase et commencent leur agonie. Parfois un véhicule passe, chargé de militaires des FAR ou de miliciens. Parfois également, on trouve des cadavres de personnes tuées à l'arme blanche : des enfants, des femmes ou des hommes suspectés d'appartenir à la communauté tutsie ou d'avoir des sympathies pour le Front patriotique. Le règne de la machette se perpétue, même quand et où l'épidémie décime. Au tueur aveugle qu'est le choléra s'ajoute le tueur raciste de la milice.

Dans toutes les directions, les réfugiés fuient désormais Goma. Y compris en direction du Rwanda, dont l'accès leur est rendu difficile par les troupes zaïroises. Soldats et miliciens de Mobutu apportent une aide sans relâche aux soldats et miliciens d'une dictature rwandaise en déroute, mais toujours aussi sanglante.

Sur la frontière elle-même, des centaines et centaines de personnes s'accumulent, chassées par le choléra et la famine. Et qui veulent rentrer chez eux. Vendredi, le Haut-Commissariat des Nations unies appelait à « un retour rapide des réfugiés. Nous ne pouvons continuer dans les conditions actuelles ». Et Panos Moumtzis, porte-parole du Haut-Commissariat, précisait : « Le HCR sera présent en de nombreux points de retour et la MINUAR (Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda - NDLR) sera sur place pour garantir la sécurité du processus. C'est la seule solution au problème. Nous estimons qu'ils peuvent maintenant rentrer en toute sécurité et nous le leur ferons savoir. »

Que vaut cette garantie ? Ou celle théoriquement donnée par les soldats de l'opération « Turquoise » ? Vers la mi-avril, les casques bleus se sont retirés du Rwanda sans seulement tenter de faire barrage aux massacreurs. Et le gouvernement français s'était prononcé pour ce retrait, même si, aujourd'hui, il essaie de faire oublier cette prise de position. Toujours est-il que, selon l'agence Reuter, des Tutsis réfugiés au camp de Kituku, au Zaïre, ont demandé vendredi aux militaires français de les protéger contre les exactions de soldats de l'ex-armée gouvernementale. Ils redoutent de se faire massacrer par les soldats et les miliciens de la dictature présents dans la région. D'après eux, un Tutsi a été tué par des FAR jeudi devant le camp, qui compte 4.500 réfugiés. De plus, quatre Tutsis des environs auraient été lapidés à mort dans Goma.

Dernière « rumeur » diffusée par la propagande des tenants de la dictature : les Tutsis empoisonneraient les ressources en eau ; là serait la cause de l'épidémie de choléra actuellement subie par les camps.

Le journaliste de Reuter s'adressant à un officier français obtenait cette réponse : la sécurité des Tutsis à Goma est certes un « important sujet d'inquiétude », mais il ne faudrait pas oublier que « le mandat de l'ONU à la France concernait une intervention au Rwanda et ne s'étend donc pas au Zaïre »…

JEAN CHATAIN.
Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024