Fiche du document numéro 1433

Num
1433
Date
Mercredi 4 mai 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
167569
Pages
3
Surtitre
Fuyant les massacres qui se poursuivent
Titre
Deux cent cinquante mille Rwandais ont trouvé refuge en Tanzanie
Soustitre
Chassés par les massacres perpétrés par l'armée gouvernementale (en majorité hutue) et les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR, en majorité tutsis), 250 000 civils ont franchi la frontière tanzanienne dans ce que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a décrit comme le plus grand afflux de réfugiés de son histoire.
Nom cité
Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
RUSUMO (frontière rwando-tanzanienne)
de notre envoyé spécial.

Au pied des chutes de Rusumo, ballottés par des eaux encore
tumultueuses, une trentaine de cadavres ont été drossés sur les berges
de l'Akagera par les remous. L'odeur des corps en décomposition monte
jusqu'au pont métallique en surplomb, unique voie de passage asphaltée
entre la Tanzanie et le Rwanda. En face de quelques soldats tanzaniens
débonnaires, une vingtaine de combattants du FPR, très calmes eux aussi,
contrôlent, depuis le 29 avril, le côté rwandais.

Les bâtiments de la douane ne portent que quelques impacts de balles :
la prise du poste-frontière ne semble pas avoir été meurtrière. « Tous
les jours on voit les cadavres passer ; ce sont des gens massacrés plus
au sud par les miliciens
 », explique un jeune combattant, né à Kigali et
engagé dans la guérilla depuis janvier 1991. Il parle français,
contrairement à ses supérieurs, souvent issus de la deuxième génération
des réfugiés rwandais tutsis chassés par les massacres de 1959 et qui
ont grandi en Ouganda.

Selon l'officier qui accepte de parler, « de manière informelle », il
lui était toujours interdit, lundi 2 mai, de laisser entrer au Rwanda
les journalistes ou même les organisations humanitaires « sans
instruction du quartier général
 ». En revanche, il laisse passer les
réfugiés qui veulent rentrer au pays : « Ils étaient près de 200 hier. »
« Et les civils qui veulent traverser vers la Tanzanie ? » Un peu
embarrassé, il se contente de répéter que « la frontière n'est pas
fermée
 ». Mais les 250 000 personnes, en majorité hutues, qui sont
passées en Tanzanie la semaine dernière laissent penser que le FPR n'a
pas été le bienvenu dans la région. Le 29 avril à 18 heures a débuté « le plus grand afflux de réfugiés de l'histoire du HCR » : en
vingt-quatre heures, les 250 000 Rwandais, repoussés par l'offensive du
FPR dans le Sud-Est et qui s'étaient massés sur la frontière, se sont
rués sur le pont de Rusomo pour passer en Tanzanie avant que les
maquisards tutsis n'atteignent la position.

Une fuite organisée



Devant les douanes tanzaniennes, des centaines de machettes et de bêches
sont empilées. Parfois, une lance, une massue ou un godillot de
militaire. Les autorités tanzaniennes ont non seulement désarmé les
réfugiés, mais confisqué tout ce qui pouvait servir à tuer en cas
d'échauffourée dans les camps.

Le flot des réfugiés s'est tari mais, sur la route, quelques dizaines de
familles marchent encore vers le camp de Benako, à 15 kilomètres de la
frontière. Elles arrivent du Rwanda et, craignant les soldats du FPR,
ont préféré traverser l'Akagera, en canoé, en amont de Rusumo. Dans le
camp de Baneko, une dizaine d'ONG sont déjà à pied d'oeuvre. Les
réfugiés, parmi lesquels le HCR n'a pas recensé « plus de quatre ou cinq
blessés
 », ne sont pas en mauvais état : ils ont eu le temps de préparer
leur fuite, d'emporter quelques vivres en entendant les combats se
rapprocher. Certains sont arrivés en voiture, d'autres en poussant leurs
vaches.

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a organisé une première
distribution lundi : 240 tonnes de haricots (1 kilo par personne pour
trois jours). « C'est tout ce que l'on peut faire pour le moment, dit le
docteur Etienne Krug, coordinateur-santé pour le HCR, mais l'urgence est
avant tout la distribution d'eau et la construction de dispensaires
 ».
Dans les prochains jours, jusqu'à ce que le réseau soit organisé, Benako
sera approvisionné par des stocks destinés aux réfugiés burundais de la
crise d'octobre 1993, mais dont les trois quarts sont depuis rentrés
chez eux.

Vu du ciel, le camp s'étale dans la brousse verdoyante des collines,
piquetées de taches bleues. Beaucoup de familles ont déjà tendu sur des
branchages cette précieuse toile de plastique bleu qui les accompagne
dans leur exode. Il s'agit de gens chassés par les combats, depuis le
début de la guerre civile en octobre 1990.

Il y a deux semaines, les 120 000 déplacés du district de Murambi ont
fui à nouveau le FPR, passant du statut de déplacés à celui de réfugiés.
D'après un pilote qui a survolé la région frontalière, les « villages
rwandais sont totalement désertés ; il n'y a plus une chèvre, plus une
poule !
 » Dimanche, une cinquantaine de réfugiés de Baneko ont tout de
même décidé d'aller voir de l'autre côté. Mais la grande majorité a trop
peur de se « faire massacrer par le FPR », selon le HCR.

On a perdu confiance dans notre armée



« Ils tuent les civils, c'est terrible », assure Grégoire Karymira, un
entrepreneur de Murambi qui reconnaît toutefois n'avoir jamais été
témoin direct d'une de ces « tueries ». Autour du camp, la vie
s'organise déjà et un marché bien achalandé a surgi sur le bord de la
route. Depuis la reprise de la guerre civile, le 7 avril,
l'approvisionnement du Rwanda, qui arrive (via la Tanzanie) des ports de
Dar es-Salaam et Mombasa, s'est interrompu.

Après la vague de réfugiés tutsis fuyant les massacres déclenchés par la
mort du président Habyarimana, le 6 avril dernier, ce sont les Hutus qui
fuient aujourd'hui l'avancée des maquisards tutsis du FPR. A quelques
centaines de mètres de la frontière, 3 000 Tutsis rwandais ont trouvé
refuge, il y a un mois, dans un camp de la Croix-Rouge tanzanienne.
Certains disent avoir déjà pris contact avec des officiers du FPR, qui
leur ont conseillé d'attendre un peu avant de rentrer.

Au nord du chef-lieu tanzanien de Ngara, les 16 000 réfugiés tutsis du
camp de Nyakasimbi ont été rejoint, le 1 mai, par 20 000 compatriotes
hutus, qui ont vraisemblablement cherché un autre point de passage que
le pont de Rusumo, tenu par le FPR. La voie est libre, plus au nord, à
travers les marécages du parc national de l'Akagera. Cachés dans les
fourrés durant le jour, les fuyards ne se déplacent que la nuit, sur un
sol tellement spongieux qu'il ne faut jamais s'arrêter sous peine
d'enfoncer.

A Baneko, les quelques Tutsis seront séparés du gros des réfugiés dans
quelques jours, pour éviter des risques inutiles. Car la colère gronde
chez les Hutus : « Si on est là, c'est parce qu'on a perdu confiance
dans notre armée
 », explique-t-on. Mais, si le FPR arrive à Kigali, « le
problème ne sera pas résolu pour autant
 », car « on fera comme les
Tutsis, on prendra le maquis
 ».

Doc : avec une carte
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024