Fiche du document numéro 14306

Num
14306
Date
Samedi 16 juillet 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
85773
Pages
2
Urlorg
Titre
Paris pris à son piège
Nom cité
Cote
no 15527
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le peuple rwandais déjà martyrisé, décimé par un génocide sans égal, est confronté depuis plusieurs jours à de nouvelles épreuves.

La débâcle de la dictature, forcée d'abandonner Kigali sous les coups de boutoir des unités du FPR, avait fait renaître une lueur d'espoir : le cauchemar, peut-être, touchait à sa fin. De fait, la capitale réapprend à vivre. Le premier ministre désigné par les accords d'Arusha s'apprête à former un gouvernement composé de l'ensemble des forces démocratiques. Les survivants sont sortis de leurs caches, chacun recherche d'improbables nouvelles des proches disparus. L'effroyable bilan du régime en déroute, ce sont plusieurs centaines de milliers de victimes, massacrées après avoir été mutilées. Les plus douloureux souvenirs habiteront pour toujours les rescapés de cet holocauste.

Dans leur fuite, les massacreurs entraînent dans la foule de l'exode une population effrayée par une désinformation systématique, selon laquelle elle serait à son tour vouée à la mort dans les zones conquises par le FPR. Le Front patriotique rwandais a, pour sa part, fait savoir qu'il allait observer un cessez-le-feu à la demande du Conseil de sécurité.

Les dirigeants français sont pris au piège de leur opération militaire. Ils ont répété qu'ils n'étaient animés que d'un souci humanitaire en occupant le sud-ouest du pays. Aujourd'hui, la situation des réfugiés devient si précaire que nous nous trouvons à la veille d'une nouvelle catastrophe. Et, comble de malchance pour un gouvernement qui se prétend neutre, les plus hauts responsables du régime assassin ont trouvé refuge dans la zone française. Ils escomptent échapper à leur destin en se fondant dans la masse des malheureux poussés par la guerre à la frontière zaïroise.

La tragédie rwandaise aurait dû - c'eût été salutaire - donner l'occasion à la France d'en finir avec une politique africaine qui a contribué à la terrible situation d'aujourd'hui. Il n'en sera rien. Les déclarations du ministre Roussin laissent pantois : « Tout ce qui a été fait l'a été dans les règles. » L'armement et l'encadrement d'une armée qui s'est rendue coupable de tels crimes ? Pour M. Roussin, la France n'a fait que de « l'instruction militaire ». Pour quel résultat ! Faut-il rappeler ici la lettre du ministère rwandais des Affaires étrangères à l'ambassade de France à Kigali (janvier 1992) - déjà publiée dans « l'Humanité » - confirmant qu'un officier français était chargé de l'organisation de l'armée rwandaise, de l'instruction et de l'entraînement des unités, de l'emploi des forces ? Cet officier était habilité à « se déplacer dans les secteurs opérationnels et à travailler avec les responsables locaux »…

Au lieu de rompre totalement avec ces dictateurs en déroute, les dirigeants français semblent continuer de croire à la fiction d'un pouvoir qu'il faudrait partager entre les bourreaux et les forces qui, aujourd'hui, veulent redonner vie au Rwanda. Même les Etats-Unis, et avec retard, ont annoncé qu'ils ne reconnaissaient plus le prétendu « gouvernement intérimaire ». La France « assume », paraît-il. Mais dans quel but ? Si ne n'est la crainte qu'une remise en cause de son soutien aux régimes autoritaires de la région n'y encourage les aspirations à la démocratie. La question vaut d'être posée.

Jean-Paul Piérot
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024