Fiche du document numéro 14120

Num
14120
Date
Jeudi 30 juin 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
101152
Pages
1
Sur titre
Après le massacre
Titre
« Le Malin rôde encore... »
Cote
Nº 1547
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
L'église se dresse aux portes du Paradis. Les grands eucalyptus caressent son clocher de briques jaunes, dégageant un parfum rassurant, qui domine le panorama grandiose du lac Kivu. Quelques vaches paissent tranquillement sous les bananiers. Il faut s'approcher pour voir que le Diable est passé par là. Les religieuses et le prêtre tentent de cacher leur émotion derrière un petit rire surréaliste. Ils ont gardé la peur au ventre, demandant à ce qu'aucun nom n'apparaisse. Malgré la présence française, la région n'est pas vraiment sûre. « Le Malin rôde encore tout près et il a encore faim » dit l'abbé. D'après le curé, ce sont près de 5 000 Tutsis qui ont été massacrés dans l'église et les bâtiments attenants du séminaire et de l'école. Il ne reste que des vitraux brisés, des murs et des plafonds tachés de sang et quelques monticules de terre rouge fraichement retournée. Derrière l'école, en contrebas, une fosse commune recèle plus de 2 000 corps assure le prêtre. C'est lui et les soeurs qui ont enterré les victimes « dans des grands trous », et nettoyé les dalles de l'église. Le grand carnage a eu lieu le 29 avril, vers 16 h 30. Une centaine de Hutus excités venus de Bugarama, connue pour la férocité de ses miliciens, ont tué sans discontinuer à la machette, à la grenade et à l'acide, ceux qui s'étaient réfugiés là. Ils sont revenus le lendemain pour achever les blessés et jeter dans les puits ceux qui enterraient leurs proches. Chaque lieu sacré est devenu un atelier de boucherie. Pour tous ces martyrs, comme pour bien d'autres, l'armée française arrive bien trop tard. Les soldats devront se rendre à l'évidence: mis à part ceux du camp de Nanyoushishi (voir article), il n'y a plus beaucoup de Tutsis dans cette région du Rwanda. L'organisation CARE estime à près de 500 000 le nombre de déplacés hutus ayant besoin d'aide dans le sud-ouest du pays. Pour les Tutsis, il reste des monticules de terre rouge au pied de chaque colline. Et peut-être cette fable africaine écrite sur un tableau de l'école par un gamin qui allait mourir: celle « du coq et du chacal », racontant l'histoire du volatile qui finit dans la gueule du prédateur. A côté d'un des paragraphes, il y a deux noms, celui de Minuar et celui du « Jeneral Daleire », patronyme un peu déformé du patron des Casques bleus de Kigali.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024