Fiche du document numéro 14028

Num
14028
Date
Vendredi 24 juin 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
105890
Pages
2
Urlorg
Titre
Rwanda : 2.500 soldats français sur pied de guerre
Page
2-3
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Lieu cité
Cote
no 15508
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
LES forces françaises participant à l'opération Turquoise ont fait leur entrée au Rwanda hier après-midi : des premiers éléments de reconnaissance ont passé la frontière zaïroise, appuyés par des hélicoptères. L'opération militaire avait officiellement démarré hier avec le positionnement de plusieurs centaines de soldats à la frontière zaïroise. Dans la nuit de mercredi à jeudi - peu après l'annonce du vote, par le Conseil de sécurité des Nations unies, de la résolution 929 autorisant l'opération - a commencé l'acheminement de troupes par avion, à partir de Bangui (capitale du Centrafrique), vers les deux bases de Goma et Bukavu. Par ailleurs, des avions Jaguar sont déplacés du Centrafrique vers la piste de Kisangani, au nord-est du Zaïre, pour « appuyer » le dispositif terrestre.

Le général Jean-Claude Lafourcade, qui commande l'opération Turquoise, est parti de Paris mercredi soir pour rejoindre ses troupes à Bangui, coeur opérationnel de cette intervention. Dans la soirée de jeudi, de 500 à 600 hommes, provenant notamment du régiment d'infanterie de chars de marine (RICM) appuyé par une section du 11e RAMa (mortiers lourds) et une autre du 6e REG (génie de combat), devaient être répartis sur les deux bases.

Cette intervention dite « humanitaire » sera alors envisagée en territoire rwandais, à partir de Cyangugu, dans le sud-ouest du pays. Le nom de cette ville est, en soi, un véritable symbole : le préfet de Cyangugu a personnellement organisé des massacres de villages entiers. Lorsqu'il n'arrivait pas à recruter des tueurs de Tutsis dans les villages hutus environnants, il a fait donner directement l'armée. Question : ce préfet est-il toujours en place ? Et si oui, s'occupera-t-il de la réception des soldats français dans sa région ? Enfin, Alain Juppé a assuré que le gouvernement français se prononçait pour la formation d'un tribunal international et le jugement des responsables du génocide. S'il pense vraiment ce qu'il dit, nous pouvons lui signaler que le haut fonctionnaire qui va entrer en contact avec les officiers du corps expéditionnaire est l'un des responsables directs des carnages qui continuent d'ensanglanter le sud du pays. Voici son nom : Emmanuel Bagimbiki.

Goma est une tête de pont disposant d'infrastructures, notamment pour accueillir des avions de transport de troupes, tandis que Bukavu est située à quelques kilomètres de Cyangugu, côté zaïrois de la frontière. C'est à Cyangugu, ville-préfecture rwandaise, que les organisations non gouvernementales (ONG) ont signalé la présence d'environ 8.000 Tutsis menacés par les forces gouvernementales et leurs relais miliciens.

L'opération Turquoise doit mobiliser au total 2.500 hommes, dont 1.000 pourraient être amenés à pénétrer en territoire rwandais, ont indiqué les autorités militaires. Sur ces 2.500 hommes qui sont rassemblés à Bangui, 1.500 sont tirés des forces françaises stationnées à Djibouti, à la Réunion, au Gabon et du contingent français déjà stationné au Centrafrique. Un millier viendrait de France.

Appréhendant les dangers militaires et politiques induits par l'opération Turquoise (comment ne pas penser au fiasco de la force multinationale sous commandement américain en Somalie ?), les responsables français assurent que celle-ci n'aura qu'une durée très limitée. « Il y a risque bien entendu - a déclaré, hier, Alain Lamassoure, ministre chargé des Affaires européennes - il y aurait eu dix bonnes raisons de ne pas aller au Rwanda, mais il y a une raison essentielle d'y aller, c'est qu'il y a tout un peuple qui est en train de mourir. » Le genre d'envolée qui ne risque pas de rasséréner le Front patriotique, qui garde en mémoire le soutien militaire français à la dictature en 1990 et 1992. L'alibi humanitaire avait alors déjà été utilisé par Paris.

La mécanique continue de se mettre en place. Jeudi soir, les militaires stationnés sur la base aérienne d'Istres (Bouches-du-Rhône) devaient achever l'acheminement en matériel (commencé dimanche) permettant aux soldats français de « mener à bien » leur mission au Rwanda. Seize avions gros porteurs (dont 4 Antonov, loués pour la circonstance à la Russie) ont embarqué, en moins de cinq jours, 650 tonnes de matériel, 7 hélicoptères et 97 véhicules tout-terrain. Commentaire du colonel Thouverez, commandant de la base aérienne : « Ce type de mission cadre parfaitement avec celles que nous sommes habitués à accomplir. L'opération Turquoise ne constitue pour nous aucune difficulté. »

Les forces concernées devraient intervenir aujourd'hui ou demain dans la région de Gisenyi (nord-ouest du Rwanda), a-t-on appris à l'état-major des armées. Cette ville, au nord du lac Kivu, est située à une vingtaine de kilomètres de la frontière zaïroise, en face de Goma, l'une des deux têtes de pont de l'opération Turquoise.

JEAN CHATAIN.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024