Fiche du document numéro 13970

Num
13970
Date
Mardi 21 juin 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
113737
Pages
2
Urlorg
Titre
Le premier ministre rwandais dit non à l'intervention française
Page
2-3
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Cote
no 15505
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
C'EST aujourd'hui que le Conseil de sécurité de l'ONU étudie la résolution présentée par la France. Alain Juppé s'est dit « confiant » sur la décision des quinze membres de l'instance de l'ONU. « Je ne vois pas quelle grande puissance ou quel membre du Conseil de sécurité pourrait s'opposer à une telle initiative humanitaire », a indiqué le chef de la diplomatie française.

Mobutu en gendarme



Le caractère « humanitaire », ostensiblement mis en avant par les autorités françaises, ne semble convaincre que peu de monde. Les Italiens avaient applaudi des deux mains à l'initiative française. Ils ont corrigé le tir. « Les Français agissent de façon unilatérale et nous n'avons pas l'intention d'y participer. » Le jugement du ministre de la Défense, Cesare Previti, est sans appel. Le gouvernement de Silvio Berlusconi se dit prêt à s'investir dans une telle opération mais seulement s'il y a « un accord au niveau international ».

La France apparaît de plus en plus isolée sur le plan international. Les principaux pays occidentaux déclinent l'invitation d'engager leurs troupes tandis que nombre de pays africains ne sont pas enchantés à l'idée d'être engagés sous la bannière de Paris. Seul Mobutu fait montre d'un enthousiasme débordant à l'idée de se voir confier le rôle de gendarme de l'Afrique centrale.

Alain Juppé se tourne vers le FPR et tente de le persuader que l'opération française n'est pas dirigée contre lui. Le ministre des Affaires étrangères a précisé que Paris allait « avoir cette semaine des contacts avec le premier ministre rwandais désigné au titre des accords d'Arusha
(prévoyant un gouvernement à base élargie, NDLR), qui est donc reconnu par tout le monde. Nous avons également des contacts sur place (…) Nous aurons également des contacts à New York et à Paris avec les responsables du FPR ».

Justin Twagiramungu, le premier ministre « reconnu par tout le monde » dont parlait justement Alain Juppé, a fait connaître sa position dimanche. « Nous ne pouvons pas accepter une telle intervention », a-t-il dit, rappelant que la France avait aidé la garde présidentielle, responsable des massacres. Il s'est aussi demandé ce qui poussait Paris à intervenir aujourd'hui alors que, depuis deux mois, c'est le silence radio qui prévalait. Enfin, Justin Twagiramungu a réaffirmé sa foi dans les accords de paix d'Arusha : « Nous ne pourrons jamais accepter que cet accord soit caduc. » Quant au général Paul Kagamé, chef militaire du FPR, il a décliné l'offre de rencontre proposée par l'ambassadeur de France au Rwanda.

Juppé dédouane la France



S'offusquant du « procès d'intention intenté à la France qui aurait été coupable directement ou indirectement de ce qui se passe » au Rwanda, le ministre des Affaires étrangères a lâché : « On reproche à la France d'avoir soutenu Habyarimana, comme s'il était responsable de ce qui se passe aujourd'hui. » Selon lui, le dictateur rwandais a réussi « à imposer les accords d'Arusha de 1993, salués par tout le monde comme des accords de réconciliation, y compris par le FPR ».

Bref, Paris tente d'utiliser tous les artifices juridiques et politiques possibles pour justifier son retour en armes sur ses ex-terres de colonisation. Les pays membres du Conseil de sécurité de l'ONU se contenteront certainement d'accorder leur feu vert à l'opération française. Les Etats-Unis promettent une aide logistique et financière, mais surtout pas de soldats. Le souvenir du désastreux Restore Hope en Somalie reste présent dans tous les esprits. Il est à craindre que Paris se prépare de telles mésaventures. D'autant plus qu'il est question d'utiliser « tous les moyens nécessaires ».

Comme le note Desmond Tutu, l'issue au drame rwandais passe par l'intervention d'une force africaine. Les 4.000 hommes nécessaires à la constitution de celle-ci sont prêts. Ils n'attendent que l'accord des Nations unies. Les fonds sont débloqués. Tout est donc prêt pour une opération des principaux intéressés. Dès lors, pourquoi la France, pays le plus mal placé - de par son passé colonial et son attitude récente - pour intervenir au Rwanda, s'obstine-t-elle ?

CHRISTOPHE DEROUBAIX
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024