Fiche du document numéro 1372

Num
1372
Date
Mardi 12 avril 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
29598
Pages
2
Titre
Le retour des premiers Français : « On a perdu déjà tellement de copains... »
Sous titre
Le dernier avion transportant des ressortissants français a quitté Kigali, lundi 11 avril dans la matinée. Au total, 585 Français ont été rapatriés, seul un effectif réduit de diplomates et de coopérants ayant été maintenu à Kigali. L'évacuation a été assurée par les parachutistes des 3e et 8e régiments parachutiste d'infanterie de marine, qui ont pris en charge des ressortissants d'autres pays, dont 97 enfants rwandais de l'orphelinat Sainte-Agathe, embarqués à destination de Bangui.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Elles sont arrivées dimanche peu avant minuit, les couvertures de
l'avion encore sur le dos, grelottant en tenue d'été, en serrant leurs
enfants. En pénétrant dans le pavillon d'honneur de l'aéroport de
Roissy, elles sont tombées, en larmes, dans les bras de parents, d'amis
: tout était fini. Les premiers rapatriés français quarante-trois
personnes, en majorité des femmes et des enfants, n'ont pas eu les mots
pour raconter, seulement une peur qu'on lit sur les visages, celle des
coups de feu et des tirs de mortier, des balles qui traversent les
fenêtres et l'attente.

Sans nouvelles, à l'écoute des bulletins de Radio-France Internationale,
les ressortissants français s'étaient claquemurés chez eux, dès
l'annonce mercredi 6 avril, de l'explosion de l'avion présidentiel,
entrevoyant des scènes de pillage chez les voisins d'en face, des
cadavres dans les rues et vivant l'espoir qu'un jour, on vienne les
chercher.

« Tu sais, l'intendante de l'école française, ils l'ont tuée, elle a été
la première
 », annonce une jeune professeur à une ancienne collègue
venue l'accueillir à Roissy. Sylvie, institutrice de vingt-cinq ans,
écrivait des lettres à ses parents en les invitant à venir dans « ce
paradis
 ». « Elle disait que c'était la douceur de vivre, un pays plein
de fleurs, elle s'était mariée à un Tutsi, le petit-fils de l'ancienne
reine, ils voulaient s'installer là-bas, faire construire une maison
 »,
raconte sa mère avant d'accueillir sa fille en pleurs.

« Rien n'est contrôlé »



« Je pars sans regrets, nous n'avions pas le choix, c'est un immense
gâchis, dit une professeur d'anglais qui vivait au Rwanda depuis onze
ans, j'y perd mes amis, mes collègues et maintenant la question sera de
savoir qui d'entre eux restera en vie.
 » « L'horreur, l'inimaginable,
des pulsions totalement irrationnelles, rien n'est contrôlé
 », résume
une autre. Certains rapatriés s'inquiètent du sort de Rwandais menacés,
qui ont eu le réflexe de se réfugier chez des Occidentaux. « Et
maintenant que les Blancs sont partis, qui va les protéger ?
 »,
s'interroge un ancien coopérant qui souhaite le déploiement d'une force
d'interposition de l'ONU.

Selon lui, la population tutsie n'est pas la seule menacée, mais « tous
ceux qui, de près ou de loin, ont manifesté une sympathie pour le FPR

[Front patriotique rwandais], et simplement les commerçants, les chefs
d'entreprise qui ont des employés tutsis. Un ami rwandais a eu une
visite des gendarmes. Ces derniers ont vu qu'il avait une plaque
d'immatriculation marquée
« IT », ce qui indique qu'il travaille pour un
projet de coopération. Ils se sont retenus, ils lui ont dit :
« Tu as de
la chance pour aujourd'hui. » Qu'en sera-t-il pour demain ? On a perdu
déjà tellement de copains...
 »
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024