Fiche du document numéro 12644

Num
12644
Date
Lundi 5 octobre 1992
Amj
Auteur
Fichier
Taille
145070
Pages
2
Urlorg
Titre
La sauce européenne
Soustitre
La démocratisation bruyamment annoncée par François Mitterrand à La Baule il y a deux ans fera place aux menaces que les conséquences du traité de Maastricht font planer sur la zone franc, où le CFA est menacé de dévaluation.
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
À Libreville, Gabon, où s'ouvre aujourd'hui le 17e sommet franco-africain, les festivités ont commencé dès samedi avec une manifestation devant le camp militaire Général-de-Gaulle, qui abrite les troupes françaises. La Coordination de l'opposition démocratique (COD) entendait - et pas n'importe où - se rappeler au souvenir des délégations attendues par le président Omar Bongo, qui règne depuis vingt-cinq ans sur le pays grâce à l'affectueuse protection de Paris, quel que soit le locataire de l'Elysée. La COD, en marge des cérémonies officielles, a en outre décidé d'organiser un « Sommet des peuples », un contre-sommet en guise de rappel aux réalités de l'heure. Selon le Parti gabonais du progrès (PGP), et le Front africain pour la reconstruction (FAR), membres de la coordination, le pince-fesse de Libreville, « dans la situation actuelle du Gabon, constituerait une caution apportée à un antidémocrate notoire, et un soutien manifeste au candidat Bongo pour les futures échéances électorales », le Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir) mettant « en place un dispositif de fraude électorale pour tronquer les résultats ».

Il y a deux ans, à La Baule, le précédent sommet franco-africain avait été, sous le regard de François Mitterrand, le cadre d'une formidable opération médiatique sur la « démocratisation » dans les pays plus ou moins contrôlés par la France. L'Élysée avait bruyamment agité l'arme de l'aide au développement, afin d'obtenir d'alliés trop compromettants qu'ils s'évertuent à donner une meilleure image de leur pays. Cela ne s'est pas passé sans bavures, d'autant plus que la volonté du gouvernement français n'était que de façade.

C'est ainsi que le PGP, chez lui, « ne peut se contenter de l'illusion démocratique à laquelle le sommet France-Afrique apporterait sa caution ».

Les participants à la grand-messe seront d'ailleurs plutôt discrets quant à la question. Si, à Paris, une source gouvernementale officieuse, mais discrète, se félicitait encore ces dernières heures de ce que l'on jugeait ici où là l'attitude de la France « positive et admirable », il ne saurait être question à Libreville, ajoutait-on, de « ramasser les copies pour donner de bonnes notes ou une sucette à l'élève qui réussit ». Au Bénin, au Mali, au Congo les choses semblent avoir bien tourné. Au Maroc (Hassan II ne viendra pas à Libreville), en Centrafrique (le président Kolingba sera absent), au Cameroun (Paul Biya boude), ou à Djibouti rien n'a changé. Au Zaïre, au Togo, au Rwanda la répression s'est accrue, les « recommandations » de l'Élysée étant demeurées lettre morte. Il est vrai que ce dernier, peu soucieux de déposer ses oeufs dans le même panier, a adopté un double langage et reste là où il le juge nécessaire le soutien de sanglants dictateurs.

La délégation française, en l'absence de François Mitterrand retenu à Paris pour raisons de santé, sera conduite par le premier ministre, Pierre Bérégovoy, accompagné de Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères, Marcel Debarge, ministre délégué à la Coopération et au Développement, et Catherine Tasca, secrétaire d'Etat à la Francophonie et aux Relations culturelles extérieures.

La quinzaine de chefs d'Etat africains qu'ils auront l'occasion de rencontrer ne seront que marginalement concernés par la « prime à la démocratisation » annoncée à La Baule, encore moins par la francophonie. C'est, bien sûr, la coopération, le développement et la dette qui seront en réalité à l'ordre du jour, comme à chaque sommet du genre. D'autant plus que ces derniers mois ont été marqués par la menace que fait peser sur les partenaires de la France l'évolution du processus européen. Le traité de Maastricht sera dans toutes les bouches, et singulièrement la perspective de la monnaie unique. Dans leur majorité, les pays francophones du continent noir sont prisonniers de la zone franc, via le franc CFA dont la parité avec notre monnaie est fixe.

Les bruits courent d'une dévaluation du CFA, qui n'aurait évidemment pas lieu sous le contrôle des Etats concernés. A l'instar - mais de manière différente - de nos départements et territoires d'outre-mer, leur économie sera-t-elle sacrifiée sur l'autel de la construction européenne ? Paris a multiplié les dénégations, sans rassurer quiconque, et Bruxelles garde bouche cousue.

Pierre Bérégovoy, qui à Libreville sera logé dans l'enceinte de la Cité de la démocratie, donnera certes des assurances. Tous risques ?

Claude Kroës.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024