Fiche du document numéro 12402

Num
12402
Date
Mardi 16 octobre 1990
Amj
Auteur
Fichier
Taille
131766
Pages
2
Urlorg
Sur titre
Témoignage
Titre
Rwanda - Les réfugiés dénoncent les massacres perpétrés par l'armée
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le premier ministre belge, M. Wilfried Martens, était attendu, lundi 15 octobre, à Nairobi (Kenya) où il doit rencontrer le président Habyarimana, afin que soit mis fin aux tueries qui ensanglantent le nord du Rwanda. Selon le ministre de la justice, sur les quelque deux mille cinq cents personnes arrêtées au lendemain de l'invasion des rebelles, plus de mille ont été relâchées.

« Les soldats sont arrivés au ranch avec une liste de noms. Ils ont commencé à faire l'appel devant les villageois et abattaient chaque personne qui approchait en entendant son nom. Estimant que cela allait prendre trop de temps, ils ont fini par ouvrir le feu sur tout le monde », raconte Joseph Mwuvyaneza, instituteur à Gakirage.

Il a déjà dénombré près de trois cent cinquante tués pour la seule région du Mutara (nord-est du Rwanda) en recoupant soigneusement les témoignages des réfugiés. Il tient à jour, sur un cahier d'écolier, un registre de toutes les arrivées. Après six heures de marche, lundi 8 octobre, Joseph a trouvé refuge en Ouganda, à quelques centaines de mètres de la rivière marécageuse qui le sépare désormais de son pays. Dimanche soir, l'organisation britannique Oxfam estimait le nombre de réfugiés à quatre mille : deux mille à Kizinga et deux mille à Kamwezi, deux villages frontaliers perdus au bout d'une mauvaise piste, à deux heures de la route la plus proche. Quelques marmites de haricots sont posées sur des feux. Du linge sèche sur l'herbe. Une jeune femme, assise sous un arbre, allaite son bébé. Elle a accouché en chemin, l'avant-veille. Son mari a été tué. Plus loin, quelques blessés somnolent. Leurs vêtements portent encore des taches de sang, souvenirs de coups de machette. Des familles, installées à l'ombre, attendent, comme tous les réfugiés du monde. Les gosses traînent et gambadent un peu partout. On aperçoit à proximité les troupeaux de ceux qui, par miracle, ont pu les emmener.

Un camion de l'armée ougandaise arrive sur le chemin avec un chargement de haricots et de farine de maïs. Les réfugiés manquent de tout. De nourriture, mais également de couvertures et de médicaments. Aucun rebelle en armes, aucun membre du « Front patriotique rwandais » pour prendre en charge les réfugiés. Tout juste un petit détachement de soldats ougandais qui ne « s'attendent pas à ce que les militaires rwandais, lorsqu'ils arriveront à la frontière, bombardent les réfugiés qui sont sous leur protection ».

Les témoignages des réfugiés se recoupent. Les soldats ont pénétré dans les ranchs où sont regroupés les éleveurs pour la plupart Tutsis suivis par les agriculteurs des villages voisins. Après que les soldats eurent commencé de tirer, les paysans Hutus, armés de machettes et de gourdins, se sont chargés des fuyards et des blessés.

Renforcer les divisions ethniques



Théogène, comme ses compatriotes, n'en veut pas aux rebelles qui les ont protégés en ralentissant l'avancée des forces régulières. Ce ne sont pas les rebelles qui sont à l'origine de leurs malheurs, explique-t-il, mais bien le président Habyarimana qui refuse de laisser rentrer les réfugiés, rejetés à la fois par la population ougandaise et par l'Etat rwandais. A en croire Théogène, Hutus et Tutsis du Mutara ont, pendant très longtemps, vécu en bonne entente. C'est l'arrivée, dans les années 70, des Hutus originaires du Nord-Ouest, qui a ravivé les tensions communautaires.

Lors de la mise en valeur de la région, le gouvernement a décidé de regrouper les pasteurs Tutsis dans des « ranchs » et les paysans Hutus, souvent déplacés de régions surpeuplées, dans des « paysannats ». Ce qui n'a pas forcément incité les habitants à vivre en bonne harmonie. Quoi qu'il en soit, l'armée, aujourd'hui, ne fait pas de détail. En présumant que tous les habitants des ranchs sont des Tutsis et donc des partisans des rebelles, elle n'aura fait que renforcer les clichés de la division ethnique. Des pasteurs hutus en ont fait les frais, qui figurent aujourd'hui parmi les réfugiés en Ouganda.

C'est le cas de Gervais Muzindusi, agriculteur hutu résidant dans un paysannat, mais qui avait la chance (ou la malchance) de posséder un petit troupeau. Ses vaches ont bien failli perdre leur maître : à cause d'elles, il s'est vu accusé par ses voisins d'être complice des rebelles. Attaqué à coups de machette, il a dû fuir, lui aussi. La saga des Rwandais d'Ouganda, où on les considère toujours comme étrangers, avait été marquée par les spectaculaires exils de 1949 [1959 ?] et de 1973. L'année 1990 semble devoir ouvrir un nouveau chapitre à cette tragédie.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024