Fiche du document numéro 10803

Num
10803
Date
1963
Amj
Auteur
Fichier
Taille
236410
Pages
5
Urlorg
Titre
Les pages martyrs de l’Ouganda [Extrait : « Les martyrs Ougandais »]
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Extrait de
Daniel Rops, Légende dorée de mes filleuls.
Type
Livre (extrait)
Langue
FR
Citation
— Non, je ne trahirai pas le serment de mon baptême ! Non, je n’accepterai pas de revenir aux idoles, aux fétiches ! Non, non… je préfère mourir !

À quel moment de l’histoire sommes-nous donc ? À Rome, à l’époque des grandes persécutions, et cette jeune voix qui proclame ainsi sa foi, est-ce celle d’un frère de sainte Agnès, de sainte Blandine ; celle d’un martyr du IIIe ou du IVe siècle ? Nullement, nous sommes en plein XIXe siècle. Il y a environ soixante-cinq ans. Et où donc ? Regardez.

Les martyrs Ougandais



Les jeunes enfants sont noirs, absolument noirs, oui de jeunes nègres de quatorze ou quinze ans. Alignés les uns à côté des autres, une quarantaine, ils sont enfermés dans des cages en bambous ; leur cou est pris dans une fourche et de lourdes pièces de bois leur emprisonnent un pied et un poignet. Devant eux s’agitent des sortes de monstres grotesques et horribles en grand nombre ; le visage enduit d’argile rouge, zébré de traînées de suie, la tête hérissée de plumes, des peaux de bêtes attachées autour des reins, un collier d’ossements battant sur la poitrine et des grelots tintant à leurs chevilles, ce sont des sorciers. Mais leurs gesticulations menaçantes,leurs cris, leurs chants sauvages, pas plus que les préparatifs du grand bûcher qu’on élève non loin de là, rien ne peut faire fléchir le courage de ces jeunes héros du Christ.

Ils mourront tous, sans un moment de faiblesse, sans qu’un seul abandonne la foi et trahisse. Cette histoire des petits martyrs de l’Ouganda est un des plus beaux chapitres de toute la grande histoire de l’Église… Écoutez-la !

L’immense continent noir, l’Afrique, a été pénétré par le Christianisme surtout depuis un siècle… Et cette pénétration a été l’œuvre d’hommes admirables, les Missionnaires, prêtres et moines d’un dévouement sans trêve, d’un courage à toute épreuve, d’une merveilleuse bonté. Aussi braves quand il s’agit d’aller, en des pays hostiles, parmi des peuples encore sauvages, pour y semer la bonne parole du Christ, l’Évangile, que patients et bons organisateurs quand il s’agit ensuite de vivre au milieu des noirs, pour leur apporter non seulement l’enseignement chrétien, mais toutes sortes de secours, les missionnaires ont été, dans toute l’Afrique, de véritables conquérants pacifiques qui, sans armes, ont gagné à la civilisation des espaces géants. Aujourd’hui, il n’est contrée si lointaine, si perdue, qui n’ait ses Missionnaires. Au Père, les indigènes viennent demander tout : un conseil, un médicament, une protection. Si l’Église a désormais des milliers de fidèles dans le continent noir, c’est aux Missionnaires que ce grand succès est dû.

Le cardinal Lavigerie

Parmi ceux qui ont participé le mieux à cette grande tâche se trouvent au premier rang les Pères Blancs. Ils ont été fondés par un homme de génie, le Cardinal Lavigerie, tout exprès pour vivre la même vie que les indigènes, s’habillant comme eux, parlant leur langue, aidés aussi par les Sœurs Blanches qui, vivant de la même façon, s’occupent spécialement des femmes et des enfants. « II y a là-bas cent millions d’êtres humains qui attendent le Christ ; je veux les donner à Lui ! » s’était écrié un jour Lavigerie devant le Pape Pie IX. Et, fidèles à cette promesse, Pères blancs et Sœurs blanches n’ont pas cessé, depuis lors, de travailler à sa réalisation.

Vers 1880, les Pères blancs avaient pénétré dans l’Ouganda. Savez-vous où se trouve, sur la carte d’Afrique, ce pays ? Regardez au sud du Soudan et de l’Éthiopie, c’est-à-dire à l’est du continent. Là s’étend un immense plateau, grand à peu près comme la France, que domine la puissante masse du volcan Elgon. Une magnifique nappe d’eau, le lac Victoria, - si vaste qu’il s’y produit de petites marées, - en occupe le sud, et c’est de ce lac que sort une des deux rivières qui, en s’unissant, vont former le Nil. Ce haut plateau, où le climat est frais, où les pluies sont suffisantes sans être excessives, ne manque pas de richesses : bananiers, épices, café, maïs, sorgho, bœufs et moutons y font vivre à l’aise une population qui se développe. Cette population est formée de nègres ; des nègres intelligents, travailleurs, qu’on appelle « bantous ».

Comme la presque totalité des nègres d’Afrique, les bantous de l’Ouganda étaient, il y a quatre-vingts ans, fétichistes, c’est-à-dire qu’ils adoraient des sortes de divinités grossières représentées par des pieux sculptés, des idoles nombreuses, auxquels ils faisaient des sacrifices sanglants. Cependant les Arabes de la côte exerçaient sur eux une certaine influence et cherchaient à les gagner à leur religion : l’Islam, la doctrine de Mahomet. Aussi, pour les missionnaires du Christ, la situation n’était-elle pas commode.

Missionaires à la rencontre des Africains

Et cependant, ils réussirent d’éclatante façon. Après moins de cinq ans d’évangélisation, dans maints districts de l’Ouganda des groupes de chrétiens se formèrent, extrêmement fervents et dévoués. En certaines bourgades, on en comptait deux cent cinquante et davantage. Leur nombre croissait de mois en mois. Avant même d’avoir reçu le baptême, les catéchumènes commençaient déjà à faire de la propagande parmi leurs amis, dans leurs familles, et il n’était guère d’entre eux qui n’amenât avec lui une nouvelle recrue.

Bientôt même, il y eut des chrétiens dans l’entourage du roi, parmi les jeunes gens des meilleures familles qui servaient autour de lui comme autrefois, chez les rois d’Europe, servaient les pages. Le chef des pages, quelque chose comme le régisseur du Palais royal, Charles Louanga, étant devenu chrétien, un grand nombre des pages l’avaient suivi. Et ainsi, à deux pas du roitelet, encore fétichiste, on célébrait les cérémonies chrétiennes avec foi.

Or ce roi, nommé Mouanga, était un garçon jeune, violent, qui se laissait aller à de terribles mouvements de colère et qui, de plus, était fort influençable : ceux qui avaient sa confiance lui faisaient faire à peu près tout ce qu’ils voulaient. À cette époque, celui qui avait toute sa confiance était son premier ministre, lequel haïssait Charles Louanga et les chrétiens. En toute occasion, il répétait au roitelet que ces missionnaires n’étaient que des agents chargés par les Blancs de ruiner son autorité, que, s’il les laissait continuer leur propagande, il verrait bientôt les Anglais, les Français, les Allemands envahir ses États, venant de toutes les directions. Et les commerçants arabes auxquels l’Ouganda vendait ses marchandises, répétaient au triste Mouanga qu’il ferait bien mieux d’embrasser la religion de Mahomet.

Au début, Mouanga hésita. Un jour, il annonça qu’il allait faire de l’Islam la religion obligatoire de tous ses sujets ; mais un des Pères Blancs qui vivaient dans le pays se présenta devant lui avec courage et réclama le droit pour tous de prier Dieu de la façon qui lui plairait, et il obtint gain de cause. Mouanga n’osait pas s’attaquer aux Blancs, de peur de provoquer une expédition d’une puissance européenne. Seulement, il n’en mûrissait pas moins sa colère contre ceux de son peuple qui avaient accepté le baptême. Un jour cette colère éclata.

À l’automne de 1885, dans un accès de fureur, il fit brûler vif un de ses conseillers, Joseph Moukassa, qui était chrétien. En mourant, le martyr avait prononcé des paroles sublimes, celles de Jésus sur la croix : « Allez dire à Mouanga que je lui pardonne de tout mon cœur et que je lui conseille de se repentir. » Ce supplice, au lieu d’effrayer les chrétiens, n’avait fait qu’exalter leur courage. La situation était si tendue que les Pères Blancs, avant de donner le baptême à ceux qui le demandaient, leur disaient très franchement qu’ils risquaient leur vie, qu’il fallait bien réfléchir avant de recevoir l’Eau Sainte du sacrement. Mais le nombre des baptisés n’en croissait pas moins, très vite.

Parmi les pages, c’était une véritable émulation à qui se montrerait meilleur chrétien ! Sans cesse des groupes de ces jeunes gens, à qui l’excellent Charles Louanga avait parlé du Christ et de la vérité chrétienne, arrivaient chez les missionnaires et demandaient à être baptisés. Le souvenir de leur martyr, de Joseph Moukassa, les exaltait dans leur détermination. Une fois c’étaient vingt-deux baptêmes, une autre fois quinze. Tant et si bien que presque tous les pages du roi furent chrétiens.

Celui-ci, bien entendu, ne l’ignorait pas. Un jour, comme il passait en revue le bataillon des pages, le petit despote cria : « Que ceux qui ne prient pas avec les Blancs sortent des rangs ! » II y en eut trois seulement. Tous les autres étaient baptisés ou avaient résolu de l’être. Le roi entra dans une de ces fureurs terribles dont il avait le secret. Il ordonna au premier ministre d’enfermer tous ces jeunes gens dans un camp, bien gardé par des sentinelles, en attendant qu’il eût décidé de leur sort. Et il se mit à hurler : « II faut que je me débarrasse de ces scélérats qui veulent me détrôner ! Il faut que je les massacre tous ! » Et comme une de ses sœurs essayait d’implorer leur grâce, il saisit un des jeunes pages dont on lui avait dit qu’il apprenait le catéchisme et il le tua de sa propre main.

Pages d'Ouganda chrétien

Durant des mois, de longs et sévères mois, les pages furent maintenus dans le camp de concentration, à peine nourris, menacés sans cesse. Tous les jours on leur annonçait qu’ils allaient être torturés, brûlés vifs, déchiquetés, jetés aux fauves. Aucun ne fléchit. Derrière les grilles de bambous, ils priaient tous ensemble et leur grand chef, le bon Charles Louanga, baptisait même, dans le camp, quatre d’entre eux qui n’avaient pas encore reçu l’Eau Sainte avant d’être arrêtés.

Roi d'Ouganda condamnant les pages

Quand il apprit cette nouvelle, le roi fut au comble de l’exaspération. Il réunit son conseil et annonça que les jeunes pages qui persisteraient à être chrétiens mourraient. Il était si menaçant que les parents mêmes de la plupart des pages se soumirent, épouvantés, et s’écrièrent : « Roi, tues-les donc, ces enfants ingrats et rebelles ! Nous t’en donnerons d’autres ! » « Qu’ils meurent tous ! » cria le roitelet. Et se tournant vers les petits chrétiens, il ajouta avec un rire sinistre : « Allez manger votre vache chez votre Père du ciel ! »

Mais, même devant la menace imminente de la mort, aucun ne trahit. Tous déclarèrent qu’ils préféraient le supplice au parjure. Il y avait parmi eux le petit Mbaga, âgé de quatorze ans, le fils du bourreau en chef, à qui son père proposa de le faire fuir et qui refusa, à qui sa mère demanda, avec des supplications, de déclarer qu’il ne priait plus avec les Blancs, et qui refusa encore… Ces enfants héroïques n’étaient-ils pas dignes des martyrs de jadis ?

Leur mort fut aussi admirable. On commença par les emmener, à pied, enchaînés, entravés, à plus de soixante kilomètres de la capitale, en pleine forêt, - sans doute de peur que le spectacle de toutes ces jeunes victimes exaspérât la passion du peuple et provoquât une révolte. Ceux qui, le long de cette dure route, se montrèrent trop faibles, ceux qui tombèrent, ceux dont les chevilles enflèrent, furent abattus d’un coup de sagaie, sur place. La nuit, on les attachait encore davantage, on les enfermait dans les cages de bambou. Comme s’ils avaient eu envie de fuir ! Ils ne faisaient que chanter des cantiques et trois d’entre eux, qui avaient eu l’occasion de s’enfuir, étaient revenus rejoindre leurs camarades, volontairement.

Histoire pour le catéchisme : Uganda martyrs

Arrivés au lieu du supplice, en vue du bûcher gigantesque sur lequel ils devaient périr, une fois encore invités à renier leur foi chrétienne, ils refusèrent, tous, sans aucune exception. « Qu’on vous rôtisse, criait un des bourreaux, pour voir si votre Dieu sera assez fort pour venir vous délivrer ! »

Et l’un des jeunes pages, Bruno, répondait avec calme : « Vous pouvez bien brûler notre corps. Notre âme, vous ne la brûlerez pas. Elle ira en Paradis. »

Et la funèbre cérémonie commença. L’un après l’autre, on enfermait les martyrs dans une claie de roseaux, puis on les portait sur le bûcher, comme de vivants fagots. Quand vint le tour du petit Mbaga, son père, le chef des bourreaux, n’eut quand même pas le triste courage de faire brûler son enfant tout vivant : il l’emmena à l’écart et l’abattit d’un coup de massue. Puis la flamme jaillit et l’on entendit de grands cris, des chants d’actions de grâces qui se mêlèrent au tam-tam effréné des sorciers indigènes dansant autour du bûcher : les petits martyrs de l’Ouganda avaient donné leur vie pour le Christ.

Ainsi le temps de l’héroïsme n’est-il pas fini dans l’Église. Ainsi, comme aux jours où, dans les amphithéâtres de Rome, les martyrs d’autrefois mouraient sous la dent des bêtes, des enfants ont donné l’exemple.

Des martyrs, d’aussi admirables figures, on en connaît bien d’autres à notre époque. Il y en eut en Indochine au siècle passé, où plus de trente missionnaires moururent dans d’affreux supplices pour avoir voulu porter à l’Asie la parole de vérité. Il y en eut dans maints pays, le Mexique, par exemple, où des persécutions éclatèrent, où des prêtres furent pourchassés, où l’Église dut se cacher comme à l’époque des Catacombes. Il y en a certainement à cette heure même… Et l’on peut être bien convaincu que si, un jour, une persécution religieuse éclatait chez nous, - ce qu’à Dieu ne plaise ! - innombrables seraient ceux qui préféreraient la mort à la trahison.

Canonisation des martyrs de l'Ouganda


Sacrifices héroïques, indispensables, qui ne cessent de travailler à accroître l’Église et à préparer les voies de Dieu ! Vous vous souvenez du mot d’un écrivain chrétien du IVe siècle : « Le sang des martyrs est la semence des chrétiens ! » Partout où il y a eu des martyrs, il est bien vrai que le bon grain a germé, que les moissons ont été magnifiques. Ainsi en a‑t-il été en Afrique Orientale, où les jeunes saints de l’Ouganda ont, au ciel, imploré le Seigneur pour leurs parents et ont été écoutés. Le Saint Père les a proclamés Saints et la cathédrale de Roubaga, dans leur patrie, leur rend un culte. Aujourd’hui, l’Ouganda, sur deux millions d’habitants, a près de six cent mille baptisés, et un clergé indigène, prêtres et religieuses, travaille à convertir le reste de leurs frères. Puissance de l’exemple ! Leçon du sacrifice ! Le sang des pages héroïques, ici comme partout et toujours, a vraiment ensemencé des chrétiens !
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024