Fiche du document numéro 10531

Num
10531
Date
Dimanche 16 décembre 1984
Amj
Auteur
Fichier
Taille
183700
Pages
24
Urlorg
Titre
Entretien de M. François Mitterrand, Président de la République
Sous titre
Accordé à TF1 au cours de l'émission La politique de la France dans le monde, notamment sur la politique française au Tchad, la situation en Nouvelle-Calédonie, le Proche-Orient, l'aide au développement, les relations Est-Ouest et la construction européenne, Paris, Palais de l'Elysée, dimanche 16 décembre 1984.
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Source
TF1
Fonds d'archives
Type
Langue
FR
Citation
Bonsoir, monsieur le Président, et merci d'avoir accepté l'invitation de TF1, à parler une heure durant de la politique de la France dans le monde. Vous êtes à la moitié du septennat et vous n'avez jamais encore consacré entièrement une intervention télévisée à ce thème. Alors, ça tombe bien car les demandes d'explications sont plus nombreuses que jamais. Aussi, si vous le permettez, nous allons vous interroger sur la France et l'Afrique, sur la situation en Nouvelle-Calédonie, sur les initiatives françaises au Proche-Orient, sur les rapports Est-Ouest et, bien entendu, sur les problèmes européens.

- Pour vous interroger : Dominique Bromberger de TF1, Michel Tatu du Monde, Michel Colomès du Point, André Mazière de la Charente Libre et Paul-Marie de la Gorce du Figaro. Tout de suite, si vous le permettez, monsieur le Président, une question d'ordre général :

- Beaucoup de Français paraissent déconcertés, peut-être à la fois par le nombre de vos voyages à l'étranger et peut-être aussi par certaines des initiatives que vous avez prises et qui sont même apparues comme quelques faux pas, envisagés par certains.

- Alors, votre politique étrangère, au départ, suscitait peu de critiques. Est-ce que vous n'avez pas l'impression, le sentiment que ce consensus du départ est, en fait, un consensus un peu brisé ?

- LE PRESIDENT.- Vous avez d'abord parlé de mes voyages, mais il faut savoir qu'au rythme des conférences et des réunions internationales obligatoires, il est difficile de ne pas être assez souvent à l'étranger. Parlons simplement de l'Europe pour l'instant : il y a au moins 3 sommets européens des 10 pays par an, il y a au moins 2 réunions franco-allemandes, et avec les Italiens et les Anglais, 1 ou 2. Il y a des réunions qui, dépassant l'Europe, s'appellent les sommets industrialisés ; ce sont les 7 grands pays industriels, plus la Communauté européenne : un rendez-vous de plus. Il y a les sommets franco-africains ; une année sur deux, cela a lieu en Afrique ; il faut y aller.

- QUESTION.- Vous en revenez ?

- LE PRESIDENT.- J'en reviens. Si vous y ajoutez 2 ou 3 voyages dans l'année pour aller visiter des pays qui vous demandent car, bien entendu, je n'y vais que lorsqu'on m'invite, on a déjà le compte.


- Ensuite, vous dites : cette politique extérieure a été approuvée d'une façon générale, je le crois, elle l'est peut-être encore. Puis un certain nombre de décisions, d'interventions, de rencontres ont désarçonné l'opinion, une partie de l'opinion en tout cas, de telle sorte qu'on ne peut pas prétendre qu'il y a un consentement général.

- Ma visite en Syrie, au Président Assad, ma rencontre avec le Colonel Kadhafi en Crète, les décisions que j'ai prises sur le Tchad sont, je crois, les événements les plus typiques de cette distorsion de l'opinion. Je suis tout prêt à vous répondre sur ce sujet, mais je vais vous faire une remarque :

- Une politique étrangère ne peut se juger que sur la durée. Est-ce que vous jugez un film sur 3 images ? Il faut quand même en connaître le déroulement. Est-ce que vous jugez un portrait parce qu'on a dessiné une oreille, et même quand on a dessiné tous les traits du visage et qu'il manque le regard, est-ce que vous avez vraiment un portrait ? Une politique étrangère, c'est cela. Je demande simplement aux Français de bien vouloir me juger sur la distance.

- QUESTION.- C'est-à-dire à la fin du septennat ?

- LE PRESIDENT.- Pas forcément. Déjà, on va le commencer ce soir.

QUESTION.- Puisque vous avez déjà abordé cette question sur le plan global, vous avez donné l'impression de mener une politique étrangère de plus en plus personnelle. Vos déplacements pour l'Europe, quand vous étiez Président, à Ifrane, en Crête, se sont multipliés. Le fait est que ce sont de plus en plus souvent des conseillers de l'Elysée qui se rendent en mission secrète ; certains diplomates semblent même un petit peu désemparés. En Crête, vous étiez là-bas sans ministre, alors pourquoi ?

- LE PRESIDENT.- Des ministres m'accompagnent quand c'est nécessaire. D'une façon générale, ils sont toujours là et je ne connais guère de cas où j'ai fait un voyage à l'étranger où je n'ai pas été accompagné d'un membre du gouvernement. Quels sont ces cas ? Vous en avez relevé deux dans votre brève énumération, vous n'en trouveriez pas beaucoup d'autres.

- Ifrane 'Maroc', c'était une invitation personnelle ; elle est tombée dans un moment où on lui a donné une certaine interprétation, mais je le répète, c'était une invitation personnelle.

- La Crête, c'était un rendez-vous entre chefs d'Etat et il avait été dit par les ministres des affaires étrangères que ni l'un, ni l'autre n'y viendrait. S'ils avaient voulu m'accompagner, bien entendu je les aurais acceptés avec joie. Il ne faut donc pas généraliser.

- Personnelle ? C'est un peu la Vème République. On pourrait corriger, c'est certain, il y a des usages excessifs, mais il est vrai que la politique étrangère relève essentiellement du Président de la République. Il n'y a pas une seule de mes démarches, et particulièrement celles dont nous venons de parler qui n'ait été longuement délibérée avec le Premier ministre 'Laurent Fabius', le ministre des affaires étrangères 'Claude Cheysson', et, quand c'était nécessaire, avec le ministre des affaires européennes 'Roland Dumas'. Donc, je me sens la conscience tout à fait tranquille par rapport à mes devoirs.

QUESTION.- Venons-en au Tchad. Il faut situer les choses : d'abord, pourquoi la France est-elle allée au Tchad ? Pourquoi n'est-elle pas montée au Nord ? Et pourquoi en est-elle repartie ?

- LE PRESIDENT.- Là, si vous voulez bien, on va décomposer les questions, sans cela je risquerais de faire une sorte d'exposé général.

- QUESTION.- Pourquoi ? On connaît un peu vos explications...

- LE PRESIDENT.- Pourquoi y être allé ? Tout simplement pour arrêter l'invasion libyenne au Tchad et l'arrêter de telle sorte et à un tel niveau qu'il y ait protection, sécurité pour ce qu'on appellera grosso modo, l'Afrique noire. A l'intérieur de cette Afrique noire, nous avons entre huit et dix accords de défense militaire et nous avons, d'une façon plus générale, la confiance de ces pays qui attendent de la France qu'elle joue un rôle particulier pour leur sécurité et leur développement.

- Je voudrais vous montrer à cet égard, monsieur Bromberger mais aussi à vous madame et messieurs, des éléments d'appréciation que j'ai notés ici -- il s'agit de cartes -- pour que l'on comprenne bien exactement de quoi il s'agit. Ici, c'est la carte de l'Afrique. On voit bien où se trouve le Tchad, à côté de la Libye ; cette petite zone, là, c'est la zone conquise par la Libye, en 1972 - 1973 et qui appartient toujours au Tchad sur le plan international, mais qu'on oublie généralement. Dans les débats, on fait comme si cela n'avait pas eu lieu mais moi j'y pense toujours et, naturellement, le chef du gouvernement du Tchad y pense plus que moi. Vous avez là la situation du Tchad : la Libye, toujours la bande d'Aozou, ici même, phagocytée par la Libye depuis maintenant onze à douze ans, et vous avez l'Afrique noire. Elle est là : vous avez le Niger, le Nigeria, d'origine britannique, le Cameroun, d'origine allemande, certes, mais surtout d'influence française, le Centrafrique et le gros de l'Afrique noire qui se trouve là. Restent naturellement l'Egypte et le Soudan, ce sont des pays de nature différente. A partir du moment où les forces du Colonel Kadhafi arrivaient là, au mois d'août 1983, il suffisait de trois ou quatre jours pour que tout le reste fût pris : je vais passer aux autres cartes et vous allez comprendre.


- Cela, c'est l'état dans lequel j'ai trouvé le Tchad, le 10 mai 1981. Tout ce qui est rose est occupé par la Libye. Cette partie-là, jaune et rose, est sous le contrôle de la Libye. C'est dire que la totalité du Tchad était, quand je suis arrivé à la présidence de la République, sous le contrôle de la Libye. La France était partie. Voilà la situation en 1981. Dès lors, je vais m'efforcer de faire reculer cette influence que je crois dangereuse, non seulement pour le Tchad -- nous n'avons pas d'accord militaire avec le Tchad, pas d'accord du tout -- mais, il y a une réalité politique, pour obéir à ma conception générale d'une stratégie en Afrique, c'est-à-dire pour éviter le contact entre les forces libyennes et cet énorme continent d'Afrique noire dans lequel s'exerce une réelle influence de la France et où il y a des obligations françaises de sécurité. Vous voyez bien cette carte. Le Tchad avait perdu son indépendance.

- Après une phase très brève pendant laquelle M. Goukouni, qui était à l'époque Président du Tchad, avait obéi à mes recommandations et avait demandé le retrait des armées libyennes, ce retrait s'était effectué, ça n'a pas duré longtemps. Hissène Habré a très rapidement vaincu M. Goukouni, s'est installé à N'Djamena, et la Libye, qui ne supporte pas très aisément M. Hissène Habré, est redescendue du Nord vers le Sud en août 1983.

- J'ai fait intervenir l'armée française, c'est ce qu'on a appelé l'opération Manta, à peu près sur le 15ème parallèle, puis un peu plus tard, après un accident aérien qui a causé la mort d'un homme, on est remonté jusqu'ici. En réalité, les forces libyennes étaient cantonnées dans la partie rose, et même, si on voulait que la carte fût exacte, on dessinerait une ligne comme cela, en suivant le 16ème parallèle.

- J'ai donc protégé ce que j'avais souhaité protéger. Alors, vous me posez la question : Pourquoi vous n'êtes pas remonté au Nord ? Eh bien parce qu'on y est allé deux fois. D'abord entre 1968, 1969 et 1972. C'est le général de Gaulle, le gouvernement Couve de Murville, qui a décidé d'aller au Nord pour des opérations de maintien de l'ordre avec, déjà, l'influence libyenne ; on y est resté trois ans, on y a perdu une quarantaine d'hommes, et on est reparti, moins les morts naturellement.

- En 1976, le gouvernement de l'époque, sous l'autorité de M. Giscard d'Estaing, le Premier ministre était M. Chirac, a signé un accord, le 6 mars 1976, avec le Tchad, selon lequel pas un soldat français ne pouvait pénétrer au Tchad ; il ne devait participer à aucune opération de résistance contre l'agresseur étranger ou à aucune opération de maintien de l'ordre. Donc, plus aucun accord, plus rien en 1976. Cela fait bientôt maintenant neuf ans qu'il n'y a plus rien, plus de base juridique, diplomatique entre le Tchad et la France. Et qui a décidé cela ? Ce n'est pas moi.


- Un peu plus tard, en 1978, sous la pression des événements, parce que le gouvernement tchadien réclame de nouveau, malgré l'accord d'abrogation d'une assistance militaire, le soutien de la France, on revient une deuxième fois, pas tout à fait au Nord. Et au bout de deux ans on s'en va, la situation était pire... la deuxième fois, on perd 18 hommes, je veux dire à la guerre, une dizaine d'autres par accident et au moment où le premier soldat français s'en va. Ce n'était pas moi qui était là à cette époque, je me permets de vous le signaler.

- C'est pourquoi on a trouvé la première carte de tout à l'heure, c'est-à-dire le Tchad entièrement occupé ou contrôlé par la Libye. J'ai donc, avec l'opération Manta, stoppé la nouvelle opération libyenne à ce niveau, protégé les Etats d'Afrique noire qui m'en priaient, qui en priaient la France. Nous avons avancé de 100 kilomètres, je l'ai dit, et il y a eu un accord récent entre la Libye et la France pour l'évacuation du Tchad par nos deux armées, comme nous le demandait l'ensemble des partenaires internationaux : que les armées étrangères au Tchad s'en aillent, et j'en étais d'accord, à condition naturellement que cela fût réciproque.

- Aujourd'hui, pour toute cette partie du Tchad, il faudrait redessiner à peu près les même choses, c'est-à-dire encore le 16ème parallèle, estimer que toute cette partie-là obéit à l'autorité de M. Hissène Habré, du gouvernement légitime au Tchad. Ici il y a des implantations. Pourquoi est-ce que je ne suis pas allé au Nord ? Je viens de vous le dire. Parce que c'est inutile, c'est une partie du Tchad totalement désertique, une montagne désertique, avec quelques oasis, et l'armée française n'a rien à y faire.

- J'ajoute que c'est d'autant plus difficile que, pendant les années dont je viens de vous parler, c'est-à-dire avant 1981, nous avons constamment vendu des armes à la Libye. On a vendu 150 Mirages, des chasseurs bombardiers, dont 40 F1, en 1976 et, en 1976 encore, après la dernière guerre, nous avons vendu 10 bâtiments de guerres, des navires, et puis 12 hélicoptères Super-Frelon. Bref, les soldats ...

QUESTION.- Est-ce que cela veut dire que nous acceptons maintenant une certaine permanence de la présence libyenne au Nord ?

- LE PRESIDENT.- Je vais vous répondre. Un an avant, en fait, il y avait, au nord, une permanence d'éléments libyens, aujourd'hui dispersés. On va peut-être répondre à cette question pour savoir ce qu'il en reste. Cette zone-là n'a pas été pénétrée depuis les accords, par aucune force offensive. Selon moi, les Libyens ne disposent pas de force offensive qui puisse descendre vers le sud, dans l'état actuel des choses. Si cet état actuel des choses devait changer, bien entendu les dispositions sont prises. Il y a au Centrafrique, l'armée française. Il y a, à proximité, l'armée française : en l'espace de 2 à 3 heures, l'aviation ; en l'espace d'une journée, les forces terrestres.

- Vous me dites : pourquoi est-ce que vous ne montez pas jusqu'au Nord ? C'est donc que vous acceptez le fait accompli ? Je n'accepte pas la possession du Tchad par la Libye, je la dénonce. Je dénonce également cette occupation-là 'Aozou', je le répète, plus personne n'en parle. Celle-ci, en droit, relève de l'autorité, de la souveraineté du Tchad. En fait, il y a des occupations militaires. Je ne suis pas chargé de dire le droit. Ce que je peux dire, c'est que la France n'acceptera jamais, politiquement et juridiquement, cette amputation d'un Etat africain. Mais je ne suis pas le gendarme de l'Afrique. L'armée française n'est pas chargée de cela. Il appartient d'abord au gouvernement du Tchad, ensuite à l'Organisation africaine 'OUA', de reconquérir, s'il le désire ...

- QUESTION.- Est-ce que vous allez aider le gouvernement du Tchad à le faire ?

- LE PRESIDENT.- Nous l'avons aidé beaucoup, jusqu'alors.

- QUESTION.- Mais maintenant ?

- LE PRESIDENT.- Aider, cela veut dire vendre des armes ? Cela veut dire équiper ?

QUESTION.- S'il désirait remonter vers le Nord, est-ce que vous encourageriez le gouvernement d'Hissène Habré ?

- LE PRESIDENT.- C'est sous sa responsabilité. Les soldats français ne doivent pas aller au Nord, à moins qu'une situation nouvelle ne se crée. Bref, mon objectif est le même depuis le premier jour et la situation est la même depuis le premier jour. Mais les moyens sont différents. Vous imaginez bien que les moyens sont différents, d'abord parce que le problème ne se pose plus qu'au Nord. Peut-être l'a-t-on oublié. Vous qui suivez ces problèmes, vous le savez : tout le Sud est aujourd'hui en état de guerre civile. Une armée française qui regarde vers le Nord peut se faire tourner, demain par le fait qu'il y a rébellion au Sud. Il y a 5 millions de gens, ici qui sont les Noirs ; ici ce sont des populations du désert : il y en a 150 000, 200 000. Ces 5 millions à l'heure actuelle, discutent, contestent l'autorité du gouvernement de N'Djamena au point qu'il y a des actes de guerre extrêmement durs, des villages qui sont rasés, brûlés. Il y a des morts d'hommes par centaines. L'Evêque catholique du Sud du Tchad et 200 religieuses environ m'ont saisi des craintes qu'ils éprouvaient, par le fait que les Français, considérés naturellement comme les alliés du gouvernement de N'Djamena, étaient à ce point populaires dans cette population qu'il fallait maintenant les protéger.

- Je viens de prendre les dispositions pour protéger les populations françaises et autres, amis de la France, dans cette région. C'est pour vous dire que les choses sont différentes, si l'objectif reste le même. Notre aviation -- c'est la dernière réponse à votre question -- contrôle désormais, ce qui n'était plus le cas au moment de l'opération Manta, la totalité du territoire.

QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais qu'on en revienne maintenant à l'épisode le plus troublant, celui du retrait français ; le 16 septembre, est conclu un accord de retrait simultané et concomitant des forces française et libyenne. Votre ministre des affaires étrangères 'Claude Cheysson' dit : Ils partent, nous partons ; ils restent, nous restons ; ils reviennent, nous revenons. Le 10 novembre, un communiqué du Quai d'Orsay dit que les opérations de retrait sont terminées alors qu'on le sait maintenant -- vous le saviez, les diplomates français le savaient -- les Libyens n'étaient pas partis. Alors, pourquoi ?

- LE PRESIDENT.- Non, monsieur Bromberger, les choses ne sont pas ainsi. Moi, personnellement, je n'ai rien dit parce que, par tempérament, j'attends que les choses soient terminées avant d'élever la voix. Mais le 2 novembre et le 5 novembre, il y a eu rapport de l'état-major militaire français. Tous les chiffres que nous avons cités proviennent naturellement de l'état-major de l'armée. Lui seul est en mesure de nous apporter les informations dont nous avons besoin, doublées en la circonstance par le satellite américain. Le 2 et le 5 novembre, j'avais demandé des renseignements sur la situation des éléments itinérants libyens restés, en dépit de l'accord passé entre M. Cheysson et M. Triki 'ministre des affaires étrangères libyen', sur les instructions qui étaient les miennes, en ce qui concerne monsieur Cheysson, bien entendu : il reste quelques éléments extrêmement faibles. On peut considérer que la place de Faya est libre. On peut considérer que la place -- ce sont des oasis ou quelques points de chemins de rencontre, d'itinéraires -- de Gouro et de Omianga qui se trouvent au nord-ouest, ainsi que Fada, sont libres. Le 5 novembre, on a réitéré cette information. C'est à partir du 9 novembre que les informations provenant de ces deux sources, française et américaine, ont indiqué qu'un certain nombre de Libyens sont revenus.

- QUESTION.- Est-ce qu'on a un communiqué le 10, monsieur le Président ?

- LE PRESIDENT.- C'est à partir du 9 et du 10, ce que je viens de vous dire.


- Quand je suis allé en Crète, j'étais informé, je savais qu'il y avait, d'après l'estimation de l'état-major français, à l'époque, 1 200 à 1 500 Libyens qui, je le répète, n'avaient pas de force offensive, mais qui étaient restés dans les creux, qui réapparaissaient, qui s'étaient dissimulés sans doute dans les oasis, ou bien qui revenaient de la bande d'Aozou. Ce n'est pas très difficile, j'ai montré les cartes, il y a un moment.

- QUESTION.- Si vous saviez que Kadhafi avait triché, avait menti, est-ce que ce n'était pas imprudent, dangereux ?

- LE PRESIDENT.- Vous pouvez apprécier comme vous voulez, mais c'était le 15 novembre et les informations, qui marquaient un certain retour, une réapparition d'une force très diminuée, mais qui ne devait pas être là, du côté des Libyens, c'était les 9, 10, 11 et 12. Chaque jour, d'ailleurs, nous multiplions nos enquêtes, nos avions circulaient dans le ciel. Je suis parti le 15 au matin, pour dire quoi ? Pour dire : Vous souhaitez tendre la main à la France, comme ce fut le cas dans le passé puisque le Colonel Kadhafi est venu à l'Elysée, il est venu ici, il a été reçu par M. Pompidou, après ce que j'appellerai la première guerre du Tchad où il n'était pas impliqué directement, mais tout le monde savait que les Libyens inspiraient les gens du nord, les Tchadiens révoltés, déjà M. Goukouni Oueddei, et aussi M. Hissène Habré, à l'époque.

- Il est venu ici ; ce n'était donc pas un personnage qu'on ne fréquentait pas. J'ai dit tout à l'heure qu'on lui vendait des armes très agressives, à l'époque. On n'en a pas vendu une depuis 1981. Des ministres et même des premiers ministres sont allés à Tripoli. Je ne suis pas allé, moi, en Libye. Le Colonel Kadhafi n'est pas venu en France. Je l'ai rencontré dans un territoire étranger, neutre, la Grèce. Quoi de plus normal ? Pour lui dire quoi ? Rien n'est possible tant que la situation au Tchad ne sera pas conforme à vos engagements. Et c'est pourquoi la conversation n'a pas eu de suite, et que j'ai donné les instructions à notre armée, celles que je viens de rappeler, à savoir qu'il s'agissait de protéger la zone que j'avais fixée dès 1983, et de surveiller naturellement l'autre zone pour éviter des infiltrations.

QUESTION.- Vous ne regrettez pas, monsieur le Président, de vous être mis en avant, d'avoir accordé satisfaction au Colonel Kadhafi de cette rencontre qui a été présentée par la diplomatie française comme quelque chose qui devait couronner, en quelque sorte, un accord au Tchad ?

- LE PRESIDENT.- C'est vous qui dites cela. Cela ne couronnait rien du tout. Tant qu'une action n'est pas terminée, elle n'est pas terminée. Elle ne l'est pas encore.

- Je vous l'ai dit tout à l'heure, la diplomatie, c'est une affaire lente, difficile. On a des partenaires qui sont difficiles aussi. Ce que je sais, c'est que, depuis que j'assume la responsabilité du pouvoir, la Libye a constamment dû reculer au Tchad. Ce que je sais, c'est qu'avant mon arrivée ici, la Libye dominait le Tchad, et mon intention, ma volonté est d'aboutir à la libération de ce pays par une pression constante, et par les moyens que je décide, et non pas par ceux qu'on veut m'imposer par la propagande ou par des invitations à aller sacrifier un certain nombre de soldats français, alors que la France n'y a nul intérêt. J'entends rester maître de ma décision, et on jugera en fin de compte.

- QUESTION.- Monsieur le Président, je crois que vos explications sur le Tchad sont très complètes, mais on pourrait sans doute y passer toute l'émission, et c'est la politique de la France dans le monde que nous traitons ce soir, donc il y a d'autres sujets.
Vous revenez d'Afrique ; il y a certes les opérations militaires en Afrique, type Manta ou d'autres, mais il y a aussi les terribles images que nous voyons à la télévision tous les jours, de la sécheresse ou de la famine en Ethiopie.

- QUESTION.- C'est un des aspects des rapports Nord-Sud, monsieur le Président, est-ce qu'après tous les sommets des pays industrialisés où vous avez participé, où on a parlé du problème Nord-Sud, vous n'avez pas l'impression que rien n'en est sorti sur ce plan-là, que le bilan de tous ces sommets industrialisés est désastreux ?

- LE PRESIDENT.- Sans aucun doute, monsieur de la Gorce, la France a beaucoup de peine à convaincre les autres pays du Nord industriel à concevoir une politique utile dans les relations avec le tiers monde, avec le Sud, vous avez tout à fait raison. Seulement la France cherche à donner l'exemple. Notre conviction à nous, c'est que la politique étrangère qu'il faut dessiner peu à peu comporte parmi ses éléments principaux une politique de développement à l'égard du tiers monde, et rien de ce qui est fait actuellement n'y concourt : le désordre des monnaies, le prix du dollar, qui en l'espace de quelques heures anéantit l'effort d'une année dans plusieurs pays africains, pauvres naturellement, le fait que nous n'ayons pas répondu aux besoins d'autosuffisance alimentaire par les moyens qu'il faudrait prendre pour que les gens puissent se nourrir.

- Je plaide, et vous me direz : On ne vous écoute pas beaucoup. Je veux dire que les intérêts qui jouent contre les propos de la France sont encore très puissants, jusqu'à ce qu'ils se rendent compte que, s'ils ne font pas un moratoire, un allègement des charges financières des pays du tiers monde, s'ils ne raniment pas les termes de l'échange, bref s'ils ne donnent pas davantage de moyens pour la production dans ces pays, ce qui fera aussi plus de consommateurs pour les pays du Nord, nous nous enfoncerons avec eux. Naturellement nous avons plus de réserves.

- Alors, je l'ai dit à Mexico, tout de suite en arrivant, je l'ai dit au Caire, je l'ai dit à Alger, à Williamsburg, partout.


- La France elle, se met en accord avec ses paroles, nous avons augmenté notre aide, en dépit de la dureté des temps, alors que le budget en France est sévère ...

- QUESTION.- Les crédits ont diminué cette année ...

- LE PRESIDENT.- Non, monsieur Mazières, non, les crédits, je pourrais vous en parler tout à l'heure. Le total des sommes qui sont apportées par la France à l'ensemble du tiers monde pour l'aide budgétaire sont de 13 milliards, dont 65 % pour l'Afrique, donc environ 8 milliards, et vous pourrez constater que nous avons constamment augmenté d'un fort pourcentage notre aide bilatérale directe et notre aide multilatérale dans le cadre des institutions internationales. Nous mettons nos actions en accord avec nos paroles et les gens le savent dans le monde entier. J'étais, au nom de la France naturellement, le seul invité des grands pays industriels, lorsque Mme Gandhi nous a conviés à venir débattre du problème du tiers monde, lors de la session des Nations unies où je me suis trouvé. Nous sommes reçus par eux. Je dis que la France est le pays aujourd'hui le mieux reçu et le plus populaire, parce qu'on sait que la France -- c'est d'ailleurs une grande tradition qui m'a précédé, je n'en suis pas l'inventeur, je la poursuis, je l'élargis -- apparaît comme le pays le mieux compris, le plus aimé de l'ensemble des pays du tiers monde. Voilà ce que je veux dire, et si je ne suis pas arrivé à convaincre les Américains, nos partenaires, si nous sommes aujourd'hui avec trois pays scandinaves, Suède, Norvège, Danemark et d'une certaine manière la Hollande, en tête de tous les pays qui aident -- les autres ont réduit leur aide, alors que nous nous l'avons augmentée -- cela correspond bien à une politique.

- On parlera tout à l'heure de l'Est et de l'Ouest, de l'équilibre des forces, première ligne d'action ; le développement Nord-Sud, deuxième ligne d'action ; l'Europe, l'Europe de la Communauté, des dix ou des douze, il faut qu'elle existe, troisième ligne d'action.

QUESTION.- Avant d'en venir à l'Europe, il y a un autre grand sujet d'actualité, c'est la Nouvelle-Calédonie. Des élections ont eu lieu le 18 novembre dernier, depuis un mois les incidents, les drames et les problèmes se sont enchaînés, je crois que vous ne vous êtes pas encore exprimé sur le sujet, Michel Colomès voudrait vous interroger.

- QUESTION.- Avant que vous soyez Président de la République vous vous étiez prononcé en faveur d'une solution d'indépendance, est-ce toujours votre sentiment ?

- LE PRESIDENT.- Mon sentiment est qu'il faudra respecter la décision des populations locales et la complexité de ce problème tient au fait qu'il existe deux communautés importantes, l'une qui est Canaque, qui est homogène. L'une est légèrement plus nombreuse que l'autre, de l'ordre de 65 000 d'un côté, 60 000 de l'autre, avec une population complémentaire qui vient des îles, que j'appellerai voisines, bien qu'elles soient fort éloignées de la Nouvelle-Calédonie, notamment de Wallis.

- Je suis en effet de ceux qui croient que ce territoire, pour l'appeler par son nom, est appelé à réaliser son émancipation, sous une forme d'autonomie ou d'indépendance, qu'il doit définir lui-même, que les populations doivent définir elles-mêmes.

- Vous avez certainement fait bondir pas mal de nos auditeurs, madame, en disant que dans le cadre de la politique extérieure nous parlions de la Nouvelle-Calédonie, parce qu'alors vous seriez déjà entrée dans le raisonnement repris par M. Colomès, à savoir : est-ce que c'est donc un pays indépendant, puisqu'il fait partie de la politique extérieure ? Il le sera peut-être, il ne l'est pas encore.


- Pourquoi est-ce que ce problème s'est à ce point aggravé, monsieur Colomès ? C'est parce que nous avons tout fait en dépit du bon sens.

- En 1956, il y a vingt huit ans, une loi, -- c'est M. Gaston Defferre à l'époque qui l'a proposée et fait adopter, -- qui s'appelait loi-cadre, a fait que dans tous les territoires d'Outre-Mer, un gouvernement a été constitué sous l'autorité du gouverneur. En 1956, M. Defferre et le gouvernement de l'époque, qui était le gouvernement de M. Guy Mollet -- j'appartenais à ce gouvernement -- ont décidé, qu'autour du gouverneur il y aurait un gouvernement, un conseil de gouvernement, et les membres de ce conseil seraient des ministres, et ils seraient naturellement des autochtones, des représentants de la population locale. Ce gouvernement, ou conseil de gouvernement, avait de très réels pouvoirs. A côté de ce conseil de gouvernement, une assemblée territoriale avait bénéficié d'une décentralisation très grande. On pouvait croire, là-bas comme ailleurs, qu'on s'acheminait vers un statut qui s'éloignait du statut colonial à grands pas.

- En 1958, le Général de Gaulle à l'occasion naturellement du référendum pour valider son pouvoir et la Constitution, et pour obtenir la majorité en Nouvelle-Calédonie, promet non seulement le maintien de ce statut, celui de 1956, la loi-cadre mais encore promet de faire mieux, d'apporter plus de garanties, que le statut sera évolutif, mais dans le sens d'une plus grande autonomie. Et c'est le contraire qui se produit.

- En 1963, on supprime le conseil de gouvernement ; on restitue tous ses pouvoirs au gouverneur, et on ne le fait que là ... on ne le fait que là. On supprime les pouvoirs accordés à l'assemblée territoriale. Désormais c'est à Paris qu'on décidera, du problème minier naturellement ; il y a le nickel et de puissantes compagnies, et de puissants intérêts qui se défendent fort bien auprès de Paris, mais qui ne sont pas très bien vues parce qu'elles ne pratiquent pas la justice sociale et économique en Nouvelle-Calédonie. Et ainsi de suite, on revient sur tout ce qui a été accordé.


- Nous arrivons en 1981, qu'est-ce que nous faisons. Eh bien, nous prenons par Ordonnance 4 dispositions sur les propriétés foncières. Savez-vous qu'à l'heure actuelle, il y a des propriétés, très récemment encore, qui dépassaient 30 000 hectares ? Savez-vous qu'il y a de très nombreuses sociétés qui ont une moyenne de propriété de 1 500 hectares ? Savez-vous que les Canaques en moyenne possèdent 2 hectares, 2 hectares 1/2. C'est dire qu'on a fondé la Nouvelle-Calédonie moderne sur un état d'injustices que je déclare insupportable, que je n'accepte pas et qui a animé sans aucun doute le choix qui a été fait par la formation politique à laquelle j'appartenais 'PS' avant d'être Président de la République, je n'appartiens plus à aucune d'entre elles aujourd'hui, naturellement. Ce qui fait que les Canaques sont arrivés à l'exaspération, et que nos réformes, elles, ont été digérées tout aussitôt, parce que ce n'était plus ce qui intéressait une population qui ne marche plus ; c'était l'indépendance, mais avec un aspect qui, en effet, est difficilement acceptable : l'indépendance pour nous, Canaques ; oublions qu'il existe 65 000 Néo-Calédoniens, depuis plus de cent ans pour la plupart d'entre eux, qui habitent là, qui vivent là, qui y sont nés, qui se reconnaissent dans leur pays, oublions-les, et le sort de la Nouvelle-Calédonie ne peut se décider que par le vote des Canaques.

- Voilà le problème qui est posé à M. Pisani, mais M. Pisani sera là la semaine prochaine, il fera une déclaration télévisée, et il saisira donc l'opinion, après avoir rendu compte au gouvernement. Je ne veux donc pas précéder ce qu'il a à dire aux Français, ni ce qu'il a à soumettre au gouvernement ; c'est lui qui, pour l'instant, a en charge la négociation. La négociation suppose le dialogue, par définition ; elle suppose aussi le retour à l'ordre, partout. Je ne veux pas me substituer à lui, je veux simplement vous dire qu'il faut des institutions qui garantissent aux individus et aux communautés, aux peuples qui se trouvent sur place suffisamment de sécurité pour qu'ils aient le sentiment de disposer de tous les attributs qui reviennent normalement à un peuple sur une terre.

- QUESTION.- Une question simple, monsieur le Président : est-ce que vous écartez l'hypothèse, pour le référendum, de plusieurs collèges ?

- LE PRESIDENT.- Monsieur Bromberger, je vous ai dit que c'était la tâche actuelle de M. Pisani, et que je ne veux en rien compliquer cette tâche. Il est, à l'heure actuelle, en débat, en discussion avec les différentes fractions de la population néo-calédonienne, et je ne veux pas anticiper ; vous en comprendrez sans doute la nécessité.

QUESTION.- N'y a-t-il pas un risque de contagion, monsieur le Président, dans d'autres territoires ou départements d'Outre Mer ?

- LE PRESIDENT.- Politiquement, psychologique, il faut y prendre garde. Simplement, je rappellerai, dès le point de départ, et, justement sans m'engager plus avant dans cette discussion qu'en Guadeloupe, en Martinique -- pour prendre des exemples -- il y a un seul peuple ; il y a des majorités et des minorités à l'intérieur du même peuple, et ces minorités doivent s'incliner devant le suffrage de la majorité. J'ajoute que, chaque fois que l'on vote, les indépendantistes, pour les appeler d'un nom général appliqué aux uns et aux autres, sont très minoritaires, extrêmement minoritaires, ce qui ne représente donc pas la voie de ce peuple-là.

- Sur le plan de la Nouvelle-Calédonie, le problème serait très simple si l'on pouvait le résoudre ainsi, mais, en fait, il n'est pas ainsi. Ce n'est pas une majorité de quelques milliers de voix, et même d'une seule, qui pourrait faire que la revendication de la population canaque, ou de la population dite caldoche, c'est-à-dire d'origine européenne et française, pourrait se trouver garantie, trouverait sa sécurité. D'où l'extraordinaire complexité de ce problème, qui réclamerait de la part des Français, et surtout des responsables politiques, plus de discipline, plus de souci de l'intérêt qui nous est commun, plus de souci de la France, pour ne pas se déchirer sur un problème que je viens de décrire trop rapidement, mais qui devrait être résolu de façon que la France préserve dans ces régions lointaines et dans les océans alentour une position qu'elle ne doit pas prendre.

QUESTION.- Qu'est-ce que vous pensez, monsieur le Président, de l'intérêt des autres ? Parce qu'André Mazière voulait vous poser une question.

- QUESTION.- Oui, vous rejoignez la question que je voulais vous poser, monsieur le Président : il y a la préoccupation de savoir si on protégera la Nouvelle-Calédonie des appétits extérieurs, ou si on la laisse ?

- LE PRESIDENT.- Il y en a, des appétits extérieurs, et la façon dont agit, par exemple, l'Australie, est tout-à-fait surprenante, parce que si le problème des autochtones d'origine, en Australie, ne se pose plus, c'est parce que -- enfin, il y a bien encore des aborigènes -- c'est parce qu'on les a tués ! Naturellement, c'est là une façon ... bon ...

- QUESTION.- ... de régler le problème !

- LE PRESIDENT.- Oui, mais ce n'est pas la nôtre, en tout cas, dans aucune des fractions de l'opinion politique française. Ce n'est pas la voie choisie par la France, et c'est pourquoi la France est encore si estimée, si respectée dans l'ensemble de ce qu'on appelait ses colonies.

- QUESTION.- Mais on retrouve aussi l'influence du Colonel Kadhafi, semble-t-il, monsieur le Président.

- LE PRESIDENT.- Vous savez, il y a 17 personnes parfaitement répertoriées qui ont été envoyées, qui ont fait l'aller et retour, munies d'instructions de caractère révolutionnaire. Nous savons très bien qui c'est, et je ne pense pas qu'elles soient en état d'agir utilement. En tout cas, ce serait tout à fait injuste d'assimiler cette tentative un peu ridicule avec la revendication profonde des uns et des autres.

- QUESTION.- Cela pose quand même, aussi, le problème de savoir où s'arrête la France aujourd'hui. Est-ce qu'à 20 000 kms de nos côtes, c'est encore la France ?

- LE PRESIDENT.- C'est le sujet. Ce qui est vrai, c'est que la France a une trace profonde là-bas, qu'elle a de nombreux ressortissants, de citoyens qui sont là-bas, que nous avons le devoir de protéger leur vie et, autant que possible, leurs justes intérêts et que nous devons avoir assez d'intelligence pour adapter cette situation en reconnaissant l'authenticité des peuples qui ne sont pas d'origine française.

- Ce n'est pas sous mon septennat, ce n'est pas sous mon autorité que les gouvernements de la République iront accroître l'injustice, soumettre des populations par la force, ou bien par la force injuste de la loi, bref, par l'oppression, par la tyrannie. Non, on n'aura pas avec moi ce qu'on a eu en d'autres temps, je vous le dis tout de suite, et je n'accepte pas la situation faite aux minorités en Nouvelle-Calédonie. Cela dit, il y a une majorité, une réalité française et j'entends également la préserver.

QUESTION.- Nous parlions de vos voyages tout à l'heure. L'un d'eux a fait beaucoup parler, c'est le voyage en Syrie, au Président Assad. Depuis, vous avez reçu M. Shimon Pérès, avec tous les honneurs, à Paris. Le Roi Hussein était aussi à Paris. Alors, la France et le Moyen-Orient, Paul Marie de la Gorce, rapidement ?

- QUESTION.- Monsieur le Président, la visite de M. Pérès, paraît-il, s'est très bien passée. Avez-vous eu le sentiment qu'il avait fait quelques pas en direction de votre position, sur le problème palestinien, c'est-à-dire la reconnaissance du droit à l'autodétermination ? ..

- LE PRESIDENT.- Permettez-moi de répondre à la question qui chevauchait l'intervention d'Anne Sinclair, et la vôtre, monsieur de la Gorce : Vous étiez là, puis ailleurs, cela paraît contradictoire. Cela ne l'est pas, c'est complémentaire : on ne voit ce que donne le film, l'intrigue du film, qu'à la fin.

- Quand je vais voir le Président Assad, qu'est-ce que je reçois comme critiques ! ... Bien entendu, on nous dit : Jamais vous n'auriez dû y aller, mais, des mois avant moi, c'était M. Schutz, le numéro deux américain qui se trouvait là ; mais les Américains, eux, peuvent aller partout, moi pas ! Je ne m'inscris pas dans ce genre de raisonnement, madame et monsieur, mais je l'ai pas dit que c'était le vôtre. Je vais où je veux aller, pour représenter la France, et nous y avons des intérêts de toutes sortes.

- Cela dit, si l'on juge ma visite au Président Assad qui, en effet, sur bien des points, se trouve dans un camp opposé, dont la vue du monde est loin d'être la nôtre sur des problèmes importants, nous avions à parler du Liban dont nous sommes, chacun à sa façon, les amis et même les voisins, parce que nous sommes voisins par la culture et par le passé du Liban.

- Et puis, je reçois, quelques jours après, M. Shimon Pérès, Premier ministre d'Israël, à Paris, radieux de se trouver en France, me disant, et, d'ailleurs, disant publiquement : Mais, c'est une très bonne chose que vous ayez vu le Président Assad -- il sont en guerre -- ... oui, parce que quand on a des amis qui peuvent parler aux autres, eh bien on peut être utile, et on est utile.

- Et puis, quelques jours après, je reçois le Roi de Jordanie, le roi Hussein. Il est en très grave -- comment dirais-je ? -- désaccord, c'est le moins qu'on puisse dire, avec le Président Assad, à Damas, et que me dit-il ? C'est quand même très important qu'il y ait un pays qui puisse parler aux uns et aux autres, dans lequel nous ayons confiance, qui est notre ami. Et aujourd'hui, la France, je vous l'assure, est le seul pays qui compte et qui puisse agir aussi bien du côté d'Israël que du côté des pays arabes sans exception, l'Irak, l'Egypte, la Jordanie, l'Arabie saoudite, la Syrie, le Liban, les Emirats, d'autres encore bien entendu. Je considère qu'au total, c'est important pour mon pays.

QUESTION.- Monsieur le Président, et sur la question palestinienne ?

- LE PRESIDENT.- J'ai répondu à la première question, je réponds à la deuxième. Je suis allé à Jérusalem. Encore le même récit : à peine étais-je allé à Jérusalem -- c'était interdit, sans doute, j'étais le premier à y aller, comme chef d'Etat français -- on me dit : Mais, vous allez vous brouiller avec les Arabes. Mais, à la tribune de la Knesset, j'avais dit qu'Israël devait, selon moi -- c'est un pays qui a ses représentants, je n'en suis pas, mais je donne mon opinion -- reconnaître la réalité palestinienne, j'ai même parlé d'un Etat palestinien, j'ai même prononcé le sigle OLP, ce qui paraissait absolument extraordinaire. J'avais parlé d'Israël lorsque j'étais en Arabie saoudite, et j'ai parlé d'Israël lorsque je suis allé à Damas, ce qui ne s'était jamais fait. Parce que je suis libre, parce que la France est libre.

- Alors j'y mets quelque passion, monsieur de la Gorce, parce que c'est toujours la même chose : on décime les Palestiniens, nous pensons qu'ils ont le droit de vivre et j'en parle chaque fois à mon ami Shimon Pérès. A-t-il fait des progrès ? Il est plus ouvert que ses prédécesseurs sans aucun doute, déjà, dans la façon de traiter les implantation israéliennes en Cisjordanie.

- Mais la façon dont il examine le départ -- bien entendu il discute des conditions de sa sécurité -- des Israéliens du Liban, je ne suis pas sûr ... enfin je suis plutôt sûr du contraire, je suis assez sûr qu'il n'y a pas de pas en avant du côté de l'OLP et du côté d'Arafat.

- QUESTION.- Monsieur le Président, je vais peut-être me permettre de vous arrêter. Il reste un quart d'heure pour parler des rapports Est-Ouest et de l'Europe qui sont quand même de gros morceaux.

- LE PRESIDENT.- Il y avait tout à l'heure une question sur l'OLP. Vous savez que nous sommes intervenus au Liban pour sauver les Palestiniens. Cela nous avait valu une controverse assez rude avec M. Begin et Israël. Nous avons sauvé d'abord 4 000 Palestiniens à Beyrouth, puis 4 000 à Tripoli, au moment de l'opération syrienne, et nous avons procédé à un échange, nous, choisis comme arbitres, entre Israël et les Palestiniens, le monde arabe.

- Recevoir M. Arafat, c'est une autre affaire .. L'OLP est un mouvement, c'est une armée clandestine, ce n'est pas un Etat. L'OLP est représentée à Paris, il y a une délégation qui a d'ailleurs été reconnue par mon prédécesseur, M. Giscard d'Estaing, il n'a pas eu tort. Mais, intervenir maintenant à ce niveau, au mien, je ne crois pas que ce soit opportun. Cela ne faciliterait pas les choses, cela ne ferait pas avancer l'heure de la paix. Il y a d'autres façons de procéder.

QUESTION.- Mais alors si les choses semblent bouger peut-être au Proche-Orient, elles semblent bouger aussi peut-être entre Washington et Moscou. Alors sur les relations Est-Ouest, on peut peut-être donner la parole à Michel Tatu.

- LE PRESIDENT.- Je suis un peu fâché que le temps -- c'est lui le seul responsable -- nous empêche d'aller assez loin sur chaque question mais quand vous m'avez posé la question sur le développement, je sais que vous teniez tous à ce qu'on parle d'un aspect particulier sur lequel je suis alors passé très vite, c'est-à-dire la famine. On a parlé de grandes idées, problème monétaire, moratoire, tout ce qu'on voudra ... mais la famine, je veux vous en dire un mot.

- La France a proposé à Dublin, à la dernière réunion des Dix pays de l'Europe 'CEE', une augmentation de l'aide alimentaire, et nous avons ajouté à la distribution des 500 000 tonnes de céréales déjà accordées 700 000 autres tonnes, donc 1 200 000. Et sur ce million 200 000, la France fournit 25 %, c'est-à-dire 300 000 tonnes. D'autre part, la France a pris sur elle, en dehors de cet accord, d'apporter 100 000 autres tonnes, si bien que la France, cette année fournit un apport de 400 000 tonnes de céréales pour l'alimentation des pays soumis à la famine.

- Ce n'est pas la seule chose qu'elle fait, parce qu'il y a des initiatives privées : par exemple les productioeurs de céréales, leurs coopératives, préparent à l'heure actuelle une action, un sac de blé par 10 hectares, je crois ; cela fera 20 000 tonnes de plus qui pourraient être acheminées. Le Congrès mondial des jeunes agriculteurs s'est réuni au Burkina ...

- QUESTION.- Souhaitez-vous que ces initiatives privées se développent ?

- LE PRESIDENT.- Je le souhaite, et l'Etat est prêt à les soutenir à fond. J'ai dit ce que je voulais dire là-dessus, ce n'est pas indifférent. Ce n'est pas d'ailleurs la distribution qui suffira, il ne faut pas simplement apporter des céréales il faut aussi apprendre à les semer, il faut aussi apprendre à les traiter, il faut aussi connaître les sols, etc .. Il y a une éducation agricole à faire. Nous y travaillons. Je ne veux pas y revenir, cela risquerait d'être trop long.

QUESTION.- Les rapports Est-Ouest, peut-être, à la veille des rencontres entre Schultz et Gromyko au mois de janvier ? Rencontre qui est la première reprise de contact entre les deux super-puissances sur les armements. Alors en gros, est-ce que vous attendez, d'abord, de cette rencontre ? Est-ce que c'est une bonne nouvelle pour vous ?

- LE PRESIDENT.- Je rappelle toujours, monsieur Tatu, mais vous le savez bien, il nous est arrivé d'en débattre, que les trois axes principaux de la politique française sont bien l'Europe -- on en dira un mot tout à l'heure, il fait que l'Europe existe --, le tiers monde, le développement des rapports Est-Ouest. Il faut équilibrer. La paix viendra de l'équilibre des forces. Si l'un des deux blocs, disons les Etats-Unis, l'Amérique, est vraiment trop puissant par rapport à l'Union soviétique, très vite celui qui se trouve plus faible voudra intervenir avant que l'autre soit encore le plus fort, et vice versa. De même, la notion de l'équilibre en Europe.

- C'est pourquoi je suis intervenu au début de mon septennat sur l'affaire des Pershings. J'ai trouvé inacceptable qu'il y ait ce qu'on appelle les armes nucléaires intermédiaires 'FNI' (pour ne pas compliquer les choses). Ce sont quand même des armes importantes, elles peuvent faire 4000 kilomètres de distance, elles peuvent détruire à cent mètres près tous les objectifs désignés, la totalité des dispositifs militaires de toute l'Europe occidentale. Il y a 750 charges nucléaires en Union soviétique. Pourquoi ? Cela ne peut pas traverser l'Atlantique, c'est donc pour l'Europe.

- A partir de là, je dis non, il faut équilibrer, et j'ai pris position. Cela a été très contesté. On a dit : super-atlantisme. Pas du tout ! C'est toujours la même chose. Si je vais en Israël, je suis pour Israël contre les Arabes. Je vais à Damas ? Je suis pour abandonner les Israéliens .. Bon. Je traite avec le Mexique pour lancer un appel au tiers monde ? On dit : de quoi est-ce qu'il se mêle ? Aujourd'hui, nous sommes considérés, avec l'Espagne, comme les meilleurs amis de l'Amérique latine. Eh bien c'est la même chose. Si je dis : Pershings, parce qu'il faut équilibrer les forces en Europe, on ne peut pas laisser le monde européen sans rien dans les mains face à l'Union soviétique, alors à ce moment-là super-atlantisme !

- Et puis, je suis allé à Moscou ensuite. On dit : mais qu'est-ce que cela veut dire ? Il est en train de pactiser avec les ambitions de l'Union soviétique ! Je pense que la contrepartie de ce que je viens de dire, c'est que la France doit avoir des relations actives d'amitié, si l'on peut, et en tout cas de respect mutuel avec l'Union soviétique.

QUESTION.- Il y a un autre aspect de l'équilibre, un autre problème qui se pose justement plus récemment encore, c'est ce qu'on appelle la guerre de l'espace, c'est-à-dire cette idée qu'a le Président Reagan de défendre le territoire américain contre les missiles intercontinentaux. Alors qu'en pensez-vous, en particulier pour la France, puisque cela poserait un problème pour notre force de dissuasion ?

- LE PRESIDENT.- C'est pourquoi il existe un quatrième axe de la politique de la France aujourd'hui. Equilibre dans le monde et en Europe, développement pour le tiers monde, Europe -- Europe politique -- doivent être complétés par une quatrième dimension, c'est l'espace et l'océan, puisque, désormais, on a les moyens techniques de pénétrer l'océan jusqu'aux fonds marins très riches et, d'autre part, puisque l'espace s'offre à la conquête de la science. La position de M. Reagan tend, au fond, à réduire les délais qui peuvent assurer la défense des Etats-Unis d'Amérique -- à partir de l'espace, c'est plus facile, si je peux m'exprimer ainsi -- et consiste à tenter de mettre une sorte de bouclier tout le long des Etats-Unis d'Amérique -- les lasers, toutes sortes de moyens, enfin je ne vais pas entrer dans les délais techniques, j'en connais certains --je ne les connais pas tous, qui ferait que les fusées ne pourraient pas le traverser.

- D'abord, c'est un surarmement et ce n'est pas vers cela qu'il faut aller. Il faut aller vers un désarmement, c'est-à-dire un équilibre au plus bas niveau possible. Ce n'est pas au moment où M. Schultz et M. Gromyko vont se rencontrer à Genève -- peu importe l'endroit -- qu'il faut parler de surarmement.

- Alors nous, Français, nous avons de ce point de vue une position différente ; elle n'est pas opposée, elle est différente. Par exemple, nous disons : il faut pouvoir observer ce qui se passe dans l'espace, il faut pouvoir aller dans l'espace. Nous en avons les moyens ; avec une Ariane V, nous en aurons les moyens ; on peut y aller, il faut que l'Europe aille, avec une station orbitale habitée, dans l'espace. Observer, apprendre, savoir ce qui se passe.

- Quant à militariser l'espace, par tous les moyens que nous venons d'évoquer et beaucoup d'autres, non. Mieux vaut engager dès maintenant le dialogue avec les deux plus grandes puissances sur ce sujet, et la position de la France ira dans ce sens, c'est-à-dire dans le sens de la non militarisation de l'espace.

QUESTION.- Monsieur le Président, vous venez de dire que les relations entre la France et l'Union soviétique devaient être directes, actives si possible, etc. Mais pourquoi, alors les avoir, pour ainsi dire, gelées pendant trois ans ?

- LE PRESIDENT.- Je les ai gelées ?

- QUESTION.- Ces relations sont plus mauvaises ...

- LE PRESIDENT.- Non, non, elles ne sont pas mauvaises, peut-être parce ce qu'elles n'étaient pas bonnes. L'essentiel, c'est de récupérer ce qui avait pu être perdu quant à la considération que les Soviétiques pouvaient avoir pour la France. Il ne faut pas s'amuser avec la France et, par exemple, tenir le raisonnement qu'on peut avoir toutes les armes qu'on veut, le cas échéant, dirigées sur la France, et que la France n'ait pas le droit d'en avoir. Cela ne marche pas.

- Je crois que les dirigeants soviétiques ont compris quel était mon raisonnement. A partir du moment où ils l'ont compris -- les échanges s'étaient raréfiés, s'étaient un peu gelés, c'est vrai -- est passé un courant d'air chaud, et, au fond, à partir de mon voyage à Moscou et depuis lors, moi je tiens à une bonne relation avec l'Union soviétique, j'y tiens énormément, c'est une donnée séculaire de la politique française. C'est une nécessité pour les deux pays qui, à chaque bout du continent, doivent absolument s'entendre, mais pas au détriment de notre sécurité, et aussi à la condition que ce pays ait pour nous le respect que nous méritons.

- QUESTION.- Maintenant, monsieur le Président ...

- LE PRESIDENT.- M. Tchernenko, je l'ai invité quand j'étais à Moscou et il avait dit qu'il accepterait avec plaisir ; on en est là.

- QUESTION.- Maintenant que les relations américano-soviétiques vont reprendre, semble-t-il, à un certain rythme, pour que la France garde sa place, est-ce qu'il ne faut pas qu'elle recommence ses contacts permanents avec l'Union soviétique, avec une certaine périodicité comme autrefois ?

- LE PRESIDENT.- Absolument, et la direction des commissions qui se réunissent sera de plus en plus assumée par des personnalités engageant au sommet ou presque la politique française ; il faut aller dans ce sens ...

- QUESTION.- Il faut des rencontres au sommet, monsieur le Président ?

- QUESTION.- C'est peut-être le moment ...

- LE PRESIDENT.- Cela va faire un voyage supplémentaire, mais ce n'est pas moi qui irai.

- QUESTION.- ... de parler de l'Europe ; doit-elle être spectatrice des entretiens qui vont avoir lieu ?

QUESTION.- Nous avons juste le temps de parler de l'Europe : vous vous êtes beaucoup dépensé ces mois derniers pour l'Europe. Est-ce que vos efforts ont été couronnés de résultats ? En bref, quelles ont été les avancées de l'Europe depuis le sommet d'Athènes jusqu'au dernier sommet de Dublin ?

- LE PRESIDENT.- J'ai participé à tous les sommets depuis 1981 naturellement, et il était facile de remarquer que les relations européennes étaient grippées, et que l'Europe de la Communauté 'CEE', puisqu'elle marchait mal, allait vers sa dislocation. On a assisté à un certain redressement, du moins dans les esprits, sans doute face au danger, à Stuttgart. Déjà à Copenhague, on avait dit : mettons tout sur la table ; à Stuttgart il y a eu l'idée, le projet d'une union européenne qui rechercherait ses nouvelles bases. A Athènes, on a avancé encore dans la connaissance des dossiers antagonistes, sans les résoudre.

- A Bruxelles -- alors là j'étais Président de la Communauté, les six premiers mois de cette année 1984 -- on s'est entendu sur 14 questions, pas sur les deux dernières, ce qui a empêché -- notamment l'histoire du lait -- un accord global. Alors tout le monde a crié -- toujours l'histoire du film, on regarde deux images, on ne regarde pas le déroulement -- à l'échec de l'Europe, la présidence française n'aurait servi à rien.

- Et à Fontainebleau, qui était le deuxième Sommet de ma présidence -- six mois, c'est vite fait -- on a tout réglé ; tous les problèmes, tous les contentieux existant à l'époque, naturellement, ont été réglés, et on a pu repartir. Pour quoi faire ? Pour donner le point de départ de l'élargissement à l'Espagne et au Portugal, les conditions devant encore en être débattues entre les 10, puis les 10 avec chacun des deux futurs partenaires, et on a renvoyé à Dublin, qui a eu lieu il y a quinze jours, le soin d'en décider.

- Donc, à Fontainebleau, on a ouvert la voie pour l'élargissement, et on a ouvert un deuxième dossier vers un resserrement de l'unité politique ; on a nommé un comité, comme on dit, ad hoc, c'est-à-dire un comité spécialisé, à l'image de ce qui avait été fait lorsqu'on avait voulu signer le Traité de Rome, qui est à l'origine de la Communauté actuelle.

- On a confié le rapport à un Français, M. Maurice Faure, de même que la Commission européenne est désormais présidée par un Français, M. Jacques Delors, ce qui montre que la situation de la France n'est pas si fâcheuse en Europe, au contraire. Nous avons décidé de discuter de ce rapport européen, d'abord à Bruxelles en mars, puis pleinement en juin, à la session du Sommet, en Italie, sous la présidence italienne dans les deux cas, et à ce moment-là, nous débattrons du projet politique pour l'Europe. Déjà au mois de mars, nous mettrons un terme à la discussion sur l'élargissement. Cela paraît clair. C'est donc un énorme progrès. Enfin, on avance. A-t-on tout réglé ? Non, bien entendu.

QUESTION.- L'opposition prétend que c'est nous qui payons le chèque remis à Mme Thatcher, et que, d'autre part ...

- LE PRESIDENT.- L'opposition dit cela ? Mais c'est merveilleux ! Le chèque à Mme Thatcher a été décidé en 1980, au mois de mai, soit un avant avant mon arrivée ici...

- QUESTION.- J'ai entendu M. François-Poncet le dire au Sénat.

- LE PRESIDENT.- C'est M. François-Poncet qui l'a signé ! Enfin je ne sais pas s'il l'a signé matériellement, mais il était ministre des affaires étrangères, je suppose qu'il était consulté. Et en mai 1980, à Dublin précisément, c'est ce jour-là qu'a été décidé de payer des sommes folles à Mme Thatcher qui, de plus, n'étaient pas justifiées, du moins dans leur totalité. La preuve, c'est que Mme Thatcher a reçu un milliard d'Ecus de trop, presque, que la France et quelques autres lui ont concédés. Mais à partir du moment où cela a été fait, pour deux ans en 1980, il était très difficile de repartir de zéro, et l'accord fait à Fontainebleau -- l'opposition ferait bien de se taire sur ce sujet et sur quelques autres ; elle a droit de parler, je veux dire qu'elle devrait faire plus d'introspection, être plus honnête avec ses propres actes -- a porté sur ce chèque à la Grande-Bretagne, d'un niveau nettement inférieur, comparativement à la valeur des monnaies, à ce qui avait été accordé en 1980.

- QUESTION.- La répartition n'a pas été décidée à ce moment-là ?

- LE PRESIDENT.- La répartition, qu'est-ce que vous voulez dire par là ?

- QUESTION.- C'est-à-dire que chacun donne pour le chèque britannique.

- LE PRESIDENT.- Si, cela a été décidé, puisque l'Allemagne qui est le pays qui contribue le plus à la marche de l'Europe n'a participé que pour une part de ce qu'elle aurait dû payer, et les autres pays, selon ce qu'on appelle la clé c'est-à-dire la répartition traditionnelle, quand il s'agit de distribuer des dépenses. Mais vous savez que le Marché commun, cela rapporte à la France. Souvent, on dit : Mais combien cela coûte ? Vous savez ce que cela a rapporté ? Vous savez que la production agricole française a doublé en 20 ans. Et notre industrie agro-alimentaire rapporte 20 milliards par an.. Donc, c'est quelque chose de très profitable pour la France, mais il est normal que cela, ici ou là, nous oblige à certaines concessions.

QUESTION.- Une dernière question sur l'Europe, avant de conclure.

- QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez évoqué l'union européenne, un renforcement des institutions politiques. Est-ce que vous envisagez, à terme, qu'il puisse y avoir un référendum à ce sujet en France ?

- LE PRESIDENT.- Je suis tout-à-fait favorable à un renforcement de l'union politique de l'Europe, parce que l'Europe, désormais, doit, en tant que telle, jouer son rôle sur la scène du monde. L'Europe actuelle, à 10, c'est la plus grande puissance commerciale du monde. Songez qu'à 4 simplement, Italie, Angleterre, Allemagne, France, nous dépensons plus, nous consacrons plus d'argent à la recherche scientifique que le Japon ou que les Etats-Unis d'Amérique. Et, cependant, le résultat est très loin derrière. Pourquoi ? Parce que nous n'avons pas la volonté politique et, si nous n'avons pas la volonté politique, c'est parce que nous n'avons pas les moyens d'une volonté politique, il faut donc resserrer l'unité politique de l'Europe.

- Un référendum pour l'élargissement ? Il faut, je crois, être clairs : nous sommes dix, et nous devrions être douze le 1er janvier 1986 ; il reste encore une négociation à faire à ce sujet. M. Pompidou avait recouru au référendum lors de l'adhésion de la Grande-Bretagne, du Danemark et de l'Irlande, en 1972, je crois. C'est donc reconnaître qu'un référendum serait constitutionnel, même si on peut, sur quelques points d'aiguille, démontrer le contraire. Cela a donc été fait, je ne m'interdis pas de le faire, mais je n'ai pas pris de décision à cet égard, d'autant plus que l'élargissement n'est pas encore acquis.

- QUESTION.- Ce sera vivable, à dix ou douze, monsieur le Président ?

- LE PRESIDENT.- A mesure que l'Europe s'élargit, c'est plus difficile, elle perd un peu sa -nature de marché privilégié, d'union douanière avec des tarifs préférentiels. C'est plus difficile mais politiquement, culturellement, géographiquement, c'est une nécessité, il faut que l'Espagne, le Portugal, soient associés au sort de l'Europe intimement. Bien entendu, notre démonstration consiste à défendre les intérêts français, ce que nous avons fait, notamment sur les fruits et les légumes, et sur le vin, et nous nous apprêtons à le faire pour la pêche, pour que la production espagnole ne vienne pas bouleverser notre marché, qui est déjà souvent en difficulté.

QUESTION.- Merci, monsieur le Président. Je crois que vous avez eu l'occasion de vous exprimer sur les principaux sujets de politique étrangère qui intéressaient nos concitoyens, néanmoins ce ne sont pas les seuls, ils s'intéressent aussi à la politique intérieure. Est-ce que vous avez l'intention de vous exprimer sur ces sujets-là et, si oui, quand ?

- LE PRESIDENT.- Oui, je souhaite le faire. Vous avez parlé du mi-chemin de mon septennat, nous y sommes en effet ...

- QUESTION.- C'est la moitié du film ...

- LE PRESIDENT.- La moitié du film, la plupart des gens l'ont commentée : journalistes, commentateurs ... vous, pas moi ... sauf quelques conversations avec un journaliste, que je crois intéressantes, mais ce n'est pas suffisant. Je voudrais le faire, et donc je voudrais traiter les problèmes de politique intérieure, les problèmes économiques, chômage en particulier, les différents paramètres économiques et sociaux, la sécurité, la sécurité des Français.
- Je crois, derrière tous mes propos de politique extérieure, avoir montré que mon souci était la sécurité de la France, sa grandeur, son rayonnement, mais aussi sa sécurité devant le conflit des plus grandes puissances, devant la force des armes qui peuvent tout détruire, le nucléaire aujourd'hui, ce qui va suivre aussi.
- Je voudrais donc aussi traiter des problèmes de sécurité pas seulement sous la forme de la défense contre le crime ou la délinquance, mais aussi sous la forme de la défense des couches sociales les moins favorisées contre l'oppression de la misère, et je voudrais en parler dès le mois de janvier, si possible dans la première quinzaine. Après cela -- je n'avais pas parlé d'une façon aussi étendue depuis le mois de juillet -- j'attendrai, je n'abuse pas de la télévision.

- QUESTION.- Le rendez-vous est pris. Merci, monsieur le Président, merci messieurs.

- LE PRESIDENT.- C'est moi qui vous remercie.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024