Fiche du document numéro 10102

Num
10102
Date
Mardi 25 mars 2014
Amj
Auteur
Fichier
Taille
497104
Pages
21
Titre
L'impunité accordée par la France aux génocidaires. Exfiltration et mise à l'abri des génocidaires pendant et après le génocide
Type
Note
Langue
FR
Citation
L’impunité accordée par la France aux
génocidaires.
Exfiltration et mise à l’abri des génocidaires
pendant et après le génocide
Jacques Morel
25 mars 2014, v1.4
La France fut impliquée dans le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994.
Quand a-t-elle su qu’il y avait un génocide ? Quand l’a-t-elle reconnu ? A-telle rempli les obligations stipulées par la Convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide de 1948, qu’elle a ratifié en 1950 ? Quelle a été
son attitude par rapport aux auteurs du génocide ? A-t-elle aidé à leur fuite ou
sont-ils partis tout seuls ? 1

1
1.1

Refus de reconnaître le génocide des Tutsi
Le 8 avril, Paris sait que le génocide des Tutsi a débuté

D’avril à la mi-mai 1994, les dirigeants français vont refuser de qualifier de
génocide les massacres des Tutsi. Pourtant ils savent qu’un génocide est en cours.
En effet l’ordre d’opération Amaryllis daté du 8 avril constate que « pour venger
la mort du Président Habyarimana », « les membres de la garde présidentielle
ont mené dès le 07 matin des actions de représailles à Kigali » dont l’attaque
du bataillon FPR (Front patriotique rwandais) et l’« arrestation » et l’« élimination des opposants et des Tutsi ». Qu’est-ce que l’élimination des Tutsi,
sinon un génocide ? Face à cette évidence, « le détachement français adoptera
une attitude discrète et un comportement neutre vis à vis des différentes factions
rwandaises. » 2 L’état-major des armées a donc connaissance d’un génocide et
refuse de le prévenir et de le réprimer.
1. La plupart des documents cités sont consultables sur le site http://www.
francegenocidetutsi.org/.
2. Ordre d’opération Amaryllis, 8 avril 1994, déclassifié. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Annexes, p. 344]. http://www.francegenocidetutsi.org/
OrdreOpAmaryllis.pdf

1

2

INTERVENIR AU SECOURS DE NOS ALLIÉS

1.2

2

L’ambassadeur de France participe à la formation du
gouvernement intérimaire

Après avoir rencontré le 7 avril le colonel Bagosora, organisateur du coup
d’État et des massacres, l’ambassadeur de France accueille le lendemain une
réunion de leaders politiques rwandais pour former un gouvernement intérimaire
(GIR). Celui-ci se constitue le 8 avril en violation des accords de paix entre le
FPR et le gouvernement rwandais. Nonobstant ce fait, l’ambassadeur Marlaud
déclare publiquement que ce gouvernement est conforme aux accords d’Arusha. 3
Ce gouvernement qui se dit « des Sauveurs » est le gouvernement des tueurs,
celui qui va organiser l’élimination systématique des Tutsi. Sur vingt-deux ministres de ce gouvernement intérimaire rwandais, soutenu dès sa formation par
la France, dix sept seront accusés de génocide.

1.3

Mettre fin à la guerre par un cessez-le-feu

Officiellement, la France ne veut voir qu’une guerre. Recevant au plus fort
des massacres, un ministre de ce gouvernement qui les orchestre, Paris se présente comme « cherchant à maintenir le contact avec l’ensemble des parties
rwandaises » afin d’encourager « la reprise du dialogue ». 4

1.4

À l’ONU, la France empêche la reconnaissance d’un
génocide

Au Conseil de sécurité du 30 avril, le représentant de la France « a dû
s’opposer, écrit le général Quesnot à François Mitterrand, à une condamnation
partisane des seules exactions commises par les forces gouvernementales ». 5 En
clair, Paris a empêché la reconnaissance du génocide des Tutsi.

2

Intervenir au secours de nos alliés

Cependant, à la session extraordinaire de la Commission des Droits de
l’homme de l’ONU sur le Rwanda le 24 mai, madame Michaux-Chevry, ministre délégué à l’Action humanitaire et aux Droits de l’homme, reconnaît qu’il
y a génocide perpétré par « des éléments de la garde présidentielle et des troupes
rwandaises ». Elle souligne le rôle des milices mais elle ne met pas en cause le
gouvernement intérimaire rwandais. Elle précise que la Commission des droits
3. Afrique Midi, RFI, 11 avril 1994. Cf. V. Feuille, P.-E. Deldique, Mission d’étude sur le
Rwanda [7, Tome II, p. 60]. http://www.francegenocidetutsi.org/MarlaudRFI11avril1994.
pdf
4. Pas plus de 10.000 morts tutsis au Rwanda, selon un membre hutu du gouvernement
de transition , AFP, 28 avril 1994.
5. Note du général Quesnot à l’attention de Monsieur le Président de la République. Objet :
Votre entretien avec M. Léotard le lundi 2 mai. Situation. 2 mai 1994, Note manuscrite : « Vu.
HV ». http://www.francegenocidetutsi.org/Quesnot2mai1994.pdf

3

LA RECONNAISSANCE D’UN GÉNOCIDE PAR RENÉ DEGNI-SÉGUI3

de l’homme de l’ONU « doit exiger que les responsables de telle atrocités soient
identifiés. Le monde entier attend qu’ils soient jugés et condamnés. » 6

2.1

Alain Juppé : « ces génocides »

À la mi juin, devant la déroute de l’armée rwandaise et répondant aux appels
au secours du GIR, 7 le président Mitterrand et le Premier ministre Balladur
décident une intervention militaire au Rwanda et demandent un mandat aux
Nations Unies. Pour ce faire il faut invoquer le mot génocide. C’est ce que fait
Alain Juppé le 16 juin « La France n’aura aucune complaisance à l’égard des
assassins ou de leurs commanditaires », 8 écrit-il, mais il met le mot génocide au
pluriel en ajoutant que la France « exige que les responsables de ces génocides
soient jugés », laissant clairement entendre que le FPR est autant coupable de
génocide que le gouvernement intérimaire rwandais.

2.2

Le mandat proposé à l’ONU ne parle pas de génocide

Le 22 juin le Conseil de sécurité adopte la résolution 929 rédigée par la France
et lui donne ainsi un mandat sous chapitre VII, donc avec le droit de recourir à
la force, pour une opération sous commandement français « strictement humanitaire » afin de protéger les civils en danger au Rwanda « de façon impartiale
et neutre ». 9 Il n’y est pas question de génocide, encore moins d’y mettre fin et
d’arrêter les présumés coupables. Les auteurs des massacres et leurs victimes ne
sont pas désignés.
Le texte est si habilement rédigé qu’il permet de considérer comme « civils
en danger » toutes les petites mains qui ont participé au génocide et fuient
devant l’offensive du FPR.

3

La reconnaissance d’un génocide par René DegniSégui

L’armée française arrive officiellement le 23 juin au Rwanda. Le 28 juin 1994,
le rapporteur spécial de la Commission des Droits de l’homme des Nations
Unies, M. René Degni-Ségui, conclut au génocide des Tutsi du Rwanda. 10 Il
6. Compte rendu analytique de la première séance de la session extraordinaire de la commission des droits de l’homme de l’ONU sur le Rwanda, 24 mai 1994, ONU, E/CN.4/S-3/SR.1,
section 32-33. http://www.francegenocidetutsi.org/E-CN.4-S-3-SR.1.pdf#page=9
7. Dr Théodore Sindikubwabo, Président de la République à Son Excellence Monsieur François Mitterrand, Kigali le 22 mai 1994. Lettre transmise par le général Quesnot à l’attention de
Monsieur le Président de la République. Objet : Correspondance du docteur Théodore Sindikubwabo, Président par intérim du Rwanda, 24 mai 1994. Note manuscrite : « Signalé/HV ».
http://www.francegenocidetutsi.org/SindikubwaboMitterrand22mai1994.pdf
8. Alain Juppé, « Point de vue », Intervenir au Rwanda, Libération, 16 juin 1994.
9. ONU, S/RES/929 (1994) http://www.francegenocidetutsi.org/94s929fr.pdf
10. René Degni-Ségui, 1er rapport du 28 juin 1994, ONU, A/49/508, S/1994/1157 ; Commission des Droits de l’homme de l’ONU, E/CN.4/1995/7. http://www.francegenocidetutsi.
org/94s1157.pdf#page=13

3

LA RECONNAISSANCE D’UN GÉNOCIDE PAR RENÉ DEGNI-SÉGUI4

recommande de « créer, dans l’attente d’une juridiction pénale internationale
permanente, une juridiction internationale ad hoc chargée de connaître des faits
et de juger les coupables. » La presse française fait écho à ce rapport le 1er
juillet. 11

3.1

Le stratagème de la résolution 935

Ce jour-là, le Conseil de sécurité, feignant d’ignorer le rapport de M. DegniSégui, adopte la résolution 935 qui ne retient pas sa conclusion d’un génocide
contre les Tutsi, ce qui aurait exigé une action immédiate. Proposée par plusieurs
pays, dont la France, la résolution demande au Secrétaire général de former
d’urgence une commission d’experts chargés d’enquêter sur « de possibles actes
de génocide » et de fournir un rapport « dans les quatre mois qui suivront sa
mise en place ». 12
C’est seulement le 4 octobre 1994, que cette commission conclura qu’il y a
eu un génocide des Tutsi, ce que M. René Degni-Ségui avait déjà établi dans son
rapport trois mois avant. 13 Et ce n’est que le 8 novembre 1994 que le Conseil de
sécurité décide de la création d’un Tribunal pénal international pour le Rwanda
(TPIR). 14

3.2

L’obligation d’arrêter les présumés coupables

L’obligation d’arrêter les présumés coupables de génocide découle de l’article
6 de la Convention de 1948 qui stipule qu’ils seront traduits : « devant les
tribunaux compétents de l’État sur le territoire duquel l’acte a été commis, ou
devant la cour criminelle internationale. »
Les déclarations des responsables français se garderont bien de nier cette
évidence qu’il faut arrêter les présumés coupables. M. Mérimée, représentant
de la France au Conseil de sécurité, déclare le 1er juillet que « des violations
systématiques des droits de l’homme et un véritable génocide sont commis au
Rwanda [...] il serait intolérable que leurs auteurs restent impunis. » 15
Pour Alain Juppé, le 2 juillet, « le retour au dialogue ne pourra se faire que
si les responsables des massacres sont écartés, jugés, punis. » 16
11. Le massacre des Tutsis au Rwanda constitue en termes légaux un « génocide », qui
« semble avoir été programmé », a estimé le rapporteur spécial de la commission des Droits de
l’homme de l’ONU, René Degni-Ségui, Le Figaro, 1er juillet 1994 ; Faisant état de « massacres
programmés et préparés », un rapport de l’ONU dénonce un « génocide » au Rwanda, Le
Monde, 2 juillet 1994. Le titre du Figaro est exact, il indique les victimes, alors que celui du
Monde reste dans le flou.
12. ONU S/RES/935 (1994). http://www.francegenocidetutsi.org/94s935-fr.pdf
13. ONU, S/1994/1125, section 148, p. 31. http://www.francegenocidetutsi.org/
sg-1994-1125.pdf#page=31
14. ONU, S/RES/955 (1994), section 1, p. 2. http://www.francegenocidetutsi.org/
94s955.pdf#page=2
15. Procès-verbal de la 3400e séance du Conseil de sécurité, vendredi 1er juillet, S/PV.3400,
p. 5. http://www.francegenocidetutsi.org/spv3400-1994.pdf#page=5
16. Alain Juppé, La responsabilité de tous, Le Monde, 2 juillet 1994. http://www.
francegenocidetutsi.org/JuppeLeMonde2juillet1994.pdf

4

L’OPÉRATION TURQUOISE

3.3

5

Les coupables présumés connus

Au mois de juin, les coupables présumés sont connus de la Commission des
Droits de l’homme de l’ONU. Les responsables français les connaissent mieux
que quiconque.

3.4

Massacres connus dans l’Ouest

Des organisations internationales ont fait le constat de massacres dans l’ouest
du Rwanda où vont pénétrer les militaires français. L’armée du FPR n’y est
jamais parvenue, il n’y a pas eu de guerre. Il n’y a eu que le génocide. Les
autorités locales en place devraient être présumées responsables.

4

L’opération Turquoise

Si le but proclamé de l’opération Turquoise était d’arrêter le génocide, le
but réel était d’empêcher la victoire du FPR, de maintenir nos alliés hutu au
Rwanda et d’obtenir un réglement négocié.
Devant la débâcle de l’armée rwandaise plus empressée à massacrer des civils qu’à se battre contre le FPR, l’opération Turquoise ne put qu’organiser la
retraite au Zaïre par Goma et aménager une zone tampon dans le sud-ouest,
zone dite humanitaire sûre (ZHS). Pour créer cette zone le 4 juillet, la France
ne jugea pas nécessaire de demander un mandat à l’ONU.

4.1
4.1.1

La zone humanitaire : une zone de sécurité pour les
tueurs
Pas de désarmement

Il n’y a pas eu de désarmement des auteurs du génocide. Jusqu’à la chute
de Gisenyi, les Français ont estimé devoir rester neutre dans le conflit entre les
forces gouvernementales et le FPR. Comme l’a exprimé le colonel Rosier : « Les
miliciens font la guerre. Par souci de neutralité, nous n’avons pas à intervenir. Sinon, demain, s’il y a des infiltrations de rebelles, on nous fera porter le
chapeau. » 17
Une instruction ministérielle définissant les règles de comportement dans
la zone humanitaire, interdit au FPR d’y rentrer. Quant aux forces gouvernementales qui s’y trouvent, elle écrit : « La question de la démilitarisation des
FAR et des milices se situant à l’intérieur du périmètre protégé peut se poser.
À ce stade, il est proposé de ne pas fixer cette mission à la force Turquoise ;
elle demanderait en effet un volume de moyens plus important que celui dont
nous disposons actuellement. » 18 Ce refus de désarmer est contradictoire avec
17. Stephen Smith, Dialogue difficile avec les massacreurs, Libération, 27 juin 1994, p. 16.
18. Note du ministère de la Défense et du ministère des Affaires étrangères, 4 juillet 1994.
Objet : Rwanda ; concept de zone humanitaire protégée, contenu, évolution. http://www.
francegenocidetutsi.org/MinDefMinAffEt4juillet1994.pdf#page=2

4

L’OPÉRATION TURQUOISE

6

la définition d’une zone humanitaire admise par les Nations Unies.
Il y a eu certes quelques opérations de désarmement, mais il s’agit souvent de
déserteurs des FAR à qui les armes sont prises et redistribuées à des miliciens,
groupes de défense civile ou pseudo-gendarmes. Sources : Képi blanc, octobre
1994, rapport Mucyo.
4.1.2

Protéger les tueurs

L’instauration d’une zone humanitaire et l’interdiction au FPR d’y pénétrer
place l’armée française dans un rôle d’interposition contraire à la résolution
929. La force militaire française a donc été utilisée pour protéger les tueurs, en
particulier à partir du 4 juillet 1994 à Gikongoro.
4.1.3

Lutter contre les infiltrés

Dans la zone humanitaire, les barrières sont maintenues. Les milices et
groupes d’auto-défense sont utilisés par les Français pour faire la chasse aux
infiltrés. Un infiltré est un soldat du FPR qui pénètre en zone gouvernementale.
Mais par extension, comme tout Tutsi « peut s’avérer un combattant du FPR
en puissance », selon le chroniqueur militaire du journal Le Monde qui répète ce
qu’on lui dit à l’état-major des armées, 19 pour préserver ce qui reste du « pays
hutu », les responsables français font donc éliminer ces « infiltrés » par la « défense civile ». 20 Ainsi les auteurs du génocide ont été utilisés par les Français
pour protéger la zone « humanitaire ».
4.1.4

Une porte de sortie pour les tueurs

Jusqu’au 19 août, cette zone humanitaire a constitué une porte de sortie
vers le Zaïre. Elle a empêché le FPR de mettre la main sur les tueurs. Tous les
éléments des FAR de la région de Butare et Gitarama vont pouvoir se réfugier
au Zaïre et formeront plus tard l’ALIR et les FDLR.
4.1.5

La zone humanitaire reste un repaire de tueurs

La zone humanitaire a permis aussi à d’autres tueurs de rester au Rwanda
dans des camps de déplacés. Ces camps seront administrés par des auteurs du
génocide qui tenteront des actions pour déstabiliser le nouveau gouvernement.
Venus de ces camps ou du Zaïre des tueurs continuent à tuer les survivants tutsi
qui réclament leurs biens volés ou dénoncent leurs assassins.
19. Jacques Isnard, M. Léotard va inspecter un dispositif encore léger et fragile, Le Monde,
29 juin 1994, p. 3.
20. République du Rwanda, Commission nationale indépendante chargée de rassembler
les preuves montrant l’implication de l’État français dans le génocide perpétré au Rwanda
en 1994 (dite commission Mucyo), Rapport, 15 novembre 2007, p. 241. http://www.
francegenocidetutsi.org/RapportMucyo15novembre2007.pdf

5

L’ABSTENTION À ARRÊTER LES ORGANISATEURS DU GÉNOCIDE7

4.2

La recherche d’un cessez-le-feu

La France tente jusqu’à la fin d’obtenir un cessez-le-feu entre le GIR et le
FPR. Il aurait permis de stopper la débâcle des FAR, de ramener le GIR et le
FPR à la table de négociation. Cela aurait donné aux massacreurs un statut de
belligérant normal et leur assurait l’impunité.
La France est obligée de préciser que sa proposition exclut de la négociation
« les responsables des massacres et notamment des actes de génocide ». 21 Sans
les désavouer publiquement, Paris ne soutient plus le Gouvernement intérimaire
rwandais qui est dénommé dorénavant « autorités de Gisenyi ».
Mais elle lui substitue comme interlocuteur le chef d’état-major de l’armée
rwandaise, Augustin Bizimungu. Selon le général Lafourcade, celui-ci « conserve
une certaine autorité sur les milices ». 22 Il est donc un des organisateurs des
tueries. Mais le général Lafourcade ne lui en tient pas rigueur. « Très rapidement, écrit-il, le général Bizimungu m’accorde que certaines unités des FAR ont
participé aux massacres ! Je suis estomaqué par sa franchise. Duplicité, réalisme,
regrets ? A cet instant, je le regarde pourtant comme un militaire, non comme
un criminel de guerre. » 23

5

L’abstention à arrêter les organisateurs du génocide

Les dirigeants français invoquent plusieurs arguments pour ne pas arrêter
les auteurs du génocide.

5.1

Ils sont utiles à la bonne marche de Turquoise

Bruno Delaye, conseiller aux affaires africaines à l’Élysée, à qui Allison Des
Forges demande de défèrer à la justice les autorités rwandaises qui se trouvaient
en zone Turquoise, répond « que la France avait besoin de ces autorités pour
gouverner la région ». 24
Le Quai d’Orsay enjoint à Yannick Gérard, ambassadeur détaché auprès de
l’opération Turquoise, d’éviter les rencontres avec les « autorités de Gisenyi ».
En revanche, « vous assurerez les contacts, notamment avec les autorités locales,
qui seront nécessaires au bon déroulement de l’opération Turquoise ». 25 Ces
21. Lettre datée du 2 juillet 1994, adressée au Président du Conseil de sécurité par le
Secrétaire général : Transmission de la lettre datée du 1er juillet 1994, du Représentant
permanent de la France, lui faisant part de son intention de créer dans le sud-ouest du
Rwanda une zone de protection humanitaire. Cf. ONU, S/1994/798, 6 juillet 1994. http:
//www.francegenocidetutsi.org/S1994-798.pdf
22. Yannick Gérard, TD Kigali, 7 juillet 1994, Objet : Rwanda. Point de situation au matin
du 7 juillet. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Tome II, Annexes, p. 412].
http://www.francegenocidetutsi.org/Gerard7juillet1994.pdf
23. J.-C. Lafourcade [10, p. 118].
24. Témoignage d’Alison Des Forges. Cf. L’Afrique à Biarritz [2, p. 143].
25. TD Paris, 7 juillet 1994.Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Tome II,
Annexes, p. 413]. http://www.francegenocidetutsi.org/Boivineau7juillet1994.pdf

5

L’ABSTENTION À ARRÊTER LES ORGANISATEURS DU GÉNOCIDE8

autorités locales ont toutes organisé les massacres. Ceux qui ne l’ont pas fait
ont été éliminés.

5.2

C’est le rôle de la MINUAR

Yannick Gérard estime le 6 juillet à propos de l’arrestation des responsables
des massacres que « notre intérêt évident est de nous tenir à l’écart d’une telle
opération ». 26 « Il serait nécessaire et urgent de faire confier ce mandat à la
MINUAR », ajoute-t-il. Or, la force française est sur-armée et est autorisée par
l’ONU à utiliser la force. La MINUAR n’y est pas autorisée et ses effectifs ont
été réduits à 270 hommes.

5.3

Nous n’avons pas de mandat

Une note du quai d’Orsay du 7 juillet indique que « A l’ONU, [...], la demande est exprimée que nos forces interviennent directement pour l’arrestation
et la détention des auteurs des massacres : il s’agit là d’une action qui, en dehors des flagrants délits, ne relève pas du mandat qui nous a été donné ». Elle
ajoute que « nous nous montrons disposés à faciliter la tâche de ceux qui en
seront chargés et qui dans notre esprit doivent être des policiers relevant de la
MINUAR. » 27
En résumé, l’ONU demande à la France d’arrêter les auteurs des massacres.
Celle-ci dispose d’un mandat de l’ONU avec droit d’utiliser la force. Mais elle
s’y refuse au motif qu’elle n’a pas de mandat.

5.4

Ce n’est pas notre rôle

Pour le général Lafourcade, il n’est pas question de protéger les assassins,
mais « les arrestations, ce n’est pas notre rôle [...] Ce sera à la commission internationale des Nations unies de faire le tri. ». 28 Il sait très bien que cette
commission des Nations unies n’est composée que de trois juristes. Elle ne pourrait faire le tri qu’une fois les personnes arrêtées. Or lui, qui dispose d’une force
armée mandatée par l’ONU, ne les arrête pas. Dans son livre, il estime que
« la justice fera son travail en temps utile. » 29 Grâce à lui, tous les assassins
pourront s’enfuir.
26. Télégramme du 6 juillet 1994, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Tome
II, Annexes, p. 411]. http://www.francegenocidetutsi.org/Gerard6juillet1994.pdf
27. Ministère des Affaires étrangères, Direction des Affaires africaines et malgaches, Note,
A/S : Rwanda, 1869, 7 juillet 1994. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Tome
II, Annexes, p. 447]. http://www.francegenocidetutsi.org/MinAffEtDAM7juillet1994.pdf#
page=2
28. Corine Lesnes, Le chef de l’opération « Turquoise » prévoit que le FPR va progresser
jusqu’à la limite de la zone humanitaire, Le Monde, 9 juillet 1994, p. 5.
29. J.-C. Lafourcade [10, p. 79].

5

L’ABSTENTION À ARRÊTER LES ORGANISATEURS DU GÉNOCIDE9

5.5

La tentative du GIR de se maintenir à Cyangugu

Le Gouvernement intérimaire compte sur la protection de l’armée française.
Celle-ci ne protégeant pas Gisenyi où il est réfugié, il va gagner la zone humanitaire au sud-ouest pour tenter de se maintenir au Rwanda.
Alors que le 6 juillet l’ambassadeur Gérard recommande « de prendre publiquement et nettement nos distances par rapport à ces “autorités” », 30 que le 7
juillet il dise qu’« elles sont totalement discréditées » 31 , analyse partagée par
le général Lafourcade, celui-ci déclare à la presse le 11 juillet que « les soldats
français les accueilleraient comme de simples réfugiés. » Il ajoute qu’« il serait
du ressort d’une enquête internationale de déterminer qui est responsable des
massacres commis au Rwanda. » 32
Le 13 juillet, Lafourcade maintient qu’ « a priori, sauf menaces directes sur
les populations, nous n’avons pas à arrêter ni à séquestrer personne. » 33
Le 14 juillet, le FPR prend Ruhengeri. Le 15, treize des dix-neuf ministres du
GIR arrivent à Cyangugu avec le Premier ministre et le président intérimaire.
Les militaires français en sont forcément informés.
Le 15 juillet, apprenant la reconstitution du Gouvernement intérimaire à
Cyangugu, Gérard écrit à Paris « nous n’avons pas d’autre choix, quelles que
soient les difficultés, que de les arrêter ou de les mettre immédiatement en résidence surveillée, en attendant que les instances judiciaires internationales compétentes se prononcent sur leur cas. » 34
Une note du quai d’Orsay envisage l’attitude à adopter à l’égard « des personnalités politiques de Gisenyi, dont la quasi totalité est jugée responsable des
massacres ». Elle indique qu’« il n’existe pas de disposition prévoyant leur arrestation et leur jugement ». Mais ces personnalités ont été averties que « leur
présence dans la zone n’était pas souhaitée ». Si elles y rentrent « Nous leur
avons fait dire que nous serions amenés à les mettre en résidence surveillée
jusqu’à remise aux Nations Unies. » 35
Le 16 juillet, Alain Juppé fait dire que « notre mandat ne nous autorise pas
30. Yannick Gérard, TD Kigali, 6 juillet 1994, Objet : Rwanda. Quelques commentaires sur
les questions en cours. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Tome II, Annexes p. 411]. http://www.francegenocidetutsi.org/Gerard6juillet1994.pdf La signature
GERARD apparaît dans la première édition des annexes.
31. Yannick Gérard, TD Kigali, 7 juillet 1994, Objet : Rwanda. Point de situation au matin
du 7 juillet. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Tome II, Annexes, p. 412].
http://www.francegenocidetutsi.org/Gerard7juillet1994.pdf
32. Lafourcade - Nous accueillerons les ministres hutus., Reuters, 11 juillet 1994. http://
www.francegenocidetutsi.org/LafourcadeAccueilleMinistresHutuDansZhs11juillet1994.
pdf
33. Confidentiel Défense. Modalités d’exécution dans la ZHS, 13 juillet 1994
no 764/PCIAT/CEM. Cf. B. Lugan [11, p. 248].
34. Yannick Gérard, TD Kigali, 15 juillet 1994, Objet : Refuge du Gouvernement intérimaire
à Cyangugu. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Tome II, Annexes, p. 419].
http://www.francegenocidetutsi.org/Gerard15juillet1994.pdf
35. Ministère des Affaires étrangères, Direction des Affaires africaines et malgaches, No 1963/DAM, 15 juillet 1994. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise
1990-1994 [14, Tome II, Annexes, p. 457]. http://www.francegenocidetutsi.org/
MinAffEtDAMno1963-15juillet1994.pdf#page=2

5

L’ABSTENTION À ARRÊTER LES ORGANISATEURS DU GÉNOCIDE10

à les arrêter de notre propre autorité. Une telle tâche pourrait être de nature à
nous faire sortir de notre neutralité, meilleure garantie de notre efficacité. » 36
Le rapprochement avec la note de la veille, qui ne doute pas de l’implication
des ministres dans les massacres, montre que cette neutralité de Juppé est une
complicité avec les auteurs du génocide.
À Paris, un porte parole du gouvernement français fait savoir à propos des
membres du gouvernement intérimaire rwandais qui rentreraient dans la zone
humanitaire protégée par l’Opération Turquoise que « s’ils viennent à nous et
que nous en sommes informés, nous les internerons. »
Dans les archives François Mitterrand, sur la dépêche du 15 juillet de l’agence
Reuter qui rapporte cette information, Hubert Védrine a noté en regard de cette
phrase : Lecture du Président. Ce n’est pas ce qui a été dit chez le Premier
Ministre. H Védrine. 37
La décision de laisser les organisateurs du génocide traverser la zone humanitaire et de ne pas les arrêter, mais de les inviter à la quitter rapidement, aurait
été prise en dernier ressort par François Mitterrand.
Hervé Ladsous, représentant de la France au Conseil de sécurité, adresse
une lettre en date du 15 juillet 1994 au président de ce Conseil, annonçant
la présence du Gouvernement intérimaire rwandais dans la zone humanitaire
« sûre ». « Les autorités françaises, ajoute-t-il, se tiennent prêtes à apporter
leur concours à toute décision du Conseil de sécurité concernant les personnes
en cause. » 38
Ainsi, la France se protège par cette lettre. Elle est certaine que le Conseil de
sécurité ne décidera pas d’arrêter les membres de ce gouvernement intérimaire
rwandais tant que celui-ci occupe un siège dans ce même conseil. C’est elle qui
priera M. Bizimana d’abandonner son siège le 19 juillet. 39 C’est une preuve que
le Gouvernement intérimaire rwandais est soutenu à bout de bras par la France
depuis le 9 avril.

5.6

L’exfiltration du GIR

Selon le général Lafourcade, les membres du gouvernement intérimaire sont
venus à Cyangugu et il a demandé à Paris la conduite à tenir mais « le problème
s’est résolu de lui-même, car ils ont quitté CYANGUGU, 24 heures après leur
arrivée pour se réfugier au ZAÏRE ». 40
36. Déclaration du ministère des Affaires étrangères du 16 juillet 1994, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Rapport, p. 325].
37. Rwanda-Paris pret à arreter les membres du gvt, Agence Reuter, Paris, 15 juillet 1994.
http://www.francegenocidetutsi.org/Reuter15juillet1994.pdf
38. Hervé Ladsous, Lettre au Président du Conseil de sécurité, 15 juillet 1994. Cf. ONU,
S/1994/832. http://www.francegenocidetutsi.org/S1994-832.pdf
39. Ministère des Affaires étrangères, Direction des affaires africaines et malgaches,
No 1993/DAM, A/S : Rwanda. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994, [14, Tome II,
Annexes, pp. 463–465]. http://www.francegenocidetutsi.org/MinAffEtDAM19juillet1994.
pdf
40. Lettre de Jean-Claude Lafourcade, Nouméa, 30 juillet 1998, Enquête sur la tragédie
rwandaise 1990-1994 [14, Tome II, Annexes, p. 535]. http://www.francegenocidetutsi.org/
Lafourcade30juillet1998.pdf

5

L’ABSTENTION À ARRÊTER LES ORGANISATEURS DU GÉNOCIDE11

Le lieutenant-colonel Hogard dit qu’il a appris par hasard la présence du
gouvernement intérimaire à Cyangugu. « Je n’avais aucune consigne de Paris.
J’ai juste appris dans l’après-midi par une dépêche AFP que le Quai d’Orsay
trouvait leur présence indésirable. Alors je suis allé les voir. » 41 Il les a fait
partir le 18 juillet.
Le mensuel de la Légion étrangère, Képi Blanc, d’octobre 1994 confirme que
« L’E.M.T. [l’état-major tactique du groupement Sud Turquoise] provoque et
organise l’évacuation du gouvernement de transition ruandais vers le Zaïre. Le
17 juillet, le gouvernement ruandais passe au Zaïre. » 42
Le colonel Hogard reconnaît dans son livre qu’il a contacté un colonel zaïrois,
pour régler avec lui le problème du passage au Zaïre. 43 Selon un pompier en
poste à l’aéroport de Kamembe, il aurait même ordonné de transporter les
voitures de certains ministres en avion pour leur éviter les tracas de la douane. 44
Le départ du GIR était prévu dans la nuit du 17 au 18. Mais il est probable
que les derniers éléments du GIR ne soient partis que le 19.
Dans son point de situation du 17 juillet soir, le général Lafourcade note :
« Dans la matinée, il a été signifié aux membres du Gouvernement intérimaire
qui se trouve à Cyangugu de quitter la ZHS le plus vite possible. Ils devraient
avoir rejoint le Zaïre avec leur famille cette nuit. » 45
La note quotidienne de situation du 17 juillet de la DRM indique que « le
gouvernement intérimaire, partiellement réfugié à Cyangugu où il a réaffirmé
son droit à l’exercice de ses prérogatives, se préparerait à fuir vers le Zaïre ». 46
Dans son point de situation du 18 juillet, le général Lafourcade note : « Le
Gouvernement intérimaire a quitté l’hôtel où il résidait à Cyangugu et semble
s’être réfugié au Zaïre dans la région de Bukavu. » 47 On appréciera le « semble ».
Ce terme est repris par la note quotidienne de situation du 18 juillet de la
DRM qui relève que « le gouvernemnt intérimaire réfugié à Cyangugu semble
avoir choisi de se replier vers le Zaïre avec le reste des FAR et leur armement
afin d’y poursuivre la résistance hutue au nouveau régime mis en place à Kigali ». 48
Une note du Quai d’Orsay datée du 19 juillet assure que : « les autorités
politiques, après avoir cherché refuge dans la zone humanitaire sûre, sont parties
41. Florence Aubenas, L’uniforme mal taillé des soldats de la force Turquoise, Libération,
28 juillet 1994.
42. Képi blanc, No 549, octobre 1994, page 6 du cahier spécial « Ruanda » de 8 pages http:
//www.francegenocidetutsi.org/KepiBlanc549.pdf#page=6 ; Patrick de Saint-Exupéry, Les
« trous noirs » d’une enquête, Le Figaro, 17 décembre 1998.
43. J. Hogard [8, p. 97].
44. Témoignage de Cassien Bagaruka. Cf. Rapport Mucyo, [4, Annexes, p. 35]. http://www.
francegenocidetutsi.org/AnnexesRapportMucyo071115.pdf#page=35
45. Jean-Claude Lafourcade, Point de situation du dimanche 17 juillet soir, 17 juillet 1994,
No 93/PCIAT/CAB.
46. Note
quotidienne
de
situation
du
17
juillet
1994,
DRM,

2412/DEF/DRM/SDE/SITU/CD, 17 juillet 1994.
47. Jean-Claude Lafourcade, Point de situation du dimanche 18 juillet soir, PCIAT Turquoise, 18 juillet 1994.
48. Note
quotidienne
de
situation
du
17
juillet
1994,
DRM
N°2424/DEF/DRM/SDE/SITU/CD, 17 juillet 1994.

6

L’EXFILTRATION DES FAR PAR GOMA

12

pour le Zaïre ». 49
Au moment de leur départ le Président Sindikubwabo et les ministres ont
lancé sur Radio Rwanda depuis Cyangugu des appels à la population pour qu’elle
les suive dans leur exil. 50
Il s’en est suivi « un exode proprement hallucinant », écrit Hogard. 51 Il
laisse faire des pillages qui ont détruit les services publics de la préfecture de
Cyangugu. Ces pillages et cet exode sont signalés dans le point de situation du
18 juillet du général Lafourcade.

6
6.1

L’exfiltration des FAR par Goma
Une retraite organisée

Des officiers de liaison français, dirigés par le colonel Canovas, ont rejoint
l’état-major des FAR. Celles-ci sont représentées auprès du commandement de
Turquoise par le colonel Nsengiyumva, proche de Bagosora. Ces officiers français
aident probablement à organiser la retraite depuis Kigali de façon que le corps
de bataille des FAR soit préservé et qu’aucune unité, aucune arme lourde, ne
tombe aux mains du FPR. Il passe au Zaïre sans être désarmé. Les Français
auraient apporté un appui-feu au niveau du camp de Mukamira pour couvrir la
retraite sur Gisenyi. 52

7

Coopération avec les organisateurs du génocide

Les autorités rwandaises, préfectorales et locales, sur lesquelles pèsent des
présomptions graves, sont restées en fonction dans la zone humanitaire sûre.
L’ordre d’opération Turquoise enjoignaient d’inciter les autorités locales rwandaises à rétablir leur autorité. 53 Il n’était donc pas question de les changer
encore moins de les arrêter.
Passons en revue les trois préfectures de la zone et examinons le cas de
quelques grands criminels.
49. Ministère des Affaires étrangères, Direction des affaires africaines et malgaches, Paris, 19 juillet 1994, No 1991/DAM, A/S : Rwanda, réunion du 19 juillet 1994. http://www.
francegenocidetutsi.org/MinAffEtDAMnote19juillet1994.pdf
50. Frédéric Fritscher, Sans abris, sans eau, sans soins..., Le Monde, 21 juillet 1994, pp. 1,
3.
51. J. Hogard [8, p. 97].
52. Bernard Surwumwe, Kigali, 1er août 2007. Cf. Rapport Mucyo, [4, p. 180].
53. Ordre d’opérations de Turquoise, 22 juin 1994, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Tome II, Annexes, p. 387]. http://www.francegenocidetutsi.org/
OrdreOpTurquoise22juin1994.pdf#page=2

7

COOPÉRATION AVEC LES ORGANISATEURS DU GÉNOCIDE

7.1

13

Kibuye : le préfet Kayishema

Clément Kayishema, préfet de Kibuye, a fait regrouper les Tutsi dans des
églises, un stade, des écoles, un hôpital et les a fait massacrer. Jusque fin juin
il organise des « ratissages » de Tutsi qui résistent encore sur les collines de
Bisesero.
L’ambassadeur Gérard dit le 8 juillet, qu’il « a les mains toutes couvertes de
sang comme d’ailleurs la plupart des bourgmestres de la zone. » 54
Les militaires français basés à Kibuye sont à quelques mètres de la préfecture
où se rend tous les jours Clément Kayishema. Mais le préfet de Kibuye n’est
pas près de se retrouver derrière les barreaux, écrit Patrick de Saint-Exupéry.
Un officier supérieur a cet aveu tranquille : « Nous préférons négocier avec lui
pour calmer ses miliciens. » 55
Kayishema s’est enfui le 16 juillet. 56 Le colonel Patrice Sartre dira que le
préfet Kayishema « s’était avéré très rapidement être gravement responsable de
ce qui s’était passé auparavant, et s’était enfui très vite au Zaïre, au contraire
d’une partie de son administration, qui était restée. » 57 L’officier avoue clairement qu’il y avait suffisamment de charge contre lui pour l’arrêter avant sa fuite.
Il a confié à Augustin Karara, bourgmestre de Gitesi, qu’il se sentait soulagé
par le départ de Kayishema. 58
Le très catholique Ordre de Malte a embauché Kayishema comme médecin
dans un camp au Zaïre. 59 Arrêté en 1996, Kayishema a été condamné à la
réclusion à perpétuité par le TPIR.
Le bourgmestre Augustin Karara a été maintenu en place par les Français. On le voit photographié au côté de l’amiral Lanxade le 27 juillet. Il a
été condamné par la justice rwandaise à la réclusion à perpétuité.
7.1.1

Charles Sikubwabo

Parmi les bourgmestres aux mains pleines de sang, il y a celui de Gishyita,
Charles Sikubwabo. Il organise les tueries à l’hôpital adventiste de Mugonero, à
la paroisse de Mubuga et sur les collines de Bisesero.
Le capitaine de frégate Marin Gillier assiste le 27 juin à une attaque organisée
par le bourgmestre qui lui dit que des éléments du FPR sont dans ces collines et
les attaquent. L’officier français voient revenir les miliciens avec des machettes
et de massues et quelques armes à feu. Comment peut-il croire que ceux-ci
54. Yannick Gérard, TD Kigali, 8 juillet 1994. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Tome II, Annexes, p. 414]. http://www.francegenocidetutsi.org/
Gerard8juillet1994.pdf
55. Patrick de Saint-Exupéry, La « solution finale » du préfet de Kibuye, Le Figaro, 5 juillet
1994. http://www.francegenocidetutsi.org/LaSolutionFinaleDuPrefetDeKibuye.pdf
56. Procès Kayishema au TPIR - Jugement V Conclusions factuelles - 5.1 La défense d’alibi,
section 246.
57. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Tome III, Auditions, Vol. 2, p. 113].
58. Interview en prison d’Augustin Karara par Cécile Grenier, traduction de Vénuste Kayimahe.
59. Rwanda : Death, Despair and Defiance [1, p. 132].

7

COOPÉRATION AVEC LES ORGANISATEURS DU GÉNOCIDE

14

viennent d’attaquer le FPR, d’autant plus que la veille des journalistes, dont
Vincent Hugeux de l’Express, lui ont dit que les tueries continuaient à Bisesero.
Il découvre des traces de massacres. Le FPR n’étant jamais venu dans cette
région, les massacres ont nécessairement été commis sous la responsabilité de
Charles Sikubwabo.
Le 28 juin, celui-ci lui demande des armes pour attaquer « 300 à 500 terroristes [qui] seraient réfugiés dans une galerie de mine d’étain à la sortie est de
Bisesero ». 60
Le 1er juillet après que ses hommes lui aient montré les champs de cadavres
à Bisesero, Gillier se rend chez le bourgmestre. « Je le somme de s’expliquer
sur ce qui s’est passé sur son territoire de responsabilité. Il finit par avouer, en
parlant des Tutsis, qu’il fallait se débarrasser de cette “engeance”... Je ne peux
que rendre compte, n’ayant aucun mandat de police. » 61
Peu avant le 20 juillet, le colonel Sartre rencontre le bourgmestre de Gishyita : « Pendant toute la conversation, il joue de façon détendue et charmante avec deux enfants délicieux comme tous les enfants de cet âge, raconte
Jean d’Ormesson qui accompagne le colonel. Je crains que M. le bourgmestre de
Gishyita ne soit un tueur bien tranquille. Il a organisé dans son coin de paradis le massacre de beaucoup de Tutsis. Il parle des événements avec une sorte
de détachement amusé et de désinvolture, mettant surtout l’accent sur les 900
morts hutus de la région. » 62
Recherché par le TPIR, Charles Sikubwabo n’a jamais été arrêté. 63

7.2

Cyangugu : le préfet Bagambiki

Il est l’organisateur des massacres de la région (Shangi, Nyamasheke, paroisse
de Hanika, stade Kamarampaka, paroisse de Mibilizi, ...) Il réussit à se faire
acquitter par le TPIR. Le colonel Didier Tauzin, alias Thibaut, 64 collabore avec
lui jusqu’au 30 juin. Il visite le camp de Nyarushishi avec François Léotard le
29 juin 1994. 65 Le lieutenant-colonel Hogard le rencontre tous les jours jusqu’à
la fuite du préfet le 18 juillet. Hogard sait que Bagambiki continue à ordonner
aux milices de massacrer. « Je pense que c’est un vrai salopard » dit-il. 66 Mais
il ne l’arrête pas. Il collabore avec lui. 67 Il dit même regretter son départ. 68
60. B. Lugan [11, pp. 268–269].
61. Marin Gillier, Au Rwanda, l’armée française a honoré la France, Le Figaro, 1er juin
2006.
62. Jean d’Ormesson, La drôle d’odeur de l’église de Kibuye, le Figaro, 20 juillet 1994, p. 24.
63. TPIR, Actes d’accusation ICTR-96-10-T et ICTR-96-1-T.
64. Sam Kiley, French commandos arrive in Rwanda to a barrage of flowers, The Times,
24 June 1994, p. 12 ; Témoignage de Jean-Bosco Habimana [5, p. 164]
65. M. Mas [12, p. 443] ; J. Chatain, Léotard aux Rwandais : “Négociez”, L’Humanité,
30/06/1994
66. Entretien du 2 décembre 2005 et du 24 février 2006 avec le colonel Hogard, dans ses
bureaux de la société Epee. G. Périès, D. Servenay [13, p. 326].
67. J. Hogard [8, pp. 44-45]
68. Frédéric Fritscher, Sans abris, sans eau, sans soins..., Le Monde, 21 juillet 1994, pp. 1,
3. http://www.francegenocidetutsi.org/FritscherSansAbris21juillet1994.pdf

7

COOPÉRATION AVEC LES ORGANISATEURS DU GÉNOCIDE

15

En prévision de l’arrivée du FPR à Cyangugu, les Français distribuent des
armes aux Interahamwe, aux hommes de Yusuf. 69
7.2.1

John Yusuf Munayakazi

John Yusuf Munayakazi dirige une troupe d’Interahamwe qui opère dans
toute la préfecture. Ils massacrent à Bugarama, Cyangugu, Shangi, Mibilizi,
Nyamasheke, Kizenga et Bisesero. Le 23 juin, jour de l’arrivée des Français, ils
devaient massacrer les Tutsi de Nyarushishi mais en ont été dissuadés. Afin de
l’éloigner de ce camp, les Français auraient envoyé Yusuf à Bisesero, pour y
« terminer le travail ». D’après le récit des rescapés, il y massacrait le 29 juin,
jour où François Léotard est passé à moins de 10 km de là.
John Yusuf Munayakazi a quitté le Rwanda avec ses miliciens le 16 juillet,
en procédant à un pillage systématique. 70 Ils firent par la suite de fréquentes
incursions au Rwanda depuis le Zaïre. Il a été condamné à 25 ans de prison par
le TPIR.
7.2.2

Christophe Nyandwi, président des Interahamwe de la préfecture de Cyangugu

L’émission La Marche du Siècle d’octobre 1994 présente Christophe Nyandwi,
président des Interahamwe de la préfecture de Cyangugu, qui jure la main sur le
cœur qu’il n’a rien fait. Pourtant, dit le commentateur, « les soldats français ont
retrouvé le nom de Nyandwi souvent cité comme organisateur des massacres ». 71
Interrogé sur l’arrestation des présumés coupables durant l’opération Turquoise,
le lieutenant-colonel Hogard déclare : « Ma mission n’était pas de les rechercher,
de les poursuivre, de les arrêter. Ma mission était une mission militaire, encore
une fois à distinguer des missions de gendarmerie ou de police ou de prévôté et
donc je crois que nous avons fait notre travail. » 72

7.3

Gikongoro : le préfet Bucyibaruta

Le préfet de Gikongoro Laurent Bucyibaruta est l’organisateur des massacres
de Kibeho, le 14 avril. Suite à la réunion le 18 avril avec le président intérimaire
Sindikubwabo, il organise les massacres des Tutsi rassemblés à Murambi, Kaduha, Cyanika le 21 avril.
Le 27 juin il réserve un accueil chaleureux aux Français. Selon lui, « il n’y
a plus de Tutsis depuis les “affrontements” d’avril ». Mais il a épargné une
cinquantaine de Tutsi pour montrer qu’il les protège. Il installe les Français à
l’école de Murambi où les fosses débordent de cadavres, il y a encore plein de
69. Vénuste Kayimahe, Jacques Morel, Interview de Thomson Mubiligi, 10 juin 2010, Hôtel
1000 collines, Kigali. http://www.francegenocidetutsi.org/ThomsonMubiligi10juin2010.
pdf
70. African Rights, ibidem, p. 80.
71. Jean-Marie Cavada, émission « La Marche du siècle », FR3, 21 septembre 1994. Archive
INA 38 :27 - 40 :41.
72. Ibidem.

8

LES PRISONNIERS SONT TOUS RELÂCHÉS

16

traces de sang. C’est sur ce lieu de massacre que les Français organise un camp
où ils mélangent des Hutu et quelques survivants tutsi. Le camp est protégé par
une barrière d’Interahamwe. C’est là que le 4 juillet, les Français installeront
des canons pour arrêter l’offensive du FPR.
Le préfet semble très apprécié des Français. « À ce stade on peut dire que
le préfet de Gikongoro est très coopératif », écrit l’ambassadeur Gérard le 8
juillet. 73 Est-ce pour cela que, responsable de la mort de près de cent mille
personnes, il coule des jours paisibles dans la région de Troyes ? La France est
chargée de le juger par le TPIR et ne l’a toujours pas fait.

7.4

Butare : Sylvain Nsabimana

Le 3 juillet, Sylvain Nsabimana, ancien préfet de Butare, profite du convoi
dirigé par le capitaine de frégate Marin Gillier des commandos de marine pour
partir au Burundi en se faisant passer pour un militant de Terre des hommes.
C’est lui qui le 19 avril remplaça le préfet tutsi destitué puis assassiné. Il géra
le génocide. Jugé trop mou, il a été remplacé le 20 juin par le lieutenant-colonel
Nteziryayo, coordonnateur de l’autodéfense civile, donc organisateur de massacres. Ce dernier s’enfuira avec les Français vers Gikongoro.

8

Les prisonniers sont tous relâchés

Certains tueurs ont été arrêtés par les Français mais ont tous été relâchés. 74
Aucun, absolument aucun, n’a été remis à la MINUAR. Un colonel commandant
les Casques bleus éthiopiens, qui prennent le relais de Turquoise en août, affirme
que les troupes françaises ont collaboré avec des tueurs connus et ont relâché
des prisonniers suspectés de crimes contre l’humanité quand ils sont partis. 75
Les Français n’ont pas remis à la MINUAR les listes de personnes accusées
de génocide. 76

9

Pas ou très peu d’enquêtes sur les massacres

Les militaires français étaient censés enquêter sur les massacres. Devant le
Conseil de sécurité le 11 juillet, Edouard Balladur déclare que la France « tiendra
73. Y. Gérard, TD Kigali, 8 juillet 1994. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994
[14, Tome II, Annexes, p. 414]. http://www.francegenocidetutsi.org/Gerard8juillet1994.
pdf
74. Jean Hélène, Rwanda : après les Français, l’inquiétude, Le Monde, 20 août 1994, pp. 1,
4.
75. Chris McGreal, French Accused of Protecting Killers, The Guardian , August 27, 1994.
http://www.francegenocidetutsi.org/ChrisMcGrealGuardian27aout1994.pdf
76. Human Rights Watch, Rwanda/Zaïre : Rearming with Impunity - International Support for the Perpetrators of the Rwandan Genocide [9, II The role of France] http://www.
francegenocidetutsi.org/Rearming-1995.htm

10

LE DEVENIR DES TUEURS

17

à la disposition de cette commission toutes les informations qu’elle aura pu
recueillir. » 77
La seule trace des informations transmises par la France à l’ONU sont des
chiffres concernant les personnes évacuées. Un massacre à Nyundo et à Birambo
sont signalés dans le rapport des experts comme venant des Français.
Au bureau du procureur du TPIR, on estime que « les autorités françaises
ne nous ont fait parvenir à ce jour que de vagues synthèses sans intérêt. » 78

10
10.1

Le devenir des tueurs
Des visas pour la France aux planificateurs du génocide

En septembre 1994, Philippe Jehanne, chargé de mission pour les affaires
de défense au ministère de la coopération, écrit à Michel Roussin de la part
des « anciens dirigeants rwandais du Zaïre » pour qu’une suite favorable soit
donnée à des demandes de visas « dans le but de ménager l’avenir » au bénéfice
de 16 personnes parmi lesquelles 4 ministres du GIR, 3 leaders de partis ayant
participé au génocide, 3 officiers dont le chef d’état-major. 6 d’entre eux seront
accusés par le TPIR pour génocide. 79
Mathieu Ngirumpatse et Jérôme Bicamumpaka se flattent d’avoir été reçus
en France fin 1994. Le colonel Bagosora aurait été évacué en avion de Butare le
2 juillet par les Français. 80 Plus tard il serait monté dans un avion militaires
français à Goma. 81 La justice belge voulant arrêter Bagosora et sachant qu’il
s’était déjà rendu en France demanda à celle-ci de le signaler dans le système
d’information Schengen. Paris lui a répondu que c’était impossible parce qu’il
« s’agit de faits mettant en cause des personnalités politiques. ». 82
Augustin Ngirabatware, gendre de Félicien Kabuga, le banquier du génocide,
était ministre du Plan dans le gouvernement intérimaire. Il habite à Paris de
1996 à 1999, mais il a disparu la veille du jour où la police vient l’arrêter. Il est
condamné à 35 ans de prison en 2012 par le TPIR. Il a fait appel.
77. Conseil de sécurité, S/PV.3402, p. 4. http://www.francegenocidetutsi.org/
spv3402-1994.pdf#page=4
78. Patrick de Saint-Exupéry [15, p. 175].
79. Philippe Jehanne, Note à l’attention du Ministre. Objet : Rwanda - Demandes de visa
émanant de l’ex-gouvernement, Min. Coopération, Paris, 1er septembre 1994. http://www.
francegenocidetutsi.org/JehanneDemandesVisa1septembre1994.pdf
80. Sam Kiley, « A French Hand in Genocide », The Times (Londres), 9 avril 1998, p. 24.
81. HRW, Rwanda/Zaïre : Rearming with Impunity [9]. http://www.francegenocidetutsi.
org/Rearming-1995.htm
82. Daniel
Tulkens,
Lettre
au
juge
Vandermeersch,
3
juillet
1995
http://www.francegenocidetutsi.org/BagosoraSignalementSIS3juillet1995.
pdf
;
François
Janne
d’Othée,
Rwanda : tensions franco-belges ,
La
Croix,
13
juillet
1995,
p.
6.
http://www.francegenocidetutsi.org/
lacroix19950713Bagosorademandeparlajusticebelgeferaitdenombreuxallerretourenfrance.
jpg

11

CONCLUSION

10.2

18

La réorganisation des FAR et des milices

À Goma et à Bukavu, les militaires français se mettent au service des
membres du GIR et des officiers des FAR.
C’est par l’intermédiaire du général Lafourcade que le général Dallaire peut
rencontrer Augustin Bizimungu le 16 juillet. Il le rencontre complètement hagard. 83 Il le voit à nouveau en août entouré d’officiers français. Il est alors
fringant, bien habillé et prêt à retourner au Rwanda pour déloger une fois pour
toutes le FPR. 84
Évariste Murenzi, à l’époque capitaine de la garde présidentielle, reconnaît
le colonel Canovas collaborant avec le général Bizimungu au camp de Mugunga
réservé aux FAR. 85
Augustin Bizimungu, arrêté en 2002, a été condamné à 30 ans de prison par
le TPIR. Sa peine a été confirmée en appel.
Les auteurs du génocide bénéficient d’une aide militaire provenant du Zaïre,
de la France et de l’Afrique du Sud. Les militaires français n’ont pas empêché les
livraisons d’armes à Goma, ni ne les ont déclaré à la commission de surveillance
de l’embargo instituée par la Résolution 918 de l’ONU.
Des membres des ex-FAR et des milices ont reçu un entraînement en Centrafrique où la France avait des bases militaires.
Ayant reconstitué leurs forces, l’organisation de la revanche ne tarde pas. Le
Quai d’Orsay estime que ce qui s’est passé n’est que « la première manche ». 86
Le colonel Bagosora se dit prêt fin novembre 1994 à faire une guerre qui
sera longue et fera beaucoup de morts jusqu’à ce que les Tutsi soient éliminés
et complètement expulsés du pays. 87

11
11.1

Conclusion
L’obligation d’agir contre le génocide

Signataire de la Convention de 1948, la France avait l’obligation de prévenir
et de réprimer le crime de génocide. A fortiori durant l’opération Turquoise où
elle avait un mandat de l’ONU sous chapitre VII.

11.2

L’obligation d’arrêter les coupables présumés

Après le rapport de M. Degni-Ségui, le devoir d’arrêter les coupables présumés s’imposait. Allison Des Forges a rappellé à la fin de l’opération Turquoise
83. R. Dallaire [6, p. 585].
84. R. Dallaire [6, pp. 621–622].
85. Témoignage du colonel Évariste Murenzi, 30/10/2006. Cf. Rapport Mucyo [4, Rapport,
p. 292]. http://www.francegenocidetutsi.org/RapportMucyo15novembre2007.pdf#page=298
86. Jacques Isnard, Les ex-Forces armées se prépareraient à reprendre le combat au Rwanda,
Le Monde, 25 juillet 1994, pp. 1, 4.
87. Interview 30 novembre 1994. Cf. Human Rights Watch Rwanda/Zaire, Rearming with
Impunity- International Support for the Perpetrators of the Rwandan Genocide, May 1995,
Vol. 7, No 4. http://www.francegenocidetutsi.org/Rearming-1995.htm

11

CONCLUSION

19

que « les forces françaises auraient pu encore livrer ces auteurs présumés du
génocide au nouveau gouvernement rwandais ou les incarcérer dans une prison
française. » 88
Le prétexte d’un mandat trop restrictif invoqué par Alain Juppé est contredit par le général Lafourcade qui dans son rapport de fin de mission déclare
que « le cadre juridique de l’opération Turquoise (mandat ONU, chapitre VII)
a contribué à la grande liberté d’action du COMFORCE ». 89 Les Français pouvaient prendre l’initiative d’arrêter les membres du GIR. Personne au Conseil
de sécurité n’y aurait trouvé à redire, hormis le représentant du Rwanda. Mais
c’est la France seule qui soutenait ce dernier.

11.3

La France viole la Convention contre le génocide

Alison Des Forges rappelle que « la France, un des États qui ont rédigé, signé
et ratifié la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,
s’est engagée moralement et juridiquement à punir les auteurs de tout génocide,
une obligation reconnue récemment par le nouveau code pénal entré en vigueur
en mars 1994. [...] Le génocide rwandais est à ce point flagrant que le refus de
la France d’arrêter les auteurs présumés signifierait une négation pure et simple
de sa ratification. » 90
Cette négation fut réelle.
Dans une lettre de 1998 à Bernard Debré, Edouard Balladur écrivait à propos
de Mitterrand qu’il « n’était pas question à ses yeux de châtier les auteurs hutus
du génocide et il n’était pas question aux miens de permettre à ceux-ci d’aller se
mettre à l’abri au Zaïre. » 91 Au final, ils se sont bien mis d’accord pour que cette
intervention militaire Turquoise permette aux auteurs du génocide des Tutsi de
s’enfuir au Zaïre et d’échapper à la justice pendant plusieurs années. Certains
responsables courent encore.
«Sur le plan politique, écrit Colette Braeckman, la capture des criminels,
leur jugement rapide aurait brisé le centre de commandement de la machine à
tuer qui, depuis le Zaïre, a maintenu son emprise sur les populations.» 92
Grâce à Turquoise, le centre de commandement de la machine à tuer reste
intact. Nous savons quelles guerres, quels massacres ont éclaté ensuite au Congo
ex-Zaïre.
Si la France n’a pas rempli ses obligations découlant de son adhésion à la
Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, le Front
patriotique rwandais, lui qui ne l’a pas signé, les a remplies.
88. Alison Des Forges, La France se doit d’arrêter les responsables du génocide, Le Monde,
21 août 1994, p. 4, Point de vue.
89. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [14, Tome II, Annexes, p. 395]. http:
//www.francegenocidetutsi.org/LafourcadeRapportTurquoise.pdf#page=4
90. Alison Des Forges, La France se doit d’arrêter les responsables du génocide, Le Monde,
21 août 1994, p. 4, Point de vue.
91. Lettre d’Edouard Balladur à Bernard Debré du 9 juin 1998, Enquête sur
la tragédie rwandaise 1990-1994, [14, Tome II, Annexes, pp. 378–379]. http://www.
francegenocidetutsi.org/BalladurDebre9juin1998.pdf
92. C. Braeckman [3, p. 300, 301].

RÉFÉRENCES

20

C’est le Front patriotique rwandais qui a arrêté le génocide des Tutsi. Et
c’est la France qui a protégé les auteurs de ce génocide.

Références
[1] African Rights : Rwanda : Death, Despair and Defiance. African Rights,
P.O. Box 18368, London EC4A 4JE, 1995. 1re édition, septembre 1994.
[2] Agir Ici et Survie : L’Afrique à Biarritz - Mise en examen de la politique
française. Karthala, janvier 1995. Contre-sommet de Biarritz, 9 novembre
1994.
[3] Colette Braeckman : Rwanda, histoire d’un génocide. Fayard, novembre
1994.
[4] Commission Nationale Indépendante chargée de rassembler les
preuves montrant l’implication de l’État Francais dans le génocide perpétré au Rwanda en 1994 : Rapport. République du
Rwanda, 15 novembre 2007.
[5] Laure Coret et François-Xavier Verschave : L’horreur qui nous prend
au visage - L’État français et le génocide au Rwanda. Karthala, janvier
2005. Rapport de la Commission d’enquête citoyenne, 22-26 mars 2004.
[6] Roméo Dallaire : J’ai serré la main du diable - La faillite de l’humanité
au Rwanda. Libre expression, 2003. Traduction de : Shake Hands with the
Devil.
[7] Vanadis Feuille et Pierre-Edouard Deldique : Mission d’étude sur le
Rwanda - Retranscription des journaux Afrique de RFI 1990-1994. Radio
France Internationale, Octobre 2006. 2 tomes.
[8] Jacques Hogard : Les larmes de l’honneur - 60 jours dans la tourmente
au Rwanda. Hugo doc., 2005.
[9] Human Rights Watch : Rwanda/Zaïre : Rearming with Impunity International Support for the Perpetrators of the Rwandan Genocide, volume 7, No 4. Human Rights Watch, http://www.hrw.org/reports/1995/
Rwanda1.htm, May 1995.
[10] Jean-Claude Lafourcade et Guillaume Riffaud : Opération Turquoise.
Perrin, mars 2010.
[11] Bernard Lugan : François Mitterrand, l’armée française et le Rwanda.
Éditions du Rocher, mars 2005.
[12] Monique Mas : Paris-Kigali 1990-1994 ; Lunettes coloniales, politique du
sabre et onction humanitaire pour un génocide en Afrique. L’Harmattan,
1999.
[13] Gabriel Périès et David Servenay : Une guerre noire - Enquête sur les
origines du génocide rwandais (1959-1994). La Découverte, 2007.
[14] Paul Quilès : Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994. Assemblée nationale, rapport no 1271, http://www.assemblee-nationale.fr/

RÉFÉRENCES

21

dossiers/rwanda.asp, 15 décembre 1998. Mission d’information de la
commission de la Défense nationale et des Forces armées et de la commission des Affaires étrangères, sur les opérations militaires menées par la
France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994.
[15] Patrick de Saint-Exupéry : L’inavouable - La France au Rwanda. Les
Arènes, 2004.

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024