Citation
La cour d'assises de Paris statuant en appel a rendu son arrêt de déclaration de culpabilité et
d’acquittement partiel concernant Philippe MANIER né Philippe HATEGEKIMANA en raison des
éléments suivants qui ont été discutés au cours des débats, qui procèdent des auditions de témoins et
d'experts, des lectures faites à l'audience ainsi que des déclarations des parties et qui ont été retenues
au cours des délibérations menées par la cour et le jury, préalablement aux votes sur les questions.
1.Sur l'existence du génocide des Tutsis au Rwanda et plus particulièrement dans la préfecture de
Butaré, la sous-préfecture de Nyabisindu, les communes de Nyanza et Ntyazo entre le 6 avril et juillet
1994
La cour et le jury ont considéré que les événements tragiques survenus au Rwanda à partir du 6 avril
1994 et jusqu'au mois de juillet 1994 caractérisent en premier lielue crime de génocide au sens de
l'article 222-1 du code pénal, à savoir des atteintes volontaires à la vie ou des atteintes graves à
l'intégrité physique ou psychique de personnes, en exécution d'un plan concerté tendant à la
destruction totale ou partielle du groupe ethnique tutsi.
Philippe MANIER n'a pas contesté l'existence de ce génocide tant au niveau du pays que localement. Il
a cependant contesté le caractère planifié du génocide avant l'attentat présidentiel en expliquant que
selon lui le génocide avait été improvisé. Il a soutenu ne pas en avoir été témoin du génocide au niveau
de la sous-préfecture de Nyabisindu dans la mesure où lorsqu’il avait quitté Nyanza pour Kigali, le
génocide n’avait pas commencé sur place et que par la suite, il avait participé à des actions de combat
contre le FPR pour ensuite être attaché à la sécurité d’un haut gradé.
La cour et le jury ont pu entendre plusieurs témoins dits « de contexte » (S. AUDOIN-ROUSEAU, E.
GILET, A. VERHAAGEN, F. GRANER, L. HUSSON, J. SEMUJANGA) ainsi que de très nombreuses
personnes qui avaient été présentes sur le ressort de la sous-préfecture de Nyabisindu et les
communes de Nyanza et Ntyazo au moment du faits. Des documentaires (« Autopsie d’un génocide »,
interview de Jean CARBONARE du 28 janvier 1993, et «Rwanda, avant l’apocalypse ») ont été projetés,
etila été donné connaissance des analyses de A. DES FORGES et de A. GUICHAOU ainsi que de plusieurs
décisions du TIPR. Les témoignages de H. DUMAS et de J. SEMELIN ont été portés à la connaissance de
la cour et du jury.
A l'issue des débats, la cour et le jury ont retenu que l'existence d'un plan concerté tendant à la
destruction totale ou partielle du groupe ethnique Tutsi est clairement établie notamment par :
- les nombreux témoignages des rescapés ainsi que par les aveux de nombreuses personnes
condamnées pour ces faits tant au Rwanda que devant le tribunal pénal international pour le
Rwanda ;
- les analyses des historiens, sociologues et journalistes tels que S. AUDOIN-ROUSEAU, E. GILET,
A. VERHAAGEN, F. GRANER, L. HUSSON, 1. SEMUJANGA, A. GUICHAOU, A. DES FORGES, J.
SEMELIN, H.DUMAS.
Il en ressort que des atteintes à la vie perpétrées dans le cadre d'exécutions systématiques et massives
ainsi que des atteintes particulièrement graves à l'intégrité psychique ou physique, à savoir des actes
de torture et de barbarie, des violences, des menaces, des viols, des agressions sexuelles, inspirées par
des motifs ethniques ont été commises dans le cadre d'un plan concerté tendant à la destruction totale
ou partielle des membres du groupe Tutsi.
La cour et le jury ont également retenu que ce plan d'extermination des Tutsis s'est inscrit dans un
processus historique et politique mis en oeuvre depuis plusieurs années par une élite Hutue qui a
cherché à conserver le pouvoir en suscitant et en entretenant la haine et la peur contre la minorité
Tutsie en l'accusant notamment d'être les « complices de l'intérieur » du FPR et de son armée et en
attisant une haine ethnique. L'attentat perpétré le 6 avril 1994 contre l'avion du président de la
République et dont les auteurs n'ont pas été identifiés a été l'élément déclencheur tout d'abord d'une
prise de pouvoir par des extrémistes Hutus en éliminant leurs principaux opposants politiques puis en
désignant dès le 9 avril un gouvernement provisoire acquis au projet génocidaire. L'attentat du 6 avril
1994 a également servi d’étincelle au déclenchement, à la mise en oeuvre et à l'exécution à grande
échelle de la politique et du programme génocidaire par le gouvernement intérimaire. Si ce
gouvernement était composé d'hommes et de femmes politiques originaires de divers partis mais
essentiellement du MRND, ils ont eu pour point commun de se retrouver dans la tendance extrémiste
du Hutu Power et dans une même idéologie génocidaire, d’agir de manière concertée en vue de
l’application du projet génocidaire par l'ensemble des rouages de l'État, à savoir les forces militaires,
les forces de l'ordre, l'administration centrale et territoriale du pays, les milices Interahamwe et une
partie de la population Hutue.
La cour et le jury se sont de même fondés sur les conclusions du rapporteur spécial de la commission
des droits de l'homme des Nations unies pour le Rwanda dans son rapport du 28 juin 1994 qui indique
que « la qualification de génocide doit d'ores et déjà être retenue en ce qui concerne les Tutsis ».
La réalité de ce génocide contre l'humanité a par ailleurs été constatée judiciairement :
- . parle tribunal pénal international pour le Rwanda notamment dans l'arrêt KAREMERA en date
du 16j uin 2016 qui a dressé le constat judiciaire de l'existence du génocide commis au Rwanda
en 1994 à l'encontre de la population Tutsie, qualifié de fait de notoriété publique et qui
échappe à toute contestation raisonnable ;
- par des décisions rendues par les cours d'assises en France dans les procès concernant le
génocide des Tutsis au Rwanda.
Plus spécifiquement, la cour et le jury ont constaté à l'issue des débats que la situation de la population
appartenant à l'ethnie Tutsie s'était considérablement dégradée à compter de l’attaque du FPR le 1°"
octobre 1990 et cela jusqu'à la veille de l'attentat contre l'avion présidentiel du 6 avril 1994, les Tutsis
étant stigmatisés par le pouvoir, par des partis politiques comme le MRND et la CDR, par la faction Hutu
Power des partis dits d'opposition et par certains médias tels que le journal KANGURA et la
radiotélévision libre des mille collines RTLM via des discriminations, un discours et une propagande
racistes, la propagation de fausses informations, des appels à la traque et aux meurtres des Tutsis ainsi
que des opposants Hutus, l'utilisation d'un double langage et des termes « travailler », « outils »,
« ennemis » qui signifiaient en réalité pourchasser et tuer les Tutsis ainsi que les opposants au régime.
La cour et le jury ont estimé que les débats ont permis d’établir l'existence d'un plan concerté au plan
national, se traduisant dans les faits par une généralisation des massacres des Tutsis avec des modes
opératoires identiques qui ont été mis en oeuvre dans le pays dès le 7 avril 1994, puis dans la préfecture
de Butaré, la sous-préfecture de Nyabisindu, les communes de Nyanza et Ntyazo à partir du 20 avril
1994, par des attaques simultanées et rapidement exécutées dans tout le pays, par la qualité des
assaillants, des agresseurs et des tueurs à savoir des miliciens, des membres des forces de l'ordre et de
l'armée ainsi que des autorités locales qui ont été mobilisés pour exécuter la politique génocidaire et
entraîner dans le génocide la population Hutue, par une propagande appelant à la haine inter-ethnique
et aux meurtres de tous les Tustis mais également des opposants politiques, par la distribution d’armes
aux miliciens et leur entraînement militaire, par le contrôle systématique des civils aux barrières et par
la traque des Tutsis notamment lors des rondes, des fouilles, des perquisitions, par le massacre des
victimes tantôt chez elles, tantôt dans la rue, tantôt sur les barrières, tantôt sur les sites où elles
pensaient pouvoir trouver refuges mais également après avoir été rassemblées dans des écoles, des
2
stades, des bâtiments administratifs ou encore des lieux de culte sur tout le territoire du Rwanda. La
preuve de l’existence d’un plan concerté résulte également de l'ampleur effroyable du nombre des
victimes évalué parfois à 800.000 personnes, souvent à plus d'un million, en l'espace de seulement
trois mois. Enfin, la rapidité avec laquelle les évènements se sont enchaînés, leur coordination, leur
répétition sur tout le territoire selon une stratégie et une politique unique, leur caractère systématique
et généralisé, leur ampleur sont de nature à établir qu’il ne s’agissait pas de massacres spontanés mais
bien d’un plan concerté. Un tel degré d’efficacité dans l’exécution des massacres ne pouvait être atteint
qu’en raison d’une organisation collective reposant nécessairement sur un plan concerté tendant à
exterminer le groupe ethnique Tutsi.
La cour et le jury ont en outre relevé que ces faits ont été commis avec une brutalité et une cruauté
inouïes, les récits de certains rescapés faisant état de scènes effroyables.
Par ailleurs, de nombreux éléments tendent à démontrer que le génocide était déjà en gestation et en
préparation depuis le début des années 1990 : les 10 commandements Banahutu de 1990 largement
diffusés, la définition de l'ennemi par la commission militaire elle aussi largement diffusée en 1990
auprès des forces militaires et des forces de l’ordre, les notes personnelles du colonel BAGOSORA, le
discours du vice-président du MRND du 22 novembre 1992 diffusé sur la radio nationale et exhortant
à se dresser contre l'ennemi intérieur et contre les traîtres Hutus qui doivent l'un et l'autre être liquidés,
la réunion des extrémistes de tous les partis au sein de la mouvance Hutu Power avec des discours de
haine et d'appel aux meurtres en dressant la majorité Hutue contre la minorité Tutsie, l'existence d'une
radio propagandiste dans un pays où les médias étaient contrôlés par l'Etat, l'existence de caches
d'armes documentés par la MINUAR, le recrutement, la formation et l'encadrement des milices
Interahamwe, le massacres de tutsis entre 1990 à début 1994 avec l'appui de militaires, de gendarmes
ainsi que d’autorités locales. Certains observateurs avaient d’ailleurs lancé des alertes face à la menace
génocidaire, comme cela.résulte de l’interview de M. CARBONARE suite aux massacres Tutsis de 1991,
du rapport de la commission internationale sûr les atteintes aux DDLH de janvier 1993 qui évoque la
promesse d'un génocide ou encore du témoignage du général VARET au sujet de la demande du chef
d’Etat-major de la gendarmerie afin d’obtenir la livraison d’armes pour exterminer les Tutsis.
La cour et le jury ont donc considéré qu'il s'agit d'autant d'éléments qui sont révélateurs d'une
nécessaire et inévitable organisation collective redoutablement efficace reposant sur un plan concerté,
laquelle a été grandement facilitée par l’organisation administrative centralisée de cet État.
C'est dans le cadre de ce plan concerté qu'ont été commis l'ensemble des meurtres, exactions, pillages,
viols et agressions sexuelles, exactions et tortures, arrestations et détentions arbitraires, exécutions
sommaires, enterrements dans des fosses communes qui caractérisent le génocide des tutsis.
La cour et le jury ont constaté qu’il est établi que le génocide des tutsis a également été perpétré dans
la préfecture de Butaré et plus spécifiquement dans le ressort de la sous-préfecture de Nyabisindu et
les communes de Nyanza et Ntyazo sur lesquels la compagnie de gendarmerie de Nyanza exerçait ses
compétences. Après avoir entendu les témoins de contexte mentionnés ci-dessus, pris connaissance
des travaux de À. DES FORGES et À. GUICHAOU, mais également après avoir notamment entendu les
nombreux témoignages de rescapés, d’anciens gendarmes mais aussi d’exécutants qui sont venus
déposer à la barre ou dont les auditions ont été lues, la cour et le jury ont considéré qu'il n'est pas
contestable au regard de ces éléments de preuve que des meurtres, des violences, des actes de torture
et de barbarie, des viols et des agressions sexuelles, donc des atteintes volontaires à la vie et des
atteintes graves à l’intégrité physique ou psychique ont été commis à grande échelle en exécution du
même plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle du groupe tutsi. La préfecture de
Butaré, la sous-préfecture de Nyabisindu, les communes de Nyanza et Ntyazo ont en effet été le théâtre
à leur échelle de la même politique génocidaire, de la même mobilisation de l’état, de l'administration
et de la population, de la même propagande que celles déployées au niveau nñational. De la même
3
manière que dans tout le reste du Rwanda, l’Etat, l'administration locale, l'armée, les forces de l'ordre,
les médias, la propagande, le déploiement et l'armement des milices, l’installation de barrières … ont
été les outils du même plan concerté tendant à la mise en oeuvre du génocide. C'est la même cruauté
et la même brutalité qui ont été exercées sur les Tutsis de Butaré, de la sous-préfecture de Nyabisindu,
des communes de Nyanza et Ntyazo que dans tout le reste du pays.
La particularité de la région de Butaré est en définitive d'avoir résisté durant deux semaines au raz de
marée génocidaire qui emportait le pays. En effet, le gouvernement intérimaire a dû s'employer
spécifiquement pour d'abord destituer à partir du 17 avril 1994 le préfet HABIYALIMANA qui résistait
par son action à l'extension du génocide sur sa région, pour que le président de la République, le
premier ministre ainsi que plusieurs ministres participent le 19 avril 1994 à la cérémonie d'investiture
d'un nouveau préfet plus complaisant à l'occasion de laquelle des discours qualifiés d'incendiaires et
de génocidaires par tous les analystes et historiens ainsi que par le TPIR ont été tenus et diffusés sur
les ondes, le premier ministre ayant reconnu devant le TPIR que ces discours avaient eu pour but et
effets d’encourager et d’inciter l’administration locale ainsi que la population à s'engager dans le
génocide. Ces actions et ces discours appelant sans la moindre ambiguïté aux massacres des Tutsis ont
eu pour effet de faire basculer dans le génocide cette préfecture qualifiée de rebelle alors qu'elle était
un enjeu essentiel pour le gouvernement génocidaire compte tenu de la forte proportion de Tutsis
dans sa population augmentée par l’afflux de réfugiés venant des autres préfectures. Le gouvernement
provisoire a dès lors pu s'appuyer sur des personnalités acquises à ses projets, comme le nouveau
préfet, le sous-préfet Gaétan KAYITANA ainsi que les chefs de la gendarmerie, des forces armées, des
potices municipales et de l’administration locale, comme les conseillers de secteur ou responsables de
cellule, pour appliquer localement le même plan concerté déjà mis en oeuvre depuis deux semaines
dans le reste du pays.
Concernant les faits dont ils sont saisis, la cour et le jury ont retenu la chronologie des évènements qui
se sont déroulés dans la préfecture de Butare, la sous-préfecture de Nyabisindu, les communes de
Nyanza et Ntyazo et qui permet de caractériser l’exécution au niveau local du plan concerté
génocidaire :
e 17 et18avril 1994 : destitution du préfet HABYALIMANA
e 19 avril 1994 : prise de fonctions du nouveau préfet investi lors d’une cérémonie en présence
du président de la République, du premier ministre, de plusieurs ministres à l’occasion de
laquelle des discours diffusés à la radio ont été prononcés afin de faire basculer la préfecture
de Butaré dans le génocide ;
e 20 avril 1994 : première réunion du comité préfectoral de sécurité présidée par le nouveau
préfet en présence des autorités locales ;
e À partir du 20 avril 1994 :
- installation des barrières pour contrôler, arrêter et tuer les Tutsis qui tentaient de les
franchir,
- début de la traque et de l’exécution des Tutsis, du pillage et de la destruction de leurs
biens;
e … Entre le 23 et le 24 avril, traque et meurtre des bourgmestres de Ntyazo et de Nyanza qui
s'opposaient au génocide, à savoir Narcisse NYAGASAZA le 23 avril 1994 et Jean De Dieu
GISAGARA le 24 avril 1994;
e Pendant plusieurs jours, attaque par des miliciens de plusieurs sites sur lesquels les Tutsis
s’étaient réfugiés, notamment les collines de Nyabubare, de Nyamure, de Karama et le site de
l'ISAR Songa, avec le renfort de gendarmes équipés d’armes à feu, voire d’un mortier, parfois
appuyés de policiers municipaux et de militaires pour venir à bout de la résistance des Tutsis.
Les déclarations des rescapés, les témoins, les parties civiles ainsi que les exécutants des massacres au
niveau local qui ont été entendus ou dont les déclarations ont été lues ont convaincu la cour et le jury
de l’existence d’atteintes volontaires à la vie ou d’atteintes graves à l'intégrité physique ou psychique
de personnes, en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle du groupe
ethnique Tutsie commis au préjudice d’hommes, de femmes, d’enfants et de personnes âgées parce
qu'ils étaient Tutsis :
e dans la préfecture de Butare, la sous-préfecture de Nyabisindu, les communes de Nyanza et
Ntyazo, ‘
e — sur les collines de Nyabubare et de Nyamure, sur le site de l’ISAR Songa,
e — sur les barrières de Nyanza, de Rwesero et de Mushirarangu
mais également :
e lors de perquisition à leur domicile,
e lorsde traques alors que les Tutsis se cachaient dans la brousse, dans les champs ou dans les
bois,
e durant leur fuite pour tenter d’échapper à la mort ou de fuir le Rwanda pour tenter de rejoindre
le Burundi.
L’accusé n’a pas contesté l’existence de ces faits ni leur qualification de génocide.
Erasme NYAZINDA, maire du district de Nyanza depuis 9 ans et qui a rédigé un rapport sur le génocide
au niveau local sur la base de plus de 100 témoins dont les noms de ne sont pas cités, a évoqué le
chiffre de 145.000 victimes à Nyanza, ce qui représente 15% des victimes du génocide au niveau
national.
2. Sur l'existence de crimes contre l'humanité commis Rwahda et plus spécifiquement dans la
préfecture de Butaré, la sous-préfecture de Nyabisindu, les communes de Nyanza et Ntyazo entre le
6 avril et juillet 1994
La cour et le jury ont également été convaincus à l'issue des débats, et notamment grâce aux nombreux
témoignages et documents déjà mentionnés que les événements survenus au Rwanda entre le 6 avril
et le mois de juillet 1994 constituent des crimes contre l'humanité tels que définis par l'article 212-1
du code pénal en vigueur au moment des faits, à savoir la pratique massive et systématique
d’exécutions sommaires, d'enlèvements de personnes suivis de leur disparition, de la torture ou d'actes
inhumains, inspirées par des motifs politiques, philosophiques, raciaux et organisées en exécution d'un
plan concérté à l'encontre d'un groupe de population civile tutsie, ces attaques ayant lieu dans le cadre
d'un plan concerté au nom de l'État rwandais.
Le tribunal pénal international pour le Rwanda dans un arrêt en date du 16 juin 2016 déjà cité a
d’ailleurs dressé le constat judiciaire de l’existence d'attaques systématiques et généralisées contre le
groupe de population civile des Tutsis, qualifiées de faits de notoriété publique et qui échappent à
toute contestation raisonnable. L'existence et la caractérisation de ces crimes ont par aîilleurs été
retenues par plusieurs décisions de cour d'assises ayant eu à juger de ce type de faits. La cour et le jury
se sont également fondés sur les conclusions du rapporteur spécial de la commission des droits de
l'homme des Nations unies pour le Rwanda dans son rapport du 28 juin 1994 qui indique que « les
assassinats et les autres actes innumains commis contre les populations civiles ainsi que les
persécutions pour des motifs politiques en liaison avec les crimes de guerre constituent des crimes
contre l'humanité ».
La preuve de l'existence non seulement du plan concerté mais également des attaques massives et
systématiques à l'encontre de la population civile Tutsie ayant conduit à des exécutions sommaires
ainsi qu'à des enlèvements de personnes suivis de leur disparition, à des actes de torture ou d'actes
inhumains, inspirées par des motifs politiques, philosophiques, raciaux et organisées en exécution d'un
plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile tutsie, tant au niveau national que local
résulte selon la cour etle jury des mêmes éléments et de la même analyse que ceux retenus concernant
le génocide.
En effet, il est parfaitement établi que des civils Tutsis, à savoir des hommes, des femmes, des enfants,
des personnes âgées ont été victimes d’exécutions sommaires sur les barrières ou dans les lieux où ils
avaient trouvé refuge voire chez eux, que d’innombrables personnes ont été enlevées pour disparaître
à jamais, que des actes de torture ou des actes inhumains ont été commis au préjudice de ces civils,
les témoins et rescapés entendus à la barre ou dont les déclarations ont été lues ayant décrit comment
les victimes ont été fusillées, attaquées à l’arme lourde, littéralement découpées avec des machettes
et des haches, frappées à mort avec des gourdins, émasculées, éventrées, violées dans des conditions
sordides, laissées pour mortes et soumises à une lente agonie, une rescapée ayant décrit comment des
enfants avaient été enfermés dans un sac et battus à mort …
L’accusé n’a pas contesté l’existence de ces faits ni leur qualification de crimes contre l’humanité.
3. Sur l’implication de la gendarmerie dans le génocide au niveau national et au niveau local
Le rôle et l’action de la gendarmerie sur tout le territoire rwandais ont été évoqués à l’occasion de
l’audition de plusieurs témoins ou de lectures (S. AUDOIN-ROUSEAU, A . DES FORGES, A. GUICHAOU, le
général VARET, F. GRANIER). La cour et le jury considèrent sur la base de ces éléments de preuve que
cette force armée, censée protéger les citoyens et maintenir la sécurité, a agi durant le génocide
comme l’un des bras armés de la politique génocidaire mise en oeuvre par le gouvernement intérimaire,
avec les milices Interahamwe, la police municipale et l’armée. Il ressort en effet de ces analyses que
ces forces armées ont en premier lieu contribué à inciter la population à s’engager dans le génocide en
montrant l’exemple en procédant aux premières exécutions mais aussi en garantissant l’impunité aux
auteurs des massacres, des exactions et des pillages. Mais il est également prouvé que la gendarmerie
a encadré, renforcé et soutenu la population et les miliciens lors de certains massacres ou tueries
d’ampleur. Le rôle et l’action de la gendarmerie ont ainsi été déterminants non seulement pour
légitimer les massacres mais aussi pour vaincre la résistance des Tutsis dans certains lieux où ils avaient
trouvé refuge. Le témoin F. GRANIER a indiqué que 15% des victimes avaient été tuées par armes à feu,
ce qui serait de nature à signer l’implication de la gendarmerie dans les massacres puisqu’elle était la
principale force armée au niveau local. Le général VARRET a en outre fait état d’une conversation qu’il
avait eue avec le chef d’état -major de la gendarmerie Rwandaise fin 1990 durant laquelle ce dernier
lui avait demandé la fourniture d’armes lourdes en vue de l’extermination des Tutsis. [| est donc
clairement apparu que la gendarmerie qui avait le devoir et la capacité de sauver des vies ne l’avait pas
fait, sauf à de très rares exceptions.
Si certains témoins ont défendu l’action de la gendarmerie (C. HABYARABATUMA qui dirigeait la
gendarmerie de Butare jusqu’au 19 avril, A. NDINDILYIMANA l’ancien chef d’état-major commandant
la gendarmerie Rwandaise, J.M.V. MUNSI, qui dirigeait la compagnie de gendarmerie de l’aéroport de
Kigali), leurs déclarations sont apparues peu fiables et peu crédibles au regard des analyses historiques
du génocide et surtout des déclarations de l’ensemble des rescapés, témoins, parties civilés et
exécutants du génocide au niveau local (notamment E. NYAZINDA, les anciens gendarmes D. MAFENE,
A. TESIRE, P. UWIZEYIMMANA, O. MUKARUSHEMA, D. KAYIGEMERA, les parties civiles et notamment
E. MUREBWAITRE, S. UWASE, Y. NIYONTEZE, C. UWIMARYA, A. CYIMUSHARA, J.B. HABINEZA, F.
HABIMANA, T. SINZI … ou encore les témoins S. RUDAHUNGA, L. NIZEYIMANA, !. DUSINGIZIMANA …)
qui ont tous mis en cause la gendarmerie de Nyanza pour son rôle déterminant que ce soit en incitant
la population à se livrer à la traque et à l’extermination des Tutsis, en initiant le déclenchement des
massacres en montrant l’exemple, en intervenant en renfort afin de vaincre la résistance des Tutsis,
en contrôlant les barrières. Aucun de ces témoignages ne fait état de la moindre action de la
gendarmerie afin de protéger et de porter secours aux Tutsis. Ces témoignages au nivéau local font
écho aux témoins de contexte.
La cour et le jury ont en outre relevé que le capitaine BIRIKUNZIRA qui commandait la compagnie de
gendarmerie de Nyanza n’était pas comme l’a soutenu l’accusé l’élément modérateur au sein de la
gendarmerie, opposé comme l’accusé aux tueries. En effet, plusieurs gendarmes et témoins (C.
HABYARABATUMA, D. MAFENE, A. TESIRE, D. KAYGEMERA, |. DUSINGIZIMANA) ont mis en cause le
capitaîne BIRIKUNZIRA pour son rôle déterminant dans le génocide au niveau local, en observant que
son comportement avait basculé après les discours du 19 avril et le limogeage du préfet. Trois anciens
gendarmes (A. TESIRE, D. KAYGEMERA, P. UWIZEYIMANA) ont évoqué un évènement décisif dans le
changement d’attitude du capitaine BIRIKUNZIRA à savoir l’arrivée et la présence pendant une journée
d’une trentaine de militaires de l’ESO à la gendarmerie de Nyanza juste avant le début des massacres,
accueillis par le capitaine et l’accusé.
Enfin, il ressort des déclarations de l’accusé, confirmée par les auditions d’anciens gendarmes, que la
gendarmerie de Nyanza disposait de 70 à 100 hommes, d’armes (pistolets, fusils automatiques,
mitrailleuse MAG, mortier de 60) ainsi que de trois véhicules. Dès lors, si l’accusé a lui aussi tenté de
défendre l’institution de la gendarmerie en déclarant que les gendarmes étaient débordés, que c’était
« la débandade », que la loi n’était plus respectée et que, si des gendarmes étaient impliqués dans le
génocide, il s’agissait de cas isolés, ses déclarations se heurtent à l’ensemble des témoignages analysés
au cours des débats, au fait que la gendarmerie disposait des effectifs et des moyens que la cour et le
jury ont estimés suffisant pour maintenir l’ordre qui d’ailleurs avait été maintenu jusqu’au 20 avril.
4. Sur les arguments en défense de l’accusé
4.1. Sur la présence de l’accusé à Nyanza au moment des faits
L’accusé assure depuis le début de la procédure qu'’il n’était pas présent au moment des faits qui se
situent dans une période comprise entre le 20 et le 28 avril 1994, voire jusqu’à la mi-mai 1994. L’accusé
a assuré tout au long des débats comme durant l’instruction que lorsqu’il avait quitté la gendarmerie
de Nyanza, la situation était encore calme, que les tueries, les massacres et les pillages n’avaient pas
encore débuté. Le seul changement qu’il avait finalement observé a consisté à l’arrivée de réfugiés
qu'’il avait dû prendre en charge, loger dans des tentes, nourrir … Pour le reste, jusqu’à son départ, les
missions de la gendarmerie étaient restées inchangées.
(| ressort cependant des débats que les déclarations de l’accusé sur ce point capital de sa défense ont
varié tout au long de l’information judiciaire :
e … Dans des notes personnelles découvertes chez lui (scellé 18 intitulé « alibi »), sachant que cette
note n’est pas de sa main donc de celle de l’un de ses proches, il est question du 18 avril 1994
comme date de son départ.
e Devant le juge d’instruction, l’accusé a tantôt évoqué la‘deuxième quinzaine d’avril soit entre
le 15 et le 30 avril 1994, tantôt fin avril, tantôt un départ le 25 avril 1994 pour une décision qui
avait été prise le 23 avril 1994, tantôt le 20 ou le 21 avril 1994, tantôt entre le 22 et le 26 avril
1994 (confrontation avec D. KAYGEREMA) mais en tout état de cause avant les premiers
massacres au niveau local.
« |l s’est par ailleurs contredit devant le juge d’instruction en déclarant que lors des premiers
massacres, il avait été impuissant avec son supérieur le capitaine BIRIKUNZIRA pour empêcher
une poignée de gendarmes extrémistes de sortir avec leurs armes et de se mêler aux miliciens
7
ou encore que la gendarmerie manquait d’effectifs, que la situation était incontrôlable, de
sorte qu'il ressort de cette déclaration qu’il était encore à Nyanza lors des premiers massacres.
Devant la cour statuant en appel et pour la première fois depuis sa mise en examen, ‘l a
expliqué que lorsqu’il avait entendu le discours du président de la République prononcé le 19
avril à Butare à l’occasion de la cérémonie d’investiture du nouveau préfet, il était certain qu’il
se trouvait à Kigali, au camp de gendarmerie de Kacyiru puisqu’il avait été muté dans le
bataillon du major KANIMBA pour défendre ce camp et participer à la lutte armée contre le
FPR et cela jüsqu’au 10 ou 12 mai et son affectation à la sécurité du colonel RUTAYISERE;
Lors des débats, il a dit être resté 2 à 3 semaines au sein de ce bataillon alors que devant le
juge d'’instruction, il avait évoqué une semaine, de sorte qu'’il a admis que ses repères
chronologiques étaient flous.
Lors des débats, il a expliqué que c’était approximativement à la date du 10 ou 12 mai qu’il
avait été affecté à la sécurité du colonel RUTAYISIRE pour prendre la tête du peloton de
gendarmes mis à son service dans la mesure où ce haut gradé qui était originaire du sud était
menacé par des extrémistes.
Il était resté à son service jusqu’à sa fuite du Rwanda avec sa femme et ses trois enfants le 4
juillet 1994 après les avoir retrouvés à Gikongoro où ils avaient été conduits par les gendarmes
de Nyanza après la prise de la ville par le FPR.
Sur les motifs de sa mutation, l’accusé a parlé tantôt de la nécessité d’aller renforcer les effectifs de la
gendarmerie à Kigali, tantôt des menaces dont il faisait l’objet au sein de la gendarmerie de Nyanza,
sachant qu’il a également pu dire qu’il ignorait les motifs de sa mutation.
La cour et le jury ont estimé ne pas devoir retenir les déclarations de l’accusé dans la mesure où :
elles ne sont confirmées par aucun document ni par aucun écrit ;
elles ne sont confirmées par aucun témoignage fiable ;
aucun de ses coliègues ou supérieurs qui étaient présents à Kigali, au camp de Kacyiru n’a été
en mesure de confirmer sa présence à Kigali (C. HABUARABATUMA, A. NDINDILYIMANA, JM.V.
MUNS!) ;
son épouse, qui n’a pas été entendue lors des débats mais dont les déclarations ont été lues,
a déclaré que son mari avait quitté Nyanza deux semaîines après l’attentat du 6 avril, du moins
avant le début des massacres à Nyanza, pour finir par dire, informée des variations dans les
déclarations de l’accusé sur ce point capital de sa défense : « s’il a dit ça, tant pis pour lui » ;
le seul témoignage suffisamment précis concernant sa mutation résulte en définitive des
déclarations du colonel RUTAYISIRE qui ont été lues, et selon lequel c’était aux alentours de la
mi-mai qu’il avait sollicité sa hiérarchie afin d’obtenir une escorte pour sa sécurité, voire le 10
mai au plus tôt, et que l’accusé avait été affecté à sa protection. Ce témoin a en outre précisé
que l’accusé n’était pas toujours resté avec lui, de sorte que lorsqu’il se déplaçait à Butaré ou
à Gikongoro, l’accusé avait pu se rendre à Nyanza. ë
Par ailleurs, plusieurs des collègues de l’accusé présent à la gendarmerie de Nyanza au moment des
faits ont infirmé les déclarations de l’accusé concernant son alibi :
D. MAFENE, gendarme Tutsi qui avait le grade de sergent et qui exerçait en tant qu'infirmier,
a déclaré que si l’accusé avait été muté à Kigali, il n’en connaissait pas la date mais que cette
mutation était intervenue « en pleine période des attaques ».
e … A. TESIRE a expliqué avoir appris sa propre mutation le 14 mai et avoir quitté Nyanza le 20 mai,
date à laquelle l’accusé était toujours à Nyanza, sachant qu’en sa qualité de secrétaire du
commandant du camp, elle n’avait pas vu passer l’ordre de mutation de l’accusé.
e P. UWIZEYIMANA qui était infirmière à la gendarmerie de Nyanza a déclaré que selon ses
souvenirs, l’accusé avait quitté le camp pour Kigali vers le 15 mai, en tous cas après le départ
de Angélique TESIRE, sachant qu’elle s’est souvenue de sa présence en avril, lors des massacres
du mois d’avril.
e Untémoin anonyme entendu par le TPIR a indiqué que l’accusé avait été muté fin avril début
mai car des habitants s’étaient plaints de son comportement.
e D. MUKARUSHEMA, l’épouse du chauffeur de la gendarmerie, a quant à elle indiqué que
l’accusé avait quitté le camp de Nyanza pour Kigali vers la fin du mois de mai.
e D. KAYGEMERA ne s’est pas souvenu de la date du départ de l’accusé, sauf à dire qu’il était
parti en mai comme À. TESIRE.
Enfin, de nombreux témoins (F. HABIMANA, V. BAYENGANA, E. KAMUGUNGA, S. MUNYAMPUNDU, A.
KABERA, E. MUSHYITSI, J. MUSABYIMANA, H. MINANI, |. DUSINGIZIMANA, M. NDAHIMANA … ) qui ont
été entendus ou dont les auditions ont été lues ont fait des déclarations qui sont en cohérence et dont
il ressort qu’ils ont affirmé avoir vu l’accusé pendant le génocide à Nyanza et notamment au moment
des faits dont il est accusé.
4.2. Sur l’existence d'un second adjudant-chef BIGUMA
L’accusé a reconnu lors des débats que son surnom était bien BIGUMA, sachant qu’il avait pu le
contester lors de l’instruction. Mais l’accusé a évoqué la possibilité qu’il existait une autre personne
qui portait le même surnom que lui, ce qui pouvait expliquer qu'’il avait pu être confondu avec cette
personne.
Cependant, les débats, et notamment les auditions reprises plus loin dans la motivation des personnes
qui ont connu l’accusé ainsi que de ses anciens collègues, ont permis à la cour et au jury de s’assurer
qu'il n’existait au moment des faits et sur le ressort de compétence de la gendarmerie de Nyanza qu’un
seul adjudant-chef BIGUMA, qu’il s’agissait de l’accusé dans la mesure où ils l’ont reconnu et qu’aucune
confusion n’était possible. Un seul témoin, L. PFUKAMUNSENGE, a évoqué l’existence d’une autre
personne portant le même surnom, mais en précisant qu'il s’agissait d’un paysan qui vivait non loin de
l'ISAR Songa, sans le moindre rapport avec un adjudant-chef de la gendarmerie de Nyanza.
Quant au jugement de la Gacaca rendu le 28 avril 2009 et mentionnant, sans la moindre motivation,
l’existence d’un « adjudant BIGUMA alias CYISTO » jugé en même temps que Philippe HATEGEKIMANA,
il ne permet pas d’étayer sérieusement la thèse de l’existence de deux BIGUMA portant le grade
d’adjudant-chef au sein de la même compagnie de gendarmerie.
Pour sa défense, l’accusé a émis l’hypothèse que les massacres commis par des gendarmes à Nyanza
et Ntyazo pouvaient être imputés au sous-lieutenant NTWAWIRINGIA. Cependant, le nom de ce
gendarme comme ayant été impliqué dans les faits n’a été cité à par très peu de témoins, à savoir trois
gendarmes (D. MAFENE, A. TESIRE, P. UWIZYIMANA) sans qu’aucune précision ne soit donné sur les
actes qu'’il avait pu commettre.
4.3. Sur les fonctions de l’accusé au sein de la gendarmerie de Nyanza
L’accusé a décrit ses fonctions et sa place dans la hiérarchie au sein de la compagnie de gendarmerie
de NYANZA. Il a d’abord expliqué qu’il était certes sous-officier avec le grade d’adjudant-chef, mais
qu’il était sous les ordres des deux sous-lileutenants DUSABE et NTWARINGIRA et du capitaine
BIZIKUNZIRA.
La cour et le jury en ont tiré comme conclusion que son rang au sein de la compagnie lui conférait une
autorité sur la plupart des effectifs de la gendarmerie.
L’accusé a également expliqué que son rôle au sein de la gendarmerie avait évolué. Il avait d’abord
commandé la brigade territoriale de Nyanza avec des missions de maintien de l’ordre et de police
judiciaire entre avril 1993 et début 1994 avant d’être affecté à la compagnie de Nyanza, avec pour
mission la gestion du personnel et des plannings, l’affectation des gendarmes sur les missions
déterminées par ses supérieurs, le ravitaillement ainsi que le secrétariat de la commission des permis
de conduire. Durant l’instruction, il a d’abord soutenu que du fait de ses fonctions, il ne sortait jamais
à l’extérieur du camp dans le cadre de ses missions avant de finir par admettre, durant l'instruction
puis au cours des débats, qu’il pouvait se rendre régulièrement à l’extérieur afin de conduire les
gendarmes de la relève sur leurs postes, pour les ravitailler, pour vérifier si les gendarmes qui étaient
en mission à l’extérieur ne manquaient de rien et qu’ils se comportaient bien ou encore pour se rendre
au camp de réfugiés. Il utilisait alors un véhicule de type pick-up Toyota Stout de couleur rouge.
La cour et le jury en ont tiré comme conclusion que les fonctions de l’accusé lui conféraient une
autorité sur la plupart des effectifs de la gendarmerie, sur lesquels il était en mesure d’exercer un
contrôle et qu’il pouvait désigner et équiper afin d’accomplir leurs missions.
4.4. Sur les relations de l’accusé avec les autres gendarmes
L’accusé a également évoqué les difficultés qu’il avait avec certains gendarmes originaires Hutus du
nord, sachant que lui-même était un Hutu originaire du sud. Il s’est lui-même présenté comme un
« Hutu modéré » et il a désigné ces gendarmes extrémistes comme étant MUSAFIRI, NTDIDAKUNZE,
CESAR et SAGAHUTU. Selon l’accusé, leur hostilité se manifestait dans leurs regards, dans leurs
attitudes, leurs gestes, leur mauvaise volonté lorsqu'’il s’agissait d’exécuter certains de ses ordres
sachant que le capitaine BIRIKUNZIRA pouvait les punir. 11 a d’ailleurs insisté sur le fait que le capitaine
BIRIKUNZIRA avait toujours tenté de maintenir le calme et la cohésion au sein de la gendarmerie,
jusqu’au début du génocide à Nyanza où il ne parvenait plus à maîtriser ces éléments extrémistes. En
effet, l’accusé a expliqué qu’avec le capitaine, il avait tenté de faire comprendre à ces gendarmes que
les Tutsis de Nyanza et de Ntyazo n’étaient pour rien dans l’attentat du 6 avril. !! a expliqué que lorsque
le génocide avait commencé à Nyanza, ces gendarmes qu'’il a qualifiés de moutons galeux sortaient le
soir à leur insu, avec leurs armes et qu’il savait qu’ils harcelaient et menaçaient la population. Il n’était
cependant pas possible de les sanctionner compte tenu du chaos qui régnait, sauf à les rappeler à
l’ordre. S’agissant de ces gendarmes extrémistes du nord, il a également évoqué le fait qu'ils avaient
menacé des enfants Tutsis qu’il accueillait dans le camp avec sa femme, de même qu'ils avaient
menacé ses propres enfants. Ces menaces n’étaient pas proférées en sa présence mais elles lui ont été
rapportées par d’autres gendarmes.
Son épouse a dit lors de ses auditions que son mari avait toujours eu de très bonnes relations avec tout
le monde, qu’il n’avait jamais eu de conflits avec d’autres gendarmes pour finir par dire après avoir été
informée des déclarations de son mari que les gendarmes du nord pouvaient effectivement tenir des
propos méprisants. En revanche, elle n’a pas confirmé l’existence de menaces à l’égard des enfants.
10
L’accusé a encore fait valoir qu’il a subi les reproches du sous-préfet KAYANTANA qui lui reprochait de
cacher des Tutsis, de ne pas tuer les Tutsis.
Les déclarations de l’accusé ont cependant été réfutées par de nombreux témoignages, notamment
de ses anciens collègues, de sorte que la cour et le jury les ont écartées :
D. MAFENE, gendarme Tutsi qui avait le grade de sergent et qui exerçait en tant qu’infirmier,
a expliqué qu'’il était un des cinq gendarmes Tutsis de la compagnie de Nyanza de sorte que le
capitaine BIRIKUNZIRA, qui lui avait interdit de quitter le camp pendant le génocide. Il a précisé
que les gendarmes extrémistes étaient très nombreux, qu'’il sortaient du camp pour tuer les
Tustis et que l’accusé était leur chef, qu’il lès désignait, que lui aussi sortait du camp en voiture
avec les autres gendarmes et qu'il avait su par ses collègues qu'il donnait des ordres pour tuer
les Tutsis. Mais il a précisé ne pas avoir assisté à ce qui se passait à l’extérieur du camp. Selon
ce témoin, l’accusé surnommé BIGUMA tenait des propos « extrémistes » et il était devenu
extrémiste avec le début des massacres, son comportement ayant alors changé. Quant aux
menaces des gendarmes nordistes dont l’accusé aurait été victime, ce témoin a déclaré ne
jamais en avoir été le témoin. Il a encore précisé que l’accusé et le sous-lieutenant
NTWAWIRINGIA lui avaient dit qu’après avoir tué tous les Tutsis de l’extérieur, il sera lui aussi
tué.
A. TESIRE, qui était alors une gendarme Tutsie affectée au secrétariat du capitaine
BIRIKUBZIRA, a expliqué que l’accusé dont le surnom était BIGUMA n’était pas menacé par les
gendarmes extrémistes ou nordistes, mais qu’au contraire, il avait oeuvré avec eux en vue du
génocide. Elle a spontanément révélé que l’accusé l’avait harcelée en la faisant conduire chez
un médecin chargé de prouver qu’elle avait avorté et qu’elle devait donc être punie, le
médecin ayant cependant prouvé qu’elle n’avait pas avorté. Elle a confirmé les déclarations
de l’accusé concernant ses fonctions mais elle a affirmé qu'’il sortait régulièrement du camp,
qu’il contrôlait l’activité des gendarmes à l’extérieur du camp. Il était le numéro 3 du camp,
ses supérieurs étant le capitaine BIRIKUNZIRA et le sous-lieutenant NTAWINGIRA. S’il existait
un certain favoritisme dont bénéficiaient les gendarmes originaires du nord, il n’y avait pas de
dissension avec les gendarmes originaires du sud. A l’annonce de la mort du président
HABYARIMANA, les gendarmes les plus extrémistes, dont l’accusé ne faisait pas partie, avaient
manifesté leur colère en tirant en l’air, certains d’entre eux se rendant chez le sous-préfet et
le directeur de la laiterie pour se concerter. Puis le 12 avril, le sous-préfet avait écrit au
capitaine pour lui demander de commencer les massacres comme à Kigali. Le 19 avril, quand
les gendarmes avaient entendu le discours du président de la République, les gendarmes
extrémistes avaient commencé à se rallier aux militaires. Selon elle, pendant le génocide, le
sous-lieutenant NTAWIRINGA et l’accusé disposaient d’une grande autonomie. Elle a présenté
l'{accusé comme un acharné, animé de beaucoup de zèle, satisfait de ce qui se passait à
l’extérieur, souvent aux côtés des extrémistes, sachant qu'’il avait soutenu le génocide avantmême
son déclenchement à Nyanza et qu'il avait tenu des propos extrémistes. Elle a donc
démenti les déclarations de l’accusé qui a fait valoir qu’il avait vainement tenté d’empêcher
les gendarmes extrémistes de sortir du camp pour prendre part au génocide.
P. UWIZEYIMANA a déclaré que l’accusé faisait partie des extrémistes, qu’il n’aimait pas les
Tutsis qu’il traitait de « chiens de Tutsis ». Elle a dit qu’il était proche du sous-lieutenant
NTAWIRINGIRA pendant le génocide. Elle a ajouté avoir su par ses collègues que l’accusé avait
tué des Tutsis. Il n’était donc pas menacé par qui que ce soit parmi les gendarmes. Par ailleurs,
elle a déclaré lors des débats que l’accusé n’avait pas empêché les gendarmes extrémistes de
se livrer aux massacres, dans la mesure où au contraire, il les dirigeait et il avait tenu des
propos incitant aux massacres.
11
e D. KAYGEMERA, caporal qui effectuait des gardes et de patrouilles au sein de la gendarmerie,
a confirmé que la situation à Nyanza était restée calme jusqu'au 20 avril. Après l’attentat du 6
avril, les gendarmes originaires du nord avaient exprimé leur colère, contrairement à ceux du
sud qui étaient restés indifférents. En revanche, l’accusé, qu’il connaissait sous le nom de
BIGUMA se situait du côté de ceux qui prônaient |es massacres, le capitaine BIZIKUNZIRA ayant
cependant réussi à les contenir. Selon lui, il est donc faux de dire que l’accusé était menacé
par les extrémistes. Il a déclaré que si l’accusé sortait peu du camp avant le déclenchement du
génocide, il sortait beaucoup plus souvent par la suite.
La cour et le jury ont en outre relevé que d’autres témoins ont dressé un portrait de l’accusé éloigné
du « Hutu modéré » qu’il prétend être. En effet, deux témoins, S. MUNYAMPUNDU et J.D.D
BUCIYIBARUTA (dont les déclarations ont été lues) qui ont connu l’accusé durant ses études ont déclaré
que celui-ci avait été l’un des meneurs des troubles de 1973 dans les lycées lorsque les lycéens Tutsis
avaient été expulsés des établissements scolaires.
4.4. Sur le parcours de l’accusé
Si les déclarations de l’accusé concernant son alibi et sa situation au sein de la gendarmerie de Nyanza
n’ont pas été retenues par la cour et le jury, les débats ont également rélevé que l’accusé avait menti
à plusieurs reprises, de concert avec son épouse, pour obtenir le statut de réfugié en France : d’abord
en cachant sa véritable identité puisqu’il est arrivé en France sous couvert de la fausse identité de
Philippe HAKIZIMANA qui lui aurait été délivrée par l’ancien bourgmestre de sa commune de naissance
afin selon lui d’échapper au FPR alors qu’il était dans un camp de réfugiés entre 1994 et 1996 en RDC,
ensuite en taïisant dans son dossier de demande du statut de réfugié sa présence à Nyanza, ensuite en
cachant le fait qu’il avait été gendarme au Rwanda, et enfin en taisant même le fait qu’il avait sauvé
des Tutsis comme il l’a assuré tout au long de la procédure et des débats. La cour et le jury ont observé
qu’en agissant ainsi, puis en francisant son nom, l’accusé a pu échapper à tout recoupement avec son
passé, avant d’être l’objet d’une dénonciation anonyme en 2012. ‘
De même, la cour et le jury ont observé qu’alors qu'’il était au chômage depuis le mois de septembre
2017, il s’était rendu au Cameroun où réside sa fille, sous couvert d’un visa humanitaire délivré sur la
base d’un certificat apparemment mensonger, puis qu’après avoir résilié sa ligne téléphonique
française il était resté au Cameroun sans prendre son vol retour pour la France malgré l’expiration de
son visa, les conversations interceptées sur la ligne de son épouse ayant permis de comprendre que sa
présence au Cameroun était cachée à leurs proches. Ce n’est que sur mandat d’arrêt international qu’il
a pu être arrêté au Cameroun à l’aéroport de Yaoundé le 31 mars 2018 alors que son épouse était
venue le rejoindre. Si la volonté de l’accusé de fuir la France ne peut être formellement prouvée, ces
éléments sont de nature à établir que l’accusé, alors qu’il savait qu'il faisait l’objet d’investigations, a
préféré rester à distance de la France, du moins un certain temps.
Enfin, la découverte à son domicile d’un document écrit intitulé « Alibi » (scellé 18) rédigé d’une main
autre que celle de l’accusé tend, selon la cour et le jury, à démontrer que les alibis invoqués tout au
long de la procédure et des débats ont fait l’objet d’une discussion au sein de sa famille, son épouse
et ses enfants n’ayant cependant pu être entendus lors des débats.
Quant à la révélation faite lors des débats par l’accusé qui a déclaré pour la première fois qu'il avait eu
au Rwanda une maîtresse Tutsie avec laquelle il avait eu une fille Tutsie, elles n’ont été étayées par
aucun élément.
12
4.5. Sur le procès politique
Durant toute la procédure et durant les débats, l’accusé a soutenu que les témoins «à charge » mais
également les parties civiles qui l’ont mis en cause avaient fait l’objet de pressions, de menaces, d’une
préparation et d’un conditionnement de la part du pouvoir en place à Kigali qui chercherait à éliminer
judiciairement l’opposant politique qu'’il serait ou bien qu’ils avaient été instrumentalisés par les
associations CPCR et IBUKA, ou encore que les témoins qui étaient détenus espéraient tirer un bénéfice
de leurs témoignages.
Si la défense a produit des pièces qui ont été lues au cours des débats (rapports des associations comme
Human Rights Watch ou la Fédération Internationale des Droits de l'Homme, Amnesty International,
the Rwandan, Reporters Sans Frontières, Médecins Sans Frontières, articles de Ph. REYTJENS et A.
GUICHAOU, .…) et fait citer la journaliste M. WRONG concernant des cas de procès politiques basés
sur de fausses accusations, le recours permanent à des témoins professionnels et à la fabrication de
preuves, l’existence d’un « syndicat de la délation », des cas de tortures et de mauvais traitements
dans les prisons Rwandaises, il n'est pas apparu à l'issue des débats que les témoins ou les parties
civiles entendus ont déposé sous la pression ou à la demande des autorités rwandaises ou encore
d’associations de parties civiles, voire qu’ils avaïent été préparés pour livrer des récits « stéréotypés »,
étant précisé que les témoins et les parties civiles ont été interrogés sur ce point. Les enquêteurs
français ont en outre souligné qu’ils avaient disposé d’une très grande autonomie dans leurs
investigations et qu’ils avaient pu procéder aux auditions hors la présence des autorités rwandaises,
avec leurs propres interprètes, une telle autorisation étant rarissime dans la coopération judiciaire
internationale. La cour et le jury ont également pu s'assurer des conditions d’audition des témoins
entendus dans le cadre de visioconférences entre Paris et Kigali.
Par ailieurs, il a été constaté qu'aucun élément ne permet de souscrire à la thèse du procès visant à
éliminer un opposant politique du fait de l’activisme politique de l’accusé, lequel s’est en réalité limité,
d’après ses seules déclarations, à participer à une manifestation à Rennes contre un déplacement de
l’ambassadeur du Rwanda en France. En outre, son activité associative au sein de l’association
culturelle et apolitique AMIZERO n‘est pas apparue susceptible de faire de l’accusé un opposant
politique. Autant d’éléments qui permettent à la cour et au jury de ne pas souscrire à l’hypothèse d’un
procès basé sur des témoins à charge sous pression ou préparés à l’avance dans un but de règlements
de comptes politiques.
5. Sur l’analyse des témoignages et des déclarations des parties civiles
S'agissant des déclarations des témoins et des parties civiles qui constituent l’essentiel des éléments
de preuve discutés lors des débats, la cour et le jury ont procédé durant le délibéré à une analyse
minutieuse de l'ensemble des témoignages et auditions de parties civiles ainsi que des déclarations de
l’accusé ou encore des documents et des éléments de contexte qui ont été soumis à leur appréciation
en les examinant séparément mais également globalement, en confrontant ces déclarations les unes
avec les autres ainsi qu'avec les éléments de contexte, en recherchant les éléments permettant de les
vérifier, de les étayer et de les corroborer ou au contraire de les invalider et donc de les écarter, en
recherchant les conditions dans lesquelles les témoins et parties civiles avaient connu l’accusé avant,
pendant ou après les faits. La cour et le jury, rappelant que les témoignages sont des éléments de
preuve à part entière et qu'ils ont pu être débattus contradictoirement tout au long de l'instruction et
des débats, ont pris en considération l'effet du temps sur les déclarations des uns et des autres
s'agissant de faits remontant au printemps 1994, l'effet de la mémoire collective sur la mémoire
individuelle, les conséquences sur le récit des traumatismes vécus comme cela ressort notamment de
l’audition de la psychologue R. WAINTRATER, de même que les éventuels revirements, contradictions,
13
imprécisions, oublis, incohérences, invraisemblances, mais également les souvenirs, les précisions et
les éléments révélés par les débats. De la même manière qu’un témoignage ne doit pas être écarté par
principe dans sa globalité dès lors qu'’il recèle une contradiction ou une invraisemblance si certains de
ses étéments sont corroborés par d’autres pièces du dossier, un témoignage constant peut ne pas être
pris en considération s’il est isolé et non étayé. La cour et le jury se sont ainsi forgés une conviction en
recherchant des éléments de preuve suffisamment solides et étayés pour appuyer leur délibéré et leur
verdict au terme d'une analyse à charge comme à décharge sans jamais perdre de vue que le doute
doit profiter à l'accusé.
6. Sur les notions juridiques d’'auteur, de coauteurs et de complice.
Les articles 121-4 et 121-7 du code pénal définissent, d’une part, l’auteur d’un crime comme celui qui
commet sciemment les faits incriminés et, d’autre part, le complice d’un crime comme celui qui,
sciemment, par aide ou assistance en a facilité la préparation ou la consommation, mais aussi celui qui,
par don, promesse, menace, ordre, abus d'autorité ou de pouvoir, aura provoqué à une infraction ou
donné des instructions pour commettre le crime.
Si en principe l'auteur d’un crime est celui qui, en agissant sciemment, est directement l'auteur
matériel des faits incriminés, l'article 211-1 du code pénal prévoit que « constitue un génocide le fait,
en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national,
ethnique, racial ou religieux, ou d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, de
commettre ou de faire commettre, à l'encontre de membres de ce groupe, l'un des actes suivants :
atteinte volontaire à la vie ; atteinte grave à l'intégrité physique ou psychique (...) ». Cette disposition
pénale propre au crime de génocide permet donc dé considérer comme pénalement responsable en
sa qualité d’auteur d'un génocide non seulement l’exécutant, auteur matériel direct des faits, mais aussi
celui qui peut en être considéré comme l’auteur intellectuel pour s’être servi d’un ou de plusieurs
exécutants matériels afin de leur faire commettre ce crime. De même, l'auteur donnant des ordres à
ses subordonnés ou à des personnes sur lesquelles son positionnement hiérarchique lui confère une
autorité sera auteur indirect du génocide qu'il a fait commettre.
Quant à l'article 212-1 du code pénal, il qualifie d'autres crimes contre l'humanité « (...) la pratique
massive systématique d'exécutions sommaires, d'enlèvements de personnes suivis de leur disparition,
de la torture ou d'actes innumains, inspirées par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou
religieux et organisées en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile ».
Si cette incrimination ne reprend pas expressément la référence à une commission directe ou par
l’intermédiaire d’autrui, la jurisprudence permet cependant de qualifier de co-auteur celui qui assiste
l’auteur des faits dans leur consommation, dès lors qu’il coopère nécessairement à leur perpétration
dans une même unité de temps et de lieux. Ainsi, dans des scènes de violences celui qui, étant présent
sur place, dirige ou encourage activement les autres personnes présentes à se livrer auxdites violences,
peut être considéré comme en étant l’un des co-auteurs et non un simple complice.
Enfin, s’agissant des personnes dont la responsabilité pénale peut être engagée en qualité de complice
et non d'auteur, l’article 121-7 prévoit trois modes de complicité :
e … La complicité par aide ou assistance afin de faciliter la préparation ou la consommation de
l‘infraction principale. '
e … La complicité par provocation : le provocateur est, selon l’article 121-7, alinéa 2 « la personne
qui par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir aura provoqué à une
infraction ». Ces moyens constituent une pression sur la volonté de celui qui deviendra l’auteur
principal. L’abus d’autorité est commis par exemple par un supérieur hiérarchique qui
commande à ses subordonnés de commettre une infraction, alors que l’ordre se distingue de
l’abus d’autorité en ce qu’il émane d’un complice qui, dépourvu de tout pouvoir juridique sur
14
l’auteur principal, a su s’'imposer par la puissance de son caractère ou l’éclat de ses talents, par
son autorité, son prestige, ses fonctions.
e … La complicité par instructions, à savoir des indications assez précises et utiles pour servir de
guide de comportement à l’auteur principal.
Il est nécessaire d'établir que le fait matériel de la complicité a été accompli antérieurement ou
concomitamment à la perpétration du crime en vue de sa réalisation.
S'agissant de l'élément intentionnel de la complicité concernant les crimes contre l’humanité, le
complice doit avoir eu conscience que l'infraction envisagée consiste en un ou des actes constitutifs de
crime contre l'humanité, à savoir des exécutions sommaires, des enlèvements de personnes suivis de
leur disparition, des actes de torture ou des actes inhumains, commis en application d'un plan concerté
à l'encontre d'un groupe de population civile, en l'espèce le groupe tutsi. I! est en outre nécessaire
d'établir que le complice avait conscience que sa contribution a favorisé la commission du crime.
C’est au regard notamment de ces principes et règles de droit que la cour et le jury ont analysé
l’implication de l’accusé dans les faits dont il est accusé.
7. Sur la mort du bourgmestre Narcisse NYAGASAZA et d’un groupe de Tutsis dont Pierre
NYAKARASHI, Emmanuel NSENGIMANA, Appolinaire MUSONERA le 23 avril 1994
La cour et le jury ont procédé à l’analyse de plusieurs témoignages qui ont permis de retracer le
déroulement des faits ayant conduit, le 23 avril 1994 à l’exécution du bourgmestre Narcisse
NYAGASAZA et d’un groupe de Tutsis dont Pierre NYAKARASHI, Emmanuel NSENGIMANA, Appolinaire
MUSONERA, étant précisé que l’identité de cette dernière victime a pu être établie au cours des débats.
Il ressort des déclarations devant la cour de P. MUJAWAYZU (partie civile), J. UWICEZA (partie civile), S.
MATAZA (témoin condamné), A. NZAMWITA (témoin) ainsi que de la lecture des déclarations de C.
KABAGAMBA que l’accusé, accompagné de deux ou trois gendarmes non identifiés, a ordonné
l’arrestation du bourgmestre Narcisse NYAGASAZA dans la matinée du 23 avril, alors que celui-ci tentait
avec de nombreux civils Tutsis de franchir la rivière Akanyaru qui sépare le Rwanda du Burundi pour y
trouver refuge. Cette arrestation avait été suivie de celles de Pierre NYAKARASHI, Emmanuel
NSENGIMANA et d'Appolinaire MUSONERA. Si la description de l’arrestation varie selon les témoins, il
n’en reste pas moins que tous mettent en cause l’'accusé et des gendarmes reconnaissables à leurs
bérets rouges, venus à bord d’un véhicule de type pick-up blanc, très vraisemblablement Toyota Hillux
selon la quasi-totalité des témoignages entendus au sujet de la journée du 23 avril, dans l’arrestation
de ces civils Tutsis. . MUJAWAYZU a en effet reconnu l’accusé, alias BIGUMA. D’autres ont appris son
nom au moment des arrestations (J. UWICEZA, S. MATAZA, A. AUGUSTIN) sachant qu’ils voyaient
l’accusé pour la première fois. S. MATAZA a précisé quant à lui que le nom de BIGUMA lui a été confirmé
par la suite par |. DUSINGIZIMANA.
Il ressort des déclarations d’autres témoins que l’accusé a ensuite transporté dans ce même véhicule
les Tutsis qu’il venait de capturer pour les conduire jusqu’au camp de gendarmerie de Nyanza. Il a en
effet été vu sur la route entre la frontière et le camp de la gendarmerie de Nyanza avec le bourgmestre
NYAGASAZA et des civils Tutsis par trois témoins que la cour et le jury ont pu entendre. Ainsi, S.
SEBAKARA (condamné) et M. NDAHIMANA (condamné) ont tous les deux reconnu l’accusé, le
bourgmestre ainsi que Appolinaire MUSONERA et Pierre NYAKARASHI, S. SEBAKARA ayant évoqué la
présence de cinq civils Tutsis avec le bourgmestre, M. NDAHIMANA ayant constaté pour sa part la
“ présence de plusieurs Tutsis dont ceux qu’il a pu identifier. G. GAHONGAYERE a pour sa part évoqué le
passage d’une voiture blanche avec le bourgmestre. Enfin, C. KABAGAMBA (partie civile), dont les
déclarations ont été lues, a indiqué avoir renoncé à fuir par la rivière après avoir appris que le
bourgmestre venait de se faire arrêter par les gendarmes et BIGUMA.
15
La cour et le jury ont relevé qu'il ressort des déclarations de quatre autres témoins directs confortées
par celles de deux témoins indirects que l’accusé avait fait un arrêt à la compagnie de gendarmerie de
Nyanza où il s’était entretenu avec le capitaine BIRIKUNZIRA avant de repartir avec ses captifs, mais
également un mortier de 60. Cette séquence a en effet été rapportée par plusieurs témoins oculaires
que la cour a pu entendre : À. TESIRE qui a mentionné la présence du bourgmestre et de cinq Tutsis,
l’accusé s’étant entretenu avec le capitaine BIRIKUNZIRA avant de repartir en voiture avec ses
prisonniers ; P UWIZEYIMANA qui a rapporté avoir vu l’accusé arriver en voiture avec le bourgmestre
mais sans mentionner la présence des civils Tutsis; D. KAYGEMERA qui a déclaré avoir vu le
bourgmestre dans la Toyota Hillux blanche avec l’accusé, mais sans mentionner la présence des civils
Tutsis. Quant à O. MUKARUSHEMA, l’épouse du gendarme qui conduisait le véhicule, elle a fait part
des confidences de son mari qui lui avait rapporté que le sous-préfet et le capitaine avaient confié à
l’accusé la mission d’aller capturer le bourgmestre NYAGASAZA de sorte que son mari et l’accusé
s'étaient rendus en voiture jusqu’à la frontière où le bourgmestre avait été capturé avant de reprendre
la route pour revenir à la gendarmerie de Nyanza. Enfin, O. MBANO, dont le témoignage a été lu, a lui
aussi indiqué avoir reçu les confidences du chauffeur qui fui avait dit qu’il était avec BIGUMA lors de
l’arrestation du bourgmestre.
La cour et le jury ont ensuite analysé avec une particulière attention le témoignage de |.
DUSINGIZIMANA, alors conseiller de secteur de Mushirarangu et condamné notamment pour avoir
reconnu son implication dans le meurtre du bourgmestre NYAGASAZA et auquel l’accusé reproche
d’être l’une des personnes qui a manipulé de nombreux témoins afin qu’ils le mettent en cause. Lors
de sa déposition devant la cour, sachant qu’il a confirmé les déclarations faites durant l’instruction, il
a expliqué qu’il avait lui aussi constaté la présence du bourgmestre et d’un groupe de Tutsis dans la
gendarmerie. |l s’était en effet rendu à la gendarmerie le 23 avril 1994 pour y requérir le renfort des
gendarmes auprès du capitaine BIRIKUNZIRA afin de venir à bout de la résistance de près de 500 Tutsis
qui s’étaient réfugiés sur la colline de Nyabubare, sur son secteur et qui bénéficiaient de l’aide d’un
militaire prénommé Pierre, lequel disposait d’une arme à feu et effrayait donc la population. Il a d’abord
expliqué comment il avaît connu l’accusé dans le cadre de ses fonctions. Il l’a d’ailleurs reconnu sur
photo et en confrontation, en disant qu’il n’y avait qu’un seul BIGUMA. Alors qu’il était à la gendarmerie
de Nyanza et qu’il venait d’informer le capitaine BIZIKUNZIRA de la situation sur la colline de Nyabubare
et que ce dernier avait accepté de lui donner des renforts en lui demandant d’attendre quelques
minutes, il avait vu arriver un véhicule Toyota blanc à double cabine conduit par l’accusé, avec dans la
caisse cinq à sept Tutsis. Il avait également vu le bourgmestre NYAGASAZA dans la cabine. Le capitaine
avait alors demandé à l’accusé de prendre un mortier de 60, des fusils et des grenades, des gendarmes
mais également le témoin et d’aller chercher le militaire Pierre afin de le ramener à la gendarmerie. Le
témoin a indiqué que la photo de mortier figurant dans l’expertise balistique ressemble au mortier qu'’il
avait vu. Le témoin était donc reparti dans la voiture, avec l’accusé, cinq à dix gendarmes, les Tutsis et
le bourgmestre qui était monté dans la caisse arrière. Sur la route, la voiture s'était arrêtée devant le
domicile de NTASHAMAJE où l’accusé avaït demandé aux civils Tutsis de descendre pour ensuite donner
l’ordre aux gendarmes de les fusiller. Trois gendarmes avaient exécuté cet ordre après avoir fouillé les
victimes et les avoir conduites dans un petit bois en contrebas de la route pour leur tirer dans le dos.
La cour et le jury ont relevé que |. DUSINGIZIMANA est le seul à avoir témoigné de l’exécution des civils
Tutsis. Mais son témoignage est apparu particulièrement crédible et cohérent avec les faits en amont
tels que d’autres témoins les ont décrits dans la mesure où la présence des civils Tutsis dans la voiture
des gendarmes est attestée par ces témoins depuis l’arrestation des victimes à la frontière jusqu’à leur
arrivée puis leur départ de la gendarmerie. Par la suite, aucun témoin ne les a jamais revus, sachant
que lorsque le véhicule a repris sa route avec le bourgmestre, le témoin et les gendarmes pour
rejoindre le lieu d’exécution du bourgmestre, ces civils n’étaient plus dans le véhicule.
16
Le témoin |. DUSINGIZIMANA a ensuite expliqué à la cour et au jury que le véhicule avait repris la route
en direction de Mushirarangu pour s’arrêter au niveau du bureau de secteur en construction où une
partie de la population était rassemblée conformément aux instructions que le témoin avait données
avant de se rendre à la gendarmerie. L’accusé avait alors ordonné au bourgmestre de descendre du
véhicule ; la victime avait fait 20 mètres au-dessus de la route et avait demandé « comment dois-je me
tenir » ; l’accusé avait répondu « tiens-toi comme tu veux » ; la victime s’était allongée et l’accusé avait
donné l’ordre à deux gendarmes de lui tirer dans les côtes, côté droit, la victime tournant le dos aux
gendarmes. | a précisé que l’accusé avait pris 1000 francs rwandais à la victime. L’accusé s’était ensuite
adressé à la population en disant qu'’il venait de donner un exemple et qu'’ils allaient maintenant tuer
les Tutsis sur la colline de Nyabubare. Selon le témoin, cette action et ce message avaient eu pour effet
d’inciter la population, laquelle avait par aîlleurs « soif de pillage ».
La cour et le jury ont relevé, pour apprécier la crédibilité de ce témoignage remis en cause tout au long
des débats par l’accusé qui lui a reproché non seulement d’avoir été corrompu pour porter contre lui
de fausses accusations mais surtout d’avoir incité d’autres témoins détenus à déposer à charge contre
lui, qu'il est corroboré avec de nombreux témoignages qui se situent pour certains en amont des faits
décrits par ce témoin et qui pour d’autres sont contemporains aux faits décrits par ce témoin (cf. infra
concernant l’attaque de la colline de Nyabubare). Ce témoignage est donc apparu crédible, en ce qu'il
était particulièrement constant mais également cohérent avec de nombreux autres témoignages. |.
DUSINGIZIMANA a justifié ses accusations en disant qu'’il ne tentait pas d’atténuer sa responsabilité,
qu'’il avait au contraire pris ses responsabilités en plaidant coupable, qu'’il avait été condamné à deux
peines de 24 ans de prison, qu’il était toujours en prison, qu’il était prédicateur religieux. Il a précisé
avoir été un membre actif du comité Gacaca de sa prison en sensibilisant ses codétenus au plaider
coupable mais sans jamais les forcer, les rapports étant ensuite remis au parquet. Il a ainsi pu parler
avec plusieurs témoins (C. HABYARABATUMA, F. MVUYKURE, JB HABINEA, L. NIZEYMINAMA, E.
UWITJE, O. BAYAVUGE), sachant que tous ces témoins ont indiqué à la cour et au jury qu'’ils avaient
librement donné leurs témoignages, sans subir de pressions, de menaces ni sans obtenir la moindre
récompense. Il n’est en outre aucunement établi que ce témoin, condamné à une lourde peine, a tiré
un quelconque avantage de ses déclarations.
A ce titre, la cour et le jury ont estimé que l’article issu du site « the Rwandan » produit par la défense
de l’accusé et qui dénonce les témoins |. DUSINGIZIMANA et M. NDAHIMANA d’avoir été corrompus
pour accuser la France de complicité du génocide ne pouvait suffire à étayer les accusations contre ces
deux témoins concernant leurs témoignages contre l’accusé dans la mesure où d’une part
l’information publiée par ce site n’est ni étayée ni documentée et d’autre part où son sérieux mérite
d’être questionné compte tenu de la nature de ses publications comme cela ressort d’une autre page
de ce site produite par l’accusation concernant le professeur RAOULT et C. OBANA au lendemain de sa
condamnation pour négationnisme du génocide des Tutsis.
L’exécution le 23 avril 1994 du bourgmestre sur ordre de l’accusé a en effet été confirmée par de
nombreux témoins :
e … A. BAKUNDUKIZE, dont le témoignage a été lu, a déclaré qu’alors qu’il était chez lui , il avait vu
des militaires arriver à bord d’une Toyota pick-up de couleur blanche, avec le bourgmestre
qu'ils avaient arrêté. Il n’avait pas assisté à son exécution.
e C. NIGIRENTE, condamné à 12 ans de prison après avoir plaidé coupable, a expliqué que la
population avait été réunie le 23 avrit aux alentours de 9h au niveau de la cellule de MPINGA,
sur les instructions de |. DUSINGIZIMANA, confirmant ainsi les déclarations de ce dernier. Il a
alors vu arriver le véhicule Toyota blanc avec plusieurs gendarmes et le conseiller
17
DUSINGIZIMANA, mais aussi le bourgmestre assis entre le chauffeur et l’accusé, sachant que
c’est après l’attaque de la colline qu’il a su par |. DUSINGIZIMANA qu'’il s'agissait de BIGUMA.
!! n’avait pas constaté la présence d’autres civils Tutsis dans la caisse arrière où se trouvaient
plusieurs gendarmes. Le conseiller avait demandé aux villageois de suivre à pied la voiture.
Puis la voiture s’était arrêtée et BIGUMA avait dit aux villageois que le bourgmestre avait été
surpris dans son bureau avec une feuille de route en vue de la fuite des Tutsis vers le Burundi.
BIGUMA avait alors ordonné au bourgmestre de vider ses poches dans lesquelles se trouvait
un billet de 1000 francs rwandais. Le bourgmestre lui avait demandé comment il devait se
tenir, et l’accusé lui a répondu « tiens-toi bien ». !| lui avait ensuite demandé de se retourner
et un gendarme lui avait tiré dans le dos, alors qu'il était debout et non pas allongé. Puis
BIGUMA avait demandé que le corps soit enterré. Ce témoin n’a pas reconnu l’accusé sur
photo. -
Y. KAYIRANGA, condamné à 12 ans de prison et dont le témoignage a été lu, a expliqué avoir
vu le bourgmestre dans la caisse arrière d’une Toyota Hillux blanche ainsi qu’une douzaine de
gendarmes. Selon lui, lorsque la victime était debout au moment de son exécution par deux
gendarmes qui avaient tiré sur lui. Il a situé l’exécution au même endroit que |.
DUSINGIZIMANA et que les autres témoins, 15 mètres au-dessus de la route. IIs avaient laissé
le corps sur place avant de remonter dans le véhicule et de dire « le militaire qui est sur la
colline nous allons l'avoir ». Celui qui commandait les gendarmes était l'adjudant-chef Filipo
BIGUMA, qu'il n’a cependant pas été en mesure d’identifier sur photo.
C. NKOJEME, dont le témoignage a été lu, a expliqué avoir vu arriver le conseiller !.
DUSINGIZIMANA, BIGUMA et ses gendarmes à bord d'un véhicule Toyota, double cabine, pickup
blanc. Ils avaient fait monter la victime à un endroit situé à environ 15 ou 20 mètres audessous
de la route et lui avait demandé de s'asseoir. Puis un gendarme, sur les ordres du
chauffeur avait tué le bourgmestre par balles. Le corps avait été enterré sur place par la
population à la demande d'I. DUSINGIZIMANA.
E. UWITUE, condamné à 15 ans de prison, a déclaré que le 23 avril, entre 8 et 9h, alors qu'il
était rassemblé avec d’autres voisins à la demande de I. DUSINGIZIMANA qui s’était rendu à la
gendarmerie pour y solliciter des renforts afin de venir à bout de la résistance des Tutsis
réfugiés à Nyabubare, il avait vu arriver un véhicule Toyota Hillux blanc avec cing ou six
gendarmes. ! avait constaté la présence du bourgmestre NYAGASAZA et de |.
DUSINGIZIMANA. Tous étaient descendus du véhicule. Il avait entendu alors dire que le
bourgmestre avait été arrêté à Ntyazo. Le bourgmestre avait ensuite été conduit quelques
mètres au-dessus de la route où il avait demandé « comment dois-je me tenir », avant d’être
exécuté de deux balles dans le dos au niveau des épaules par un gendarme. Puis ordre leur
avait été donné d’enterrer le corps. De nombreux paysans, dont le témoin, avaient assisté à
cette exécution. Il n’a pas pu dire si l’accusé était présent ou non lors de cette exécution car il
ne le connaissait pas, mais il avait appris de |. DUSINGIZIMANA que c’était l’accusé, alias
BIGUMA, qui avait donné l’ordre.
E. NSENGIYOBIRI, condamné à 12 ans de prison, a dit qu'’il avait assisté à l’exécution du
bourgmestre. !! rentrait de l’église lorsqu’il avait vu le véhicule à double cabine dans lequel se
trouvait le bourgmestre avec des gendarmes. !! n’y avait pas vu en revanche |.
DUSINGIZIMANA. L’accusé, qu’il ne connaissait pas mais qu’il pensait avoir reconnu dans le
box sachant qu’il ne l’avait pas identifié sur photo, s’était présenté à eux en disant qu’il était
l‘adjudant-chef BIGUMA, qu’il venait d’arrêter la victime car elle faisait fuir les tutsis vers le
Burundi. II avait alors ordonné à des gendarmes d’exécuter le bourgmestre un peu plus haut,
après lui avoir demandé de s’allonger. La victime avait été abattue dans le dos par un
gendarme. Puis, sur ordre de l’accusé, le témoin était resté avec d’autres villageois pour
18
enterrer la victime. |l avait ensuite entendu des tirs venant de la colline de Nyabubare vers
laquelle l’accusé était parti en voiture.
Lors des débats, la cour et le jury ont pu localiser, sur la base des remises en sitüation faites durant
l’instruction en présence des témoins, les étapes correspondant aux différents témoignages entre
l’arrestation des victimes et leurs exécutions.
Si l’accusé a constamment répondu aux questions sur ces faits en affirmant qu'il n’était plus à Nyanza,
que les témoins à charge étaïient manipulés ou mentaient, il a en outre fait état d’un télégramme
adressé par le sous-préfet au ministre de la défense. Ce document qui a été lu donne une toute autre
version de la mort du bourgmestre NYAGASAZA puisqu'il indique que celui-ci aurait été tué par la
population alors qu’il cherchait à traverser la frontière pour fuir au Burundi. La cour et le jury l’ont
écarté faute de force probante compte-tenu de l’ensemble des témoignages recueillis mettant en
cause l’accusé et les gendarmes qu’il avait sous son commandement et du fait qu’il n’est corroboré
par aucun autre élément.
Ainsi, au regard de ces éléments de faits tels qu’ils résultent des témoignages et déclarations soumis à
l’appréciation de la cour et le jury, il est apparu, malgré les divergences dans les déclarations des
témoins et des parties civiles sur certains points et notamment la place qu’il occupait dans le véhicule
et la position de la victime au moment de son exécution, la cour et le jury ont estimé avoir été en
mesure de reconstituer avec suffisamment de précision les faits entre l’arrestation du bourgmestre
Narcisse NYAGASAZA et d’un groupe de Tutsis dont Pierre NYAKARASHI, Emmanuel NSENGIMANA,
Appolinaire MUSONERA et leurs exécutions successives. Il en ressort que tous les témoignages
convergent pour désigner l’accusé comme étant pleinement impliqué dans ces faits en sa qualité de
supérieur hiérarchique des gendarmes qui étaient sous ses ordres, qu’il a commandés et dirigés tout
au long des opérations ayant abouti à l’exécution des victimes. Il est de même établi que l’accusé a
donné l’ordre à des gendarmes d’exécuter ces victimes et qu’il a assisté à leurs exécutions en les
supervisant.
L'exécution en public du bourgmestre a d’ailleurs représente un exemple donné à la population civile,
puisque des gendarmes ont exécuté une autorité administrative Tutsie symbole de résistance, que par
cet acte ils ont montré l’exemple et assuré une totale impunité à la population Hutue incitée à se livrer
aux massacres des Tutsis et au pillage de leurs biens.
Compte tenu des circonstances dans lesquelles ils ont été commis, ces meurtres que l’accusé a fait
commettre s’inscrivent pleinement dans le plan concerté mis en oeuvre sur tout le territoire rwandais
et appliqué localement dans la préfecture de Butaré tendant à la destruction totale ou partielle du
groupe ethnique Tutsi tel que décrit ci-dessus et auquel l’accusé a pleinement adhéré en y prenant
part.
Ces exécutions sommaires s’inscrivent en outre dans les attaques massives et systématiques ayant
conduit à des exécutions sommaires inspirées par des motifs raciaux et organisées en exécution du
plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile tutsie, les victimes étant des civils Tutsis.
L'accusé doit être considéré comme co-auteur de ces crimes contre l’humanité que caractérise
l'ensemble de ces exécutions sommaires en ce qu'’il les a ordonnées, qu’il les a supervisées, qu’il y a
assisté et qu’elles ont été commises sous son contrôle.
L'élément intentionnel, à savoir l’intention de détruire en tout ou partie le groupe ethnique Tutsi, se
déduit de la participation volontaire l’accusé à l'exécution du plan concerté dont il a eu connaissance
et auquel il a adhéré, comme cela ressort de l’analyse du contexte dans lequel les faits ont été commis,
19
du caractère systématique et généralisé des violences auxquelles il a pris part, de son niveau de
responsabilités, de son comportement, de ses actes et des propos qu’il a tenu au moment de la
commission des faits mais également avant les faits, notamment au sein de la gendarmerie de Nyanza
ou lors de l’érection des barrières ou encore ultérieurement lors des attaques des sites de Nyabubare,
de Nyamure et de l’Isar Songa. Autant d’éléments qui démontrent qu’il avait nécessairement
conscience qu’en agissant, il participait à la destruction du groupe ethnique Tutsi qui était ciblé.
L'élément intentionnel du crime contre l’'humanité est également caractérisé dans la mesure où il
apparaît établi sur la base des mêmes éléments de faits que ceux mentionnés concernant le génocide
que l’accusé avait conscience que son acte faisait partie d'une attaque généralisée ou systématique
contre population civile Tutsie et qu’il a adhéré pleinement à cette attaque.
En conséquence, la cour et le jury ont déclaré l’accusé coupable :
e du crime de génocide en ayant fait donner intentionnellement la mort qu’au bourgmestre
Narcisse NYAGASAZA ainsi qu’à un groupe de Tutsis dont Pierre NYAKARASHI, Emmanuel
NSENGIMANA, Appolinaire MUSONERA en exécution d’un plan concerté tendant à la
destruction totale ou partielle du groupe ethnique Tutsis ;
e de crimes contre l’humanité en ayant participé en exécution d’un plan concerté inspiré par des
motifs raciaux à l’encontre du groupe de la population Tutsie à une pratique massive et
systématique d’exécutions sommaires, en l’espèce en donnant intentionnellement la mort aux
_ victimes et plus précisément en ayant ordonné à des gendarmes d’exécuter sommairement
un groupe de civils Tutsis dont Pierre NYAKARASHI, Emmanuel NSENGIMANA, Appolinaire
MUSONERA ainsi que le bourgmestre Narcisse NYAGASAZA et en ayant supervisé ces
exécutions sommaires commises sous son contrôle et en sa présence constante.
8. Sur l’attaque de la colline de Nyabubare le 23 avril 1994
La cour et le jury ont tenu pour établi, sur la base des déclarations faites à la barre ou lues, que le
massacre des Tutsis réfugiés sur la colline de Nyabubare, non loin du lieu d’exécution du bourgmestre
NYAGASAZA, a eu lieu également le 23 avril, juste après la mort du bourgmestre.
\
Le déroulement des faits et la description de l’attaque dont ont été victimes les nombreux Tutsis
réfugiés sur cette colline ressortent très clairement des auditions et des déclarations qui ont été
soumises à l’appréciation de la cour et du jury. Le mode opératoire est par ailleurs le même que celui
mis en oeuvre lors d’autres attaques, à savoir :
e … Le regroupement de réfugiés Tutsis sur une colline ou un site supposé leur offrir une certaine
sécurité ;
e Les attaques et le harcèlement de ces réfugiés par la population locale et les milices
interahamwe armées de gourdins, de machettes, de haches et autres « armes traditionnelles »
et menées par les responsables administratifs locaux;
e … La résistance farouche des réfugiés Tutsis ayant permis de repousser les assauts notamment
en jetant des pierres sur les assaillants ;
e … Le recours au renfort des gendarmes, voire d’autres forces armées, dont l’armement a permis
de venir à bout de la résistance des Tutsis, avec la participation de la population civile et des
Interahamwe chargés d’achever les survivants ou de massacrer les rescapés.
S’agissant des faits commis sur la colline de Nyabubare, la cour et le jury ont en premier lieu pris en
considération les auditions de parties civiles.
20
F. HABIMANA, rescapé de cette attaque durant laquelle il a perdu plusieurs proches, a en effet expliqué
comment il avait connu l’accusé avant le génocide, de sorte qu'il a été en mesure de l’identifier sur
photo ainsi que dans le box. Il s'était réfugié sur la colline de Nyabubare avec plus de 800 personnes
où ils avaient retrouvé un militaire prénommé Pierre. Si la première attaque des Interahamwe avait pu
être repoussée en leur jetant des pierres, celle du samedi matin, soit 23 avril 1994, avec l’intervention
des gendarmes a été décisives. F. HABIMANA a en effet déclaré avoir vu un véhicule blanc venir se
garer au pied de la colline, dont sept à huit gendarmes, voire plus, reconnaissables à leurs béretsy
fouges sont descendus. Les gendarmes avec parmi eux |. DUSINGIZIMANA s’étaient ensuite cachés
dans une bananeraie pour encercler la colline avec la population, soit une cinquantaine de personnes.
Les gendarmes avaient alors ouvert le feu sur les réfugiés, lancé des grenades, la population Hutue
empêchant les survivants de fuir et les tuant avec des armes traditionnelles. Ce rescapé qui a décrit les
scènes de violences auxquelles il a assisté durant cette attaque a ensuite expliqué comment il avait
réussi à échapper à la mort : il avait constaté parmi les gendarmes la présence du gendarme MUSAFIRI,
un ami de son beau-frère, de sorte qu’il était sorti de sa cachette les mains en l’air. MUSAFIRI l’avait
orienté vers l’accusé en lui disant qu'’il s'agissait de BIGUMA, qui était lui aussi un ami de son beaufrère.
L’accusé avait accepté de l’épargner en lui demandant de s’assoir par terre, sous réserve que
son beau-frère, V. MUNYANIYONGA, confirme qu’il était bien un Hutu. La partie civile a ensuite
expliqué comment une soixantaine de Tutsis étaient sortis de leurs cachettes en levant les mains,
espérant être épargnés tout comme lui, mais comment l’accusé les avait alignés avant de donner
l’ordre à un gendarme de les fusiller avec un fusil R4, puis comment l’accusé avait demandé à |.
DUSINGIZIMANA d’ordonner aux civils d’achever la seule survivante. Par la suite, la partie civile a
expliqué que se faisant passer pour un Hutu, il avait dû suivre l’accusé jusqu’à la maison du militaire
Pierre car l’accusé voulait dissiper la peur que la population avait de ce militaire armé. L’accusé l’avait
ensuite pris dans sa voiture conduite par son chauffeur pour le conduire à Nyanza chez son beau-frère.
Sur la route, l’accusé avait été sollicité pour attaquer les Tutsis réfugiés sur la colline de Nyamiyaga, ce
qu'’il avait refusé de faire en disant qu’il reviendrait. Mais il avait demandé à la population d’ériger une
barrière à l'AKAZU K'AMAZI. Son chauffeur avait ensuite demandé à pouvoir rentrer se reposer de
sorte que l’accusé avait pris le volant. Une fois à la gendarmerie, l’accusé avait rendu compte auprès
d’un supérieur. Puis il avait laissé la partie civile se rendre chez son beau-frère, lequel avait confirmé
qu'il était bien Hutu, lui sauvant ainsi la vie. Sur le nombre de victimes, F. HABIMANA a évoqué 800 à
1500 victimes. Il a qualifié l’intervention des gendarmes de décisive dans la mesure où la population
n’avaient pas réussi à prendre le dessus sur les réfugiés avant d’avoir le renfort des gendarmes.
M. NTIBWIRIZWA, dont le témoignage a été lu, a notamment déclaré que F. HABIMANA lui avait
effectivement raconté comment BIGUMA lui avait sauvé la vie.
E. MUREBWAYIRE, partie civile âgée de 12 ans en 1994, s’est souvenue quant à élle avoir vu passer un
véhicule Toyota Hillux blanc et un second véhicule sombre avec une grosse arme et des gendarmes,
puis avoir vu et entendu deux explosions et de la fumée sur la colline de Nyabubare où étaient son
père et ses frères. Elle avait ensuite été rejointe par des rescapés de cette colline qui lui avaient dit
que la résistance des Tutsis avait été vaincue grâce à l’intervention de BIGUMA et de ses gendarmes.
F. MUHIGAYANA, partie civile âgée de 14 ans au moment des faits, a expliqué qu’elle était réfugiée sur
la coiline de Nyabubare avec sa famille. Mais elle avait vu arriver un véhicule dont elle avait oublié la
couleur, entendu des gens dire « voilà BIGUMA » sachant qu’elle ne le connaissait pas, entendu deux
explosions, vu des Tutsis tomber sans se relever, vu des miliciens vêtus de feuilles de bananier et munis
d’armes traditionnelles ainsi que des gendarmes qui tiraient sur les tutsis en montant, alors que les
miliciens tuaient eux aussi les Tutsis en « les découpant en morceaux ». Elle a notamment expliqué
21
comment elle avait réussi à s’échapper avec sa soeur pour se réfugier sur une autre colline et elle a
évoqué son périple.
O. MUKANARWAYA, partie civile, a déclaré avoir perdu plusieurs membres de sa famille lors de
l’attaque de la colline Nyabubare . Elle était arrivée avec ses proches le 22 avril sur la colline où se
trouvait le militaire Pierre. La veille de l’attaque, elle avait entendu dire que des gendarmes venaient
d’arriver et qu’ils voulaient voir le militaire Pierre dont les Hutus avaient peur car il avait une arme. Le
jour de l’attaque, à savoir un samedi, donc le 23 avril, elle a expliqué que des gendarmes ou des
militaires, sachant qu’elle ne savait pas les distinguer, étaient arrivés dans une camionnette, qu’avec
la population ils avaient encerclés la colline, qu’ils avaient attaqué les réfugiés sur la colline avec des
armes à feu mais également avec une arme installée sur la colline qui se trouvait en face, cette arme
occasionnant des explosions, « une sorte de feu qui s’éparpillait ». Elle a ensuite expliqué comment
elle avait réussi à s’échapper avec sa petite soeur.
F. MANIRARORA, dont les déclarations ont été lues, s’était réfugié sur la colline de Nyabubare
lorsqu’elle a été attaquée par des civils et des militaires. Il a appris durant l’attaque que les militaires
étaient dirigés par BIGUMA.
!. DUNSINGIZIMANA, condamné notamment pour l’attaque de cette colline, a expliqué que suite à
l’exécution du bourgmestre, la population qu’il avait rassemblée avait suivi le véhicule des gendarmes.
Une fois au pied de la colline, l’accusé avait appelé le militaire Pierre qui avait refusé de venir et de se
montrer. Deux gendarmes avaient alors installé un mortier. Ce mortier avait pilonné la colline avec des
obus qu’on faisait descendre dans le canon d’une arme posée sur trépied et qui explosaient en
atteignant la colline, soulevant de la poussière, ce que l’expert en balistique a déclaré compatible avec
des obus de mortier de 60. Le témoin a estimé à deux le nombre d’obus tirés. Puis, sur ordre des
gendarmes, la population qui encerclait la colline l’avait gravie pour tuer les tutsis avec leurs armes
traditionnelles, tandis que les gendarmes utilisaient leurs fusils et des grenades. Le témoin a expliqué
qu’il s’était concerté avec l’accusé, ce dernier ayant dirigé l’attaque des gendarmes alors que lui-même
avait organisé celle des civils. Mais lui-même était resté à proximité du mortier de sorte qu'’il a vu que
c’était l’accusé qui l’utilisait. !l à fini par monter sur la colline avec les gendarmes alors que ceux-ci
tiraient sur les victimes, avant de se séparer. |l n’avait pas vu l’accusé tuer qui que ce soit. Lui-même
avait en revanche tué des victimes avec son gourdin. Il s’est souvenu de l’épisode décrit par F.
HABIMANA, notamment lorsque celui-ci s’est rendu. Le lendemain, le témoin avait demandé à la
population de revenir sur la colline pour enterrer les corps mais aussi achever les éventuels survivants.
Il a estimé à 300 le nombre de victimes, des hommes, des femmes, des enfants, des personnes âgées
et à plus de 200 le nombre des assaillants qui portaient des feuilles de bananiers pour s’identifier.
La cour et le jury ont relevé que le témoignage de |. DUSINGIZIMANA est cohérent, non seulement
avec celui des parties civiles, mais également avec ceux des participants à l’attaque qui ont fourni les
explications suivantes.
E. UWITIJE, condamné à 15 ans de prison, a déclaré qu’après l’exécution du bourgmestre, il avait suivi
le véhicule des gendarmes avec la population du secteur rassemblée par |. DUSINGIZIMANA. Avant
d’arriver à la colline de Nyabubare, les gendarmes avaient installé en contrebas d’urie route et sur un
trépied une arme permettant de tirer très loin sur la colline. Cette arme ressemblait à la photographie
de mortier figurant dans l’expertise balistique. Avec cette arme, ils avaient pilonné la colline avec des
obus qui sortaient du canon et tombaient sur la colline, faisant sauter de la matière et des gens, ce qui
a été jugé compatible avec des obus de mortier par l’expert en balistique. 1l a expliqué comment avec
22
la population qui avait reçu l’ordre d’encercler la colline ils avaient achevé les fuyards et les survivants.
Il a précisé que les gendarmes n’avaient pas tiré avec leurs fusils. I! s’est également souvenu que
BIGUMA avait demandé au militaire Pierre de venir, et que face à son refus, les militaires avaient fini
par tirer sur sa maison. Puis, après l’attaque, en redescendant, le chef des gendarmes, à savoir
BIGUMA, les avait remerciés d’avoir bien travailler en tuant les tutsis. C’était précisément à ce moment
que |. DUSIGIZIMANA avait dit au témoin qu'il s’agissait de BIGUMA, le chef des gendarmes. Il ne l’a
cependant pas reconnu sur photo.
O. BAYAVUGE, frère d’Emmanuel UWITIJE, condamné à 13 ans de prison, a expliqué qu’alors qu'’il était
chez lui, il avait vu arriver des centaînes de réfugiés sur la colline de Nyabubare. Le 23 avril, vers 8 ou
9h, il avait entendu des tirs et il avait vu un véhicule blanc à double cabine dans lequel se trouvaient
BIGUMA, |. DUSINGIZIMANA et environ huit gendarmes. !! n’avait jamais vu l’accusé auparavant mais
il avait appris que le coñseiller DUSINGIZIMANA avait été cherché BIGUMA. Il avait suivi le véhicule
avec la population sur les ordres de |. DUSINGIZIMANA. Les gendarmes avaient ensuite utilisé des
“armes pour tirer sur les réfugiés Tutsis : des petits fusils mais aussi une arme lourde posée sur trépied
en contrebas de la route par deux gendarmes en présence de BIGUMA. Il à précisé que cette arme, qui
ressemblait à la photo du mortier figurant dans l’expertise balistique, avait été réglée et qu’elle avait
ensuite servi à lancer des obus sur la colline de Nyabubare. 1l avait lui-même participé à l’attaque avec
la population qui avaient encerclé la colline et qui achevaient les survivants et tuaient les fuyards avec
des armes traditionnelles. I! a précisé que c’était BIGUMA, en collaboratiôon avec |. DUSINGIZIMANA,
qui avait dirigé l’attaque et que BIGUMA, après l’attaque, les avait félicités d’avoir bien travaillé. !l a
ajouté avoir vu BIGUMA deux jours plus tard. Mais il a dit ne pas être en mesure de l’identifier car tous
les gendarmes avaient le même uniforme.
Y. KAYIRANGA, condamné à 12 ans de prison et dont le témoignage a été lu, a expliqué qu’après
l'exécution du bourgmestre, les gendarmes que le conseiller avaient été cherchés avaient repris leur
route en descendant vers le domicile du conseiller DUSINGIZIMANA où de nombreux civils Hutu se
trouvaient. Les gendarmes et le conseiller avaient continué leur route à pied en direction de la colline.
Quand les Tutsis avaient vu les attaquants s'approcher, n'imaginant pas que parmi eux se trouvaient
des gendarmes armés de fusil, ils étaient descendus de la colline en espérant les repousser mais les
gendarmes avaient ouvert le feu sur les réfugiés Tutsi. Les gendarmes s’étaient alors divisés, certains
encerclant la colline alors que d'autres, restés en retrait, avaient installé une arme lourde et tirait sur
la colline. Les blessés étaient achevés par la population Hutu à coups de machettes. Selon lui, cette
attaque qui avait duré de 10 h jusqu'à 14 ou 15 h avait fait plus de 200 victimes. Deux ou trois jours
plus tard, le conseiller DUSINGIZIMANA avait obligé la population à enterrer les corps sur place. !l a
affirmé que c’était l’adjudant-chef BIGUMA, qu'’il connaissait avant les faits, qui dirigeait l'attaque sur
la colline de Nyabubare. !! n’a cependant pas été en mesure de l’identifier sur photo. Ce témoin a en
outre évoqué un détail mentionné par F. HABIMANA : après l’attaque, les gendarmes étaient repartis
dans leur véhicule dans lequel se trouvaient des chèvres, F. HABIMANA ayant à ce titre précisé qu'il
était lui-même dans la caisse arrière du véhicule au milieu des chèvres et des gendarmes.
C. NIGIRENTE, condamné à 12 ans de prison après avoir plaidé coupable, a expliqué qu’après
l’exécution du bourgmestre, la population de plus en plus nombreuse s’était rendue à la maison de |.
DUSINGIZIMANA. La voiture des gendarmes avait été garée à proximité de l’école, la colline avait été
encerclée par les gendarmes et la population, les gendarmes avaient tiré sur les réfugiés tandis que la
population utilisait des armes traditionnelles. Le témoin a précisé qu'’il était resté en retrait et qu'’il
avait vu qu’une arme lourde avait été descendue du véhicule en contre-bas par rapport à la colline et
qu’elle avait été utilisée pour tirer sur les Tutsis, les quelques tirs effectués faisant sauter des pierres
23
Î
et de la poussière à l’impact. Il n’a pas vu comment cette arme était manipulée ni par qui. Avant le
déclenchement de l’attaque, il avait ensuite vu et entendu l’accusé appeler le militaire Pierre qui
n’avait pas répondu. Après l’attaque, la population, ainsi que le témoin, avait pillé les biens et le bétail
des Tutsis.
E. SINDAYGAYA, acquitté par la Gacaca, a reconnu l’accusé sur photo, lors de la confrontation et lors
du procès en disant qu’il s’agissait de BIGUMA. Il a indiqué avoir vu l’accusé arriver avec huit à dix
gendarmes et le conseiller DUSINGIZIMANA dans un véhicule blanc, qui a été garé sous un bois. Il se
disait alors que c’était le conseiller qui était allé chercher les gendarmes. Avant l’attaque, l’accusé avait
appelé le militaire Pierre pour finir, après l’attaque par ordonner à un militaire de jeter une grenade
sur sa maison. |l a évoqué devant la cour le fait que « des choses ont été lancées sur les Tustis et ont
éclaté », sachant qu’il n’a pas reconnu la photographie de mortier qui lui a été présentée. S'agissant
de l’attaque de la colline, le témoin a expliqué qu'’il s’était joint aux Hutus sur ordre de l’accusé et du
conseiller, qu'il avait lui-même une machette mais qu’il n’avait tué personne. Les gendarmes dirigés
par l’accusé avaient utilisé leurs fusils et leurs grenades contre les tutsis tandis que le conseiller
dirigeaient la population qui était munie d’armes traditionnelles. Il a évoqué plusieurs centaines de
victimes. Par ailleurs, il s’est souvenu de la scène décrite par F. HABIMANA en précisant que c’était
d’ailleurs lui-même qui lui avait conseillé de ne pas dire qu’il était Tutsi et que l’accusé avait décidé de
le conduire auprès de son beau-frère afin de vérifier s’il était Tutsi ou Hutu. Il a confirmé la présence
du gendarme MUSAFIRI ainsi que le fait que des Tutsis.qui avaient imité F. HABIMANA et dont il a
donné le nom pour certains avaient été exécutés sur ordre de l’accusé.
C. GASIMBA, condamné à 12 ans de prison, a déclaré que des militaires ou des gendarmes étaient
venus pour attaquer les tutsis très nombreux qui s’étaient réfugiés sur la colline de Nyabubare avec le
militaire Pierre. [Is étaient arrivés à bord d’un pick-up blanc, avec le conseiller DUSINGIZIMANA, suivis
par de nombreux villageois munis d’armes traditionnelles. Il a précisé que si les gendarmes avaient des
fusils, ils avaient également utilisé une arme lourde ressemblant à la photo du mortier de 60 pour
attaquer la colline, avec laquelle îls avaient tiré trois obus qui avaient atteint la colline de Nyabubare.
Cette arme avait été installée en contrebas par trois gendarmes. S’agissant de l’accusé, il ne l’avait pas
vu mais messieurs DUSINGIZIMANA, BAYAVUGE et UWINUGIYMANA lui avaient dit que l’attaque avait
été dirigée par BIGUMA. Il a évalué à 500 le nombre de victimes.
F. MUNYANGANDE, condamné à 12 ans de prison, a déclaré que vers 10h, il avait vu des gendarmes
marcher en direction de la colline de Nyabubare mais qu'’ils avaient rebroussé chemin après que le
militaire Pierre avait tiré un coup de feu. IIs étaient revenus au nombre d’une douzaine dans un
véhicule tout terrain blanc, avec des armes plus puissantes. |l n’avait toutefois pas vu cette arme de
sorte qu’il n’a pas pu dire si elle ressemblait à la photo du mortier. Il n’avait d’ailleurs pas entendu
d’explosion. Il a ajouté que I. DUSINGIZIMANA et les gendarmes leur avaient donné l’ordre d’encercler
la colline et de tuer les Tutsis, tandis que les gendarmes leur tiraient dessus avec feurs fusils. Après
l’attaque, les gendarmes les avaient autorisés à piller les biens des victimes, BIGUMA leur ayant dit :
« vous, hutus aux gros ventres, ces vaches sont à vous, mangez leurs vaches ». Deux jours plus tard, |.
DUSINGIZIMANA leur avait demandé d’enterrer les corps. !l a précisé que si le jour de l’attaque il ne
savait pas qui était BIGUMA, il l’avait su lors d’une réunion en mai pour finir par dire devant la cour
que c’était |. DUSINGIZIMANA qui lui avait dit le jour même de l’attaque qu'il s'agissait de BIGUMA.
E. SAGAHUTU, condamné à 13 ans de prison, a expliqué que bien que Hutu, il s’était réfugié avec les
Tutsis au sommet de la colline de Nyabubare. |l avait vu des gendarmes venir au domicile du militaire
Pierre puis repartir avant de revenir le lendemain, à savoir le samedi. Il a précisé qu'il s'agissait d’une
24
Toyota blanche et que non loin de cette voiture, en contrebas de la colline, les gendarmes avaient
installé une arme, qu’il n’avait cependant pas pu voir. Cette arme avait tiré des obus sur la colline de
Nyabubare qui faisaient sauter la terre, de sorte que les tutsis s’étaient dispersés en courant. Des
gendarmes qui encerclaient la colline leur avaient ensuite jeté des grenades, sachant qu'il ne savait
pas s’ils avaient fait usage de leurs fusils tandis que la population achevait les blessés et tuaient les
fuyards. !| avait appris le jour même de l’attaque par la population et par |. DUSINGIZIMANA que
BIGUMA, qu’il ne connaissait pas, avait dirigé cette attaquê. Il avaît également entendu dire qu’avant
l’attaque, le conseiller DUSINGIZIMANA avait été cherché des gendarmes en renfort pour attaquer les
tutsis. Deux jours plus tard, il avait participé à l’enterrement des victimes, plus d’une centaine, des
femmes, des hommes, des enfants et des personnes âgées. ;
A. BAKUNDUKIZE dont le témoignage a été lu, a déclaré avoir suivi un véhicule Toyota blanc avec des
militaires jusqu’à la colline de Nyabubare où de nombreux Tutsis étaient réfugiés. !l était resté à l’écart
mais il avaït vu les militaires installer tout près de la colline une arme à feu, pas un fusil, avec des
bouches qui jetaient très loin des bombes sur la colline. !! avait en outre vu un militaire nommé
BIGUMA appeler les civils Hutu qui se trouvaient à proximité. Les militaires armés de fusils étaient
partis à pieds vers la colline alors qu’un autre militaire était resté aux commandes de l'arme lourde
avec laquelle il pilonnait la colline et qui a fait fuir les Tutsis. Les autres militaires avaient encerclé la
colline, tué les réfugiés tandis que la population Hutu achevait les blessés avec leurs armes
traditionnelles. « Je regardais cette scène, et je me disais que si les militaires n'étaient pas intervenus,
les civils Hutu n'auraient pas pu attaquer les Tutsi, car ceux-ci étaient très nombreux et donc en mesure
de se défendre. (...). Le lendemain, je suis allé sur la colline. J'ai vu tous ces cadavres. Nous avons eu
très peur en voyant ça. C'était affreux, nous étions choqués ». S’agissant du nom de BIGUMA, il l’avait
appris non seulement par les civils Hutu qui le connaissaient et qui disaient qu'il s'appelait BIGUMA
mais également par |. DUSINGIZIMANA.
P. GAFARANGA dont le témoignage a été lu a déclaré avoir vu un bataillon de militaires venir tuer les
gens sur la colline de NYABUBARE. Ils étaient au nombre de quatre ou cinq à bord d'un véhicule de
couleur kaki. Si ce témoin est resté chez lui, il a entendu dire par le militaire Pierre que c'était BIGUMA
qui commandait les militaires. C’est à l’occasion de ce témoignage que les interprètes ont expliqué que
le mot kinyarwandais « homme en arme » désigne de manière générique des gendarmes et des
militaires et qu’il est donc nécessaire de le faire préciser.
Par ailleurs, lors des débats, la cour et le jury ont pu s’appuyer sur des plans et des images de la remise
en situation effectuée avec plusieurs témoins, correspondant aux principales étapes de cette attaque :
l’appel lancé par !. DUSINGIZIMANA pour réunir les Hutus, la foule qui suit le véhicule en direction de
la colline de Nyabubare après l’exécution du bourgmestre, l’emplacement du mortier de 60, l’attaque
de la colline de Nyabubare, le sauvetage de F. HABIMANA suivi de l’exécution de nombreux Tutsis et
enfin l’attaque de la maison du militaire Pierre.
S’agissant de la présence d’un mortier de 60 au sein de l’armement de la gendarmerie de Nyanza, elle
a été confirmée non seulement par l’accusé qui a précisé qu’elle était sous la responsabilité d’un
magasinier mais également par plusieurs témoins dont C. HABYARABATUMA. Son positionnement lors
de l’attaque a pu être corroboré par les témoins ayant participé à la remise en situation.
Enfin, l’expert Pierre LAURENT a indiqué à la cour et au jury que s’agissant de la colline de Nyabubare,
et sur la base des données GPS relevées par les enquêteurs ainsi que des témoignages portés à sa
connaissance concernant l’impact des obus, la description de l’arme et des projectiles, leur
25
maniement, l’emplacement de l’arme et des réfugiés, la topographie et les distances, la stratégie
militaire décrite, les faits décrits sont compatibles avec l’utilisation d’un mortier de 60. La cour et le
jury ont d'ailleurs observé que l’accusé ainsi que d’autres gendarmes ont confirmé que la gendarmerie
de Nyanza disposait de ce type d’armement. Il s’agit selon l’expert du plus petit des mortiers, d’un
poids inférieur à 20 kg, d’installation et d’utilisation facile pour un personnel formé sans pour autant
être spécialisé, permettant de diriger des tirs sur un ennemi situé à une portée de 1180 à 1800 mètres,
qui permet de faire des tirs à vue, et qui a pu être utilisé pour disperser les réfugiés en coordination
avec ceux les assaillants. Ce sont selon l’expert les éclats d’obus qui tuent ou blessent les personnes
qui se trouvent dans un rayon de 10 m autour du point d’impact. L’expert a conclu que l’utilisation
d’un mortier de 60 lors de l’attaque de la colline de Nyabubare était tout à fait compatible avec les
éléments dont il disposait lors de son expertise et les précisions issues des débats qui lui ont été
fournies lors de sa déposition.
Pour sa défense, l’accusé a répondu qu'il n’était plus à Nyanza le 23 avril, que les témoins à charge
étaient manipulés ou mentaient. Il a reconnu avoir appris le maniement du mortier durant sa
formation militaire de même qu'’il a reconnu que la gendarmerie de Nyanza disposait de ce type
d'arme, mais il a soutenu, bien que contredit sur ce point par l’expert en balistique, que l’usage.de
cette arme était réservé à des spécialistes.
Dans ces conditions, la cour et le jury ont considéré que l’attaque de la colline de Nyabubare le 23 avril
par les gendarmes de Nyanza et la population civile Hutue est décrite de manière suffisamment précise
et cohérente par de nombreuses personnes dont les déclarations sont concordantes mais également
par les conclusions de l’expert en balistique pour en apprécier le déroulement. La participation de
l’accusé à cette attaque, durant laquelle il a dirigé les manoeuvres, apparaît clairement établie sur la
base des nombreux témoignages recueillis, sachant que si certains témoins ont vu l’accusé qu’il
connaissait déjà prendre part à cette attaque, d’autre ont appris le jour même de l’attaque que c'’était
lui qui dirigeait les gendarmes. Ce rôle de commandement des troupes'est parfaitement compatible
avec son passé de militaire puisqu’il ressort de ses déclarations qu’il a eu à commander un peloton de
70 hommes entre 1990 et 1993 sur le front durant la guerre contre le FPR et qu'il avait le grade de
sous-officier au sein de la gendarmerie de Nyanza.
En conséquence, malgré les divergences dans les déclarations des témoins et des parties civiles sur
certains points, la cour et le jury ont été convaincus de la participation de l’accusé à l’attaque de
Nyabubare dont il a dirigé les opérations avec l’aide de |. DUSINGIZIMANA. De nombreux témoignages
convergent en effet pour désigner l’accusé comme étant pleinement impliqué dans ces faïts en sa
qualité de supérieur hiérarchique des gendarmes qui étaient sous ses ordres, qu’il a commandés et
dirigés tout au long des opérations durant lesquelles il a été constamment présent. Ces faits
constituent en premier lieu des atteintes à la vie mais également des exécutions sommaires puisque
les victimes ont été intentionnellement tuées lors d’un assaut donné par des gendarmes commandés
par l’accusé qui ont ouvert le feu sur les nombreux Tutsis réfugiés sur cette colline avec des fusils et
une arme de guerre, à savoir un mortier de 60 et appuyés par des civils munis d’armes traditionnelles.
Ces faits constituent en second lieu des atteintes graves à l’intégrité physique ou psychique mais
également des actes inhumains dans la mesure où ils ont fait de nombreux blessés par balles ou éclats
d’obus qui étaient ensuite achevés par la population munie d’armes traditionnelles, parfois le
lendemain après une nuit d’agonie aux milieux des cadavres, étant rappelé que ceux qui ont tenté de
fuir ont été tués par la population civile dans des circonstances effroyables, et où les rescapés de ce
massacre restent à jamais marqués par la violence et la cruauté de ces faits. Il est établi que l’accusé
qui représentait la plus haute autorité sur place a dirigé cette attaque à laquelle il a lui-même pris part
26
en l’organisant, en la déclenchant et en la supervisant du début à la fin. La participation à ces faits de
l’accusé en tant qu’auteur s’agissant du crime de génocide et de co-auteur s'agissant des crimes contre
l’'humanité est donc établie selon la cour et le jury.
Compte tenu des circonstances dans lesquelles ils ont été commis, ces faits s’inscrivent pleinement
dans le plan concerté mis en oeuvre sur tout le territoire rwandais et appliqué localement dans la
préfecture de Butaré tendant à la destruction totale ou partielle du groupe ethnique Tutsi tel que décrit
ci-dessus et auquel l’accusé a pleinement adhéré en y prenant part. Ces faits s’inscrivent en outre dans
les attaques massives et systématiques ayant conduit à des exécutions sommaires inspirées pour des
motifs raciaux et organisées en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population
civile tutsie, les victimes étant des civils Tutsis. Si le nombre des victimes lors de cette attaque n’a pu
être précisé, il apparaît que plusieurs centaines de Tutsis y ont perdu la vie, d’autres ayant été
gravement atteints dans leur intégrité psychiques ou physiques comme cela ressort des auditions de
parties civiles.
L'élément intentionnel, à savoir l’intention de détruire en tout ou partie le groupe ethnique Tutsi, se
déduit de la participation volontaire l’accusé à l'exécution du plan concerté dont il a eu connaissance
et auquel il a adhéré, comme cela ressort de l’analyse du contexte dans lequel les faits ont été commis,
du caractère systématique et généralisé des violences auxquelles il a pris part, de son niveau de
responsabilités, de son comportement, de ses actes et des propos qu’il a tenus au moment de la
commission des faits mais également avant les faits, notamment au sein de la gendarmerie de Nyanza,
lors de l’érection des barrières, lors des exécutions commises le 23 avril ou encore ultérieurement lors
des attaques des sites de de Nyamure et de l’Isar Songa. Autant d’éléments qui démontrent qu’il avait
nécessairement conscience qu’en agissant, il participait à la destruction du groupe ethnique Tutsi qui
était ciblé.
L'élément intentionnel du crime contre l’humanité est également caractérisé dans la mesure où il
apparaît établi sur la base des mêmes éléments de faits que ceux mentionnés concernant le génocide
que l’accusé avait conscience que son acte faïsait partie d'une attaque généralisée ou systématique
contre population civile Tutsie et qu’il a adhéré pleinement à cette attaque.
En conséquence, la cour et le jury ont déclaré l’accusé coupable :
e — de crime de génocide en ayant fait donner intentionnellement la mort et en ayant fait porter
intentionnellement des atteintes graves à l’intégrité psychique ou physique de nombreux
Tutsis sur la colline de Nyabubare en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction
totale ou partielle du groupe ethnique Tutsis ;
e de crime contre l’humanité en ayant participé en exécution d’un plan concerté inspiré par des
motifs raciaux à l’encontre du groupe de la population Tutsie à une pratique massive et
systématique d’exécutions sommaires et d’actes inhumains au préjudice de nombreux Tutsis
sur la colline de Nyabubare, à savoir en dirigeant et en supervisant toute l’attaque durant
laquelle de nombreux Tutsis ont été tués dans le cadre d’exécutions sommaires et où d’autres
ont été soumis à des actes inhumains.
9. Sur l’attaque de la colline de NYAMURE
Il ressort des débats devant la cour et le jury que les faits commis sur la colline'de Nyamure dont la
date peut être fixée au 27 avril ont été commis pour les mêmes raisons, à savoir la résistance depuis
plusieurs jours des réfugiés Tutsis aux attaques quotidiennes des miliciens et de la population au
moyen d’armes traditionnelles et selon le même mode opératoire. Il doit cependant être relevé qu’à
27
la différence de la colline de Nyabubare, le site de Nyamure est bien plus vaste et que l’attaque décisive
du 27 avril 1994 n’impliquait pas seulement des civils et les gendarmes de Nyamure mais également
des militaires et des policiers municipaux. La taille de ce site, de même que le temps écoulé depuis
1994 et les traumatismes subis sont de nature à expliquer les disparités relevées dans les témoignages.
En outre, cette colline fait partie de la zone de compétence de la gendarmerie de Nyanza
Pour appréhender ces faits, la cour et le jury ont d’abord procédé à l’examen des récits des parties
civiles.
V. BAYINGANA, partie civile, a expliqué devant la cour qu'’il était réfugié sur la colline de Nyamure avec
sa famille. Les Hutus qui étaient avec les tutsis les avaient quittés après avoir appris le 22 avril que
seuls les tutsis étaient menacés, cette opération attestant sans ambiguïté l’objectif génocidaire du plan
concerté puisque seuls les membres de l’ethnie Tutsie étaient visés. Il a évoqué la présence d’environ
15.000 personnes sur la colline. Jusqu’alors, les tutsis avaient réussi à mettre'en fuite les Hutus venant
de plusieurs secteurs qui les attaquaient quotidiennement, menés par Mathieu NDAHIMANA, en
s’organisant et en leur jetant des pierres ramassées par les enfants et les femmes. Les Tutsis étaient
cependant à court de vivre, sachant que l’accès à l’eau leur avait été coupé. Un hélicoptère avait
survolé la colline le jour de la grande attaque ou la veille. Le 27 avril, le responsable de la cellule de
Gatare avait demandé aux Hutus de venir prêter main forte aux gendarmes, aux militaires et aux
policiers municipaux qui venaient d’arriver, de sorte que la partie civile et les réfugiés avaient compris
qu'’ils allaient devoir faire face à des hommes munis d’armes à feu et qu'ils s’étaient cachés dans un
bois. !l avait pu voir un Toyota Hillux rouge stationné au niveau de l’école primaire et qui transportait
au moins sept, voire dix policiers. Il n’avait en revanche pas pu voir comment les gendarmes au nombre
de sept et qui portaient leurs bérets rouges étaient arrivés. Les gendarmes et les policiers avaient
commencé à gravir la colline depuis l’école primaire, s’étaient scindés en deux groupes pour encercler
la colline avec la population, et constituer ainsi un mur infranchissable, ce qui lui a fait dire que la
manoeuvre avait été planifiée. | avait vu un gendarme, qu’il a formellement identifié comme étant
l’accusé alias BIGUMA, tirer le premier coup de feu qui avait été le signal du déclenchement de
l’attaque. I!l'avait également vu viser un groupe de femmes qui entouraient une autre femme en train
d’accoucher. | ne l’avait pas entendu en revanche donner des ordres. Les hommes en uniforme avaient
tiré avec leurs fusils, lancé des grenades tandis que la population était munie d’armes traditionnelles.
Il a expliqué comment il avait réussi à fuir dans le chaos qu’il a décrit, notamment en menaçant avec
la machette qu'’il avait des villageois qui étaient en train de « découper un garçon et une fille », en
constatant que «même les tueurs craignent la mort ». Selon lui, M. NADAHIMANA avait dirigé la
population tandis que l’accusé dirigeait les gendarmes et GATERA, le chef de la police, dirigeait les
policiers. Toute sa famille avait péri dans ce massacre. S’agissant de l’accusé, il s’est souvenu qu'il avait
déjà eu l’occasion de le voir lorsqu'’il était venu en sa qualité de gendarme à l’occasion d’un meurtre
commis près de chez lui. Il à ainsi pu le reconnaître dans le box, tout comme il l’avait reconnu sur photo
et lors de la confrontation. Selon lui, il y aurait eu 10.000 victimes environ. Il a insisté sur le fait que
sans l’intervention et le renfort des gendarmes, les Hutus n’auraient pas pu vaincre la résistance des
tutsis.
J. NYIRAKURU, partie civile âgée de 10 ans au moment des faits, qui était restée quatre jours sur la
colline de NYAMURE avec ses parents, a confirmé que les réfugiés avaient dû faire face à plusieurs
attaques qu'ils avaient repoussées. Le jour de la « grande attaque », elle avait pu avec d’autres enfants
approcher de véhicules qui arrivaient avec des hommes armés de fusil et notamment des gendarmes.
Elle se souvenait d’une Toyota, d’une Daihatsu. Elle avait également vu le chef des Interahamwe
distribuer des machettes puis s’entretenir avec celui qui semblait être le chef des gendarmes qui s’était
28
présenté aux miliciens en disant « moi BIGUMA » et en [eur ordonnant de tuer « ces chiens de tutsis »,
de les exterminer tous. Avec les autres enfants, elle était remontée sur la colline pour prévenir les
adultes et notamment sa tante. Les gendarmes et les miliciens avaient alors gravi la colline, en tirant
sur les tutsis pour les premiers, en découpant les tutsis pour les seconds, évoquant une calamité, un
malheur indescriptible. Elle a expliqué les conditions dans lesquelles elle avait réussi à se cacher, à
boire l’eau de pluie mêlée au sang des victimes, à s’échapper et à survivre à cette attaque durant
laquelle elle a été blessée à la jambe. Elle s’est dîte incapable de reconnaître l’accusé sur photo ou
dans le box, compte tenu de l’ancienneté des faits.
G. BYUKENSEGE, partie civile alors âgée de 15 ans, a déclaré qu’elle s’était réfugiée sur la colline de
Nyamure avec sa famille. Elle a confirmé que les réfugiés avaient réussi à repousser plusieurs attaques
avec des pierres, de sorte que les assaillants avaient dû requérir des renforts armés. Lors de la « grande
attaque » du 27 avril, elle a évoqué une scène qui l’a marquée : des femmes entouraient et
protégeaient de leurs pagnes une femme qui accouchait; curieuse de savoir comment les femmes
accouchent, elle s’était approchée lorsqu’elle avait vu arriver le véhicule du centre de santé de
Nyamure s’arrêter au niveau de l’école primaire, au pied de la colline. Elle avait également vu une
Toyota rouge, sans savoir qui en étaient les occupants. Mais les personnes qui étaient avec elle lui avait
dit qu'il s’agissait de gendarmes. Elle les avait ensuite vu encercler la colline avec les Interahamwe pour
commencer à leur tirer dessus, tandis que les Interahamwe tuaient les fuyards. Elle a précisé qu’elle
avait entendu trois personnes dire que BIGUMA était là, de sorte qu'’ils allaient être exterminés. Elle
avait alors entraperçu BIGUMA à une centaine de mètres, ouvrir le feu en leur direction. Ce tir avait
été le signal au déclenchement d’une pluie de balle qui s’était abattue sur eux. Elle a ensuite expliqué
commentelle avait réussi à fuir, puis à survivre. Ce témoignage peut être mis en perspective avec celui
de F. MUHIGAYANA qui elle aussi a entendu des tutsis dire lors de l’attaque de Nyabubare : « voilà
BIGUMA qui arrive ».
M. MUKESHIMANA, partie civile, âgée de 13 ans, dont les déclarations ont été lues, a expliqué les
conditions dans lesquelles elle s’était réfugiée à Nyamure avec ses proches. Elle a confirmé que les
réfugiés étaient régulièrement attaqués par les Interahamwe mais qu’il parvenaient à les repousser.
Le 27 avril, elle avait vu arriver un minibus avec des gendarmes, les autres réfugiés lui ayant dit qu’ils
venaient de Nyanza. Elle a évoqué une attaque organisée en ligne: d’abord des paysans avec des
machettes, puis des paysans avec des gourdins et ensuite des hommes avec des armes à feu. Elle a
décrit le sort qui était réservé à ceux qui n’avaient pas été tués par balles et qui avaient été massacrés
à coup de machettes et de gourdins. Elle a précisé que lors de cette attaque, les gens avaient dit que
les gendarmes étaient dirigés par BIGUMA.
R. NGENDAHIMANA, dont la déclaration a été lue, a lui aussi expliqué qu'’il s’était réfugié sur la colline
de Nyamure sur laquelle près de 14.000 tutsis avaient réussi à repousser les attaques des
Interahamwe, jusqu’à la dernière attaque: les Interahamwe, renforcés par cinq à dix gendarmes
arrivés dans une Toyota bleue garée en bas de la colline, avaient encerclé puis gravi la colline, les
gendarmes tirant sur les tutsis qui étaient ensuite massacrés par la population. Il a lui aussi entendu
parler de BIGUMA comme étant impliqué dans cette attaque, mais selon lui, il s’'agissait d’un
Interahamwe.
E. MUSONI, condamné à la prison à vie, a mis en cause l’accusé dans l’attaque de Nyamure, sachant
que durant l’instruction, il avait pourtant affirmé ne pas avoir participé à ce massacre et avoir été
condamné à tort. Devant la cour, il a précisé que les fausses accusations dont il avait été l’objet
concernaient l’attaque de Murama, de sorte qu’il mesurait l’importance de dire la vérité et de ne pas
29
porter de fausses accusations. Il a ainsi expliqué qu'’il habitait à Gatonde, à 30 mn à pied de la colline
de Nyamure, qu’il avait participé à deux attaques des Tutsis réfugiés sur la colline, toutes les deux
repoussées par les Tutsis qui leur jetaient des pierres. Les chefs des assaillants avaient donc sollicité le
renfort des gendarmes de Nyanza qui étaient arrivés en voiture, avec des militaires, soit une quinzaine
d’hommes équipés de fusils R4, de grenade mais également d’une arme de type mortier. S'agissant de
l’accusé, qu’il connaissait sous le surnom de BIGUMA, il a déclaré que celui-ci était resté en retrait
tandis que les gendarmes attaquaient les Tutsis, qu’il dirigeait l’attaque, qu’il communiquait avec ses
hommes au moyen d’un appareil. Les gendarmes avaient tiré sur les Tutsis, tandis que la population
dont le témoin faisait partie tuait les survivants avec leurs armes traditionnelles. I| a évoqué le chiffre
de 4 à 5000 victimes durant un assaut qui avait duré une heure. Il à situé cette attaque, sans certitude,
au 27 ou 28 avril. | a reconnu l’accusé lors des débats, sachant qu’il ne l’avait pas reconnu sur
photographie.
T. NSIMIYMANA, militaire à Gitarama condamné à 30 ans de prison pour sa participation à trôis
attaques dont celles de Nyamure, a expliqué que le jour de l’attaque de la colline de Nyamure, l’accusé
était venu chercher du renfort auprès de la caserne de Gitarama. Les militaires, au nombre de 40 à 50,
étaient arrivés dans un véhicule DAIHATSU tandis qu’une trentaine de gendarmes étaient arrivés avec
l’accusé à bord d’un véhicule DAIHATSU appartenant à la laiterie. !! a précisé devant la cour qu’un
troisième véhicule de type pick-up TOYOTA, transportait des civils. Les véhicules avaient été garés au
niveau de l’école primaire. Le témoin a indiqué qu’une fois sur place, E. NDIAWENDA qui était alors
bourgmestre leur avait annoncé qu’ils allaient attaquer des Tutsis qui mettaient en danger la
population. Il a également déclaré que l’accusé avait dirigé l’attaque avec E. NIAWENDA et le
commandant des militaires, que l’accusé avait donné le signal de l’attaque en tirant en l’air, ce qui
correspondait aux déclarations de V. BAYENGANA et de G. BYUKENSEGE. Les forces armées étaient
alors montées à l’assaut des Tutsis réfugiés sur la colline en faisant usage de leurs armes. Les militaires
étaient équipés de fusil R4, de fusils MGL lanceurs de grenades, de lance-roquettes, d’un mortier de
60, tandis que les gendarmes avait des fusils FAR, des petits fusils et que E. NDIAWENDA avait distribué
des fusils G3 aux miliciens. Les militaires étaient passés par le côté droit de la colline alors que les
gendarmes étaient passés par le côté gauche. Les forces armées étaient montées sur la colline en
ouvrant le feu, lancé des bombes (15 bombes) avec le mortier de 60 installé au niveau de l’école soit
à environ 400 m de la colline, suivies par la population qui avait achevé les survivants. L'attaque avait
duré de 14h à 17h30 et il a estimé le nombre de victimes à 3 ou 4.000 morts. Après l’attaque, ils avaient
été invités par le sous-préfet dans un bar de Nyanza et c’était à cette occasion, après s’être renseigné,
qu'’il avait pu identifier BIGUMA comme étant celui qui avait commandé les gendarmes durant
l’attaque.
H. MINANI, qui a dit connaître l’accusé avant les faits lorsque celui-ci venait au stand de brochettes
qu'il tenait, à indiqué qu’alors qu’il était sur la barrière de Bigege, il avait vu l’accusé passer dans une
Toyota Stout rouge appartenant à la laiterie, avec le capitaine BIRIKUNZIRA, le gendarme surnommé
CYISTO, d’autres gendarmes et des miliciens armés. Le véhicule s’était arrêté à a barrière et le capitaine
avait parlé avec le responsable de la barrière en lui disant qu’ils allaient « travailler à Nyamure » car
les Tutsis qui étaient trop nombreux ne pouvaient pas être maîtrisés. Il avait vu ensuite le même
véhicule revenir et repasser la barrière vers 18h dont les occupants chantaienit.
|. KAYIRO dont le témoignage a été lu a expliqué que le 27 avril, l a vu passer une ambulance du centre
de santé de Nyamure ainsi qu’une quinzaine gendarmes dans un Toyota Hillux rouge. !l avait
notamment reconnu M. NDAHIMANA, le capitaine BIRIKUNZIRA ainsi que l’accusé. |l a ensuite entendu
des tirs, des explosions, il avait vu des gens fuir, être tués à coups de machettes. Lorsqu’il avait quitté
30
les lieux, il avait entendu les assaillants dire qu’ils avait été aidés par les gendarmes dirigés par un
certain BIGUMA.
Certains témoins (J.B. MUSABYIMANA, E. RUSIGIZANDEKWE dont les déclarations ont été lues, J.D.D.
BUCYBARUTA dont les déclarations ont été lues, A. MBARUSHIMANA dont les déclarations ont été
lues) ou parties civiles (C NYAWARIKA) ont indiqué ne pas avoir constaté la présence de l’accusé ni de
M. NDAHIMANA ou en avoir seulement éntendu parler par les villageois (J.P. RUZINDANA dont les
déclarations ont été lues). Mais J.P. RUZINDANA et A. MBARUSHIMANA ont mentionné la participation
de gendarmes de Nyanza à cette attaque, ce qui est tout à fait compatible avec le fait que cette colline
se trouve précisément sur le ressort de compétence de la gendarmerie de Nyanza.
Au regard de l’ensemble des ces témoignages, là cour et le jury ont écarté le témoignage de M.
NDAHIMANA en ce qu'il apparaissait peu fiable. En effet, M. NDAHIMANA, condamné à 30 ans de
prison notamment pour son implication dans l’attaque de Nyamure, a contesté avoir pris part à
l’attaque du 28 avril alors qu’il est pourtant très clairement mis en cause par plusieurs témoins pour
son implication dans cette attaque. La cour et le jury ont donc préféré ne pas retenir son témoignage
notamment en ce qu’il implique l’accusé et s’appuyer sur les autres témoins et parties civiles pour
apprécier l’implication de l’accusé dans ces faits. Ce témoignage a toutefois été pris en considération
dès lors qu’il est corroboré avec d’autres et notamment le fait que le témoin a expliqué qu’entre le 25
etle 28 avril, de très nombreux tutsis étaient venus se réfugier sur la colline de Nyamure, qu'’ils avaient
résisté à plusieurs attaques des Interahamwe auxquelles il avait pris part et qu’il a estimé à plus de
10.000 le nombre des victimes.
Enfin, S MUNYAMPUNDU, bourgmestre de NTYAZOà partir de 1994, a expliqué qu’avec la population
locale qui avait pris part à l’inhumation des corps, 11.000 victimes ont été dénombrées sur la colline
de NYAMURE à partir du recensement des crânes. !l a constaté que les victimes avaient été atrocement
tuées, mutilées, et que certaines avaient le corps déchiqueté possiblement par des explosions. Il a
obtenu des informations de la population, mais aussi de messieurs NDAHIMANA, BAYENGABA qui
confirment le scénario ci-dessus décrit, ajoutant que c’était Mathieu NDAHIMANA qui avait été
cherché les renforts auprès de la gendarmerie de Nyanza.
Il est apparu à la cour et au jury que les faits décrits parV. BAYINGANA, J. NYIRAKURU, G. BYURENSEGE,
M. MUKESHIMANA, T.NSIMIYMANA, E. MUSONI et H. MINANI s’étaient déroulés sur le même flanc de
cette colline, laquelle compte-tenu de son étendue a fait l’objet le 27 avril d’une attaque concertée
par tous ses côtés, les assaillants étant composés de militaires, de policiers municipaux, de miliciens et
de villageois qui n’étaient pas tous sur les ordres de l’accusé. La présence des gendarmes de Nyanza
est mentionnée par plusieurs témoins de même qu’un véhicule Toyota rouge habituellement utilisé
par cette gendarmerie, sachant que certains ont formellement identifié l’accusé. Le mode opératoire
est identique à celui qui venait d’être mis en oeuvre mais à une plus petite échelle sur la colline de
Nyabubare. La cour et le jury ont donc estimé que si l’implication de l’accusé dans cette attaque est
établie en ce qu'il a dirigé l’action des gendarmes, il n’avait pas été le seul officier à commander des
troupes, puisque les militaires et les policiers municipaux agissaient sous les ordres de leur propre
hiérarchie.
En conséquence et au regard de ces éléments, la cour et le jury ont été convaincus de la participation
de l’accusé à l’attaque de Nyamure dont il a dirigé les opérations concernant l’action des gendarmes.
En effet, plusieurs témoignages convergent pour désigner l’accusé comme étant pleinement impliqué
dans ces faits en sa qualité de supérieur hiérarchique des gendarmes qui étaient sous ses ordres, qu'il
31
a commandés et dirigés tout au long des opérations. Ces faits constituent en premier lieu des atteintes
à la vie mais également des exécutions sommaires dans la mesure où les victimes ont été
intentionnellement tuées lors d’un assaut donné par des gendarmes commandés par l’accusé qui ont
ouvert le feu sur les milliers de Tutsis réfugiés sur cette colline avec des fusils et qui étaient appuyés
par des civils munis d’armes traditionnelles. Ces faits constituent en second lieu des atteintes graves à
l’intégrité physique ou psychique mais également des actes inhumains dans la mesure où ils ont fait
de très nombreux blessés qui étaient ensuite achevés par la population munie d’armes traditionnelles,
étant rappelé où ceux qui ont tenté de fuir ont été tués parlla population civile dans des circonstances
effroyables, et où les rescapés de ce massacre restent à jamais marqués par la violence, la cruauté et
l’ampleur de cette attaque. !l est établi que l’accusé, qui représentait l’une des autorités sur place, a
dirigé cette attaque à laquelle il a lui-même pris part en l’organisant, en la déclenchant et en la
supervisant du début à la fin. La participation à ces faits de l’accusé en tant qu’auteur s'agissant du
crime de génocide et de co-auteur s’agissant des crimes contre l’humanité est donc établie selon la
cour et le jury.
Compte tenu des circonstances dans lesquelles ils ont été commis, ces faits s’inscrivent pleinement
dans le plan concerté mis en oeuvre sur tout le territoire rwandais et appliqué localement dans la
préfecture de Butaré tendant à la destruction totale ou partielle du groupe ethnique Tutsi tel que décrit
ci-dessus et auquel l’accusé a pleinement adhéré en y prenant part. Ces faits s’inscrivent en outre daris
les attaques massives et systématiques ayant conduit à des exécutions sommaires inspirées par des
motifs politiques raciaux et organisées en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de
population civile tutsie, les victimes étant des civils Tutsis. Le bilan effroyable de cette attaque, 11.000
victimes, est la preuve de la mise en oeuvre du plan concerté.
L'élément intentionnel, à savoir l’intention de détruire en tout ou partie le groupe ethnique Tutsi, se
déduit de la participation volontaire l’accusé à l'exécution du plan concerté dont il a eu connaissance
et auquel il a adhéré, comme cela ressort de l’analyse du contexte dans lequel les faits ont été commis,
du caractère systématique et généralisé des violences auxquelles il a pris part, de son niveau de
responsabilités, de son comportement, de ses actes et des propos qu'’il a tenus au moment de la
commission des faits mais également avant les faits, notamment au sein de la gendarmerie de Nyanza,
lors de l’érection des barrières, lors des exécutions commises le 23 avril, lors de l’attaque de la colline
de Nyabubare ou encore ultérieurement lors de l’attaque du site de l’Isar Songa. Autant d’éléments qui
démontrent qu’il avait nécessairement conscience qu’en agissant, il participait à la destruction du
groupe ethnique Tutsi qui était ciblé.
L'élément intentionnel du crime contre l’humanité est également caractérisé dans la mesure où il
apparaît établi sur la base des mêmes éléments de faits que ceux mentionnés concernant le génocide
que l’accusé avait conscience que son acte faisait partie d'une attaque généralisée ou systématique
contre population civile Tutsie et qu’il a adhéré pleinement à cette attaque.
En conséquence, la cour et le jury ont déclaré l’accusé coupable :
e du crime de génocide en ayant fait donner intentionnellement la mort et en ayant
intentionnellement fait porter gravement atteinte à l’intégrité psychique ou physique de
nombreux Tutsis sur la colline de Nyamure en exécution d’un plan concerté tendant à la
destruction totale ou partielle du groupe ethnique Tutsis ;
e de crime contre l’humanité en ayant participé, en exécution d’un plan concerté inspiré par des
motifs raciaux à l’encontre du groupe de la population Tutsie, à une pratique massive et
systématique d’exécutions sommaires et d’actes inhumains au préjudice de nombreux Tutsis
N sur la colline de Nyamure, à savoir en dirigeant et en supervisant toute l’attaque durant
32
laquelle de nombreux Tutsis ont été tués dans le cadre d’exécutions sommaires et où d’autres
ont été soumis à des actes inhumains.
10. Sur l’attaque de l’ISAR Songa
L’Institut de sciences agronomiques du Rwanda, à savoir l’ISAR, de Songa est également un vaste site
qui comprend des terres cultivables, des prés, des fermes, des marécages, entourés de collines, sur
plusieurs hectares. Il est ressorti des débats qu’une importante attaque des Tutsis qui s’y étaient
réfugiés a eu lieu le 28 avril 1994, causant des milliers de victimes. Une fois de plus, c’est le même
mode opératoire que celui mis en oeuvre à Nyabubare et à Nyamure qui a été employé, attestant de
la répétition du même plan, de la même stratégie pour venir à bout de la résistance des Tutsis. En effet,
pour chacune de ces trois attaques, la cour et le jury ont pu constater en analysant les témoignages
que pour vaincre fa résistance des Tutsis auxquels les miliciens et la population ne parvenaient pas à
bout avec leurs armes traditionnelles, il a été fait appel à la gendarmerie mais également, dès lors que
le nombre de Tutsis était plus important comme à Nyamure ou à l’ISAR Songa, à l’armée et à la police
qui sont venues renforcer les assaillants et participer de manière décisive à l’assaut final en utilisant
des armes à feu, des fusils, des grenades voire un mortier de 60.
La cour et le jury ont en premier lieu retenu les récits de trois survivants de l’attaque de l’ISAR SONGA
(Th. SINZI, Ph. NDAYISABA, A. MUGABA) qui ont décrit le même schéma tactique pour l’attaque
qualifiée de planifiée et de concertée de l’ISAR Songa qui avait permis de venir à bout de la résistance
dirigée par Tharcisse SINZI depuis le 22 avril qui avait repoussé les attaques quotidiennes des Hutus.
Les faits se sont déroulés ainsi selon les témoignages des parties civiles: d’abord le survol d’un
hélicoptère la veille de l’attaque étant précisé qu’il résulte des débats qu’un hélicoptère a été vu audessus
de la colline de Nyamure le 27 avril, puis une attaque simultanée et coordonnée par des
gendarmes que les trois parties civiles ont identifiés grâce à leurs bérets rouges, mais aussi des
militaires et des Interahamwe, l’usage d’une arme lourde pour pilonner les tutsis, puis l’assaut par les
gendarmes, les militaires et les Interahamwe, enfin le piège tendu aux rescapés obligés de fuir par un
chemin où les assaillants les âttendaient pour les tuer. !l y avait donc un front au sud depuis lequel des
obus étaient tirés et un front au nord depuis lequel les attaquants tiraient avec des fusils. La cour et le
jury ont relevé qu’aucune de ces parties civiles n’a mentionné la présence ni la participation de l’accusé
lors de cette attaque.
La participation de gendarmes est mentionnée également par M. NKURUNZIZA, condamné à 30 ans de
prison et dont les déclarations ont été lues, qui a évoqué l’attaque de l’ISAR Songa en précisant avoir
entendu des bruits de canon puis avoir appris que 28 gendarmes avaient participé à cette attaque. Luimême
n’a pas assisté aux faits.
D’autres parties civiles (S. RUGEMANA, L. RWINKESAH, E. HABAKUBAHO) ont confirmé le survol d’un
hélicoptère la veille de la « grande attaque » ainsi que l’utilisation d’une arme lourde lors de l’attaque.
L. RWINKESAH a par ailleurs mentionné la présence de gendarmes porteurs de bérets rouges.
Cependant, Ph. NDAYISABA a précisé avoir vu le 28 avril 1994 un véhicule pick-up blanc à bord duquel
des gendarmes étaient arrivés, ce véhicule venant de Nyanza. C’est de ce véhicule qu’une arme tirant
des obus avait été déchargée et installée à 600 / 1000 m. Il s’est souvenu que les gendarmes avaient
un béret rouge lors de cette attaque.
33
Ch. MUKAYIRANGA, partie civile, a indiqué lors des débats que le jour de l’attaque, elle avait appris
que les gendarmes étaient venus de Nyanza en voiture, sachant que si elle ne savait pas faire la
différence entre des militaires ou des gendarmes, elle se souvenait que les hommes en uniforme
portaient des bérets rouges.
E. HABAKUBAHO, partie civile, s’est lui aussi souvenu de la présence de gendarmes portant des bérets
rouges ainsi que de l’utilisation d’une arme entraînant des explosions.
A. MUGABA a confirmé que ce véhicule venait de Nyanza.
Un témoin, L. PFUMAMUSENGE, condamné à 15 ans, a expliqué lors des débats que le 28 avril, il avait
suivi des militaires qui étaient passés près de son domicile, à proximité de l’ISAR Songa. Ces hommes
avaient un DAIHATSU. Sur place, on lui avait demandé de porter une caisse jusqu’à un endroit avec
une vue sur le site où les tutsis étaient réfugiés à une distance estimée entre 800 et 1000 m. Il était
resté assis à cet endroit et il avait pu voir que trois ou quatre militaires avaient manipulé une arme
dans laquelle ils mettaient ce qu’il a pu identifier sur photo comme étant des obus de mortier de 60.
L’arme lançait ensuite les obus sur les tutsis, en faisait une explosion et en dégageant de la fumée. Il a
évoqué un obus toutes les 20 à 30 mn, soit 4 ou 5obus. Les réfugiés étaient par ailleurs la cible des
militaires et des civils qui les avaient encerclés. Il a précisé ne pas savoir distinguer les militaires des
gendarmes mais se souvenir que ceux avec lesquels il était le jour de l’attaque avaient des bérets
rouges, caractéristiques des gendarmes.
Enfin, l’expert Pierre LAURENT a conclu que s’agissant de l’ISAR Songa, sur la base des données GPS
relevées par les enquêteurs ainsi que des témoignages portés à sa connaissance concernant l’impact
des obus, la description de l’arme et des projectiles, leur maniement, l’emplacement de l’arme et des
réfugiés, la topographie et les distances, la stratégie militaire décrite, les faits décrits sont compatibles
avec l’utilisation d’un mortier de 60.
Th. SINZ! a précisé que sur les 3480 tutsis qui étaient avec lui sur la colline la plus haute du site, seuls
118 d’entre eux avaient échappé à l’attaque et à la traque pour parvenir à traverser la rivière
frontalière avec le Burunhdi. Ph. NDAYISABA, responsable du mémorial de l’ISAR Songa, a précisé que
44 630 corps ont été découverts sur ce site, sachant qu’il estime à 4 à 5.000 le nombre de personnes
mortes lors de l’attaque du 28 avril. Mais aucun d’entre eux n’a mentionné la présence de l’accusé
durant l’attaque ni entendu parler de lui pendant ou après les faits.
Cependant, si aucun témoin ne met en cause l’accusé comme ayant été présent sur le site lors de
l’attaque, la cour et le jury ont pris en compte trois témoignages importants.
A. TESIRE a déclaré en effet que le jour de l’attaque de l’ISAR Songa, elle avait vu l’accusé quitter le
camp de la gendarmerie de Nyanza avec un mortier de 60 en disant « je sors m’occuper de ces voyous
de l’ISAR Songa ».
P. UWIZEYIMANA a pour sa part indiqué avoir vu des militaires quitter le camp de la gendarmerie avec
des armes de gros calibre, dont un mortier, et que l’accusé était présent lorsque ces armes avaient été
sorties du stock.
Enfin, D KAYGEMERA s’est souvenu avoir vu l’accusé quitter la gendarmerie avec des gendarmes, le
sous-lieutenant NTAWIRINGIRA, des armes et un mortier, puis les avoir vus revenir avec des biens qui
34
avaient été pillés et en se vantant de l’attaque de l’ISAR Songa. Selon lui, personne à l’exception de
l’accusé ne savait faire fonctionner un mortier.
Au regard de ces éléments, la cour et le jury en ont conclu qu’aucun des éléments de preuve débattus
ne permet d’établir la présence de l’accusé sur le site de l’ISAR Songa lors de l’attaque du 28 avril 1994.
En revanche, il ressort des déclarations concordantes de ses trois collègues que le jour de l’attaque,
l’accusé a, conformément à ses fonctions au sein de la gendarmerie, désigné une équipe de gendarmes
qu'il a équipée d’un mortier de 60 pour une mission destinée à venir à bout de la résistance des Tutsis
de l’ISAR Songa. La présence des gendarmes de Nyanza lors de l’attaque est en outre attestée par
plusieurs témoins, sachant qu’une partie de ce site est de la compétence de cette gendarmerie.
L’utilisation d’un mortier lors de l’attaque ressort clairement des témoignages des rescapés et de L.
PFUMAMUSENGE, leurs déclarations concernant l’usage d’un mortier ayant été admises par la cour et
le jury compte tenu des précisions fournies par l’experent balistique.
Ainsi, s'agissant des faits de génocide, la cour et le jury ont été convaincus que l’accusé, en confiant un
mortier à une équipe de gendarme qu'il a affectée sur la mission destinée à attaquer les Tutsis de l’ISAR
Songa a fait donner intentionnellement la mort à des milliers de Tutsis dans la mesure où les victimes
ont été intentionnellement tuées lors de cet assaut donné par des gendarmes désignés, missionnés et
armés par l’adjudant-chef Philippe MANIER mais également appuyés par des civils munis d’armes
traditionnelles, et où ils ont ouvert le feu avec cet armement sur les milliers de Tutsis réfugiés sur cette
colline.
S'agissant des faits qualifiés de crime contre l’humanité, il résulte des déclarations des personnes
entendues lors des débats ou des lectures faites que des exécutions sommaires s’inscrivant dans une
pratique massive et systématique ont été commises lors de cette attaque par les gendarmes de Nyanza
appuyés par des civils munis d’armes traditionnelles lorsqu’ils ont ouvert le feu avec leur fusil et un
mortier de 60 sur les milliers civils Tutsis réfugiés sur ce site dans la mesure où d’une part ces faits ont
entraîné la mort de très nombreuses personnes et ou d’autre part les très nombreux blessés
occasionnés par ces tirs étaient ensuite achevés par la population munie d’armes traditionnelles, étant
rappelé que ceux qui ont tenté de fuir ont été tués par la populâtion civile dans des circonstances
effroyables, et où les rescapés de ce massacre restent à jamais marqués par la violence, la cruauté et
l’'ampleur de cette attaque
Cependant, la cour et le jury ont considéré que la présence sur les lieux de l’accusé n’étant pas établie,
de sorte que sa participation à ces faits en qualité d’auteur ou de co-auteur de crime contre l’'humanité
n’a pas été reconnue.
En revanche, la cour et le jury ont jugé que son implication en tant que complice de crime contre
l’humanité est établie et doit être retenue :
e _ non seulement par aide et assistance pour avoir fourni le mortier de 60 aux gendarmes aux
gendarmes, auteurs principaux des faits ;
e … mais également par provocation, et plus précisément par abus d’autorité pour avoir ordonné
à ces mêmes gendarmes placés sous son autorité hiérarchique de prendre part à cette mission
au cours de laquelle des exécutions sommaires ont été commis.
Enfin, la cour et le jury n’ont pas retenu la responsabilité de l’accusé du chef de complicité de crime
contre l’humanité par instruction, ces faits n’étant pas caractérisés.
35
Pour les mêmes motifs que précédemment expliqués, ces faits s’inscrivent dans le plan concerté en
vue de commettre d’une part le génocide contre le groupe ethnique des Tutsis, d’autre part des crimes
contre l’humanité au préjudice de la population civile Tutsie.
L'élément intentionnel, à savoir l’intention de détruire en tout ou partie le groupe ethnique Tutsi, se
déduit de la participation volontaire l’accusé à l'exécution du plan concerté dont il a eu connaissance
et auquel il a adhéré, comme cela ressort de l’analyse du contexte dans lequel les faits ont été commis,
du caractère systématique et généralisé des violences auxquelles il a pris part, de son niveau de
responsabilités, de son comportement, de ses actes et des propos qu'il a tenus au moment de la
commission des faits mais également avant les faits, notamment au sein de la gendarmerie de Nyanza,
lors de l’érection des barrières, lors des exécutions commises le 23 avril, lors de l’attaque des coltine de
Nyabubare et de Nyamure. Autant d’éléments qui démontrent qu’il avait nécessairement conscience
qu’en agissant, il participait à la destruction du groupe ethnique Tutsi qui était ciblé.
L'élément intentionnel du crime contre l’humanité est également caractérisé dans la mesure où il
apparaît établi sur la base des mêmes éléments de faits que ceux mentionnés concernant le génocide
que l’accusé avait conscience que son acte faisait partie d'une attaque généralisée ou systématique
contre population civile Tutsie et qu’il a adhéré pleinement à cette attaque.
En conséquence, la cour et le jury ont déclaré l’accusé coupable :
e du crime de génocide en ayant fait donner intentionnellement la mort à de milliers Tutsis sur
le site de l'ISAR Songa en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou
partielle du groupe ethnique Tutsis;
e de complicité de crime contre l’humanité par aide ou assistance, en l’espèce d’avoir, en
exécution d’un plan concerté inspiré par des motifs raciaux à l’encontre du groupe de la
population Tutsie, sciemment par aide ou assistance, facilité la préparation ou la
consommation des actes ayant consisté en une pratique massive et systématique d’exécutions
sommaires à l’encontre de la population civile Tutsie, en procurant aux gendarmes un mortier
de 60 utilisé lors de l’attaque du site de l’ISAR Songa au cours de laquelle des milliers de Tutsis
ont été exécutés sommairement ;
e de complicité de crime contre l’humanité, en l’espèce d’avoir, en exécution d’un plan concerté
inspiré par des motifs raciaux à l’encontre du groupe de la population Tutsie, provoqué la
commission d’actes ayant consisté en une pratique massive et systématique d’exécutions
sommaires à l’encontre de la population civile Tutsie par ahus d’autorité en ordonnant aux
gendarmes placés sous son autorité de se rendre sur le site de l’ISAR Songa afin qu'ils
procèdent à l’exécution sommaires de milliers de Tutsis.
11. Sur les barrières
11.1. S’agissant des barrières des ressorts de Nyanza, de Rwesero et de Mushirarangu
La cour et le jury ont constaté qu’il ressort des débats, qu'il s’agisse des témoins de contexte ou des
personnes ayant participé aux faits ou encore des rescapés, que dès l’annonce de l’attentat contre
l’avion du président HABYARIMANA le 6 avril 1994, des barrières ont été érigées sur tout le territoire
par des gendarmes mais également par des miliciens Interahamwe renforcés par la population locale.
Ces barrières avaient pour fonctions de contrôler les passants, d’identifier et d’arrêter les Tutsis dans
le but de les tuer, de contrôler les points de passage, sachant qu’elles servaient également de point de
ralliement pour lancer les miliciens et la population dans la traque des Tutsis. Ces barrières qui ont été
36
érigées sur tout le territoire du Rwanda dans le cadre d’une politique d’Etat ont constitué un outil
particulièrement efficace du plan génocidaire, le premier ministre KABAMBA l’ayant lui-même reconnu
lorsqu’il a plaidé coupable devant le TPIR.
S'agissant plus précisément de la sous-préfecture de Nyabisindu et des secteurs de Nyanza, Rwesero
et Mushirarangu, les débats, et notamment les auditions des enquêteurs ainsi que des personnes ayant
participé à ces barrières, de même que l’analyse des plans mis à disposition de la cour et du jury ont
. permis d’identifier 12 barrières toutes situées à des carrefours stratégiques, sachant que cette liste ne
doit pas être considérée comme exhaustive :
Sur le secteur de Nyanza :
e … Barrière de l’hôpital
e … Barrière de TRAFIPRO
e … Barrière de MUGONZI
e … Barrière de KIVUMU
e … Barrière du stade de Nyanza
Sur le secteur de Rwesero :
e … Barrière de MURAMBI dite des burundais
e … Barrière de Célestin RWABUYANGA
e … Barrière de RUKARI
e … Barrière de BUGABA
e … Barrière de l'AKAZU K’AMAZI
Sur le secteur de Mushirarangu
e … Barrière de KUCYARA
e … Barrière Bleu Blanc
Une dernière barrière a été identifiée comme étant celle de KAYIRANGA.
Les débats ont permis d’établir que ces barrières avaient été érigées sur les ordres de plusieurs
autorités, à savoir le capitaine BIRIKUNZIRA, l’accusé, ou encore des conseillers de secteurs tels que |.
DUSINGIZIMANA. Le fait que les ordres spécifiques à l’érection des barrières proviennent de plusteurs
autorités est de nature, selon la cour et le jury, à établir qu’il s’agissait bien d’une politique générale
qui s’inscrivait dans un plan concerté auquel l’accusé a délibéré pris part en toute connaissance de
cause.
Plusieurs anciens gendarmes ont évoqué le rôle joué par l’accusé dans l’érection et la supervision de
ces barrières.
e A. TESIRE à déclaré que l’accusé avait été en charge d’ériger les barrières, de les contrôler, d’y
affecter des gendarmes.
e D. KAYGEMERA a dit avoir vu l’accusé alors qu'il contrôlait la barrière de KIMUVU. H a par
ailleurs précisé que l’accusé avait transformé les barrages installés avant le début des
massacres en point de contrôle pour tuer les Tutsis. ;
e O. MUKARUSHEMA, l’épouse du chauffeur de la gendarmerie, a mentionné plusieurs
barrières: celle du stade, des Burundais, de RWABBUYANGA, de l’AKAZU K'AMAZI mais sans
37
jamais mettre en cause l’accusé. Elle a cependant mentionné la présence de gendarmes, à
savoir César, Catcher et HAVUGIMANA.
D’autres témoins ont évoqué le rôle de l’accusé sur les barrières :
J. KAMONYO a déclaré avoir vu BIGUMA qui circulait en voiture pour contrôler les barrières et
vérifier comment on tuait les tutsis.
E. KAMUNGA a déclaré devant le TPIR que BIGUMA était très actif durant le génocide car il
était en charge des barrières, qu’il visitait les barrières tenues par des caporaux
J.M.V. Vianney SEMEGA a déclaré que BIGUMA avait donné l’ordre aux miliciens d’ériger
barrières, les Tustis arrêtés étant ensuite pris en charge dans des véhicules.
S’agissant plus précisément des barrières identifiées sur le secteur de Nyanza, la cour et le jury ont
relevé que plusieurs témoins ont relaté le rôle que l’accusé a pu jouer sur ces barrières :
N. NTIGUGIRWA, condamné à 18 mois de prison, a déclaré avoir vu l’accusé, qu’il connaissait
avant les faits et qui circulait dans une Toyota Stout, remettre une kalachnikov à l’ancien
militaire |. KAREGE à la barrière de KIVUMU.
D. KAYGEMER-A a dit avoir vu l’accusé alors qu’il contrôlait la barrière de KIMUVU.
J. MUSABYIMANA, condamné à 24 ans d’emprisonnement après avoir plaidé coupable, a
indiqué qu’il avait participé à deux barrières sur ce secteur : MUGONZI et TRAFIPRO, avec la
mission d’arrêter les Tutsis. Si aucun Tutsi n’avait été arrêté à la première, il avait vu des corps
à la seconde sans savoir comment ils avaient été tués. Ces barrières étaient tenues par des
civils et contrôlées par l’accusé, par le capitaine BIRIKUNZIRA et le commandant BAHIRA.
S'agissant de l’accusé qu'’il connaissait avant les faits et qu’il a reconnu sur photographie mais
pas lors de la confrontation, il surveillait les barrières, il les contrôlait et il avait donné des
ordres obligatoires pour lancer des attaques depuis ces barrières. Concernant de la barrière
de MUKONZI, cette barrière avait été érigée sur les instructions d’un inspecteur scolaire et
supervisée par ce dernier, mais également par l’accusé et un militaire, étant précisé que
l’accusé donnait ses instructions à l’inspecteur scolaire qui les transmettait ensuite sur la
barrière. l a en outre expliqué comment les hommes qui tenaient la barrière de MUKONZI
avaient été cherché plusieurs Tutsis chez eux pour les tuer à l'occasion de trois attaques
distinctes.
S’agissant ensuite des cinq barrières du secteur de Rwesero, d’autres témoins ont également
mentionné le rôle important que l’accusé a eu en ce qui concerne l’érection et le fonctionnement de
ces barrières.
L. NIZEIMANA, condamné à 8 ans d’emprisonnement après avoir plaidé coupable pour sa
participation à des barrières, le meurtre de Tutsis, des pillages et sa participation à des
attaques, a expliqué comment il avait connu l’accusé, qu’il a d’ailleurs reconnu. !! a témoigné
à plusieurs reprises contre l’accusé et le capitaine BIRKUNZIRA car en tant que chefs de la
gendarmerie, il |es considère comme les premiers responsables du génocide au niveau local
en incitant la population à tuer les Tutsis et en donnant des ordres dans ce sens. |l a expliqué
que le 20 avril, le capitaine BIRIKUNZIRA avait convoqué les conseillers de secteur au bureau
de Nyabisindu, en présence du sous-préfet KAYITANA, en leur donnant l’ordre d’ériger des
barrières. Son conseiller de secteur leur avait ensuite demander d’ériger la barrière de RUKARI
à laquelle toute la population Hutus devait participer. Il a évoqué plusieurs barrières : celle des
Burundais, cetle des gendarmes, celle de Célestin. C’est ainsi que la barrière de RUKARI avait
été érigée le 23 avril sous la responsabilité de MATABARO, remplacé ensuite par RUGENSI. Ce
témoin a déclaré avoir vu l’accusé arriver en voiture avec deux gendarmes pour leur dire de
38
tuer les Tutsis, manger leurs vaches, piller et détruire leurs biens, incendier leurs maisons. !l a
décrit les conditions dans lesquelles Tutsis ont été tués sur ordres de l’accusé en précisant que
c’était l’accusé qui les avait incités à commencer le génocide, que leur peur avait été dissipée,
qu’ils pouvaient tuer sans crainte puisque ceux qui devaient protéger la population avaient
eux-mêmes lancé les massacres. |l a précisé qu’une soixantaine de tutsis avaient été tués à
cette barrière sur laquelle l’accusé passait de temps en temps pour en contrôler l’activité et
féliciter ceux qui tuaient.
E. RUBAGUMYA, dont les déclarations ont été lues et qui connaissait l’accusé avant les faits, a
évoqué la barrière MURAMBI, tenue par les Interahamwe et érigée par BIGUMA et le
commandant BHIRA, sachant qu’une trentaine de Tutsis ont été tués à cette barrière.
|. KAYITESI, partie civile, a mentionné plusieurs barrières, à savoir celles de RWABUYANGA, de
RUKARI, des Burundais, de la laiterie, de la forge, de KIVUMU, de BIGEGA, de l'AKAZU K’'AMAZI.
Elle a précisé que celle de RUKARI avait été installée par des gendarmes et elle a mentionné le
meurtre de trois personnes sur cette barrière, en précisant que les gendarmes avaient montré
l’exemple en tuant des Tutsis.
A. HABIMANA, condamné pour le meurtre d’une femme sur la barrière de Kucyapa pour lequel
il a plaidé coupable, a déclaré que les gendarmes leur avaient demandé d’ériger une barrière,
de contrôler les identités, d’arrêter les tutsis, de les enfermer dans une maison car les tutsis
venaient de s’emparer du pays et aller les tuer. || a précisé qu’ils avaient été chercher une
femme, Epiphanie, pour la tuer à la barrière, que d’autres tutsis avaient été arrêtés mais qu’il
n’était pas resté car il a eu peur. |l a dit avoir vu l’accusé sur la barrière, en disant que c’était
lui qui envoyait les gendarmes tout en précisant qu'’il ne le connaissait pas, qu’il entendait
seulement parler de lui. ;
D’autres témoins (J.B. MUHIRWA, E. MUSHYISTSI, J.D. BUBUKA, S. RUDAHONGA et À. KABERA)
dont l’analyse des déclarations figurent ci-dessous (cf. 9.2) ont également mis en cause
l’accusé pour avoir ordonné l’érection de la barrière de l’AKAZU K'AMAZI, l’avoir supervisé et
y avoir encourager les civils à tuer les Tutsis.
S'agissant des barrières du secteur de Mushirarangu :
|. DUSINGIZIMANA a déclaré qu’après l’attaque de Nyabubare, il avait vu une fois l’accusé
passer en voiture sur la barrière pour les contrôler en demandant aux Hutus de redoubler
d’efforts afin que les Tutsis ne passent pas. Le témoin a reconnu avoir lui-même érigé et
supervisé des barrières sur son secteur, sur instruction de l’accusé, à savoir les barrières bleublanc,
de RWABUYE et de NDUZI sur lesquelles il a désigné des responsables et leur donnant
pour instruction de tuer sur place les Tutsis contrôlés. Il a précisé que l’accusé passait souvent
voir C. NYAKBWA, qu’il contrôlait que tout le monde était au travail et qu'’il les encourageait.
C. NIGIRENTE, condamné à 12 ans de prison après avoir plaidé coupable, a déclaré avoir vu
l’accusé passer en voiture à une ou deux reprises au niveau de la barrière Bleu Blanc où il
s’entretenait avec |. DUSINGIZIMANA.
Il ressort de l’ensemble de ces éléments analysés dans le contexte du génocide que l’accusé a ordonné
l’érection de barrières sur les secteurs de Nyanza, de Rwesero et de Mushirarangu, qu‘il en a supervisé
le fonctionnçment et qu’il y a donné des instructions afin d’y contrôler, d’y arrêter les Tutsis et de les
tuer. |l apparaît également établi que les Hutus ainsi que les gendarmes qui tenaient ces barrières ont
exécutés ses ordres, non seulement en érigeant les barrières, en les tenant, en contrôlant les
personnes qui les franchissaient, procédant aux arrestations de Tutsis mais également en se lançant
depuis ces barrières dans des opérations de perquisitions, de fouilles et de traques afin de capturer
des Tutsis, de se livrer sur eux à des atteintes à la vie en les tuant ainsi qu’à des atteintes graves à
39
l’intégrité physiques ou psychiques puisque ses barrières ont permis de quadriller !e territoire, qu’elles
ont été un des outils et l’un des symboles du génocide et de la terreur, que les victimes y étaient
arrêtées, retenues, violentées avant d’y être tuées. La cour et le jury ont considéré que ces faits
constituent des atteintes à la vie, des atteintes graves à l’intégrité physique ou psychique, ainsi qu’une
pratique massive et généralisée d’exécution sommaires et d’actes inhumains.
En conséquence, la cour et le jury ont jugé qu’il est établi que l’accusé a fait commettre des atteintes
volontaires à la vie et des atteintes graves à l’intégrité physique ou psychique, en l’espèce en
ordonnant l’érection de barrières sur les ressorts de Nyanza, de Rwesero, de Mushirarangu, en
supervisant ces barrières et en encourageant les civils présents à tuer les Tutsis.
S'agissant des faits de crimes contre l’humanité concernant les barrières des ressorts de Nyanza, de
Rwesero, de Mushirarangu, la présence de l’accusé lors des exécutions sommaires et des actes
inhumains décrits ci-dessus n’est pas formellement établie de sorte que la cour et le jury n’ont pas
retenu son implication en qualité d’auteur ou de co-auteur de ce chef d’accusation.
Cependant, ces faits ont été requalifiés à l’issue du délibéré en complicité de crimes contre l’'humanité
par provocation, en l’espèce en ordonnant l’érection de barrières sur les ressorts de Nyanza, de
Rwesero, de Mushirarangu, en supervisant ces barrières et en encourageant les civils présents à tuer
les Tutsis. Plus précisément, la complicité par provocation apparaît doublement caractérisée : d’abord
par abus d’autorité sur les gendarmes affectés sur ces barrières et sur lesquels l’accusé exerçait une
autorité hiérarchique, ensuite par ordres données aux civils qui tenaient ces barrières sur lesquels
l’accusé a pu s’imposer grâce à son prestige et à ses fonctions d’adjudant-chef au sein de la compagnie
de gendarmerie de Nyanza.
La cour et le jury ont enfin acquitté l’accusé du chef de crime contre l’humanité par instruction, ces
faits n’étant pas caractérisés.
Pour ies mêmes motifs que précédemment expliqués, ces faits s’inscrivent dans le plan concerté en
vue de commettre d'une part le génocide contre le groupe ethnique des Tutsis, d’autre part des crimes
contre l’humanité au préjudice de la population civile Tutsie.
L'élément intentionnel, à savoir l’intention de détruire en tout ou partie le groupe ethnique Tutsi, se
déduit de la participation volontaire l’accusé à l'exécution du plan concerté dont il a eu connaissance
et auquel il a adhéré, comme cela ressort de l’analyse du contexte dans lequel les faits ont été commis,
du caractère systématique et généralisé des violences auxquelles il a pris part, de son niveau de
responsabilités, de son comportement, de ses actes et des propos qu’il a tenu au moment de la
commission des faits mais également avant les faits, notamment au sein de la gendarmerie de Nyanza,
lors des exécutions commises le 23 avril, lors de l’attaque de la colline de Nyabubare et de l’Isar Songa.
Autant d’éléments qui démontrent qu’il avait nécessairement conscience qu’en agissant, il participait
à la destruction du groupe ethnique Tutsi qui était ciblé.
L'élément intentionnel du crime contre l’'humanité est également caractérisé dans la mesure où il
apparaît établi sur la base des mêmes éléments de faits que ceux mentionnés concernant le génocide
que l’accusé avait.conscience que son acte faïsait partie d'une attaque généralisée ou systématique
contre population civile Tutsie et qu’il a adhéré pleinement à cette attaque.
En conséquence, la cour ét le jury ont déclaré l’accusé coupable :
e du crime de génocide en faisant donner intentionnellement la mort et en faisant porter
intentionnellement des atteintes graves à l’intégrité psychique ou physique des membres du
40
groupe ethnique Tutsi en ordonnant l’érection de barrières, en supervisant ces barrières et en
encourageant les civils présents à tuer les Tutsis sur les ressort de Nyanza, Rwesero et
Mushirarangu en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle du
groupe ethnique Tutsis ;
de complicité de crime contre l’'humanité, en l’espèce d’avoir, en exécution d’un plan concerté
inspiré par des motifs raciaux à l’'encontre du groupe de la population Tutsie, provoqué la
commission d’actes ayant consisté en une pratique massive et systématique d’exécutions
sommaires à l’encontre de la population civile Tutsie par abus d’autorité sur les gendarmes
affectés sur ces barrières et sur lesquels l’accusé exerçait une autorité hiérarchique et par
ordre sur les civils qui tenaient ces barrières sur lesquels l’accusé a pu s’imposer grâce à son
prestige et à ses fonctions d’adjudant-cheauf sein de la compagnie de gendarmerie de Nyanza,
en ordonnant l’érection de barrières, en supervisant ces barrières et en encourageant les civils
présents à tuer les Tutsis sur les ressort de Nyanza, Rwesero et Mushirarangu où des
exécutions sommaires et des actes inhumains ont été commis. ‘
11.2. S'agissant plus spécifiquement du meurtre des 28 tutsis sur la barrière de l’'AKAZU K’AMAZI
S'agissant de la barrière de l’'AKAZU K'AMAZI qui se trouvait sur le secteur de Rwesero, plusieurs
témoins ont décrit à la cour le meurtre de Tutsis :
J.B MUHIRWA, condamné à 13 ans de prison, a indiqué à la cour et au jury avoir vu l’accusé
sur la barrière de l’AKAZU K’AMAZI à laquelle il avait lui-même participé. Il a su par ses
collègues que c'était l’accusé qui avait ordonné l’érection de cette barrière. Il a vu l’accusé
venir sur place pour contrôler cette barrière et amener des gendarmes pour relever leurs
collègues. Il a précisé que l’accusé leur avait reproché de ne pas avoir tué de Tutsis sur cette
barrière. t a alors relaté l’exécution d’une vingtaine de Tutsis qui étaient enfermés dans la
maison de Boniface, à proximité de la barrière, faits qu’il situe au 26 avril. Les Tutsis avaient
été tués sur ordre de l’accusé à coups de bâtons et de gourdins. L’accusé, qu’il n’a pas reconnu
sur photographie, n’était plus présent lors de ce massacre.
Ce témoignage est en concordance avec celui de E. MUSHYISTSI qui a été lu lors des débats
concernant cette barrière et le fait que l’accusé passait sur cette barrière. Ce témoin a précisé
que trois gendarmes, César, Catcher et HAVUGIMANA se relayaient sur cette barrière et
participaient aux attaques avec la population. L’accusé était un gradé qui venait et donnait des
ordres aux gendarmes, allant de barrière en barrière. Il n’a toutefois pas identifié l’accusé sur
photo.
J.D. BUBUKA a expliqué lors des débats qu’il tenait avec d’autres la barrière de l'AKAZU
K'AMAZI où il avait vu passer plusieurs fois l’accusé en voiture, sachant qu’il le connaissait de
vue et qu'’il l’a reconnu dans le box. |l s’est souvenu l’accusé avait déposé deux gendarmes à
cette barrière et que le lendemain, il avait appris que 28 Tutsis qui avaient été capturés et
enfermés dans la maison de Boniface avaient été exécutés durant la nuit. D’une manière plus
générale, il a déclaré que les gendarmes avaient ordonné la mise en place des barrières et
sensibilisé la population à tuer les tutsis.
S. RUDAHONGA, condamné à plus de 12 ans de prison et ayant plaidé coupable pour avoir
dirigé la barrière de l’AKAZU K’AMAZI, a déclaré que durant la soirée du 22 avril 1994, l’accusé
et le capitaine BIRKUNZIRA lui avaient confié, alors qu’il était avec un autre conseiller de
secteur, trois gendarmes (César, Catcheur et HAVUGIMANA) pour tenir les barrières en leur
disant que l’ennemi était le Tutsi, qu’il fallait les rechercher, vérifier les cartes d’identité et les
tuer. lls l’avaient désigné pour diriger la barrière de l’'AKAZU K’AMAZI, ce qu'il avait fait entre
le 22 avril et le 31 mai 1994. Cette barrière était tenue uniquement par des jeunes la nuit qui
41
se livraient à la traque des Tutsis, les plus âgés la tenant durant la journée. Lors de cette
première nuit sur la barrière, les gendarmes avaient abattu une vache à titre d’exemple. La
traque des Tutsis avait ensuite commencé pour les rechercher dans leurs maisons, les ramener
à la barrière, les enfermer dans la maison de Boniface puis les tuer dans un petit bois par balles
ou à coups de gourdins, de machettes, de bâtons. Les corps avaient ensuite été jetés dans les
caniveaux, l’accusé n’ayant pas réussi à trouver un véhicule pour les jeter dans la rivière. Une
trentaine de personnes, dont les membres de la famille ABAYORA ainsi que quatre personnes
dontil a mentionné les noms complets ont ainsi été tuées. Le témoin était présent lors de cette
exécution. Il a en outre mentionné les barrières des Burundais, celle de RUKARI, celle du
carrefour RUKARI / RWESERO qui toutes avaient été érigées sur ordre de l’accusé, du capitaine
BIRIKUNZIRA et du commandant BAHIRA.
e M.MBYRIYINGOMA, condamné à 7 ans de prison, a déclaré qu’il avait été affecté à la barrière
de l’'AKAZU K’AMANI dirigée par S. RUDAHUNGA, qu’il était sur cette barrière le soir et
occasionnellement durant la journée, que des gendarmes se relayaient sur cette barrière et
notamment César, Catcheur et BIGIRIMANA. Il a précisé ne jamais avoir vu l’accusé sur cette
barrière sachant qu’il n’y était pas en permanence, revenant ainsi sur ses précédentes
déclarations dont il ressortait qu’il l’avait vu passer en voiture en expliquant qu'il avait alors
pu se tromper de bonne foi. Quant au massacre des Tutsis enfermés dans la maison de
Boniface, il a confirmé que ces Tutsis avaient été enfermés dans cette maison dont ils avaient
été sortis pour être exécutés dans un petit bois, un peu plus haut, précisant qu'il n’était pas
présent lors de ces faits. Les corps avaient ensuite été enterrés afin de ne pas être repérés par
les satellites.
e S'agissant des 28 tutsis arrêtés et tués à cette barrière, A. KABERA, a déclaré qu’à une date
qu’il situe au 24 avril, le capitaine BIRIKUNZIRA et l’accusé étaient venus à la barrière, le
capitaîne leur reprochant de n’avoir tué personne sur cette barrière, de sorte qu’avec les
gendarmes Catcheur et César, ils avaient dû aller chercher et ramener plusieurs tutsis et leurs
familles pour ensuite les enfermer dans}la maison de Boniface. Le témoin a donné le nom des
familles ainsi capturées. Il a ajouté que vers 18h30, le capitaine BIRIKUNZIRA qui était revenu
avec l’accusé avait donné l’ordre d’exécuter ces Tutsis, de sorte que ceux-ci avaient été fusillés
par César, Catcher et HAVIGUMANA. Il a précisé durant l’instruction que le capitaine et l’accusé
n’étaient plus là au moment de l’exécution pour finir par dire qu’ils avaient assisté à l’exécution
et qu’ils les avaient félicités et remerciés.
Dans ces conditions, la cour et le jury ont retenu l’implication de l’accusé dans ces faits pour avoir fait
commettre des atteintes à la vie en faisant donner intentionnellement la mort à 28 Tutsis sur la
barrière de l’AKAZU K’AMAZI dans la mesure où il est apparu, compte tenu des témoignages
convergents, qu'’il avait donné des ordres à des miliciens pour procéder non seulement à la traque et
à l’arrestation de ces victimes, mais également à leur exécution. La cour et le jury ont jugé que
l’implication de gendarmes lors de cette exécution n’était pas suffisamment étayée, les témoignages
étant contradictoires sur ce fait.
La cour et le jury ont également considéré que ces faits constituent des exécutions sommaires. La cour
et le jury ont en revanche estimé que l’implication de l’accusé en tant qu’auteur ou co-auteur de crime
contre l’humanité concernant la mort de ces 28 Tutsis ne peut être retenue, sa présence sur les lieux
n’étant pas établie.
‘
Cependant, ces faits ont été requalifiés à l’issue du délibéré en complicité de crimes contre l’humanité
par provocation dans la mesure où ces Tutsis ont été arrêtés et exécutés sur ses ordres par des
42
gendarmes et des civils et plus précisément provocation par ordre, en l’espèce en donnant aux civils
Hutus qui tenaient ces barrières sur lesquels l’accusé a pu s’'imposer grâce à son prestige et à ses
fonctions d’adjudant-chef au sein de la compagnie de gendarmerie de Nyanza l’ordre de procéder à
l’exécution sommaire de ces civils Tutsis.
Quant aux faits de complicité de crime conte l’humanité par instruction, ces faits ne sont pas
caractérisés de sorte que la cour et le jury ont acquitté l’accusé.
Enfin, s’agissant de l'élément intentionnel, à savoir l’intention de détruire en tout ou partie le groupe
ethnique Tutsi, il se déduit de la participation volontaire de l’accusé à l'exécution du plan concerté dont
il a eu connaissance et auquel il a adhéré, comme cela ressort de l’analyse du contexte dans lequel les
faits ont été commis, du caractère systématique et généralisé des violences auxquelles il à pris part, de
son niveau de responsabilités, de son comportement, de ses actes et des propos qu'’il a tenu au
moment de la commission des faits mais également avant les faits, notamment au sein de la
gendarmerie de Nyanza, lors des exécutions commises le 23 avril, lors de l’attaque de la colline de
Nyabubare et de !’Isar Songa. Autant d’éléments qui démontrent qu’il avait nécessairement conscience
qu'en agissant, il participait à la destruction du groupe ethnique Tutsi qui était ciblé.
L'élément intentionnel du crime contre l’humanité est également caractérisé dans la mesure où il
apparaît établi sur la base des mêmes éléments de faits que ceux mentionnés concernant le génocide
que l’accusé avait conscience que son acte faisait partie d'une attaque généralisée ou systématique
contre population civile Tutsie et qu’il a adhéré pleinement à cette attaque.
En conséquence, la cour et le jury ont déclaré l’accusé coupable :
e ducrime de génocide en ayant fait donner intentionnellement donner la mort à 28 Tutsis sur
la barrière de l’'AKAZU K’'AMAZI en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale
ou partielle du groupe ethnique Tutsis;
e de complicité de crime contre l’humanité, en l’espèce d’avoir, en exécution d’un plan concerté
inspiré par des motifs raciaux à l’encontre du groupe de la population Tutsie, provoqué la
commission d’actes ayant consisté en une pratique massive et systématique d’exécutions
sommaires à l’encontre de la population civile Tutsie par ordre en donnant l’ordre à des civils
Hutus de procéder à l’exécution sommaire de 28 Tutsis sur la barrière de AKAZU K’AMAZI.
11.3. S’agissant de l’accusation de génocide, de crime contre l’humanité, de complicité de crime contre
l’'humanité concernant l’exécution d’un groupe de Tutsis non identifiés sur la barrière de Bugaba,
La cour et le jury considère y avoir lieu à suivre les réquisitions d’acquittement.
En effet, les charges contre l’accusé reposent essentiellement sur les déclarations du seul témoin H.
MINANI qui n’ont été corroborées de manière convaincante par aucun autre témoin.
12. Sur la participation à un groupement formé ou une entente établie en vue de la préparation du
crime de génocide et de crimes contre l’humanité
La cour et le jury ont considéré que l’existence d’actes préparatoires caractérisant une entente ou un
groupement en vue de commettre des crimes contrè l’humanité et le crime de génocide sur le ressort
de Butaré est établie, notamment lors de la cérémonie d’investiture du nouveau préfet du 19 avril
1994 à l’occasion de laquelle des discours ont été prononcés par les plus hautes autorités de l’Etat
Rwandais dans le but d’entraîner les autorités locales et la population dans le génocide, lors de la
43
réunion du comité préfectoral de sécurité du 20 avril 1994 destinée à mettre en application au niveau
local le plan étatique du génocide, ou encore lors de réunions sur le ressort de la sous-préfecture de
Nyabisindu durant lesquelles les autorités locales, et notamment les conseillers de secteurs et le
capitaine BIRIKUNZIRA lequel a utilisé la parabole du serpent et de la barate ont réuni la population et
se sont adressés à elle afin d’inciter les villageois aux massacres et aux pillages.
Mais s’agissant de l’accusé, la cour et le jury ont considéré que les éléments débattus durant le procès
ne permettent pas de retenir sa participation à ce type de réunion et encore moins de démontrer le
rôle qu’il aurait pu y jouer où les propos qu’il aurait pu y tenir.
Les déclarations des témoins qui ont mentionné la participation de l’accusé à la réunion du 22 mai
1994 au stade de Nyanza en présence du général NDINDILIYIMANA et du capitaine BIRIKUNZIRA, à
savoir N. NTIGUGIRWA et M. NDAHIMANA sont trop imprécises et contradictoires, d’autant plus qu’à
cette date l’accusé était au service du colonel! RUTAYSIRE. Quant aux déclarations de N. NIZEIMANA,
M. MBYRIYINGOMA et de |. DUSINGIZIMANA concernant Une réunion tenue au bureau de secteur de
Nyabisindu, elles apparaissent également contradictoires concernant la présence de l’accusé à cette
réunion. Enfin, si plusieurs témoins ont évoqué le passage de l’accusé sur les barrières ainsi que ses
déplacements, ou encore juste avant les attaques Nyabubare et Nyamure, à l’occasion desquels il a
donné des instructions afin de tuer les Tutsis et de piller leurs biens ou encore distribué des armes, ces
faits constituent des éléments matériels déjà pris en compte lors de l’examen des accusations de
génocide, crimes contre l’humanité et complicité de ces crimes.
En conséquence, la cour et le jury ont acquitté l’accusé du crime de participation à un groupement
formé ou une entente établie en vue de la préparation du crime de génocide et de crimes contre
l’humanité. 9
13. Sur la peine
La cour et le jury ont condamné Philippe MANIER né Philippe HATEGEKIMANA pour les crimes dont il
a été déclaré coupable à la peine réclusion criminelle à perpétuité après avoir considéré, au vu des
éléments exposés au cours des débats, puis des délibérations menées par la cour et le jury
préalablement au vote sur la peine, que les éléments suivants tenant aux circonstances de l'infraction,
à la personnalité de l'accusé, à sa situation matérielle, familiale et sociale, à la situation de la victime,
devaient être pris en compte.
Les articles qui répriment le crime de génocide; les crimes contre l'humanité et la complicité de ces
crimes, applicables à l'époque des faits, prévoient la peine de la réclusion criminelle à perpétuité.
L'article 130-1 du code pénal dispose que « afin d'assurer la protection de la société, de prévenir la
commission de nouvelles infractions et de restaurer l'équilibre social, dans le respect des intérêts de la
victime, la peine a pour fonction de sanctionner l'auteur de l'infraction et de favoriser son
amendement, son insertion ou sa réinsertion ».
L'article 132-1 du code pénal prescrit que toute peine prononcée par la juridiction doit être
individualisée. Dans les limites fixées par la loi, la juridiction détermine la nature, le quantum et le
régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l'infraction de la personnalité de son
auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale conformément aux finalités et fonctions
de la peine énoncées à l'article 130-1 du code pénal.
44
Il a été retenu que Philippe MANIER est aujourd’hui âgé de 68 ans, qu'’il est marié et père de trois
enfants tous majeurs et indépendants, qu'il est retraité, qu’il souffre de problèmes de santé pris en
charge en détention où il observe un comportement irréprochable et qu’il n’a jamais été condamné. Il
est décrit par ses proches comme un bon époux, un père de famille exemplaire et exceptionnel et ses
qualités humaines sont louées par son épouse et l’un de ses fils, sachant que son autre fils et sa fille
n’ont jamais pu être entendus. Ses collègues de travail disent de lui qu'il est un collègue agréable et
prévenant, d’un naturel optimiste, même s’il en ressort qu’il n’a pas noué avec eux de véritables
relations. Il s’est impliqué dans une association culturelle Rwandaise apolitique. I! ressort de son
parcours de vie qu’après avoir connu une carrière dans la gendarmerie où il a d’abord été instructeur
sportif, il a été affecté sur le front entre 1990 et 1993 lors de la guerre opposant les FAR au FPR durant
laquelle il a eu sous ses ordres des hommes et où il a subi la perte de plusieurs jeunes recrues. |l a
ensuite été affecté à la gendarmerie de Nyanza à partir d’avril 1993, jusqu’à sa fuite du Rwanda en
juillet 1994. !! a alors connu avec sa femme et ses enfants un exil qui a duré plusieurs années, d’abord
dans les camps de la RDC qu’il a dû fuir en 1996 suite à une attaque du FPR, jusqu’au Cameroun, avant
son arrivée en France début 1999. Il s’agit donc d’un homme qui a connu la guerre, l’exil, l’attaque du
FPR durant laquelle il à perdu plusieurs membres de sa famille dont sa mère. Il a été établi que pour
obtenir le statut de réfugié, il avait su se montrer manipulateur en mentant non seulement sur son
identité, mais également sur son passé professionnel de gendarme, qu'’il avait caché sa présence à
Nyanza. S’il a soutenu que ces mensonges avaient été le seul moyen d’obtenir le statut de réfugié, un
ancien gendarme rwandais, JMV. MUNSY et un ancien militaire rwandais, R.G. BIZAMANA, ont
expliqué à la cour et au jury qu’ils n’avaient pas eu besoin d’user d’un tel stratagème pour obtenir le
statut de réfugié. En France, il a longtemps travaillé dans la sécurité auprès de l’université de Rennes
avant son licenciement à l’automne 2017 puis son départ pour le Cameroun qui semble s'apparenter à
une fuite plus qu’à un séjour prolongé. L’expertise psychologique et l’expertise psychiatrique dont il a
fait l’objet n’ont relevé aucun trouble de la personnalité et n’ont mis en évidence aucune cause
d’exclusion ou de minoration de sa responsabilité pénale. Mais au-delà de ces éléments, la personnalité
de l'accusé est restée difficile à appréhender.
S’agissant de la gravité des faits, la cour et le jury rappellent que les crimes contre l'humanité et de
génocide appartiennent à la catégorie des crimes les plus graves. !l s'agit en effet de crimes de masse,
qui se situent au sommet de la hiérarchie des crimes, que le TPIR a considéré comme étant le crime
des crimes. Ces crimes ont pour résultats de telles atteintes à la personne humaine, à sa dignité et à sa
condition mais également à l'humanité tout entière qu'ils entraînent un trouble exceptionnel et
pérenne à l'ordre public international, qu'ils traumatisent de manière durable et irrémédiable non
seulement les populations visées, les survivants et leurs proches mais également l'humanité toute
entière ainsi que la conscience humaine tant par le nombre de victimes directes et indirectes et que
par l'atrocité des crimes commis, marquant ainsi à jamais l'histoire de l'humanité. La cour et le jury le
jury ont donc tenu compte de l'extrême et exceptionnelle gravité des faits commis par l'accusé pour
apprécier la peine.
S’agissant des circonstances dans lesquelles les faits ont été commis, la cour et le jury ont retenu que
les faits ont été ont été répétés durant plusieurs jours et qu’ils ne sont pas isolés, que ce soit les
incitations à la population pour qu’elle se livre aux massacres et aux pillages, les ordres donnés pour
ériger les outils du génocide que sont les barrières, leur contrôle et leur supervision, mais également
les attaques massives et organisées contre les Tutsis réfugiés sur les sites de Nyabubare, Nyamure et
de l’ISAR Songa. Durant ces attaques, des armes à feu mais également des armes de guerre ont été
utilisées contre des populations civiles, à savoir des femmes, des enfants, des hommes, des personnes
âgées au seul motif qu'ils s’agissait de Tutsis. Des armes dites traditionnelles ont également été utilisées
par les civils qui accompagnaient les gendarmes pour tuer, massacrer, découper, éventrer, mutiler les
victimes, l’accusé ayant par ses actes livré ces victimes aux machettes, aux gourdins, aux haches et aux
bâtons.
45
Le nombre de victimes est vertigineux puisqu’au 11.000 morts de Nyamure doivent s'ajouter les
centaines de morts de Nyabubare, les 3.000 à 5.000 morts de l’ISAR Songa selon les estimations des
témoins, le nombre des victimes tuées sur les barrières n’ayant quant à lui pas pu être estimé, de même
que le nombre de rescapés et de victimes indirectes qui souffrent encore de graves traumatismes
physiques et psychiques, certaines ayant perdu toute leur famille proche et même éloignée. La cour et
le jury ont d’ailleurs pu le constater lors de l’audition des parties civiles qui ont livré des récits terribles
et effroyables en décrivant les atrocités et la cruauté dont elles avaient été victimes ou témoins.
l’accusé n’était certes pas le seul à commander, à diriger l’action génocidaire au niveau local puisque
les débats ont mis en évidence l’action de responsables locaux, de gradés de la police municipale ou
de l’armée, mais également de son supérieur, le capitaine BIRIKUNZIRA. Il n’a pas non plus été établi
qu’il avait fait partie des organisateurs et des penseurs au niveau local du génocide voulu par les plus
hautes autorités de l’Etat dans un contexte propice à la levée de tous les interdits, à la perte de tout
sens moral en niant toute humanité chez les victimes. Mais la cour et le jury ont estimé que l’accusé
s’est inscrit dans la machine génocidaire dont il a été l’un des rouages essentiels au niveau local, dont
il a été le bras armé zélé, tant par sa détermination que par son action déterminante. Sans l’action de
l’accusé, il est apparu que les massacres n’auraient pas pu atteindre une telle ampleur car les Tutsis
avaient réussi sur certains sites à résister aux attaques des villageois et des Interahamwe.
La cour et le jury ne contestent pas que l’accusé a pu sauver ou aider quelques Tutsis parce qu'il avait
des liens personnels avec eux ou bien parce que son supérieur le colonel RUTAYISERA lui en avait donné
lordre. Mais plus généralement, il est clairement apparu qu’au lieu de remplir sa mission de gendarme
au service des populations, il a usé de ses fonctions, de son grade d’adjudant-chef qui correspondent
selon le témoin J.M. MUNSY à un grade prestigieux puisque le plus élevé des sous-officiers, de son
prestige, de l’armement et des hommes dont il disposait pour commettre les massacres de plusieurs
milliers d’enfants, de femmes, d’hommes et de personnes âgées. Ses actes et ses paroles démontrent
en outre qu'’il a adhéré à la logique et au plan génocidaire auquel il a activement participé à l’échelle
du ressort de la gendarmerie de Nyanza.
l’accusé a toujours nié les faits, prétendant ne pas avoir été présent, reprochant à ses nombreux
accusateurs de mentir, d’être corrompus, d’avoir été préparés de sorte que leurs déclarations étaient
stéréotypées. Il a allégué un prétendu procès politique, se présentant donc lui-même en victime d’une
injustice. Il ne peut bien évidemment lui être tenu grief de ne pas reconnaître les faits dans la mesure
où l'exercice par une personne poursuivie du droit de ne pas s'incriminer elle-même ne saurait être
retenu contre elle. Mais, il ne peut en revanche lui être fait crédit d'avoir reconnu les faits, d'avoir
permis d'apporter des réponses aux victimes, d’avoir exprimé des regrets.
La cour et le jury ont donc, pour déterminer la peine de l’accusé, pris en considération l’extrême gravité
des faits rarement atteinte et les circonstances dans lesquelles ils ont été commis ainsi que leurs
conséquences telles que rappelées ci-dessus pour prononcer contre lui, malgré son parcours en France,
son âge, sa situation familiale ses difficultés de santé et l’absence de risque de récidive, la peine de
réclusion criminelle à perpétuité.
Fait à la cour d’appel de Paris, le 20 décembre 2024
La première jurée L& président de la cour d'assises de Paris
T 2
PECSN POUR COPIE CERTIFIÉE CONFORME
54 EPE # LeRrefier n Chef