Citation
La « haine raciale », la violence qui ravagent aujourd'hui le Rwanda ont elle des racines dans l’histoire du pays ?
Certainement pas. Avant la colonisation, le Rwanda était une société de classes et de castes. Le pays était régi par un système très complexe où les relations sociales étaient liées à la propriété du bétail. Les éleveurs tutsis confiaient leur bétail aux Hutus qui en avaient l'usufruit, c'estä-dire le lait et les taurilons. Mais la génisse — donc le capital — devait revenir aux propriétaires tutsis. Il s'agissait donc d'un système de clientélisme qui fonctionnait essentiellement dans le Rwanda central. La société était régie par des chefs, le Chef du sol, le chef du bétail qui étaient nommés tous deux par le roi ét qui avaient le pouvoir de prélever l'impôt sur les chefs de lignage.
Les chefs de colline étaient nommés par le chef de l'armée et le pays était régi par une administration militaire.
Est-il exact que les Tutsis sont un peuple venu d'ailleurs » ?
En tout cas, Hutus et Tutsis partageaient la même langue, une langue d'origine bantoue, la même religion, obéissaient au méme roi et respectaient les mêmes interdits. Ils partageaient aussi les mêmes mythes transmis par la littérature orale. Il s'agissait d'un seul peuple avec des différences de classe sociale. Ce qui est vrai, c'est que les Tutsis avaient un stock génétique différent gui s'accentuait parce qu'ils pratiquaient l'endogamie. De la même manière d'ailleurs que tout en bas de l'échelle sociale, les Twas accentuaient leurs traits pygmoides.
Lorsque sont arrivés les colonisateurs allemands et belges, ont-ils trouvé un pays en paix ?
Ils ont surtout fait irruption dans un royaume qui achevait son expansion territoriale et atteignait ses frontières actuelles. Il s'agissait d'une société où existaient certes des tensions sociales mais pas la violence ou le crime que l'on connaît aujourd'hui.
Quel fut l'attitude des colonisateurs ?
Au début, pratiquant le système de l'administration indirecte, Allemands et Belges s'appuyèrent sur les Tutsis. Mais les Belges n'hésitèrent pas en 1933, à déposer le roi Musinga, qui était contre la tutelle et contre l'Eglise, et à le remplacer par le roi Charles Mutara Rudahigwa, très chrétien, que l'on espérait beaucoup plus docile. Lorsque ce dernier meurt en 1959, les Belges s'aperçoivent que les Tutsis ont préparé la succession du souverain et s'apprêtent à demander aux Nations unies de proclamer l'indépendance du pays. Les Belges changent alors subitement d'allié.
La tutelle belge voulait la démocratisation du pays...
La tutelle invoquait la nécessité d'organiser des élections démocratiques, de donner le pouvoir à la majorité hutu. Mais le moteur de ce revirement était surtout l'Eglise catholique qui soudain changea ses alliances politiques. Il est vrai que les Tutsis avaient osé remettre en question la primauté de l'Église dans le domaine de l'enseignement. Les Belges et l'Eglise catholique soutiennent dés lors le Parmehutu du premier président Kayibanda qui, à ses débuts, a ses bureaux dans l'archevêché de Kapgayi. Les opposants hutus d'un autre parti, l'Aprosoma, sont écartés et les Tutsis créent un parti radical, l'Unar, qui conteste les élections, critique les Belges mais ne met pas en cause le système foncier et les injustices de la société. Ce qui permet à l'Église d'apparaître, aux côtés des Hutus comme une force de progrès social.
Quelle fut l'attitude des Belges lorsque se déclenche la « chasse aux Tutsis » ?
Le colonel Logiest a reçu les pleins pouvoirs pour former la nouvelle armée rwandaise, défendre le pays contre les incursions des exilés et il se range à fond aux côtés du Parmehutu. Pendant ce temps, dans les églises, les curés prêchent contre l'Unar. On brûle les huttes, les Tutsis fuient, c'est l'exode. Je me trouvais au Rwanda à cette époque et un militaire belge m'a avoué avoir participé « à la chasse aux Tutsis» au moyen de son hélicoptère. Il prédisait même que si les Tutsis exilés tentaient une attaque « il y aurait du sport ». Il y eut effectivement des milliers de morts.
Quelle est l'origine de la violence actuelle ?
Elle ne relève pas de l'histoire du pays. Les graines de la violence, de la haine raciale ont été plantées par la colonisation belge. La responsabilité de l'Eglise catholique, des missionnaires, est énorme car les gens ont adhéré à ce mythe qu'on avait forgé. Aujourd'hui, la France se porte au secours du régime d'un despote, mais c'est la haine raciale semée naguère par les Belges qui à débouché sur le génocide. Pour l'Eglise catholique aussi, les événements actuels sont un échec majeur. On le constate : tous les interdits d'autrefois, tous les tabous ont été brisés.
Propos recueillis par
COLETTE BRAECKMAN