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Mise à jour :
2 août 2023 Anglais

Alain Juppé : « Monsieur Bihozagara m'a indiqué que la France était un partenaire fiable parce qu'elle était à l'origine du processus d'Arusha »

Fiche Numéro 32374

Numéro
32374
Auteur
Bilalian, Daniel
Auteur
Boisserie, Philippe
Auteur
Baechler, Isabelle
Auteur
Albin, Bruno
Date
23 juin 1994
Amj
19940623
Heure
13:00:00
Fuseau horaire
CEST
Surtitre
Journal de 13 heures [1/2]
Titre
Alain Juppé : « Monsieur Bihozagara m'a indiqué que la France était un partenaire fiable parce qu'elle était à l'origine du processus d'Arusha »
Soustitre
La France, qui a obtenu l'accord des Nations unies, envoie ses troupes pour une opération humanitaire visant à sauver des vies humaines au Rwanda.
Taille
36981 octets
Nb. pages
6
Source
Fonds d'archives
INA
Type
Transcription d'une émission de télévision
Langue
FR
Résumé
- L'opération Turquoise est donc lancée. La France, qui a obtenu l'accord des Nations unies, envoie ses troupes pour une opération humanitaire visant à sauver des vies humaines, lorsque c'est encore possible, au Rwanda.
- Philippe Boisserie : "Nous sommes à Goma, à la frontière ouest du Rwanda, en territoire zaïrois, où depuis ce matin les avions n'arrêtent pas d'atterrir et de décoller pour finir d'amener les hommes du dispositif de l'opération Turquoise. Environ 2 000 hommes, dont 800, vont arriver d'ici peu depuis la France. […] Goma c'est en quelque sorte la base avancée du dispositif. Mais en fait la base opérationnelle sera plutôt à Bukavu, au sud de Goma, où normalement les opérations devraient commencer dès demain [24 juin] avec environ 350 hommes basés à Bukavu […] A priori la première opération serait effectuée à Cyangugu, en territoire rwandais, à quelques cinquante kilomètres de Bukavu. Il s'agirait d'aller protéger 5 à 6 000 réfugiés qui sont soit des Tutsi soit des opposants hutu, qui sont donc toujours menacés par les milices hutu, voire par les forces gouvernementales rwandaises. […] Nous avons vu il y a un instant le colonel Schill qui nous a dit que ses hommes étaient opérationnels dès cet après-midi. Il attendent le feu vert politique. A priori celui-ci devrait arriver dès demain matin [24 juin]".
- L'opération humanitaire sous couverture militaire est donc en train de se déployer. 200 soldats français sont déjà à pied d'œuvre, donc à la frontière zaïroise. 600 doivent les rejoindre ce soir. Ils seront au total 2 500 avec de l'aviation, des chars et du matériel lourd et léger qui est actuellement en route ou sur le point d'embarquer, comme ce matin à l'aéroport de Roissy.
- Aéroport Charles de Gaulle, terminal 2A. Destination : Afrique. Il est 10 heures ce matin et il y a de l'opération Turquoise dans l'air. Tous ces soldats sont des militaires professionnels. Voilà trois jours qu'ils étaient sur le pied de guerre pour justement ne pas aller faire la guerre. On leur a parlé d'humanitaire. Alors les hommes et les femmes qui partent sont concentrés mais plutôt détendus.
- Pas très, très causants certes, ces soldats sur le départ. Il faut dire que le Service d'informations et de relations publiques des armées, l'incontournable SIRPA, a classé ce départ secret-défense et ne souhaitait pas que nous tournions ces images. Le secret-défense s'est donc calmement déroulé sous nos yeux et d'ailleurs au vu et au su de tous les voyageurs civils de Roissy.
- Des soldats vaguement inquiets de cette mission qui ne s'annonce pas sous les meilleurs auspices mais qui ne le diront pas. Ils embarquent pour Libreville via Marseille et viennent de partout en France.
- Un officier supérieur, qui est commandant : "Je viens de Saumur, de l'École d'application de l'arme blindée cavalerie. J'ai été prévenu lundi [20 juin] et la procédure s'est appliquée. […] Sur l'ensemble du détachement, je crois que nous sommes de l'ordre de 200 mais je ne sais pas exactement. La mission précise nous sera donnée sur place. Et dans le cadre de cette opération humanitaire, nous serons des équipes de liaison auprès des différentes forces en présence qu'elles soient du Rwanda elles-mêmes, du Zaïre ou des différentes ONG sur le terrain".
- 200 soldats se sont donc envolés ce matin de Roissy, soit un cinquième du contingent parti de France.
- Les troupes françaises entrent en action pour quoi faire très exactement sur le terrain ? Sauver des vies humaines, c'est l'objectif que s'est fixé le gouvernement comme l'a dit le Premier ministre hier [22 juin], sans intention d'intervenir dans le conflit, et dans un secteur bien précis. Tout d'abord, le secteur de la frontière entre le Zaïre et le Rwanda.
- 2 500 hommes commandés par le général Lafourcade, 500 véhicules, une quarantaine d'avions, les hommes de l'opération Turquoise sont bel et bien partis ce matin avec une idée simple en tête : mettre fin si possible, une fois pour toutes, aux massacres qui ensanglantent le Rwanda.
- Pour ce faire les militaires français se posent aujourd'hui sur les bases zaïroises, au sud à Bukavu, au Nord à Goma.
- On parle d'opérations coup de poing pour à la fois protéger et déplacer des réfugiés rwandais. Autrement dit les militaires français pratiqueraient des va-et-vient, des rotations entre le Zaïre et le Rwanda.
- Une gymnastique périlleuse dont on ne connaît pas encore toutes les figures. On sait simplement qu'une évacuation massive vers le Zaïre est exclue. On sait aussi que les militaires français n'ont pas l'intention de s'incruster véritablement sur le territoire rwandais.
- Difficile dans ces conditions de protéger durablement ces milliers de réfugiés tutsi coincés dans des poches nichées dans la partie occidentale du pays, zone contrôlée par l'armée gouvernementale.
- Les militaires français vont devoir éviter plusieurs écueils de taille : sauver les Tutsi des massacres et de la famine. Et surtout ne pas aggraver les troubles dans la région en se retrouvant face aux rebelles du FPR qui n'apprécient pas du tout cette opération française. Des Français soupçonnés de favoriser l'action de l'armée gouvernementale.
- La France a obtenu l'autorisation des Nations unies de lancer son opération. C'était hier soir [22 juin]. L'accord n'était pas total car l'opération est risquée et la position de la France dans ce pays ne fait pas l'unanimité à New York. C'est à une seule voix de majorité que la confiance a été accordée à la France.
- La mission montée par la France au Rwanda devra être humanitaire, impartiale et ne pas excéder deux mois. Ainsi en a décidé le Conseil de sécurité. Et les militaires français, sénégalais et ceux des autres pays s'associant à l'opération pourront le cas échéant faire usage de la force armée. L'ONU a autorisé l'emploi de tous les moyens nécessaires en vue d'assurer la sécurité et la protection des personnes menacées par la guerre civile. Jean-Bernard Mérimée, représentant de la France au Conseil de sécurité : "Nos soldats au Rwanda n'auront pas pour mission de s'interposer entre les belligérants et encore moins d'influer de quelque manière que ce soit sur la situation militaire et politique. Notre objectif est simple : secourir les civils menacés, faire cesser les massacres, et cela de manière impartiale".
- Monsieur Boutros-Ghali a précisé que cette intervention permettrait à l'ONU de préparer l'envoi de 5 500 Casques bleus prévu pour réorganiser la force des Nations unies au Rwanda, actuellement paralysée à Kigali. Boutros Boutros-Ghali, secrétaire général de l'ONU : "Je voudrais exprimer ma gratitude au gouvernement français pour cette initiative extrêmement courageuse, cette initiative humanitaire".
- De son côté le représentant du Front patriotique rwandais a dénoncé une nouvelle fois l'action de la France, une "invasion" a-t-il affirmé, et "qui sera combattue par tous les moyens dont nous disposons".
- Le feu vert de l'ONU a été acquis par une assez faible marge, 10 voix sur 15, avec l'abstention de la Chine et de ceux qui redoutent que l'intervention française sonne le glas des espoirs des Nations unies au Rwanda. Mais pour la majorité des membres du Conseil de sécurité, attendre davantage sans rien tenter de faire devenait tout simplement impossible.
- Sur le relatif isolement de la France dans cette opération, le ministre des Affaires étrangères Monsieur Juppé s'est expliqué ce matin : pour lui on a exagéré notre isolement, bien que pour l'instant seules les troupes sénégalaises soient annoncées sur le terrain. "L'Organisation de l'unité africaine n'est pas aussi opposée qu'on le dit", dit Monsieur Juppé. "Quant aux rebelles du Front patriotique", toujours selon Monsieur Juppé, "leur hostilité à l'égard de l'opération n'est pas aussi radicale". Alain Juppé : "J'ai reçu moi-même hier [22 juin] Monsieur Bihozagara qui est vice-Premier ministre désigné du Gouvernement de transition, une des personnalités les plus importantes du bureau politique du FPR, ici à Paris. Il a eu une séance de travail de près de trois heures avec les services du Quai d'Orsay. J'ai moi-même parlé avec lui pendant plus d'une heure. Je n'ai pas, naturellement, levé ses objections à l'opération mais je voudrais citer deux mots qu'il m'a dit en présence d'une dizaine de personnes qui peuvent porter témoignage. Il m'a d'abord indiqué qu'à ses yeux la France était un 'partenaire fiable', je cite, pour le FPR dans les mois et les années qui viennent. Partenaire fiable parce qu'elle était à l'origine du processus d'Arusha, qui avait entraîné l'approbation complète du FPR. Partenaire fiable, parce que le FPR sait bien que lorsqu'il faudra reconstruire le Rwanda, la France aura tout son rôle à jouer. Deuxième mot de Monsieur Bihozagara que je veux citer de manière tout à fait littérale : il m'a dit que l'initiative de la France était une initiative louable. Mais que pour une raison de principe, liée au passé et liée à la conception qu'ils se font des choses, à savoir MINUAR oui, autre intervention, non, il ne pouvait pas l'approuver".