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Mise à jour :
25 août 2023 Anglais

Le Conseil de sécurité vient d'autoriser l'opération montée par la France pour une durée de deux mois au Rwanda

Fiche Numéro 31737

Numéro
31737
Auteur
Masure, Bruno
Auteur
Boussié, Laurent
Auteur
Lemaire, Jean-Marie
Auteur
Flegeau, Gérard
Auteur
Albin, Bruno
Auteur
Olliéric, Dorothée
Auteur
Baechler, Isabelle
Auteur
Rochot, Philippe
Auteur
Prédali, Jean-Baptiste
Auteur
Harrouard, Philippe
Date
22 juin 1994
Amj
19940622
Heure
20:00:00
Fuseau horaire
CEST
Surtitre
Journal de 20 heures [15:59]
Titre
Le Conseil de sécurité vient d'autoriser l'opération montée par la France pour une durée de deux mois au Rwanda
Soustitre
Le représentant à Bruxelles du FPR a trouvé louable cette initiative humanitaire mais n'a pas du tout été convaincu par les explications de la diplomatie française.
Taille
43988456 octets
Source
Fonds d'archives
INA
Type
Journal télévisé
Langue
FR
Résumé
- L'intervention militaire au Rwanda devrait débuter dès demain [23 juin] avec l'engagement d'un premier détachement de 600 hommes. Le Conseil de sécurité de l'ONU à New York vient de donner son feu vert à cette opération temporaire prévue pour une durée maximum de deux mois.
- L'intervention militaire française au Rwanda pourrait débuter dès demain [23 juin], le Conseil de sécurité des Nations unies venant de donner son feu vert. Sur place à Kigali les combats ont redoublé d'intensité alors que par mesure de prudence les responsables de l'ONU ont décidé d'évacuer les Casques bleus africains francophones qui ont fait l'objet de menaces très sérieuses de la part des rebelles du FPR, qui considèrent plus que jamais toute intervention militaire française comme une déclaration de guerre.
- Laurent Boussié : "Ici à Kigali la tension est encore montée d'un cran. Elle est maintenant presque palpable, intégrée à l'odeur de mort omniprésente dans la ville. Une tension qui évidemment est due à l'intervention française qui se prépare mais aussi aux bombardements de ce matin et de la nuit dernière. Des bombardements qui nous ont tenus réveillés depuis trois heures du matin. À partir de 5 heures, à ces bombardements intensifs se sont ajoutés des bruits de combats d'infanterie et d'armes automatiques. Et ça n'est que vers midi que ces combats ont baissé un petit peu d'intensité. […] Ces bombardements et ces combats ont fait de nouveaux blessés et cet après-midi, avec des journalistes anglais et américains, nous nous sommes rendus à l'hôpital de la Croix-Rouge. Alors évidemment là-bas, c'est l'horreur. C'est incroyable : il y a les morts, les survivants, ceux qui vont mourir. Tout ça, dans une atmosphère de fin du monde avec des médecins qui opèrent 24 heures sur 24, des pansements et des médicaments qui commencent à manquer. […] Il se dit que ce matin sont partis les 80 soldats francophones, donc du Sénégal et du Togo. C'est vrai que le sentiment anti-français se renforce. Quand je suis allé cet après-midi à l'hôpital de la Croix-Rouge, dans un blindé de l'ONU avec des journalistes anglais et américains, à un moment on a été arrêtés par des miliciens qui ont demandé s'il y avait des Français à bord. Alors évidemment on a dit non ! Mais les Français étaient étaient recherchés. […] La tension est très, très forte. Il y a encore des combats, un peu moins importants que la nuit dernière mais il y a encore des combats. Et puis les Casques bleus ici, ceux qui restent, envisagent toutes les solutions. La situation reste très difficile".
- Le déclenchement de cette opération militaire française était subordonné à un feu vert officiel du Conseil de sécurité des Nations unies. Un vote en ce sens vient d'intervenir.
- Le Conseil de sécurité vient donc d'autoriser l'opération montée par la France pour une durée de deux mois au Rwanda. Ce qui empêchait jusqu'à présent le vote se résume à deux questions : la France devait-elle intervenir sous ses propres couleurs avec un mandat des Nations unies ? Ou alors devait-elle le faire en coiffant le Casque bleu de l'ONU ? Celui de la Mission des Nations unies au Rwanda, qui est malheureusement actuellement paralysée militairement sur le terrain. La France voulait la première solution. Le mandat qu'elle vient d'obtenir lui permettra le cas échéant d'utiliser les armes pour assurer la sécurité et la protection des populations. Cette position était défendue par le secrétaire général de l'ONU, Monsieur Boutros-Ghali, ainsi que par une majorité des membres du Conseil. Le feu vert que la France vient d'obtenir a été acquis malgré l'opposition de ceux qui redoutent que cette intervention ne compromette dans l'avenir les chances d'action de l'ONU au Rwanda.
- Avant même ce vote du Conseil de sécurité, François Léotard avait annoncé cet après-midi que l'intervention militaire française pourrait débuter dès demain [23 juin]. Baptisée "opération Turquoise", elle devrait mobiliser environ 2 500 hommes dont 1 500 sont déjà prépositionnés au Gabon ou encore à Djibouti.
- Les Nations unies ont donné le feu vert : l'opération Turquoise pourrait donc commencer demain [23 juin]. 200 militaires français sont d'ores et déjà au Zaïre. Ils seront 600 demain et 2 500 le 25 juin. Du point de vue de l'équipement, 500 véhicules et une quarantaine d'avions seront acheminés au Zaïre.
- Le contingent français sera basé à proximité de la frontière, notamment sur l'aéroport international de Goma et au sud à Bukavu. La première incursion serait dans la ville de Cyangugu, au sud du Rwanda, en zone tenue par les gouvernementaux où se trouvent quelque 10 000 réfugiés tutsi.
- L'opération Turquoise sera limitée dans le temps avec un terme fin juillet. Et l'objectif reste humanitaire : il ne s'agit pas d'interposition mais de protection des populations civiles. Cependant dans le cadre du chapitre VII des Nations unies, les militaires français pourront faire usage de la force pour protéger les réfugiés.
- Enfin des instructions très précises ont été données aux soldats français pour éviter toute confrontation avec les forces du Front patriotique rwandais.
- François Léotard : "Je rappelle que notre objectif est humanitaire : sauver, dès que possible, des gens. Des enfants, des vieillards, des civils, des religieux, des gens qui sont menacés dans leur vie. En aucune manière nous n'avons l'intention ni l'objectif de nous interposer dans la guerre elle-même ! Et je ne vois pas qui aujourd'hui peut nous reprocher, au nom d'une communauté internationale souvent défaillante, de faire en sorte qu'on sauve un enfant. […] Dès demain matin [23 juin] nous apporterons la preuve que c'est le contraire qui se passe puisque dans la matinée, nous allons dans une localité qui s'appelle Cyangugu où, nous dit-on, un certain nombre de milliers de Tutsi, c'est-à-dire de personnes qui appartiennent à la même ethnie que le FPR, sont menacés. Donc dès demain nous allons prouver et la bonne foi et la bonne volonté qui sont les nôtres. […] Il n'y a pas de contact immédiat et direct avec les forces du FPR. Et nous refuserons ce contact, c'est clair. […] Si jamais il y a des attaques contre les forces françaises qui agissent sous un mandat de l'ONU, elles répondraient, c'est évident. Nous sommes dans un chapitre de la charte des Nations unies qui fait que nous avons le droit d'utiliser la force si l'ONU nous le donne. Et donc si jamais il y avait des obstacles qui étaient opposés au sauvetage de vies humaines, bien entendu il pourrait y avoir action de force".
- Les rebelles du FPR l'ont dit et redit : un feu vert de l'ONU à la France, qui vient donc d'être donné ce soir, équivaudra pour eux à une véritable déclaration de guerre. Ce matin Alain Juppé a reçu pendant une heure à Paris le représentant à Bruxelles du Front patriotique rwandais qui a trouvé louable cette initiative humanitaire mais n'a pas du tout été convaincu par les explications de la diplomatie française.
- Jacques Bihozagara : "Nous ne souhaitons pas que la France participe au Rwanda comme membre des Casques bleus. Une telle initiative ou décision serait contraire à notre mise en garde. […] Notre objectif n'est pas de tuer. Mais s'il s'agit d'une agression, nous allons certainement y répondre par des moyens en notre possession. […] Nous pensons que toute intervention qui n'est pas souhaitée et dont on n'a pu clarifier pourquoi on ne l'a pas souhaitée, nous la considérons comme une agression".
- Dès hier [21 juin] l'Organisation de l'unité africaine avait affirmé son opposition à cette intervention française au Rwanda. Hier également une vingtaine d'associations humanitaires françaises condamnaient également cette initiative estimant qu'elle ne ferait que relancer les combats sur place. Condamnation également du conseil mondial des Églises et fortes réserves de la plupart de nos partenaires européens. Beaucoup d'observateurs et de diplomates estiment en effet que la France est le pays le plus mal placé pour intervenir directement et cela en raison de sa partialité historique et son soutien résolu à l'ancienne dictature qui était en place à Kigali.
- Les soldats français au Rwanda, c'était en 1990 pour évacuer les étrangers pendant l'offensive du Front patriotique rwandais. Ces hommes sont pourtant restés, à la demande du Président Habyarimana. Deux ans plus tard ils seront même 700 et ne partiront qu'en 1993 après les accords de paix. Mais entre-temps l'offensive du FPR a pu être contenue par l'armée gouvernementale formée par des instructeurs français. Il existe des accords de coopération militaire avec le Rwanda depuis 1963. Et depuis 1970, jusqu'en avril dernier, une mission d'assistance à l'armée rwandaise était présente à Kigali. La France a toujours maintenu de bonnes relations avec le Président Habyarimana dont les forces armées ont été accusées à plusieurs reprises d'avoir organisées des massacres parmi les populations tutsi surtout dans les années 1990. - L'Élysée a justifié dimanche [19 juin] le soutien au régime du Président Habyarimana en écrivant qu'il fallait empêcher une solution militaire de dominer au Rwanda et contenir l'offensive du FPR. Mais les faits sont là : la France est considérée comme partisane dans ce conflit. En avril dernier elle a dû promettre à l'opposition rwandaise qu'elle pénétrait dans le pays uniquement pour sortir les étrangers pris au piège de la guerre civile et qu'elle se retirait ensuite. Ne restaient alors au Rwanda que quelque 5 000 hommes de la force des Nations unies, la MINUAR, dont la plupart ont aujourd'hui quitté le pays. Un soldat de l'ONU déchira même de rage son béret : les massacres allaient continuer.
- La situation au Rwanda a été au centre ce matin d'un conseil restreint réuni à l'Élysée après le conseil des ministres. À l'occasion des questions d'actualité cet après-midi à l'Assemblée, Edouard Balladur a voulu répondre publiquement aux doutes et aux soupçons à propos de ce projet d'intervention de la France au Rwanda. Les élus de la majorité semblent assez divisés sur la question. Les plus fortes réserves proviennent des rangs du RPR. C'est ainsi que Pierre Messmer, ancien ministre des Armées, a qualifié cette intervention de "mal fondée, inefficace et dangereuse".
- La déclaration était attendue, le ton solennel. Et dès le début de la séance des questions à l'Assemblée, Edouard Balladur a précisé le cadre de l'intervention française au Rwanda. Des explications sur les conditions dans l'attente du feu vert de l'ONU et un rappel des principes. Edouard Balladur : "Le gouvernement a pris cette décision parce qu'il est conscient des responsabilités qui pèsent sur notre pays, de par sa situation de membre permanent du Conseil de sécurité. Il l'a prise aussi parce qu'une solidarité ancienne et vivante unie notre pays à l'Afrique et qu'il ne saurait laisser des populations africaines livrées au génocide. Il l'a prise parce que tous les recours diplomatiques et humanitaires ayant été épuisés, les massacres ne se sont pas arrêtés et qu'il faut qu'à tout le moins certains États, dont la France, réagissent".
- Dans l'hémicycle la majorité a applaudi, pas l'opposition. Mais dans les couloirs, s'il y avait divergence, ça n'était pas forcément droite-gauche. Jacques Baumel : "Quand nous serons retirés, comme les Américains en Somalie, que se passera-t-il ? Il se passera que malheureusement les massacres reprendront de plus belle. Alors nous aurons fait un aller-retour, certainement intéressant sur le plan médiatique, mais pas très efficace sur l'avenir". Pierre Lellouche : "C'est la pire des solutions possibles l'intervention militaire. Mais je ne vois pas tellement ce qu'on peut faire d'autre parce que si nous laissons s'installer l'anarchie et le génocide comme moyen normal de faire de la politique en Afrique, on aura une situation explosive. Et on ne peut pas s'en désintéresser, c'est en face de nous".
- À gauche, les socialistes n'avaient pas applaudi le Premier ministre, pourtant ils approuvent. Jean-Michel Boucheron : "Quand des gens meurent, en Bosnie, tout le monde trouve normal qu'il y ait une intervention française. Pourquoi en Afrique ça ne serait pas la même chose ?".
- Aux communistes près, c'était plutôt le consensus à l'Assemblée. Avec une question : après une intervention limitée dans le temps, que se passera-t-il au Rwanda ?
- La France ne peut plus reculer maintenant. Malgré l'hostilité et les critiques au Rwanda, en Afrique, en France même, elle se doit d'intervenir maintenant que le feu vert des Nations unies est donné. Alors pourquoi ? Une volonté politique qui répond d'abord à ce devoir d'ingérence face aux insupportables images des massacres. Comme pour la Bosnie. Sauf qu'en Bosnie, la communauté internationale a suivi mieux qu'en parole. Et puis quelque part, peut-être que la France veut se racheter de la politique menée au Rwanda ces dernières années qui est tant critiquée aujourd'hui. Ce n'est pas un hasard si l'Élysée puis le Quai d'Orsay ont pris beaucoup de soin à démontrer que l'action de la France a surtout été d'aider au dialogue entre les frères ennemis et non de prendre parti pour le pouvoir établi. Et puis il s'agit enfin de prouver qu'on n'abandonne pas l'Afrique à son triste sort qui est fait de guerres, de catastrophes économiques, de famines, de SIDA. Même si la France semble avoir pris quelques distances avec ce continent. Il faut reconnaître qu'entre ne rien faire et y aller avec des arrière-pensées, notamment de rester en Afrique, la deuxième solution est la plus acceptable.
Commentaire
Le JT de 20 heures de France 2 du 22 juin 1994 est visible dans son intégralité ici : https://www.youtube.com/watch?v=kFrdEMxekNs